Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, c’est un débat original à de multiples titres qui nous réunit aujourd’hui. Tout d’abord, c’est la première fois depuis la création en 2008 de la délégation parlementaire au renseignement, structure commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, que la publication de son rapport annuel fait l’objet d’une inscription à l’ordre du jour de notre Assemblée, nous permettant ainsi d’en débattre publiquement. Je tiens donc à remercier le président Claude Bartolone et Bruno Le Roux d’avoir répondu favorablement à cette suggestion que je m’étais permis de leur soumettre.
Ensuite, il est rare – trop rare – dans cet hémicycle de parler de nos services de renseignement. De ce point de vue, nous illustrons parfaitement le rapport complexe que notre pays entretient avec le renseignement, ce « mystère connu de tous » comme l’écrit le préfet Rémy Pautrat qui, auprès de Michel Rocard, fit beaucoup pour réconcilier notre pays avec ses services.
La France n’aime pas « le renseignement », matière que les Anglais préfèrent d’ailleurs appeler l’« Intelligence ».
N’est-ce pas l’Académie française qui, dans l’édition 1879 de son dictionnaire, écrivait que l’espionnage est un « métier infâme », et Balzac qui, dans Splendeurs et misères des courtisanes, affirmait que « l’espion est un affreux métier » ?
Enfin, cet échange est en réalité préparatoire à un long débat que nous aurons dans quelques semaines, puisque le Président de la République, puis le Premier ministre, ont annoncé que l’Assemblée serait bientôt saisie d’un projet de loi relatif au cadre juridique des services de renseignement.
Cette perspective me permet de concentrer ces quelques mots au sens de l’exercice que j’ai eu l’honneur de piloter durant l’année 2014 au nom de la délégation parlementaire au renseignement.
Pour la première fois, en effet, le Parlement a enfin pu exercer « un contrôle de responsabilité » sur nos six services de renseignement.
J’invite tous ceux que ce sujet intéresse à consulter le rapport que nous avons rédigé et présenté au Président de la République le 18 décembre dernier.
Le contrôle des services de renseignement est un exercice vital, car de sa réalité dépend la légitimité des services aux yeux du public. C’est d’ailleurs pourquoi il est peu à peu devenu, dans les démocraties occidentales, un élément constitutif de la bonne gouvernance dans le domaine de la sécurité.
Selon les pays, il s’est structuré de manière diverse. Aux États-Unis, en Israël ou en Allemagne, il relève du Congrès, de la Knesset ou du Bundestag. En Grande-Bretagne, il s’agit d’un comité parlementaire, mais dont les membres sont choisis par le Premier ministre. Au Canada ou en Belgique, ce sont des comités indépendants, autonomes et apolitiques. En Australie ou en Suisse, le contrôle est exercé par un inspecteur général. Enfin, en Suède ou en Nouvelle-Zélande, il relève de l’institution judiciaire.
Notre pays a décidé de confier le contrôle des services au pouvoir législatif, heureuse initiative dont la réalisation a cependant pris un peu de temps.
Ce fut d’abord une initiative du Président Sarkozy qui créa, en 2007 puis en 2008, la délégation parlementaire au renseignement, formule apparue pour la première fois en 1985, dans une proposition de loi déposée par les députés communistes après l’épisode du Rainbow Warrior, et qu’Alain Marsaud, député UMP, a réactivée vingt ans plus tard, en 2005, lors de la discussion d’un texte relatif à la lutte contre le terrorisme.
L’outil était là, mais les compétences étaient restreintes, puisque la législature avait adopté un texte dans lequel cette délégation – Jacques Myard s’en rappelle mieux que personne – était chargée du suivi de l’activité générale des services.
C’est l’honneur du gouvernement de Jean-Marc Ayrault d’avoir décidé, à l’occasion de la loi de programmation militaire, de faire le pas décisif et de permettre à cette délégation d’exercer « le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine ».
Reste à définir ce qu’est le contrôle des services de renseignement. Notre mission est moins de surveiller les administrations elles-mêmes que de veiller à l’usage que peut en faire le pouvoir exécutif. Notre responsabilité n’est pas de vérifier qu’ils « travaillent bien », mais de s’assurer qu’ils ne se comportent pas mal, et, en cas d’anomalie, d’en imputer la responsabilité au Gouvernement, en mettant en oeuvre les mécanismes prévus par la Constitution en application de la séparation des pouvoirs.
Pour nous, en effet, les services de renseignement sont des administrations qui concrétisent une politique publique. La France ne fait donc pas partie de ces rares pays dans lesquels le contrôle parlementaire s’apparente à une forme de surveillance. On pourrait le regretter, mais il s’agit en réalité d’une heureuse précaution.
D’abord, parce que l’expérience des États-Unis a montré qu’un contrôle parlementaire globalisant est vite perçu comme une entrave dont s’émancipent les gouvernements, n’hésitant pas à extraterritorialiser leur action, par exemple sur la base de Guantanamo, ou à l’externaliser en faisant appel à des prestataires privés, comme l’a révélé l’affaire Snowden.
Ensuite, parce qu’une décision du Conseil constitutionnel de 2001 interdit au législateur de s’intéresser aux « opérations en cours », le Conseil ayant simplement oublié de préciser ce que recouvraient ces termes.