Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, débattre du rapport 2014 de la délégation parlementaire au renseignement, un peu plus d’un mois après les attentats qui ont frappé notre pays, commande de nous interroger, ici et maintenant, sur les forces et les fragilités des services de renseignement français, ainsi que sur les moyens d’en améliorer l’efficience dans un cadre juridique sécurisé et respectueux des principes de notre droit.
Telle est la suite logique du travail engagé depuis un peu plus de deux années par Jean-Jacques Urvoas et les membres de cette délégation, à la fois si nouvelle – l’histoire vient d’en être rappelée – et si particulière.
De ce travail découle un constat qui semble unanime : nos services de renseignement ne disposent pas, en l’état actuel de notre droit, des capacités juridiques qui leur seraient nécessaires pour agir en toute sécurité. Par ailleurs, les moyens mis à leur disposition ont pris un tel retard, en particulier au cours de la dernière décennie, que ces outils ne sont plus dignes d’un pays comme la France.
Première anomalie : les six services qui constituent aujourd’hui la communauté française du renseignement ont été créés par de simples décrets. Le fait d’être dépourvus d’existence législative ne contribue pas, chacun en conviendra, à la meilleure configuration, tant pour la définition de leurs missions que pour l’attribution de moyens dédiés. Chaque jour, ces services sont donc contraints de s’exposer à des risques importants pour continuer de remplir leur mission, sans base légale, en dehors de tout contrôle autre que hiérarchique et interne, ce qui constitue un double facteur d’insécurité.
Insécurité pour les agents tout d’abord, puisque le deuxième alinéa de l’article 122-4 du code pénal dispose que : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ». Concrètement, un agent travaillant pour le compte de la France qui pose une balise sous une voiture ou sonorise l’appartement d’un individu fomentant un attentat, peut, en l’état actuel de notre droit, être incriminé pénalement. Nous ne pouvons l’accepter plus longtemps.
Insécurité pour la France ensuite, puisque notre pays risque à tout moment de faire l’objet d’une condamnation internationale. Ainsi la Roumanie a-t-elle été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de l’imprécision de sa législation en matière de renseignement. Notre pays, lui, ne dispose d’aucune législation !
Comme l’a indiqué le Président de la République, comme le souhaite le Gouvernement, nous devons donc légiférer sans tarder. La loi devra, dans un premier temps, affirmer une évidence connue de tous, mais écrite nulle part : oui, la France dispose de services de renseignement pour contribuer à la défense de ses intérêts stratégiques et à la sécurité de ses ressortissants.
La loi devra, dans un deuxième temps, définir les missions de ces services, en encadrant strictement les actions dérogatoires au droit commun. Elle pourra s’inspirer, dans sa philosophie, du seul texte existant dans ce domaine : la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques, qui concerne principalement ce qu’il est convenu d’appeler les écoutes téléphoniques ou interceptions de sécurité.
Dans un troisième temps, la loi devra donner aux services les moyens légaux de remplir les missions qu’elle leur assigne. La loi du 9 mars 2004 portant sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben 2, a donné aux services de police judiciaire de puissants moyens d’investigation. Il faut nous inspirer de cet arsenal, car les missions de nos services ne sont pas moins importantes. Or, aujourd’hui, on attend d’eux autant d’efficacité, sans leur confier les outils nécessaires !
Dans un quatrième temps, la loi doit prévoir avec force les contrôles indispensables. Les moyens que nous avons le devoir de donner à nos services de renseignement étant, disons-le avec clarté, potentiellement attentatoires aux principes qui fondent les libertés individuelles, leur emploi doit être contrôlé rigoureusement. Trouver l’équilibre entre sécurité et liberté, c’est ce qui fonde le caractère démocratique d’une nation. La création d’une autorité administrative indépendante chargée d’évaluer la légalité et la proportionnalité des moyens mis en oeuvre, est donc une nécessité absolue.
Enfin, dans un cinquième temps, la loi devra offrir aux agents un cadre juridique de protection, afin que les principaux acteurs du renseignement français puissent agir en toute sérénité et en toute sécurité du point de vue du droit, ce qui ne signifie nullement en toute impunité. Ce débat, souhaité par le groupe socialiste, républicain et citoyen, sur l’opportune suggestion du président Urvoas, témoigne que la réflexion que nous menons sur ces questions sensibles n’est pas récente. Elle est le prélude au travail de législateur que nous allons prochainement engager. C’est un rendez-vous que le Parlement ne peut manquer.