Intervention de Stéphane Saint-André

Séance en hémicycle du 10 février 2015 à 15h00
Débat sur le rapport relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Saint-André :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, alors que la loi de 2007 créant la délégation parlementaire au renseignement lui fixait comme mission de suivre l’activité et les moyens des services, la loi de programmation militaire de 2013 lui donne pour vocation de contrôler l’activité du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine.

C’est un tournant. D’abord, parce que le mode opératoire est requalifié : il s’agit désormais de « contrôle », et non plus de « suivi » ; les champs d’investigation sont déplacés vers le haut – on parle de « gouvernement » et non plus de « services » – ; le renseignement devient une politique publique. Un tournant, ensuite, car la délégation, de ce fait, se trouve désormais hissée à un niveau de légitimité politique et démocratique qui la situe à un rang comparable à celui de ses homologues européens ou américain.

Tournant justifié, car les services de renseignement sont un grand service public. Les événements tragiques que nous avons connus récemment nous ont rappelé combien ils sont indispensables à notre sécurité, face à la multiplicité des menaces dont la France et les Français sont la cible.

Ainsi, après de nombreuses auditions et investigations, cette délégation, renforcée dans ses prérogatives, a rendu, pour 2014, un rapport d’activité de grande qualité. En témoignent les constats et propositions qu’il contient.

Tout d’abord, en se penchant sur le renseignement économique et financier, la délégation a levé le voile sur des activités et des domaines d’intérêt peu connus, alors qu’ils représentent des enjeux considérables. Ainsi, le renseignement financier collecte des informations concernant la détection de réseaux financiers clandestins, les opérations de blanchiment, la détection des risques et menaces contre des entreprises françaises, ou encore l’identification d’investissements étrangers pouvant porter atteinte aux intérêts français.

Le renseignement économique, quant à lui, contribue à la protection des entreprises et du patrimoine scientifique face aux menaces extérieures, à la sécurisation des approvisionnements stratégiques et à l’identification des stratégies des investisseurs.

Or, en s’interrogeant sur une série de sujets, notamment l’existence réelle d’un renseignement économique et financier français et les entreprises qui doivent en bénéficier, la délégation est parvenue à un constat négatif : le potentiel des services concernés est trop peu exploité.

Aussi faudrait-il dans un premier temps, comme le recommande le rapport, consolider l’existant en renforçant les moyens et les compétences de Tracfin et de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, mieux écouter certains services comme la DGSI, la direction de la protection et de la sécurité de la défense – DPSD – et la DGSE, dont les travaux restent souvent sans écho, et surtout réorganiser le ministère de l’économie et des finances dans cette perspective, tant le peu d’intérêt qu’il porte aux questions de renseignement – ce que ce rapport met bien en évidence – est criant.

Cette contribution a donc le mérite d’inciter à faire du renseignement économique et financier un outil à part entière de définition et de mise en oeuvre de la politique économique, et de l’intégrer au sein de la communauté du renseignement.

Selon la délégation, le renforcement de cette communauté du renseignement passe par l’amélioration du dispositif juridique d’encadrement et de contrôle des services. La France, en effet, ne peut plus demeurer la seule démocratie occidentale à ne pas bénéficier d’un cadre juridique, dont l’instauration présenterait plusieurs avantages majeurs. Il permettrait en premier lieu de mieux protéger les libertés individuelles, en précisant sous quelles conditions les services pourraient mettre en oeuvre « des techniques spéciales de collecte du renseignement », car si l’État doit disposer du monopole légitime du renseignement, ce privilège ne doit pas pour autant conduire à un espionnage massif des citoyens. Il y va de leur confiance dans l’action des services de renseignement ; il y va de la démocratie.

Un cadre juridique rénové permettrait, de ce fait, de reconnaître la contribution décisive des services de renseignement à la défense des intérêts fondamentaux de la nation, souvent trop peu connus et connotés péjorativement. Enfin, il permettrait de protéger les agents de ces administrations, qui se trouvent dans une situation d’insécurité juridique.

À ce titre, il est indispensable de renforcer la protection de leur anonymat, souvent malmené, mais aussi de transposer aux services de renseignement les privilèges octroyés par la loi à la police administrative : la sonorisation de locaux, l’infiltration, l’irresponsabilité pénale pour certaines infractions commises dans le cadre d’une opération ou encore l’identité d’emprunt, par exemple.

Le renforcement de la communauté du renseignement passe également par l’instauration de ressources humaines fiables. Depuis que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 en a fait la première des priorités, elles restent un sujet de préoccupation récurrent, que la délégation a repris à juste titre.

En effet, la communauté du renseignement est avant tout une communauté de femmes et d’hommes qui partagent une culture professionnelle, avec en ligne de mire la préservation des intérêts vitaux de la nation. Elle est à préserver, car l’évolution des menaces comme celle des moyens à mettre en oeuvre rendent nécessaire le recrutement d’agents très spécialisés, notamment dans les domaines linguistique et technologique. Cela peut uniquement se concevoir grâce à un flux permanent et maîtrisé de recrutements et de départs. Il est donc crucial d’imaginer une politique de ressources humaines rénovée.

En effet, si de réels progrès ont été enregistrés – comme la création de l’Académie du renseignement, par exemple –, la délégation a observé au sujet des mutations inter-services d’agents que le substrat juridique est trop faible pour inscrire les échanges dans la durée. Dès lors, la série de propositions techniques qu’elle émet a le mérite d’ouvrir une recherche concrète de solutions pour fixer de bonnes pratiques de gestion des ressources humaines.

D’autre part, la proposition d’ouverture des services de renseignement au monde de la recherche en sciences humaines et sociales va dans le bon sens. Nos services sont aujourd’hui étrangers à ce mode de fonctionnement, alors que dans la plupart des pays occidentaux, le rapprochement avec le monde de la recherche académique est depuis longtemps un acquis, que ce soit au moyen de partenariats ou de recrutements. Il est ainsi suggéré de financer des thèses, de commander des expertises, de signer des partenariats entre l’Académie du renseignement et des écoles doctorales : c’est tout à fait à propos.

Enfin, pour renforcer la communauté du renseignement, la délégation doit exercer sa vigilance concernant l’articulation entre les missions et les moyens du renseignement intérieur, récemment réformé. En effet, la transformation de la direction centrale du renseignement intérieur en direction générale de la sécurité intérieure est la traduction salutaire de la nouvelle impulsion donnée à la lutte contre le terrorisme. Les événements dramatiques de janvier dernier ne font qu’en confirmer l’impérieuse nécessité. De même, il est nécessaire de disposer d’un réseau territorial pour une surveillance optimale de proximité.

À ce titre, la création en mai 2014 du service de contrôle du renseignement territorial comble le vide résultant de la suppression des renseignements généraux, que le service départemental d’information générale n’aurait pu pallier, en raison de la faiblesse de ses effectifs. Pour ces deux nouveaux services, la délégation, après un suivi constant, encourage à poursuivre cette réforme qui porte déjà ses fruits.

Forte de toutes ces propositions, c’est à juste titre que la délégation milite en faveur de l’élaboration d’une loi spécifique au renseignement, pour lui donner force exécutoire. Cette dernière pourrait ainsi préciser tant les missions des services que les techniques spéciales pouvant être mises en oeuvre pour assurer ces missions, les contrôles induits, la protection juridique des fonctionnaires du renseignement et les voies de recours pour nos concitoyens.

Par conséquent, le groupe RRDP apporte tout son soutien à ces propositions, car elles contribuent à préserver l’autonomie stratégique de notre pays et, par ce biais, les intérêts fondamentaux de la nation.

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