Je tiens aussi à saluer votre action, monsieur le ministre de l’intérieur, et, à travers vous, les policiers et les gendarmes qui constituent la chaîne de sécurité et qui agissent le plus souvent dans l’ombre. Certes, leur action a pu se manifester de manière très visible à certains moments mais, en règle générale, c’est dans l’ombre qu’ils assurent la sécurité des Français, y compris en déjouant un certain nombre de tentatives d’attentat. Il me semble, monsieur le ministre, qu’il est important – sans donner trop de détails, cela va de soi – d’indiquer que des tentatives d’attentat n’aboutissent pas grâce à l’action que conduisent les services de police et de gendarmerie sous votre autorité.
À l’évidence, nous sommes confrontés à une évolution du phénomène terroriste qui appelle des adaptations de notre législation et de nos moyens d’action. Pourtant, dans ce contexte d’extrême tension, nous devons plus que jamais continuer de faire preuve de sang-froid et de lucidité.
De ce point de vue, le rapport de la délégation parlementaire au renseignement constitue une source de réflexion particulièrement riche. Tout d’abord, il permet de replacer au coeur du débat la question du contrôle parlementaire des missions de renseignement, alors même que leur caractère nécessairement discret, voire secret, pourrait conduire à soustraire l’activité des services à tout contrôle parlementaire.
Ensuite, ce rapport a été rédigé en décembre 2014, soit quelques semaines avant les attentats qui ont visé Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Précisément, le fait qu’il soit paru avant le met en quelque sorte à l’abri de toute considération de circonstance. Il montre que fort heureusement, ni le Gouvernement ni le Parlement n’ont attendu les attentats pour vouloir renforcer les moyens humains, financiers et juridiques des services de renseignement.
Enfin, ce rapport esquisse le chantier de la réforme du renseignement que le Gouvernement a, depuis, décidé d’accélérer, ce qui est tout à fait logique.
S’agissant de l’action de la délégation parlementaire au renseignement, je veux rappeler que les écologistes souscrivent pleinement à l’idée selon laquelle les missions de renseignement relèvent de l’action publique et doivent donc, à ce titre, faire l’objet d’un contrôle parlementaire.
Aussi, nous nous félicitons que la loi de programmation militaire ait permis à la fois d’élargir et de clarifier les compétences de la délégation parlementaire au renseignement. Désormais, la délégation exerce « le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et évalue la politique publique en ce domaine ». Dans ce cadre, elle se voit confier deux types d’informations : des informations d’ordre stratégique d’une part, à l’instar de la stratégie nationale du renseignement, qui lui est communiquée, ou du plan national d’orientation du renseignement, qu’elle peut consulter, et des informations d’ordre budgétaire d’autre part, telles que le rapport annuel de synthèse des crédits du renseignement, qui permet d’évaluer le coût global de la fonction renseignement. Je salue l’arrivée dans l’hémicycle de M. le ministre de la défense, au moment même où j’évoque la loi de programmation militaire.
De plus, la loi de programmation militaire a élargi les capacités d’audition de la délégation, qui peut désormais interroger le directeur de l’Académie du renseignement et les directeurs d’administrations centrales exerçant des fonctions de renseignement. À l’avenir, la délégation pourrait solliciter des agents issus d’autres services concourant aux activités de renseignement, tels que la gendarmerie et l’administration pénitentiaire, ou les présidents des autorités administratives indépendantes que sont la Commission consultative du secret de la défense nationale et la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Pour les écologistes, l’élargissement des pouvoirs de contrôle et d’évaluation de la délégation doit être encouragé. Je pense notamment à la précision des documents budgétaires – le rapport indique qu’aucune information n’a été transmise pour 2015, et que les autorisations d’engagement, qui permettent de mesurer l’investissement dans la durée, ne sont pas précisées – ou encore à la facilitation de l’audition de personnalités issues des services de renseignement.
Enfin, la question de la représentativité de la délégation demeure posée, et vous ne vous étonnerez pas que le coprésident du groupe écologiste que je suis la soulève à nouveau, puisqu’à ce jour, seuls deux groupes parlementaires y sont représentés : le groupe majoritaire et le principal groupe d’opposition. Nous pensons que le pluralisme est le meilleur garant de la qualité des travaux d’une délégation et du contrôle parlementaire.
Le deuxième intérêt du rapport de la délégation réside dans le bilan qu’il dresse de la réforme du renseignement intérieur. En effet, à la lecture du quatrième chapitre de ce rapport, nous apprenons notamment que la structuration de la direction générale de la sécurité intérieure est en bonne voie, que le principal chantier de la réforme réside dans la fixation d’un nouveau cadre légal pour les services, et que la coordination de la DGSI avec les autres services de renseignement évolue très favorablement, notamment avec le service central du renseignement territorial, avec la sous-direction de l’anticipation opérationnelle de la gendarmerie – qui permet d’intégrer une approche « gendarmerie » dans la réforme du renseignement intérieur – ainsi qu’avec la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris ou le bureau du renseignement pénitentiaire.
D’autre part, l’analyse de la délégation parlementaire met en lumière un certain nombre de défis pour nos services, qu’il s’agisse de la multiplication des interactions entre les agences, de la création d’une culture commune du renseignement, de l’harmonisation des formations ou encore du renforcement de certains budgets et effectifs.
Enfin, ce chapitre pose la question cruciale de l’accès des différents services aux sources d’information, notamment aux différents types de fichiers. Depuis la publication de ce rapport, le Gouvernement a décidé d’accélérer la réforme du renseignement et a d’ores et déjà annoncé les grands principes qui présideront à ce chantier.
Premièrement, les moyens humains et matériels du renseignement seront accrus. En tout, 736 millions d’euros seront débloqués, et 1 400 postes seront créés dans les trois ans, dont 1 100 dès cette année.
Deuxième principe : un nouveau cadre légal sera fixé. Sur ce point, monsieur le ministre, les orientations du Gouvernement semblent encore floues, mais sans doute ce débat vous offrira-t-il l’occasion de les préciser.
Troisième principe : une attention particulière sera portée à la question de la radicalisation. L’activité du renseignement pénitentiaire sera intensifiée – à cet égard, je veux dire notre étonnement lorsque nous avons découvert, à en croire votre rapport, que le bureau du renseignement pénitentiaire ne comptait que treize agents ! En outre, un fichier recensant les personnes condamnées pour des faits de terrorisme devrait être créé.
Pour notre groupe, les récents événements ont rappelé l’impérieuse nécessité de consolider le volet prévention de la lutte contre le terrorisme et, par conséquent, de conduire efficacement cette réforme du renseignement. Pour ce faire, le respect de certains principes nous semble indispensable. Tout d’abord, le principe d’encadrement du pouvoir administratif par le pouvoir judiciaire doit prévaloir. Si le recours à certains moyens administratifs doit naturellement être envisagé dans des circonstances d’urgence, le contrôle du juge doit intervenir dans les délais les plus courts pour garantir les droits et les libertés du citoyen.
Ensuite, la lutte contre la radicalisation sur internet ne doit pas nous conduire à casser le thermomètre au lieu de traiter la fièvre et les causes de la fièvre.
Enfin, nous considérons que l’accès aux données personnelles et aux fichiers doit également être réglementé par le pouvoir judiciaire. À cet égard, je souligne l’aberration de la situation dans laquelle nous nous trouvons, que j’avais d’ailleurs dénoncée lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire : nos données personnelles peuvent être détenues par des entreprises privées, notamment des compagnies aériennes, à des fins mercantiles, mais elles ne peuvent l’être par des agences publiques à des fins de sécurité !
Pour autant, la durée de conservation de ces données, et surtout l’accès à ces fichiers, doivent faire l’objet du plus strict encadrement, afin que les principes élémentaires de notre droit demeurent respectés.
Je ne doute pas que les échanges que nous aurons dans quelques minutes vous permettront, messieurs les ministres, de nous donner davantage de précisions sur les orientations de cette réforme du renseignement et de nous rassurer en ce qui concerne les impératifs de contrôle que je viens de rappeler.