Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la défense, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, en ma qualité de ministre de la défense, je suis en charge, comme vous le savez, du renseignement extérieur, du renseignement d’intérêt militaire et du renseignement de protection des ressources humaines et matérielles de la défense. C’est à ce titre que j’exerce la tutelle de trois services – la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement militaire – DRM – et la direction de la protection et de la sécurité de la défense – et que je m’exprime dans le cadre de ce débat utile, sans précédent, à la suite du ministre de l’intérieur.
Je voudrais d’abord vous rappeler, mais cela a déjà été évoqué, que la loi de programmation militaire, votée fin 2013, a fait du renseignement une priorité inédite par son ampleur. En effet, l’évolution de notre environnement stratégique, qui s’est durci par un niveau de menaces et de complexité rarement atteint, nous a conduits à faire un certain nombre de choix structurants, qui visent tous à accroître les moyens techniques, humains, mais aussi juridiques de nos services. Je pense à notre politique d’acquisition d’équipements, dont les satellites d’observation MUSIS, le satellite d’écoute CERES, les drones d’observation MALE, les drones tactiques, les capacités embarquées sur avions et les capacités techniques de la DGSE. La loi de programmation militaire a aussi engagé un effort de renforcement des ressources humaines, concrétisé par 360 recrutements supplémentaires prévus pour nos services. Je pense également à la plus forte articulation du renseignement avec le domaine cyber, d’une part, et les forces spéciales, d’autre part, qui ont également fait l’objet de précisions et d’orientations dans la loi de programmation militaire.
Cette loi repose sur un équilibre – évoqué par le ministre de l’intérieur –, qui dicte en permanence la conduite du Gouvernement, entre accroissement des capacités et renforcement du contrôle des activités des services de renseignement. Cet équilibre passe d’abord par une compétence accrue reconnue au Parlement : la délégation parlementaire au renseignement s’est vue charger par la loi de programmation militaire, pour la première fois, de contrôler l’activité du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique dans ce domaine. Plusieurs intervenants ont d’ailleurs salué cette avancée. Par ailleurs, le débat très ouvert qui nous réunit aujourd’hui s’inscrit lui-même dans cette dynamique.
Je veux dire, devant la représentation nationale, que les nouveaux développements que nous avons connus, depuis 2013, dans notre environnement stratégique sont venus confirmer les choix que nous avions faits. De fait, nous avons employé des drones d’observation et de reconnaissance au Sahel, et nous développons un ensemble important de moyens techniques et humains au Levant – des stations d’interception, des bâtiments navals, des avions d’observation et de l’imagerie satellitaire, en appui de l’opération Chammal. Cet ensemble découle des choix que nous avons effectués dans la loi de programmation militaire. Je voudrais aussi signaler que nous avons mis en place, en particulier pour l’opération Chammal, une cellule interagences de fusion du renseignement en interne. Il s’agit de s’assurer en permanence du partage d’informations entre les différents services, de leur décloisonnement et de la mise à disposition de l’ensemble des renseignements disponibles au profit des responsables des opérations. Cette dynamique de fusion du renseignement dépasse même le ministère de la défense, puisque la fusion a aussi été opérée avec les services dépendant du ministère de l’intérieur et du ministère des finances, uniquement s’agissant de ce type d’opérations.
Les choix que vous avez actés dans la loi de programmation militaire sont donc confortés, mais il était nécessaire d’actualiser ce texte. Le renseignement, qui s’affirme comme un facteur clé de notre autonomie stratégique et comme le déterminant de l’action militaire, sera au coeur des travaux qui nous attendent. Des mesures de renforcement ont d’ores et déjà été annoncées par le Président de la République et le Premier ministre. Ainsi, pour ce qui concerne la défense, les effectifs de la DGSE vont augmenter de 185 postes – en plus de ceux que j’ai indiqués tout à l’heure –, ceux de la DPSD, de 65, et les programmes de renseignement technique seront menés à bien, voire même amplifiés. Nous allons accroître – c’est une des priorités que je me suis fixées – nos capacités de détection, de suivi et d’entrave des menaces terroristes, y compris dans le champ cyber et informatique. Ce domaine est en effet essentiel. La crise dramatique que nous avons connue en janvier a une nouvelle fois démontré les dimensions nouvelles du champ d’action de la guerre cyber. La loi de programmation militaire trace d’ores et déjà un cadre ambitieux en la matière : elle accorde des moyens humains et techniques et confère pour la première fois – on se souvient des débats qui ont eu lieu sur ce point et on mesure à présent combien ils étaient d’actualité – le droit de riposte à la cyberdéfense en réaction aux attaques sur internet, ce qui constitue une avancée significative. Ce volet de notre défense sera encore amplifié lors de l’examen du projet de loi actualisant la loi de programmation militaire, que je vous présenterai avant l’été.
Si nous regardons l’ensemble des situations stratégiques actuelles, que ce soit en Afrique ou au Moyen-Orient, qu’il s’agisse de la prolifération ou des attaques cybernétiques, nous constatons, dans tous les domaines, pour l’ensemble des opérations, que la priorité doit être donnée au renseignement, qui est un outil majeur de notre souveraineté. C’est dans cet esprit que nous allons engager une modification de la loi de 1991, conformément à l’engagement pris lors de l’examen de la loi de programmation militaire. Nous sommes maintenant au rendez-vous.
Bernard Cazeneuve rappelait tout à l’heure que le dispositif normatif de 1991 avait été pensé dans un autre contexte, qu’il était adapté à d’autres formes de communication que celles qui existent aujourd’hui. Devant les nouveaux moyens de communication massifs et invisibles, qui offrent de nouvelles opportunités aux menaces, nous devons nous-mêmes adapter notre arsenal juridique et permettre – cela a été rappelé par le ministre de l’intérieur – aux agents de nos services de ne pas courir de risque pénal lorsqu’ils mettent en oeuvre les outils de surveillance indispensables et adaptés à ces nouveaux risques et à ces nouvelles menaces. Les dispositions qui vous seront proposées à ce sujet s’inscrivent dans le droit fil de celles sur le statut des agents que vous avez approuvées lors de l’examen de la loi de programmation militaire.
La loi sur le renseignement aura donc un double objectif : apporter aux services un certain nombre de moyens nouveaux et mettre en place les moyens d’un contrôle renforcé, qui passera notamment par la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante. Celle-ci, prenant appui sur l’expérience de l’actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité – CNCIS, verra son champ d’intervention, ses prérogatives juridiques et ses moyens techniques étendus. La nouvelle autorité continuera bien sûr d’associer des membres du Parlement, ce principe ayant fait ses preuves depuis 1991. Elle donnera un avis préalable à la mise en oeuvre des techniques de renseignement et contrôlera le respect par les services des autorisations délivrées par le pouvoir politique au vu de ces avis. La loi offrira aussi aux administrés une nouvelle voie de recours leur permettant de s’assurer de la régularité de l’usage des techniques de renseignement.
Ce dispositif législatif moderne devra être adapté à nos besoins en matière de renseignement tout en permettant – tel est l’enjeu auquel nous sommes confrontés – de protéger les Français et de sauvegarder nos libertés fondamentales. Nous sommes convaincus que les deux sont intimement liés. Je puis vous assurer que les libertés publiques seront protégées avec cette loi autant qu’elles le sont aujourd’hui. Encore faut-il l’adapter pour assurer en même temps notre propre sécurité. C’est dans cet esprit que nous travaillons ensemble, Bernard Cazeneuve et moi-même, pour parvenir à un texte d’équilibre, qui réponde aussi aux préoccupations majeures du moment et aux menaces nouvelles que nous affrontons.