Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 10 février 2015 à 15h00
Débat sur le rapport relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Mesdames les députés, vous posez deux questions qui sont étroitement liées : comment maintenir la confiance dans l’espace numérique, d’une part, et, d’autre part, préserver les libertés publiques auxquelles nous tenons tout en luttant contre le terrorisme ?

La confiance, tout d’abord, suppose que l’espace numérique, qui est un espace de liberté, de libre expression, de développement d’activités économiques, ne devienne pas, de ce fait, un espace de non-droit non régulé. Personne ne considère que, sur Internet, la confiance croît avec le nombre de délits ne faisant l’objet d’aucune intervention.

Généralement, on oppose à cet argument que le juge judiciaire peut tout à fait constater les délits et y mettre fin. C’est vrai, mais cela peut parfaitement se conjuguer avec la possibilité pour ceux qui ont un pouvoir de police administrative de prévenir, compte tenu de sa gravité, la survenue d’un délit sous le contrôle du juge administratif, qui est un juge des libertés. Nous n’avons pas remis en cause la possibilité pour le juge judiciaire de constater un délit ; nous avons simplement créé la possibilité pour l’administration de prévenir celui-ci, sous l’autorité du juge administratif, qui est un juge des libertés.

La confiance est donc cruciale, certes, mais elle suppose une certaine régulation, des principes. Elle suppose que l’on prévienne les délits et, dès lors qu’ils sont constatés, qu’on puisse déclencher l’action publique.

C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place le blocage administratif des sites et leur déréférencement, qui n’intervient, j’y insiste, que dès lors que les opérateurs internet sollicités par nos soins ne disposent pas du délai qui leur est imparti pour procéder par eux-mêmes à la régulation qu’on leur demande. En réalité, la disposition législative que nous avons prise est une disposition préventive et de sensibilisation qui doit permettre d’instaurer la confiance et d’établir la responsabilité.

Parce que nous voulions atteindre ce dernier résultat, nous avons pris très vite les textes d’application – le dernier décret a été pris le 6 février dernier – et engageons une action européenne, de façon que ces mesures soient partagées par nos partenaires, et internationale, pour continuer à sensibiliser les grands acteurs de l’Internet. À cet égard, je serai aux États-Unis la semaine prochaine pour rencontrer mes homologues, ainsi que ceux qui sont en charge de la sécurité et de la justice, et les grands opérateurs Internet pour les sensibiliser.

Madame Chapdelaine, vous m’avez ensuite interrogé sur les libertés publiques. Or, comme l’ont montré les événements du mois de janvier dernier, ce qui porte atteinte aux libertés publiques, c’est l’extrême violence perpétrée à l’encontre de ceux qui, au sein de notre République, garantissent la liberté ou l’incarnent : les journalistes, qui l’exercent jusqu’à l’impertinence, les policiers et les gendarmes, qui incarnent l’État de droit, et tous ceux qui ont fait le choix d’exercer librement leur culte et qui se trouvent visés en raison de la religion qu’ils ont choisie ; je pense aux Français de confession juive.

Ce sont donc non pas les dispositions que prennent les États démocratiques imprégnés des valeurs républicaines pour protéger leurs concitoyens de l’atteinte faite aux libertés publiques qui menacent celles-ci, mais ceux qui se chargent de détruire tous ceux qui les incarnent dans la démocratie, parce qu’ils haïssent la liberté et les valeurs de la République.

Cela ne doit pas nous empêcher de combattre le terrorisme dans le respect rigoureux des principes du droit. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu des mesures exceptionnelles qui ne soient pas des mesures d’exception. C’est la raison pour laquelle cette majorité, ce gouvernement se sont opposés à des amendements qui avaient un caractère symbolique mais qui étaient totalement anticonstitutionnels ; je pense notamment aux propositions sur la déchéance de la nationalité. Nous avons d’ailleurs bien fait d’agir de la sorte car, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité examinée la semaine dernière, le Conseil constitutionnel a bien délimité le périmètre de notre capacité d’intervention en la matière.

Enfin, nous devons le faire dans le respect des dispositions conventionnelles – Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – et des principes généraux du droit. C’est en respectant la Constitution, les principes généraux du droit et le droit international, notamment les conventions, telles que la Convention européenne des droits de l’homme, que la lutte contre le terrorisme atteindra une efficacité maximale sans qu’à aucun moment les libertés publiques ne s’en trouvent obérées.

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