Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, mesdames et messieurs les députés, même s’il ne s’agit plus de la seule publication de la Cour, le rapport public annuel reste la plus emblématique de sa mission d’information des citoyens et des décideurs publics que vous êtes. Les thématiques abordées dans plusieurs de ses chapitres traduisent le souci de couvrir des problématiques et des enjeux proches du quotidien de nos concitoyens : la qualité des services effectivement rendus, les performances réelles, mesurées à l’aune des objectifs des politiques publiques et de la dépense effectuée.
Avant d’évoquer les observations et recommandations du rapport public annuel de 2015, je veux revenir rapidement sur la contribution des juridictions financières aux efforts de modernisation des services publics.
Profondément attachées au principe de séparation des pouvoirs, elles sont au service de la République, dans le respect des textes fondamentaux qui régissent leur mission. Elles apportent une contribution indépendante, grâce à une programmation libre de leurs travaux et à la publicité donnée à leurs observations. Elles veulent, de manière constructive, soutenir, dans leurs démarches, celles et ceux qui ont pour objectif d’améliorer l’action publique.
En 2014, la Cour des comptes a rendu publics 63 travaux. Au-delà des six rapports annuels sur les finances publiques, elle a réalisé, en 2014, 17 enquêtes à la demande de l’Assemblée nationale ou du Sénat, et elle a été auditionnée une cinquantaine de fois par vos commissions. Cette mission d’assistance au Parlement, la Cour y est très attachée et s’efforce d’être utile à la représentation nationale. Je vous ai également adressé 25 référés qui ont été communiqués aux membres du Gouvernement et cinq rapports particuliers concernant des entreprises publiques.
Les juridictions financières veillent à exercer leur mission avec un haut niveau d’exigence éthique et professionnelle. Comme vous l’aviez souhaité en votant fin 2011 une disposition expresse en ce sens, j’ai arrêté en décembre dernier le recueil des normes que les équipes de contrôle doivent respecter, conformément aux règles nationales et internationales en vigueur. Ce recueil comporte en annexe notre charte de déontologie. Ces documents sont accessibles sur le site Internet de la Cour et peuvent être consultés par tous, élus, agents publics, citoyens.
Si elles sont plus souvent conduites à souligner les dysfonctionnements, les juridictions financières savent aussi reconnaître les efforts consentis pour améliorer l’action publique. Le rapport met ainsi l’accent sur le suivi des recommandations et développe deux situations en progrès, grâce à des dispositions législatives récemment votées.
La Cour est, à ce titre, revenue sur la gestion des avoirs bancaires et les contrats d’assurance-vie en déshérence, et sur le recours au chômage partiel. Dans les deux cas, le législateur a largement repris à son compte les propositions formulées par la juridiction. La Cour continuera d’assurer un suivi de la mise en oeuvre des dispositifs, qui doivent être complétés au niveau réglementaire.
Ces propos préliminaires achevés, j’en viens aux messages portés cette année par le rapport de la Cour : un décalage est trop souvent observé entre les annonces, les engagements et les résultats réellement obtenus. Il est préjudiciable à la crédibilité des politiques publiques.
Certains services publics doivent être gérés avec un niveau d’exigence plus élevé. Des marges d’économies et d’efficience existent et peuvent être mobilisées pour le redressement de nos comptes publics, mais aussi pour des politiques publiques mieux ciblées, plus adaptées aux besoins et aux attentes de la société.
Nous accumulons les déficits depuis près de quarante ans – depuis 1974 sans discontinuer s’agissant du budget de l’État. Le chômage demeure à des niveaux inquiétants. La part de nos dépenses publiques dans le PIB est parmi les plus élevées, sans que les résultats soient à la hauteur. Dans ce contexte, l’effort devrait être plus résolu en faveur d’une gestion plus rigoureuse des finances et des services publics et davantage tourné vers la recherche d’efficacité.
Or, cette année encore, la Cour observe, à de nombreuses reprises, un décalage entre les engagements pris, les objectifs affichés, les moyens qui leur sont consacrés et les résultats obtenus. C’est le premier message de la Cour.
La confiance dont jouit notre pays dans les instances politiques, économiques et financières, aux niveaux européen et international, est étroitement liée à la crédibilité de sa politique budgétaire. L’actualité récente montre que les débats de politique économique sont nourris quant à l’approche à retenir dans un contexte encore difficile et alors que les dettes publiques de plusieurs États européens, dont le nôtre, continuent de se creuser.
Le rôle de la Cour des comptes n’est bien sûr pas de trancher ces débats. Il n’est pas de se substituer aux pouvoirs publics dans la prise de décision, les choix à retenir ou les engagements à prendre vis-à-vis de nos partenaires. Cela relève de votre responsabilité. En revanche, le rôle de la Cour est bien d’informer sur la situation et les perspectives des finances publiques et sur le respect des engagements pris.
La Cour fonde ainsi son appréciation sur une réalité observable : les lois que vous votez, les hypothèses du Gouvernement, les résultats des lois de finances, ainsi que la statistique publique nationale et européenne. Comme chaque année, dans un chapitre de son rapport public annuel, la Cour livre à nos concitoyens et à vous-mêmes son regard sur la situation des finances publiques.
Deux grandes observations s’en dégagent cette année : le mouvement de réduction des déficits s’est interrompu en 2014 ; la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine en 2015.
Le chapitre consacré aux finances publiques met en évidence le dérapage des prévisions successives de déficit public pour 2013 et 2014. Le mois dernier, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour, j’ai salué l’opération-vérité de septembre 2014, par laquelle le Gouvernement a, tardivement selon nous, reconnu la réalité de l’ampleur des déficits.
Les résultats de 2014 devraient s’avérer meilleurs que la prévision de 4,4 % inscrite dans la loi de finances de décembre 2014. Mais quand bien même ils se rapprocheraient de 4,1 %, cela resterait encore bien supérieur aux 3,6 % prévus initialement. En tout état de cause, ces résultats ne marqueraient pas une amélioration par rapport à 2013, au contraire de ce qui se passe dans pratiquement tous les autres pays de l’Union européenne, dont le déficit dépasse 3 %.
Malgré un objectif de réduction du déficit limité par rapport à celui prévu initialement en 2014, la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine pour 2015. La Cour identifie en effet plusieurs risques, en dépenses comme en recettes, liés notamment aux perspectives de baisse de l’inflation.
Un premier risque pèse sur la réalisation des 21 milliards d’euros d’économies annoncées en avril 2014. Ces économies sont conçues pour leur très grande part, je le rappelle, non comme une diminution de la dépense publique mais comme un effort de ralentissement par rapport à son évolution tendancielle.
Un second risque pèse sur le montant des recettes fiscales attendues pour 2015. Le risque ne se situe pas, comme les autres années, sur la croissance ou les hypothèses d’élasticité des recettes fiscales, mais là encore sur l’inflation prévue. Les lois financières s’appuient sur une hypothèse de 0,9 %, largement supérieure aux dernières prévisions. La Commission européenne envisage ainsi une inflation voisine de 0 % pour la France.
Les pouvoirs publics doivent se pencher sans tarder sur les enjeux que soulève la période actuelle de très faible inflation. Elle remet en cause les perspectives d’équilibre des finances publiques et le cadre budgétaire triennal sur lequel reposent notamment le budget de l’État et l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie.
Si les risques identifiés se concrétisent, le retour sous le seuil de 3 % du PIB en 2017 sera probablement compromis. À cet horizon, la dette publique pourrait approcher, voire dépasser 100 % et l’équilibre structurel des comptes publics serait encore repoussé au-delà de 2019. Attention à ne pas se laisser abuser par le très faible niveau des taux d’intérêt auxquels l’État se finance actuellement : la dette supplémentaire que nous continuons d’accumuler va devoir être financée et refinancée pendant de nombreuses années. Et elle ne le sera sans doute pas éternellement aux taux exceptionnellement bas que nous connaissons aujourd’hui. Ces déficits et cette dette supplémentaire pèseront lourdement sur les générations futures et sur les marges de manoeuvre des gouvernements dans l’avenir.
Le rééquilibrage durable de nos finances publiques dépend des choix de politique économique susceptibles de renforcer le potentiel de croissance de l’économie. Il implique aussi de faire des choix clairs pour une organisation plus performante des services publics, une meilleure répartition des compétences et des moyens. L’ensemble de ces choix ne s’imposent pas au nom d’une contrainte, subie ou importée. Ils s’imposent, si j’ose dire, de l’intérieur, si nous voulons préserver notre souveraineté, c’est-à-dire notre capacité à faire des choix. Les politiques de rabot ne peuvent pas tenir lieu de stratégie de redressement des comptes publics ni surtout d’horizon pour les services publics de demain.
Dans son rapport public annuel de 2015, la Cour s’interroge à plusieurs occasions sur la cohérence de l’action de tel ou tel organisme public avec les objectifs visés. Parfois même, elle met en doute la conduite de l’action publique au regard des objectifs qu’elle est censée remplir. Ce sont en effet les résultats atteints par une politique publique qui garantissent sa crédibilité. Nos concitoyens exigent, à juste titre, puisqu’ils y contribuent, que l’action publique débouche sur des résultats tangibles, concrets, dans leur vie de tous les jours. Cela est encore loin d’être le cas au regard des crédits consacrés. De nombreux sujets de ce rapport touchent à la vie quotidienne des habitants, qu’il s’agisse des transports, de l’eau, de l’électricité, de l’emploi, du sport ou de la vie étudiante. Sans les citer tous, j’évoquerai devant vous les exemples les plus saisissants.
Premièrement, les agences de l’eau, organismes qui sont les principaux financeurs de la politique de l’eau en France, collectent des taxes ou redevances dans le respect théorique du principe pollueur-payeur. En réalité, ces redevances sont largement déconnectées de ce principe : ceux qui polluent le plus ne sont pas ceux qui paient le plus.
Deuxièmement, le bilan de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence est contrasté dans les faits. Plusieurs dispositions du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont vous débattez en ce moment, mesdames et messieurs les députés, vont dans le sens des préconisations de la Cour sur ce sujet.
Troisièmement, la gestion des trains Intercités offre un exemple d’atermoiement entre volonté affichée de réforme et indécision persistante et préjudiciable au service public. La Cour appelle les pouvoirs publics à sortir de l’impasse pour offrir à ces lignes un horizon pérenne.
Dans un contexte économique difficile, des signes de défiance sont perceptibles à l’égard du secteur public. C’est pourquoi, dans son deuxième message, la Cour veut insister sur l’impératif de rigueur et d’exigence qui s’impose aux agents et aux services publics.
La Cour a voulu rendre publics des cas et des situations qui appellent davantage de rigueur et de retenue dans l’usage des deniers publics ou dans les comportements, sans préjudice des irrégularités qu’elle pourra constater et qui pourraient être sanctionnées par ailleurs.
Dans son rapport, la Cour évoque d’abord la mise en place d’un dispositif importé du secteur privé, l’attribution gratuite d’actions aux salariés de CDC Entreprises, filiale à 100 % de la Caisse des dépôts et consignations. C’est un cas de dérive, choquant, qui révèle plusieurs dysfonctionnements. Au regard du caractère tout à fait anormal de cette situation, la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie par le Procureur général.
Par ailleurs, la Cour a procédé à un contrôle de suivi du Conseil économique, social et environnemental. Elle s’est à nouveau intéressée à la gestion budgétaire et comptable de l’institution, à sa gestion du personnel et au régime spécial de retraite des anciens conseillers.
L’exigence de rigueur concerne aussi les collectivités territoriales. Après examen de plusieurs contrats de partenariat signés par des collectivités territoriales depuis 2004, la Cour recense les conditions qui devraient à l’avenir être réunies si l’on veut avoir recours à ce mode dérogatoire de gestion des services publics.
La Cour s’est également penchée sur les compléments de rémunération dont bénéficient les fonctionnaires d’État outre-mer. Une réforme de ce système à bout de souffle est souhaitable.
La Cour adresse enfin un troisième et dernier message : des marges importantes d’économies, d’efficacité, d’efficience existent et doivent être davantage mobilisées. Le maillage des services publics doit mieux répondre aux besoins et aux attentes. Ainsi, la révision du réseau et des missions des oeuvres universitaires et scolaires est indispensable, à la fois au regard de l’offre territoriale, des choix d’investissement, de la simplicité et de l’efficacité du ciblage de son action.
Un service public de qualité passe aussi, parfois, par une refonte des cartes administratives. La gestion des services d’eau et d’assainissement l’illustre parfaitement. La France compte 31 000 services d’eau et d’assainissement, dont 22 000 sont gérés en régie. Symboles d’une gestion communale de proximité, près de 92 % des régies concernent un territoire de moins de 3 500 habitants. Dans ce cas comme dans d’autres, proximité ne rime pas nécessairement avec efficacité de l’action publique. En l’espèce, trop de proximité tue l’efficacité.