L’article 58 quater est en quelque sorte l’un des fruits défendus de la commission spéciale. Tel qu’il a été défendu et adopté par la commission – provisoirement, je l’espère, car je souhaite qu’il ne le soit pas par notre Assemblée –, il aurait pour conséquence de permettre à toute entreprise de ne pas rendre publics ses comptes sociaux. Cet article a jeté beaucoup de trouble dans notre majorité et, me semble-t-il, au-delà. En effet, depuis des années, nous combattons l’opacité dans la vie économique et c’est pour nous, monsieur le ministre, et sans doute aussi pour vous, une vraie question de cohérence. Dans l’intervention que vous avez faite pour présenter cette loi, vous déclariez que « justice et transparence permettent de lutter contre la défiance ». Or, c’est précisément là que nous nous trouvons.
Je ne suis pas sûr que la commission spéciale, qui a travaillé sur ce texte durant quelques dizaines d’heures dans des conditions difficiles, ait pris la mesure exacte de la portée de cet article. En effet, dans la vie économique et dans la vie des entreprises, la transparence est une question d’ordre public. Pour les fournisseurs, les clients, les investisseurs ou les créanciers, ainsi que pour les salariés, même s’il existe pour l’information de ces derniers des dispositions particulières permettant au comité d’entreprise de consulter les comptes sociaux – pour toutes ces catégories de parties prenantes de la vie économique, le vote de cet article marquerait la fin de la transparence sur les comptes sociaux.
Cette disposition paraît tout à fait inconcevable et elle est du reste contraire à une directive européenne dont nous avions tiré les conséquences, sur la proposition du gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault, en simplifiant la vie des micro-entreprises, celles-ci étant en effet autorisées à ne pas publier leurs comptes. Lorsqu’il s’agit cependant de grandes entreprises ou des ETI que nous évoquions tout à l’heure, une telle mesure serait déconcertante.
Enfin, alors qu’il existe un mouvement international de transparence, absolument essentiel pour des causes qui nous sont communes, comme la lutte contre la fraude fiscale, on proposerait à l’Assemblée nationale française, la semaine même où éclate l’affaire SwissLeaks, de renoncer à la publication des comptes sociaux des entreprises ? Ce serait un contre-emploi et contre-sens historique.
Nous sommes à un moment où la lutte contre les paradis fiscaux doit se poursuivre et s’amplifier. Nous avons obtenu, lors de l’examen de la loi bancaire – c’était un peu compliqué, nous nous en souvenons – une certaine transparence sur les filiales des banques françaises dans les paradis fiscaux. Il y a là un mouvement de fond, qu’il faut poursuivre. Et on viendrait soudainement l’interrompre ? Ce serait un très mauvais signal que cet article 58 quater survive à cette soirée. Ce serait même, pour la transparence de la vie économique et la lutte contre l’opacité, un grand bond en arrière. Je suis persuadé que la majorité ne souhaitera pas être complice d’une telle décision.