Merci de votre invitation. Je m'appuierai principalement, dans mon propos liminaire, sur les notes du CAE, en commençant par celle sur laquelle nous travaillons actuellement, consacrée à la gouvernance de la zone euro. Sous réserve des décisions prise aujourd'hui par l'Eurogroupe, dont je n'ai pas connaissance, les nouvelles récentes ont été plutôt bonnes, avec les baisses de l'euro et du prix du pétrole et les frémissements d'une reprise de l'activité. Il a été demandé au CAE de se pencher sur la politique macroéconomique de la zone euro ; or, une telle politique fait précisément défaut. Cela explique que la croissance, repartie en 2011 après le creux de 2009, soit retombée en 2012 alors qu'elle s'est maintenue aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui avaient pourtant connu la même crise. Des erreurs ont sans doute été commises dans notre politique économique en 2012 ; il y en eut en tout cas de massives pendant la crise, qui n'ont pas toutes été corrigées.
La coordination des politiques économiques entre États souverains n'est pas chose naturelle ; on le voit avec l'inflexibilité de l'Allemagne en matière budgétaire, alors même que le Traité de Lisbonne impose en principe aux États de coordonner leurs politiques économiques. La Banque centrale européenne – BCE – souffre également de cette lacune : si l'Europe était fédérale, comme le sont les États-Unis, l'institution de Francfort aurait fait du « quantitative easing » depuis longtemps, à l'instar de la Réserve fédérale américaine, la FED – laquelle n'achète pas de dette du Kansas ou du Missouri...
L'Europe n'étant pas une fédération, elle élabore des règles qui deviennent des procédures : elle ne dispose pas des soubassements institutionnels lui permettant de conduire une politique discrétionnaire. On s'est ainsi focalisé sur le pacte de stabilité, et plus précisément sur la soutenabilité des dettes publiques, mais ce critère, malgré son importance qu'illustre la situation grecque, n'est pas l'alpha et l'oméga de la coordination. Les pays de la zone euro devraient aussi coordonner leurs réactions aux cycles – ce qu'ils font très mal – et surtout leurs politiques macro-prudentielles. En 2001, le Conseil européen a adressé à l'Irlande, dont l'inflation dépassait alors 5 %, une recommandation au titre des grandes orientations de la politique économique ; mais cette recommandation se concluait sur la nécessité de restrictions budgétaires, alors que l'Irlande était sur ce plan en excédent. Une politique macro-prudentielle bien comprise aurait appelé un resserrement du crédit et des mesures susceptibles de dégonfler la bulle immobilière. Une coordination en matière de compétitivité, au vu des divergences nominales, serait également souhaitable : elle est au moins aussi importante que la coordination budgétaire.
En un mot, l'idée générale de notre note à paraître en mars est non une remise en cause des règles mais un agencement différent entre elles : cela redonnerait sens au semestre européen, vécu par les États membres comme une succession de procédures plutôt qu'un outil de coordination.
Cela dit, l'essentiel des ressorts de la croissance relèvent de la politique nationale. Pour la France, le diagnostic du CAE se résume à deux constats principaux. Le premier est que l'emploi des jeunes est à la traîne, et pas seulement depuis la crise. Un relèvement de dix points du taux d'emploi des 15-29 ans, qui représentent 28 % de la population en âge de travailler – soit les 15-64 ans –, entraînerait une hausse de l'emploi de 2,8 % et, compte tenu d'un coefficient affecté de 0,6 %, de 1,6 % du PIB : sans être considérables, ces chiffres sont significatifs.
L'augmentation sensible de l'emploi des séniors, même si elle n'est pas spécifique à la France – qui n'a donc pas encore comblé son retard en la matière –, prouve que l'on peut agir sur l'emploi des jeunes. Les réformes des retraites ne sont pas indifférentes à ce phénomène, au demeurant pas contradictoire avec la hausse conjointe du chômage. S'agissant de la catégorie des 30-54 ans, les statistiques montrent que la France se situe dans la moyenne des autres pays. Bref, sur les deux problèmes traditionnels, les jeunes et les séniors, la situation s'améliore pour les seconds mais pas pour les premiers, surtout lorsqu'ils sont peu qualifiés.
Second constat : la stagnation, depuis dix ans, de la productivité globale des facteurs, autrement dit la productivité combinant travail et capital.
Les faiblesses structurelles de la France nous paraissent être au nombre de quatre. La première, l'emploi des jeunes peu qualifiés, s'explique d'abord par le décrochage scolaire, mais aussi par l'apprentissage, pour lequel nous préconisons une réforme de l'offre, à des fins de fluidification et d'encouragement d'initiatives « hyperlocales » : un cahier des charges pourrait être élaboré au niveau national ; il inclurait des critères de qualité dont des agences privées, aussi nombreuses que nécessaire, assureraient la certification. Un groupe d'entrepreneurs locaux, par définition au fait des besoins sur le terrain, aurait ainsi la possibilité d'organiser une formation à brefs délais, en évitant les nombreuses embûches du système actuel.
Le faible taux d'emploi des jeunes non qualifiés pose aussi le problème de la mobilité. La réduction du délai d'obtention du permis de conduire est souhaitable – aussi saluons-nous la réforme en cours –, sans oublier les coûts. Le secteur étant très protégé, les nouveaux entrants, comme les auto-écoles en ligne, ont du mal à s'y insérer. La mobilité, d'ailleurs, est surtout un problème pour les jeunes qui vivent en milieu rural ou dans des petites villes : la libéralisation du secteur des autocars aura sans doute des effets bénéfiques pour eux, mais l'on pourrait aller plus loin.
On parle beaucoup plus des enquêtes PISA – Programme for international student assessment – que des enquêtes PIAAC – Programme for the international assessment of adult competencies –, dont les résultats sont pourtant catastrophiques pour la France. Ils mesurent les compétences des adultes – personnes âgées de plus de quinze ans – dans les domaines du chiffre et de l'écrit – c'est-à-dire, pour ce dernier critère, la faculté à comprendre ce qu'on lit et à s'exprimer à l'écrit. Le fait que la main-d'oeuvre française ne soit pas assez formée pour s'adapter à certaines technologies nouvelles explique en partie les difficultés qu'éprouvent les entreprises à innover, par exemple en matière de robotisation. La formation initiale est coupée de la formation continue, dont le coût est dix fois supérieur ; ce phénomène, sur lequel on peut s'interroger, rend très difficile la reprise d'études.
Troisième problème de fond : le surdéveloppement relatif des secteurs non échangeables, à savoir principalement les services – même si certains d'entre eux sont échangeables. Ce problème s'est posé avec force dans les pays périphériques, notamment l'Espagne – compte tenu du développement de la construction –, qui depuis ont procédé à un ajustement, contrairement à la France – où le déséquilibre était moindre – et à l'Italie. Notre pays, vous le savez, rencontre aussi un problème d'offre de logements, avec un niveau de constructions insuffisant, l'argent dépensé pour soutenir la demande se répercutant en hausse des prix. Ce mécanisme a de surcroît des effets pervers très indirects : il explique, par exemple, que les salaires, tirés à la hausse par les prix du logement, aient augmenté plus vite que la productivité, ce dont pâtit la compétitivité-coût. La compétitivité, rappelons-le, n'est pas l'apanage exclusif de l'industrie : chacun y contribue, y compris, de par sa productivité, la fonctionnaire que je suis. Cela paraît contradictoire avec le surdéveloppement des secteurs non échangeables, mais celui-ci tient aussi à ce que les profits sont plus élevés dans ces secteurs, qui pour cette raison attirent davantage le capital et le travail.
Le coût du travail est un sujet délicat. Le graphique qui vous est projeté a été publié dans l'une de nos notes : Pierre Cahuc vous en reparlera sans doute mercredi prochain. Le salaire minimum n'est pas créateur de chômage, sauf pour les jeunes non qualifiés. Ce graphique vous montre, en abscisse, le salaire net mensuel auquel peut prétendre une personne en fonction de différentes caractéristiques – sexe, zone de résidence, niveau de diplôme ou expérience –, rapporté, en ordonnée, au taux de chômage. Pour la plupart des catégories, le taux de chômage est faible et le niveau de salaire n'a que peu d'incidence sur lui ; mais il monte brutalement à 40 % pour les jeunes non qualifiés, dont le niveau de salaire est au surplus très proche du smic. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, les économistes préconisent une baisse des charges sur les bas salaires. Le problème peut aussi être traité à travers l'apprentissage, un apprenti étant en principe payé en dessous du salaire minimum.
Le développement global de l'apprentissage est trompeur, car celui-ci, en réalité, ne se développe qu'au sein de l'enseignement supérieur : pour les diplômes de plus basse catégorie, le nombre d'apprentis stagne alors même que c'est à ce niveau qu'un apprentissage est le plus rentable. Qu'un étudiant en mastère suive apprentissage est sans doute très bénéfique pour lui – et pour l'entreprise –, mais, même sans cet apprentissage, il aurait sans doute trouvé un emploi correspondant à sa qualification, ce qui est beaucoup moins vrai pour les diplômes inférieurs.
L'image suivante vous montre les scores PIAAC : la France y apparaît en antépénultième position. Ces tests, entend-on souvent dire – notamment au sujet du programme PISA –, ne correspondraient pas à notre culture ; mais l'argument ne me paraît pas satisfaisant : il a surtout été un prétexte à l'immobilisme. La formation professionnelle a été réformée, avec le compte personnalisé qui est un pas vers la « flexisécurité », mais cette réforme ignore l'offre de formation, très peu contrôlée quant à sa qualité. De plus, l'accès à une formation s'apparente à un parcours du combattant, notamment pour ceux qui en auraient le plus besoin, à savoir les chômeurs.
Le graphique intitulé « Faciliter la reprise des études » détaille, pays par pays, la part des 25-29 ans sans diplôme qui, en 2011, étaient en formation, recevant ainsi une deuxième chance. Cette part est de 25,1 % en Suède, contre seulement 1 % en France. Comment revenir dans le système scolaire une fois qu'on a un peu mûri ? Il semble que les portes soient fermées... En d'autres termes, les intéressés s'en sortent s'ils ont la chance de trouver une entreprise qui paie leur formation, mais les autres n'ont plus accès à l'université.
Deux autres graphiques illustrent l'évolution annuelle de la valeur ajoutée dans les secteurs respectivement échangeables et non échangeables entre 2001 et 2008, puis entre 2009 et 2013, soit avant et après la crise. On voit par exemple que, de 2001 à 2008, en Irlande, la croissance annuelle du secteur non échangeable a été de 4 points supérieure à celle du secteur échangeable, ce qui est considérable. Le phénomène va de pair avec une augmentation relative des prix, créant une rente qui attire les entreprises et génère de l'emploi ; normal pour un pays en développement – et moins pour un pays développé –, il s'est aussi constaté en France pendant la même période, alors que l'Allemagne, elle, voyait plutôt se développer les secteurs échangeables. Depuis la crise, l'Irlande et l'Espagne ont connu d'importantes corrections, avec une inversion du phénomène qui, en Italie comme en France, s'est seulement atténué. On le sait, les taux de marge ont beaucoup plus baissé dans l'industrie que dans les services, d'où les différences de profitabilité. Pour les économistes, le projet de loi sur la croissance et l'activité est, de ce point de vue, un rééquilibrage au profit des secteurs échangeables par une diminution de la rente des non échangeables.
Par comparaison avec d'autres pays, l'investissement des entreprises, en France, a relativement bien résisté à la crise, de même que l'investissement public. Reste que le taux d'investissement brut – rapporté au PIB – fait apparaître une baisse tendancielle des équipements et, conjointement, un rebond des constructions non résidentielles. De fait, les investissements directs étrangers en France visent surtout des opérations telles que le rachat de groupes hôteliers. Relancer l'investissement des entreprises dans les équipements est donc un véritable enjeu.
J'en viens au logement. Les prix de l'immobilier sont repartis à la hausse après une inflexion due à la crise, l'Île-de-France restant en ce domaine un cas particulier. Le CAE publiera demain une note relative aux territoires, en suggérant que les aides comportent deux volets qu'il ne faut pas confondre : d'une part l'investissement dans les métropoles, de l'autre les mesures susceptibles de donner sa chance à chacun, où qu'il se trouve. Le fait est que les investissements dans les métropoles ont une meilleure rentabilité. Ceux qui tendent à limiter les effets de congestion, par exemple, sont de bons investissements ; c'est d'ailleurs l'idée directrice du Grand Paris.
Il ne faut cependant pas oublier les territoires non métropolitains et peu attractifs au plan touristique. Chacun doit avoir sa chance, en termes d'éducation, de santé – où de fortes inégalités persistent – et de mobilité. Quoi qu'il en soit la hausse des prix du logement pénalise évidemment le pouvoir d'achat des ménages et se répercute sur les coûts des entreprises.