Le projet de décret d'avance a été annoncé et présenté par les ministres de l'économie et du budget lors de la réunion de la Commission des finances du 14 novembre, en même temps que la loi de finances rectificative (LFR) que nous examinerons demain, ce qui est de bonne méthode. Vous avez rappelé leur montant. Les ouvertures de CP portent sur dix-sept missions et trente programmes du budget général.
Pour rendre son avis, notre commission doit répondre à plusieurs questions.
Tout d'abord, les ouvertures de crédits proposées sont-elles inférieures à 1 % des crédits ouverts en LFI et les annulations de crédits, à 1,5 % des crédits ouverts en LFI et LFR de l'année ? La réponse est positive, puisque les ouvertures ne dépassent pas 0,25 % et les annulations 0,24 % en CP (et respectivement 0,28 % et 0,26 % en AE).
Ensuite, les dérapages constatés justifient-ils l'ouverture de crédits sans attendre l'adoption de la LFR ? Là encore, la réponse est positive. En outre, le recours à un décret d'avance a été constant au cours des dernières années.
Enfin, ces dérapages auraient-ils pu être anticipés dès la LFI ou à l'occasion de la LFR de juillet ? Je ne le pense pas, à quelques exceptions près. En juillet, la Cour des comptes avait estimé entre 1,2 et 2 milliards des dérapages prévisibles liés principalement à la sous-budgétisation chronique par le précédent Gouvernement de certaines dépenses d'intervention. Le chiffre réel est de 2,2 milliards. Bien nous a pris de proposer en LFR un « surgel » de 1,5 milliard d'euros, qui permettra d'absorber plus facilement cette dépense !
Les ouvertures de crédits pour les dépenses de personnel s'élèvent à 604 millions d'euros, soit un montant moyen, puisqu'elles se montaient à 349 millions en 2011 et à 930 en 2010. Elles concernent dix ministères et le Conseil d'État. Le « dérapage » s'explique essentiellement par une mauvaise budgétisation initiale, déjà constatée les années précédentes au sein des mêmes ministères. L'impact de la gestion de 2011, non intégré dans la budgétisation initiale, représente 154 millions, dont 141 pour le ministère de la défense. Une mauvaise évaluation initiale du « glissement vieillesse technicité » (GVT) positif, notamment dans la défense, la police nationale et le ministère de l'économie et des finances, justifie un besoin de 96 millions. Le dérapage des dépenses indemnitaires imputable à une mauvaise prévision et à une moindre économie au titre du jour de carence et des retenues pour grève se monte à 85 millions. Beaucoup de jours de récupération ont été retirés des comptes épargne temps dans la défense, la police, l'éducation ou la direction générale des finances publiques (DGFIP). La garantie individuelle de pouvoir d'achat (GIPA) a été également sous-évaluée, ce qui engendre un besoin de 63 millions à l'éducation nationale et de 4 millions à la DGFIP. Même phénomène pour les départs en retraite à la défense, dans l'enseignement scolaire et au ministère de l'économie et des finances. Enfin, 19 millions sont nécessaires, certains fonds de concours versés par les collectivités au ministère de l'écologie et destinés à financer le transfert des personnels des parcs et ateliers n'arrivant pas à temps. Ainsi, les besoins relatifs aux salaires semblent justifiés.
En revanche, les difficultés techniques apparues dans le traitement des données par les logiciels Chorus ou Louvois ne pouvaient être anticipées, pas plus que la revalorisation du SMIC, en juillet 2012, qui représente une dépense de 47,7 millions d'euros. Même observation pour le montant des OPEX, marronnier budgétaire, et pour la variation des prix et des taux de change, qui sert à calculer l'ajustement dont bénéficient les personnels basés à l'étranger, dont le montant s'élève cette année à 33,5 millions.
Pour les dépenses d'intervention, 312 millions d'euros d'ouverture de crédits financent des dérapages régulièrement sous-budgétisés par le précédent gouvernement, dont le montant représente 23 % des ouvertures proposées.
La budgétisation initiale des OPEX, pour 630 millions d'euros en 2012 - correspondant au niveau prévu en LFI pour 2011 – est inférieure à la prévision d'exécution qui s'élève à 872,9 millions. Une partie de ce surcoût est financée par les fonds de concours de l'OTAN ou de l'ONU. L'ouverture prévue en décret d'avance, qui s'élève à 187,1 millions d'euros, est certes inférieure à celle de l'an passé, qui atteignait 391 millions d'euros, mais l'année 2011 avait été marquée par l'opération Harmattan en Libye, dont le surcoût de 234 millions était imprévisible.
Celui des bourses versées aux étudiants sur critères sociaux atteint le montant inégalé de 148 millions, dont 20 financés par redéploiement interne au programme. Ces dépenses à financer en fin d'année sont récurrentes depuis 2010, le précédent Gouvernement ayant régulièrement sous-estimé l'impact de la conjoncture économique maussade sur l'augmentation du nombre de boursiers. Celui-ci atteint 620 000, contre 590 000 prévus en LFI. S'ajoute, en 2012, la sous-évaluation du coût du dixième mois de bourse, ainsi que la revalorisation intervenue lors de la rentrée de 2012, autant d'écarts imputables à la gestion de nos prédécesseurs.
Le Gouvernement actuel n'est cependant pas exempt de toute critique : sur les 450 millions d'euros en AE et 300 millions d'euros de CP ouverts pour financer les 120 000 contrats aidés créés au deuxième semestre de 2012, près des deux tiers – soit 200 millions d'euros – auraient pu être budgétés en juillet dans le PLFR, puisque la création de 80 000 contrats aidés avait été annoncée en juin. Nous signalons dans le projet d'avis qui vous est soumis que le Gouvernement aurait dû prévoir cette dépense.
Près de 250 millions d'euros d'ouvertures de crédits correspondent enfin à des dépenses imprévisibles en LFI ou en LFR :
– environ 150 millions d'euros en autorisations d'engagement et 100 millions d'euros en crédits de paiement sont nécessaires pour financer les 40 000 emplois aidés créés postérieurement à la LFR ;
– 46 millions d'euros sont ouverts pour faire face à l'augmentation des charges pesant sur les juridictions au titre des frais de justice compte tenu de l'accroissement du nombre de dossiers à traiter ;
– 34 millions d'euros sont ouverts dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales » pour alimenter le fonds catastrophes naturelles, dont les besoins sont par définition aléatoires, et verser les subventions au titre des travaux divers d'intérêt local ;
– 60 millions d'euros sont ouverts dans le compte d'affectation spéciale « Pensions » au titre du programme « Ouvriers des établissements industriels de l'État » pour intégrer une réévaluation des prestations constatées en 2011 et prendre en compte des facteurs qui n'avaient pu l'être en LFI pour 2012 : 400 départs en retraite supplémentaires fin 2011 et 330 dans le courant de 2012, renchérissement de la pension moyenne du fait d'un effet de structure, mesure « carrière longue » décidée en juillet 2012 ;
– enfin, près de 9 millions d'euros sont ouverts en faveur du ministère de l'intérieur pour faire face au rythme soutenu des dépenses de contentieux et à l'indemnisation des communes au titre du transfert illégal de la charge des régies de recettes, indemnisation qui aurait pu être prise en compte, il est vrai, dès la LFR de février dernier.
Il faut souligner que ces ouvertures sont entièrement gagées, et, pour près de 85 %, par des annulations de crédits mis en réserve grâce au « surgel » de crédits de 1,5 milliard d'euros décidé au moment de la LFR d'août 2012 afin de tirer les conséquences des dérapages anticipés par la Cour des comptes.
Au 15 novembre 2012, la réserve de précaution s'élevait à 6,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 6 milliards d'euros en crédits de paiement. Après les annulations prévues en décret d'avance et en loi de finances rectificative, la réserve disponible pour dégel et consommation d'ici à la fin 2012 s'élève à 4,8 milliards en autorisations d'engagement et à 4,3 milliards en crédits de paiement.
La proposition d'avis qui vous est soumise reprend en résumé les observations que je viens de faire.
L'avis doit être transmis aujourd'hui même au Gouvernement pour que le Conseil d'État puisse en disposer cet après-midi lorsqu'il examinera le projet de décret.