Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, la législation permettant de lutter contre le terrorisme constitue l'acmé de la vie démocratique des pays européens, depuis la résurgence du risque terroriste et des problèmes que celui-ci pose aux sociétés occidentales.
Ces problèmes, au-delà de la lutte politique de tous les instants contre le développement et l'activité des groupes terroristes identifiés comme tels, concernent également l'effectivité des moyens juridiques que l'État se donne pour prévenir et sanctionner pénalement ces actes. On se souvient des débats passionnés auxquels a donné lieu l'examen, au Royaume-Uni, de l'Anti-terrorism Act en 2001 : la Chambre des Lords avait alors rappelé au gouvernement de Sa Majesté que les dispositions de l'Habeas corpus de 1679 s'appliquaient aux citoyens de la Couronne britannique comme aux résidents étrangers.
La France n'a pas d'habeas corpus, mais elle possède un ensemble de règles et de principes de valeur constitutionnelle permettant de respecter les droits et les libertés individuelles, tout en assurant la protection de l'ordre public. À chaque étape – et elles ont été nombreuses – le législateur a du veiller à la conciliation de ces deux principes. Pour ne citer que les plus récentes, j'évoquerai la loi du 15 novembre 2011, relative à la sécurité quotidienne, et celle du 23 janvier 2006, relative à la lutte contre le terrorisme, partiellement modifiée par la loi du 13 décembre 2011. Ces textes sont venus renforcer l'arsenal juridique dont dispose l'État pour réprimer les actes de terrorisme.
L'État ne doit pas seulement réprimer, mais également prévenir les actes terroristes, actes qui, sur le terrain judiciaire, ne peuvent être appréhendés qu'individuellement, ce qui suppose d'incriminer les actes préparatoires à d'éventuelles activités de nature terroriste. Un projet de loi, déposé au Sénat par le précédent gouvernement, immédiatement après l'affaire des tueries de Toulouse et de Montauban – un peu tardivement à mon goût – visait à renforcer la prévention et la répression du terrorisme. Selon le garde des sceaux de l'époque, ce texte ne visait qu'à « mieux prévenir les actes d'individus isolés », en ciblant notamment internet et les formations au djihad.
Puisque ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du Sénat, ni même examiné par sa commission des lois, il appartenait au présent gouvernement de faire oeuvre législative, sans pour autant reprendre in extenso les dispositions du projet de loi Mercier : certaines d'entre elles apparaissaient fragiles d'un point de vue juridique et technique – je pense à la répression spécifique de l'instigation en matière de terrorisme ou au délit de consultation habituelle de sites terroristes, à l'instar de ce qui est déjà prévu en matière de consultation de sites pédopornographiques.
Cette oeuvre législative, nous l'entamons et les députés du groupe RRDP vous en remercient, monsieur le ministre. Nous avons déjà eu l'occasion de nous plaindre, par la voix du président de notre groupe, Roger-Gérard Schwartzenberg, des conditions d'urgence dans lesquelles le Parlement examinait certains des textes que vous lui soumettez. Dans le cas présent, la procédure accélérée s'explique et se justifie par la nécessité de proroger, pour trois ans, les dispositions expérimentales prévues par la loi, qui arrivaient à échéance le 31 décembre 2012.
Le régime de réquisition administrative des données techniques de connexion, largement utilisé par les services de renseignement, qui permet effectivement, dans un grand nombre de cas, d'identifier les personnes à suivre et de reconstituer les réseaux terroristes, est particulièrement concerné.
L'article 2, qui constitue le pilier de ce projet de loi, mérite que l'on s'y attarde. L'application de la loi pénale française aux actes de terrorisme commis à l'étranger introduit une brèche dans le principe de territorialité de la loi, posé par l'article 113-2, alinéa 1er du code pénal, en étendant à ces infractions le principe de personnalité de la loi, dès lors que l'acte délictueux est commis par un Français, voire lorsque la victime de ce délit est susceptible d'être un Français, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, lors des débats au Sénat, puisqu'il s'agit de prévenir des actes répréhensibles.
Si la continuité territoriale de la menace nécessite une continuité territoriale des poursuites, l'application de la loi pénale française à des étrangers ayant commis des actes de nature terroriste à l'étranger sera certes toujours conditionnée par la réciprocité d'incrimination, l'application de la règle non bis in idem et la difficulté, fréquente, d'obtenir l'extradition de l'auteur du délit.
La « résidence habituelle » de ce dernier ne fera pas obstacle à l'application de ces règles. Mais cette notion de résidence habituelle permettra d'appliquer la loi pénale française aux personnes en situation irrégulière, ce qui est souhaitable depuis que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, le 5 juillet 2012, que le séjour irrégulier d'un étranger ne pouvant être considéré en soi comme un délit, il ne pouvait, de ce seul fait, se voir appliquer une peine privative de liberté.
C'est dans le cadre d'un autre projet de loi que le Gouvernement actualisera le droit en la matière en créant une « retenue pour vérification du droit au séjour », le régime de la garde à vue s'avérant trop fragile juridiquement et celui de la rétention administrative ayant été exclu par la Cour dans un arrêt du 6 décembre 2011. Cette « retenue » appellera des observations de la part des députés de mon groupe lors de son examen.
Les autres incriminations créées par la loi n'appellent pas de notre part de commentaires particuliers.
La situation terroriste en France a évolué. Les groupes sont plus décentralisés, plus mobiles, plus restreints, et les parcours se sont individualisés. Notre droit doit s'adapter à cette situation, afin que la souveraineté de notre République soit sans faille. Le principe de légalité des délits et des peines est absolu et ne peut souffrir aucune exception, comme Cesare Beccaria nous l'a enseigné dans son Traité des délits et des peines de 1764. C'est comme cela que l'État affirme sa puissance : le criminel doit savoir à quoi il s'attend, immanquablement.
En conséquence, les députés du groupe RRDP voteront ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)