Intervention de Laurent Baumel

Séance en hémicycle du 14 février 2015 à 9h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 76

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Baumel :

Par cet amendement, nous vous proposons de garantir par la loi une rémunération minimale égale à deux fois la rémunération normale pour les salariés privés de repos dominical, à l’exception des entreprises de moins de onze salariés dans les zones touristiques.

Une telle disposition présente l’avantage d’être d’une grande simplicité théorique tout en ayant une grande force politique.

Notre rapporteur s’est étonné hier de la propension de certains d’entre nous à mobiliser des considérations philosophiques à propos d’un texte qui n’est finalement qu’une somme d’ajustements microéconomiques.

J’espère que Richard Ferrand me pardonnera quitter les eaux glacées de la pensée technique pour répéter qu’à travers ce type d’amendement, nous faisons un acte de foi dans la loi et ses vertus.

Cet acte de foi renvoie d’abord à notre profonde croyance en une tradition républicaine qui consiste à penser que la loi, le législateur, a un rôle à jouer dans la République pour ordonner la société et empêcher que les rapports sociaux ne se réduisent à l’expression des rapports de forces et des inégalités individuelles initiales au sein du système économique.

Nous l’avons dit hier, c’est également un acte de foi en une certaine tradition social-démocrate, que nous partageons, selon laquelle il revient au législateur issu du suffrage universel – et, en particulier, à des majorités de gauche – d’inscrire dans la loi des garanties et des protections afin que le rapport de forces inégalitaire et l’asymétrie entre les employeurs et les salariés soient compensés par des règles constituant autant de points d’appuis, y compris pour les négociations sociales et salariales que vous voulez engager.

En acceptant cet amendement, en tant que législateurs, nous reconnaîtrons d’abord clairement le préjudice personnel et familial que nous imposons à des salariés en les obligeant à travailler le dimanche puisque la compensation salariale sera explicitement prévue dans la loi par le législateur.

De surcroît – je m’adresse là, également, à tous mes collègues socialistes qui ont fait des efforts pour atténuer les rigueurs ou les aspects négatifs voire nocifs de cette loi – nous pouvons ainsi non pas seulement nous inscrire dans la logique du moindre mal ou d’une atténuation, mais inscrire dans la loi un progrès social pour l’ensemble des salariés, ceux qui demain travailleront le dimanche et ceux dont c’est déjà le cas.

Monsieur le ministre, en vous écoutant hier répondre longuement à Benoît Hamon, entre autres, vous engluant quelque peu dans un long argumentaire destiné à démontrer que la loi n’était pas efficace, je me suis souvenu d’un grand ouvrage de sociologie, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, dans lequel l’auteur, Albert Hirschman, explique que même les réformateurs, et vous en êtes un, même les progressistes, et vous en êtes un, peuvent être parfois amenés à utiliser une rhétorique réactionnaire dont le but est de démontrer que les intentions généreuses des législateurs ont des effets pervers, la loi censée protéger les plus faibles aboutissant en fait à les léser.

Je vous mets en garde contre ce genre de propos et de réflexions. Je fais quant à moi partie de ceux qui continuent de penser que, même si une loi peut en effet avoir des effets imprévisibles, elle reste un élément protecteur et positif pour aider ceux qui, plongés dans les rapports de force spontanés de la société et de l’économie de marché, risquent demain d’être contraints à accepter des choses qui ne résultent pas de leur libre choix et de leur volonté.

Puisque mon temps de parole est compté et que je ne sais pas si j’aurai l’occasion de m’exprimer plus tard dans ce débat, j’en profite pour vous dire, comme d’autres collègues l’ont fait hier soir, monsieur le ministre, que le temps presse pour trouver les compromis nécessaires.

Vous avez passé beaucoup de temps sur ce banc, depuis plusieurs semaines, pour défendre avec ardeur et passion votre loi. Nous sentons que vous tenez beaucoup à tout ce qu’elle apporte à vos yeux dans le domaine des professions réglementées – je ne partage d’ailleurs pas forcément ce sentiment, mais c’est évidemment votre droit.

Peut-être que je me trompe mais je vous sens un peu moins attaché à ses aspects concernant le travail dominical, qui embarrassent votre majorité, qui créent de véritables problèmes et bien au-delà de ceux que l’on appelle parfois improprement les frondeurs.

Avec ce type d’amendement, vous avez l’occasion de faire un véritable geste politique avant mardi prochain, tout comme lorsque nous discuterons de l’article 80 et que nous vous proposerons un amendement visant à maintenir les cinq dimanches et à ne pas étendre le travail dominical. Je vous suggère d’y réfléchir sérieusement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion