Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 27 novembre 2012 à 21h30
Sécurité et lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord saluer le fait que ce texte recueille le soutien d'une très grande majorité des membres de cette assemblée – même si deux groupes s'abstiennent, si j'ai bien compris – comme ce fut le cas au Sénat. Mme la rapporteure, M. le président de la commission des lois et tous les orateurs ont insisté sur la nécessaire lutte contre le terrorisme. A priori, il n'y aura pas de vote contre le texte. C'est important face à la menace à laquelle nous sommes confrontés, et je m'en réjouis.

Je le dis même si le sujet est grave : l'histoire retiendra que c'est sous une majorité de gauche qu'un texte de lutte contre le terrorisme, complétant les mesures prises au cours des dernières années, a été adopté.

Pour cela, il fallait prendre le temps nécessaire. Sur ces sujets-là, nous ne pouvons pas nous contenter de mesures d'affichage, même si j'écouterai avec beaucoup d'attention les arguments des auteurs d'amendements. Cela est vrai en général, lorsqu'il s'agit de fabriquer la loi ; c'est encore plus vrai quand il s'agit de lutter contre le terrorisme. Il n'était pas possible de régler cette affaire en quelques semaines : nous avions besoin de l'expertise des magistrats de l'antiterrorisme, de tous ceux qui agissent, dans la justice comme dans la police, pour faire face à cette menace.

Je veux dire de ce point de vue combien a été utile le travail que nous avons accompli avec la garde des sceaux. L'efficacité de la lutte contre le terrorisme justifie, monsieur Goujon, de ne plus opposer police et justice. Car toute cette efficacité, vous le savez parfaitement, réside dans le bon fonctionnement de l'ensemble de la chaîne pénale.

Sur ce sujet, nous ne pouvons pas – j'emploie le « nous » à dessein – mettre en cause le Gouvernement. Je connais les arguments de chacun concernant la politique pénale de ce dernier – pas de la garde des sceaux : du Gouvernement. Mais de grâce, pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, n'opposons pas justice et police. N'opposons pas justice et sécurité. Parce que ce sont précisément les magistrats en charge de l'antiterrorisme qui sont les plus attentifs aux dispositifs les plus efficaces contre le terrorisme.

Oui, les temps ont changé. La juridiction antiterroriste fait aujourd'hui partie du paysage judiciaire. Nous avons déjà eu ce débat en commission des lois : on peut remonter à loisir les trente dernières années, ce que je sais, c'est que ceux qui ont gouverné le pays, à gauche comme à droite, quand ils ont été confrontés au terrorisme – et agissant souvent dans un esprit d'unité nationale – n'ont jamais failli à leur devoir. Jamais, que ce soit sous la présidence de François Mitterrand, de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy ou aujourd'hui de François Hollande.

Il ne sert à rien de réinventer l'histoire pour expliquer que certains étaient mieux préparés à lutter contre le terrorisme. Quels que soient les gouvernements, tous ont eu à faire face à cette menace et à subir des actes terroristes. On ne peut pas appeler à la concorde nationale – je l'ai appris à mes dépens il y a quelques semaines – et essayer de diviser au nom de l'histoire, parce que nous avons tous pris nos responsabilités lorsqu'il s'agissait de lutter contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

La loi de 2006 a apporté des améliorations, et il y en aura encore de nouvelles. Elle offre un équilibre satisfaisant entre efficacité et garantie des principes à valeur constitutionnelle. Contrairement d'ailleurs à ce qui s'est passé aux États-Unis, qui peut se comprendre d'une certaine manière étant donné la terrible frappe qu'ils ont subie en 2001, contrairement donc à ce pays pour qui nous avons amitié et estime, la France a toujours su préserver, c'est fondamental, et nombreux sont ceux qui ont aussi changé sur ces questions-là, un équilibre permanent entre justice et sécurité, entre liberté et sécurité. C'est tout le débat que nous avons eu, particulièrement équilibré, au Sénat, notamment avec le président Hyest ou l'ancien garde des sceaux Michel Mercier : nous savons tous que pour lutter contre le terrorisme, il faut évidemment des moyens exceptionnels, mais aussi la volonté d'utiliser la loi, dans le cadre de l'État de droit.

Alors, les pratiques évoluent, dans le sens aussi d'une plus grande transparence du renseignement, grâce au travail parlementaire – notamment de la mission dirigée par le président Urvoas –, mais aussi grâce à notre capacité de tirer les leçons de nos échecs et d'en débattre de manière sereine. Vous avez été plusieurs à évoquer la question – dont un orateur de l'UMP, qui a exposé une vision extrêmement sévère, mais pas injuste – de notre système carcéral e de ce qui se passe dans nos prisons. Mais enfin, je ne pense pas que ce député ait voulu dire que la situation actuelle résulte des six derniers mois ! La critique de ce député sur ce qui se passe dans nos prisons est sans doute juste. Mais si son regard est particulièrement lucide et acéré sur ce qui se passe depuis des années dans notre système carcéral, il ne peut faire preuve d'une telle lucidité tout en expliquant qu'il ne faut pas changer ce qui se passe aujourd'hui !

Elle est à l'étranger, sans quoi l'aurait-elle dit beaucoup mieux que moi : c'est précisément ce que veut faire Christiane Taubira pour sortir de cette spirale néfaste, qui fait qu'en prison, aujourd'hui, on construit de la récidive, de la criminalité et sans doute des réseaux terroristes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vous avez raison, les uns et les autres, et nous avons déjà eu, notamment la garde des sceaux, l'occasion de nous exprimer sur ce point : nous avons besoin de former des imams et des aumôniers. C'est un défi pour l'islam de France et pour notre société. Les choix budgétaires qui ont été faits par le ministère de la justice, en charge de ce dossier, pour rééquilibrer les choses dans ce sens sont à et égard un élément très important. Mais il faut du temps. De ce point de vue, là aussi, monsieur le député, reconnaissons qu'on a perdu beaucoup de temps ! On a souvent voulu – cela remonte à loin – instrumentaliser l'islam. Moi je souhaite, comme la garde des sceaux, des imams français, des aumôniers français, formés aux valeurs de la République, qui parlent français et dont le message ne peut pas être soumis à caution. Nous avons tous besoin de faire un effort dans ce sens, au nom même des principes de laïcité que nous défendons. Ce sera un travail important.

Mais attention. Pour être bien précis, il faut dire que dans la dernière cellule terroriste qui a été démantelée, grâce au travail de tous les services – sous-direction antiterroriste, police judiciaire, renseignement intérieur… –, tous les individus, et je parle avec toute la prudence nécessaire, n'avaient pas forcément passé longtemps en prison, voire pas du tout. C'est pour cette raison que la réponse est toujours complexe. Elle doit être à chaque fois adaptée au terrain et à l'individu.

Tout n'est pas dû, madame Maréchal-Le Pen, uniquement à la question de l'islam. Il faut prendre en compte aussi la conversion, et d'autres problématiques : regardez ce qui s'est passé en Norvège, avec Breivik ! Le terrorisme peut venir de l'islam, mais attention à ne pas oublier qu'il peut venir aussi de l'extrême droite. Breivik était un loup solitaire, ce que n'était pas Merah – c'était une expression malheureuse pour le qualifier, tant il était lié à un terreau, à des réseaux. Il faut faire attention aux mots. Il y a un certain nombre d'analyses trop caricaturales de ces phénomènes.

Je crois être clair et lucide, comme la plupart d'entre vous, sur les explications concernant ce terrorisme aujourd'hui, celui qui naît dans notre société mais aussi celui qui, de l'extérieur, s'attaque à nos intérêts, à nos valeurs, à notre pays. Mais la menace évolue très vite. Dans un monde ouvert, qui change sans cesse, soyons attentifs à des menaces qui peuvent prendre des formes très différentes et qui nous obligent tous à nous adapter, à chaque fois.

Je remercie en tout cas tous ceux qui se sont exprimés de soutenir ce texte. Il y a des sujets, comme celui de la menace cyberterroriste, que j'ai évoquée à la tribune, sur lesquels nous sommes à l'écoute de toutes les propositions dès lors qu'elles sont, encore une fois, efficaces, acceptables d'un point de vue constitutionnel et adaptées et qu'elles correspondent à nos valeurs. Je ne veux pas fabriquer, nous allons en parler dans un instant, un dispositif qui contrevienne à la loi de 1881. Je suis prêt en revanche, avec sans doute d'autres membres du Gouvernement, je pense notamment à ma collègue en charge de la culture, à une évolution sur ces questions.

Mais il faut en prendre le temps. Et comme nous avions la possibilité d'avancer vite, par le biais de cette loi antiterroriste qui prolonge et enrichit les dispositions de 2006, nous l'avons saisie. Nous sommes partis de ce texte, bien évidemment. Pourquoi s'en réjouir, ou le regretter ? C'est ainsi, c'est la continuité ! Si nous présentons un texte aujourd'hui, c'est tout simplement parce que la France, qui ne l'avait pas été depuis quinze ans, a été frappée par des actes terribles, ceux commis par Mohamed Merah à Toulouse et à Montauban. Il n'y a pas, encore une fois, de leçons à donner sur ce thème. C'est cette continuité qui nous rend beaucoup plus forts pour affronter le terrorisme.

Et je ne doute pas que la discussion qui va venir sur les articles renforcera le texte, ainsi que les rendez-vous que nous avons fixés – ceux de la mission parlementaire et celui de 2015, puisque j'ai pris l'engagement de consolider notre législation et notre capacité de nous adapter en permanence aux formes du terrorisme. Sur ce point, peut-être M. Marsaud sera-t-il d'accord avec moi,…

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