Intervention de Denys Robiliard

Séance en hémicycle du 14 février 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 83

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur thématique de la commission spéciale :

Quelques chiffres tout d’abord. Il existe actuellement 210 conseils de prud’hommes, regroupant 15 000 conseillers chargés de traiter environ 200 000 affaires chaque année. Retenons également trois taux et deux délais, ce qui explique notre présence devant vous : il n’y a que 6 % de conciliation alors que le conseil de prud’homme devrait « concilier » et ce n’est qu’en cas de défaut de conciliation, qu’il devrait juger. Or dans 94 % des cas, cette règle ne s’applique pas. Le taux de recours à la formation de départage est de 20 %. On peut considérer que c’est beaucoup. On a recours au départage lorsque les conseillers prud’hommes ne se mettent pas d’accord en bureau de jugement, composé de deux employeurs, deux salariés ou deux représentants d’employeurs et deux représentants de salariés. Lorsqu’ils ne sont pas d’accord, on fait venir un juge départiteur pour les départager. Mais dans quatre cas sur cinq, ils se mettent d’accord. Ce n’est donc pas le verre à moitié plein ou à moitié vide, c’est la règle des 8020.

Quant au taux d’appel, il est très important puisqu’il s’élève à 67 %, même s’il faut relativiser les choses. Des jugements sont rendus en dernier ressort, compte tenu du montant de la demande. Sur 200 000 affaires, il y a au total, 50 000 arrêts rendus, ce qui signifie que 150 000 affaires ne sont au final pas jugées par les cours d’appel.

S’agissant ensuite des problèmes de délais, il faut compter 15,1 mois pour un jugement par le bureau de jugement lorsqu’il n’y a pas départage. En cas de départage, il faut ajouter 14,7 mois, autrement dit, trente mois au total. Là, on est au-delà de l’acceptable.

En outre, ces délais sont en augmentation : de 18 % en dix ans devant le bureau de jugement avant départage et de 40 % en dix ans en cas de départage. Pour ce qui concerne le départage, on peut clairement incriminer un manque de magistrats, c’est la seule explication logique. Pour ce qui concerne le bureau de jugement, la raison est peut-être à rechercher, mais ce n’est pas documenté, du côté d’un manque de moyens ou de l’évolution du droit qui est de plus en plus complexe.

À une époque, on venait devant le conseil de prud’hommes uniquement pour des questions de rupture de contrat. Or dans 98 % des cas, on vient toujours à la suite de la rupture, mais les demandes qui sont présentées associent des questions liées à la rupture, aux heures supplémentaires, au harcèlement, à la discrimination : bref, un ensemble complexe de questions qui doivent nous conduire à prendre en compte l’évolution du droit de fond.

Quels sont les remèdes proposés par le Gouvernement ? D’abord, un renforcement de la professionnalisation du statut des conseillers prud’homaux. Ce statut est défini par homogénéité avec le statut des magistrats selon l’ordonnance de 1958 qui porte statut des magistrats de l’ordre judiciaire ; bref, une déontologie et une discipline renforcées.

Ensuite, et c’est tout à fait nouveau, une formation commune d’une semaine qui sera organisée par l’École nationale de la magistrature et éventuellement par l’École nationale des greffes. Monsieur Vercamer, j’appelle votre attention sur ce point. À ce jour, les conseillers prud’hommes n’utilisent pas l’intégralité de l’enveloppe dédiée à la formation, mais seulement 88 % de cette enveloppe. Sur le nombre de jours de formation, un tiers seulement est pris sur les six semaines qui sont ouvertes.

La réforme, c’est une semaine supplémentaire avec le maintien des six semaines dont dispose chaque conseiller au long de son mandat de cinq ans, celui-ci ayant été prolongé de deux fois deux ans.

Enfin, les missions élargies du bureau de conciliation et d’orientation. Actuellement, en cas d’échec de la conciliation, vous allez devant le bureau de jugement avec un calendrier d’échange de pièces et de conclusions lequel est fixé par le bureau de conciliation. Demain, vous aurez le choix entre trois possibilités.

Première possibilité : aller devant le bureau de jugement tel qu’il est aujourd’hui. Ce sera le cas d’une façon générale. Si l’une ou l’autre des deux autres possibilités n’est pas décidée par le bureau de conciliation qui s’intitulera à l’avenir « bureau de conciliation et d’orientation », on ira devant le bureau de jugement comme aujourd’hui.

Deuxième possibilité : aller devant le bureau de jugement en formation restreinte à deux conseillers, un employeur, un salarié, dans le cas où la discussion ne porte que sur la rupture, qu’il s’agisse d’une demande de résiliation ou d’une demande au titre d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cette possibilité n’est ouverte qu’à deux conditions : que les deux parties ainsi que le bureau de conciliation soient d’accord. Dans ce cas, la décision doit être rendue dans les trois mois.

Cette modification concerne les affaires dont on constate qu’elles sont pratiquement prêtes à être jugées même sans conciliation. Pour apprécier la réforme dans toute son ampleur, il faut savoir qu’elle sera associée à une réforme de la procédure applicable devant les conseils des prud’hommes. Comme vous le savez, la procédure est de nature réglementaire et non législative. Par conséquent, les dispositions qui vont réformer la procédure devant le conseil de prud’hommes ne figurent pas dans le projet qui nous est soumis aujourd’hui.

La qualité de la saisine sera renforcée avec une première communication de pièces par le salarié et une exigence de réponse par le défendeur. Cela implique qu’en bureau de conciliation, il y aura déjà eu un premier échange et que ce dernier pourra essayer de concilier les parties à partir des documents qui auront été échangés alors qu’aujourd’hui, il le fait à dossier fermé.

Je reviens au cas d’échec de la conciliation, 94 % des cas aujourd’hui. Le projet de loi ouvre alors la possibilité d’aller devant un bureau de jugement, dès le départ présidé par un magistrat professionnel, magistrat qu’on a un peu de mal à nommer juge départiteur, dans la mesure où il n’y a pas eu de départage.

Le Gouvernement a proposé deux possibilités de renvoi : Si les deux parties le demandent, le renvoi est de droit. Si une partie le demande et qu’un des deux conseillers du bureau de conciliation est d’accord, il est de droit également. Comme vous le savez, la commission a évolué sur cette question en renonçant au renvoi dans le cas ou une seule partie le demandait et un conseiller l’acceptait. C’est par l’amendement no 3265 que je vous proposerai cette suppression. Ce sera si les deux parties le demandent que le renvoi sera de droit.

Pourquoi une telle proposition ? Que vous n’ayez pas noté cette évolution me déçoit de votre part, monsieur Cherpion.

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