Je m’en excuse, mais il le faut, car sinon, on risque de ne pas s’y retrouver et il y a des enjeux importants.
Tout d’abord, je rappelle que lors de l’adoption de la loi sur la sécurisation de l’emploi, nous avons repris les propositions des partenaires sociaux pour définir deux systèmes d’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi. La première hypothèse était celle de l’existence d’un accord collectif, lequel définit alors toutes les modalités du plan de sauvegarde de l’emploi. Si la procédure doit être vérifiée, la Direccte homologue le plan de sauvegarde tel qu’il a été arrêté par l’accord collectif – sauf si elle refuse l’homologation, auquel cas elle pourra rouvrir la négociation afin que le plan soit amélioré conformément à ses indications.
Dans la deuxième hypothèse, l’accord ne se fait pas. Dans ce cas, c’est au chef d’entreprise qu’il appartient d’arrêter le plan de sauvegarde de l’emploi par une décision unilatérale qui fait l’objet d’un document unique, lequel est soumis à l’administration pour homologation. Le texte que nous avons adopté comportait la liste de tous les éléments devant figurer dans ce document unique, parmi lesquels se trouvait le périmètre de l’ordre des licenciements.
De ce fait, c’est en toute bonne foi que l’administrateur judiciaire de Mory Ducros – un professionnel indépendant désigné par la justice – a considéré qu’il lui appartenait de fixer le périmètre de l’ordre des licenciements. Il l’a considéré sur le fondement de la lecture de bonne foi qu’il faisait de notre texte.
Ce texte, pourtant, précisait in fine que ledit document doit être établi sous réserve des autres dispositions en vigueur. Un recours a été déposé comme il était normal devant le tribunal administratif, lequel a confirmé qu’il appartenait bien à l’administrateur d’établir le périmètre de l’ordre des licenciements. Saisie en appel, la cour administrative de Versailles a jugé a contrario que compte tenu de la réserve qui était faite du droit existant, il fallait continuer d’appliquer la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation selon laquelle en l’absence d’accord collectif, le périmètre de l’ordre des licenciements est celui de l’entreprise.
L’entreprise Mory Ducros comprend – de mémoire – quatre-vingts agences réparties dans toute la France. Peu importe que telle ou telle agence ferme, l’ordre des licenciements porte quant à lui sur toutes les catégories de personnel réparties dans toute la France. Je vous laisse imaginer la difficulté qui en résulte…
Dans ces conditions, le Gouvernement a décidé d’éclaircir la loi. C’est ainsi que le présent texte affirme qu’il appartient au chef d’entreprise d’arrêter le périmètre de l’ordre des licenciements. Le problème technique qui se posait jusqu’à présent créait une véritable insécurité juridique : en effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi de sécurisation de l’emploi, 60 % des plans de sauvegarde ont été arrêtés par voie d’accord collectif et 40 % par voie de décision unilatérale. Un pourvoi est actuellement pendant devant le Conseil d’État, mais le Gouvernement, pour affermir la sécurité juridique du dispositif, a décidé d’affirmer la règle.
J’ai proposé de fixer un cadre minimal : en l’absence d’accord il faut bien, en effet, que quelqu’un fixe le périmètre, mais le cadre de l’entreprise n’est pas nécessairement adapté. Dans le cas de Mory Ducros, par exemple, il était extrêmement difficile d’établir un ordre des licenciements avec quatre-vingts agences !
Je sais d’ailleurs, pour l’avoir expérimentée plusieurs fois dans mes activités professionnelles, que cette règle de l’ordre des licenciements est très mal comprise et acceptée. Que veut-elle dire, en effet ? Elle signifie que la personne qui occupe le poste supprimé n’est pas nécessairement celle qui partira. Pour schématiser, la notion de catégorie d’emplois substituables consiste à établir la liste des personnes capables d’occuper différents postes, puis à déterminer parmi elles l’ordre des licenciements. S’il appartient à l’entreprise de le faire, elle doit déterminer les catégories de personnel puis, dans le cas d’une entreprise comme Mory Ducros, décider qui entre dans chaque catégorie agence par agence, et enfin établir l’ordre des licenciements selon les quatre critères fixés par le code du travail.
Ce mécanisme n’est pas satisfaisant. Il peut en effet aboutir au fait que la fermeture d’un site et les licenciements ne concernent pas la même localité. Or, cet état de fait n’est pas du tout compris.
La solution que nous avons explorée a donc consisté à choisir comme cadre le bassin d’emploi ou, au sens de l’INSEE, la zone d’emploi.