Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du 11 février 2015 à 9h00
Commission des affaires économiques

Jean-Yves le Gall :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, si je suis auditionné aujourd'hui par votre commission, c'est en effet parce que le Président de la République envisage de me nommer président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales. Cette proposition a été confirmée le jeudi 5 février par le conseil d'administration du CNES, dont je veux souligner – car j'ai insisté pour qu'il en soit ainsi dans le cadre de mon mandat précédent – que, pour la première fois, il est paritaire puisqu'il comprend neuf femmes et neuf hommes.

En préambule, je veux rendre hommage à tous ceux à qui notre politique spatiale doit ses succès depuis plus de cinquante ans ; ces derniers mois ont été, à cet égard, particulièrement fructueux. Je tiens donc à remercier le Parlement et ses élus, pour l'intérêt qu'ils portent à cette politique et le soutien qu'ils lui apportent, ainsi que le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement, notamment Mme Fioraso, à qui je veux rendre un hommage appuyé pour le travail considérable qu'elle a accompli ces trois dernières années et à qui j'adresse mes voeux de prompt rétablissement. Je veux également saluer les membres du conseil d'administration du CNES et mes dix prédécesseurs, en particulier ceux avec qui j'ai eu l'honneur de travailler : Hubert Curien, dont nous avons commémoré hier le dixième anniversaire de la disparition, Jacques-Louis Lions, qui m'a beaucoup appris, René Pellat, qui était un ami, André Lebeau et, plus récemment, Alain Bensoussan et Yannick d'Escatha, auquel j'ai eu l'honneur et le privilège de succéder il y a deux ans. Je remercie enfin l'équipe de direction ainsi que les femmes et les hommes du CNES, que j'ai appris à connaître au cours des deux années écoulées et dont il faut louer la compétence, l'engagement et le professionnalisme.

Je commencerai mon exposé en vous rappelant brièvement mon parcours. J'ai commencé ma carrière en 1981, lorsque j'ai bénéficié d'une bourse du CNES pour rédiger ma thèse de doctorat. J'ai ensuite travaillé au CNRS ainsi que dans différents ministères, puis à la tête de Novespace, une des filiales du CNES, et au CNES lui-même en tant que directeur général adjoint auprès du président Bensoussan. Au cours des années suivantes, je me suis occupé de lanceurs, puisque j'ai présidé Starsem, puis Arianespace jusqu'en avril 2013, date à laquelle le Président de la République m'a proposé de présider le CNES.

Celui-ci a récemment enregistré des succès historiques. Ainsi, au cours de la Conférence de Luxembourg, qui s'est tenue le 2 décembre 2014 après deux années de préparation et qui a réuni les vingt États membres de l'Agence spatiale européenne (ESA), la France a obtenu de ses partenaires que nous engagions le programme Ariane 6. Ce programme considérable de 4 milliards d'euros doit nous permettre de réaliser un premier lancement en 2020. Il s'agit, pour la France et l'Europe, de continuer à faire la course en tête dans le domaine des lanceurs, en s'inscrivant dans la droite ligne du travail accompli ces dernières années par le CNES, l'ESA, Arianespace et l'industrie. Il a par ailleurs été décidé de poursuivre l'exploitation de la station spatiale internationale (ISS). À ce propos, samedi prochain, le CNES procédera au désamarrage du dernier Véhicule automatique de transfert (ATV) cargo, actuellement accroché à la station. Enfin, la Conférence de Luxembourg a abordé les relations entre l'ESA et l'Union européenne. De tout cela, je vous ai parlé lors de mon audition par votre commission au mois de décembre dernier.

Parmi les succès du CNES, il faut bien entendu citer Rosetta et Philae, qui marquent le triomphe de la technologie européenne. Ce programme a été décidé au début des années 1990, alors qu'Hubert Curien présidait le conseil de l'Agence spatiale européenne ; Rosetta et Philae ont été lancés avec Ariane 5 le 2 mars 2004 et, après un voyage de dix ans et de 6 milliards de kilomètres, Philae s'est posé, le 12 novembre dernier, sur le noyau de la comète Tchourioumov-Guerassimenko. Ce fut un moment d'une intense émotion, car cette prouesse technologique est, pour des centaines de chercheurs et de techniciens, l'aboutissement de vingt années de travail. Cette première mondiale est à mettre à l'actif de nos équipes, qui ont guidé l'atterrisseur vers le noyau de la comète. Mais l'histoire n'est pas terminée. Philae est en effet actuellement en hibernation et devrait se réveiller dans quelques semaines à l'approche du soleil, lorsque la comète entrera en quelque sorte en effervescence. Ce phénomène a déjà été observé, mais de très loin. Si les choses se passent comme nous le souhaitons, nous devrions donc vivre, d'ici au 13 août, lorsque la comète passera au périhélie, c'est-à-dire au point le plus proche du soleil, des moments extrêmement intéressants que je vous engage à suivre, car il s'agit d'une expérience inédite et qui n'est pas près d'être reproduite.

Le CNES a remporté d'autres succès, notamment dans le domaine de la défense. Si, aujourd'hui, la France peut conduire des opérations extérieures, notamment en Afrique, c'est grâce aux satellites que nous déployons. Quant au Centre spatial guyanais, il a une activité opérationnelle record, puisqu'il a procédé, en 2014, à onze lancements. Il procédera, du reste, aujourd'hui à quatorze heures, au premier lancement de l'année 2015, celui du petit lanceur Vega, dans le cadre d'une mission de démonstration hypersonique, là encore tout à fait innovante.

Dans le domaine scientifique, nous avons enregistré des avancées très importantes dans l'exploration de Mars, où se trouvent actuellement certains de nos instruments. Par ailleurs, le satellite Gaia, que nous avons lancé en décembre 2013, cartographie le ciel avec une précision inégalée. Placé à Marseille, le satellite Hipparcos, lancé en 1989, aurait été capable d'observer un petit pois situé à Lille ; vingt-quatre ans plus tard, Gaia pourrait distinguer, à la même distance, le quart de l'épaisseur d'un cheveu. Cette connaissance fine de la cosmogonie et de la position des objets sur la voûte céleste, permet d'améliorer considérablement notre connaissance de l'univers. Plus près de nos préoccupations quotidiennes, nous travaillons, dans le domaine technologique, sur la propulsion électrique, qui est la « nouvelle frontière » des satellites de communication, puisqu'elle permet, pour une masse donnée, d'accroître la charge utile emportée.

Enfin, il convient de mentionner notre activité internationale, à laquelle je vous sais très sensible, monsieur le président. L'expertise du CNES, de ses ingénieurs et scientifiques, est en effet connue et reconnue par toutes les nations spatiales. Nous collaborons ainsi avec les États-Unis, notre principal partenaire, dans le cadre des études menées sur Mars – où nous repartirons l'année prochaine avec la mission Insight pour y mesurer les tremblements de terre, si je puis dire –, avec la Chine, dans le domaine de l'astronomie – outre une mission commune très ambitieuse d'observation des rayons gamma, nous avons conclu, la semaine dernière à Pékin, un partenariat en matière océanographique très important dans la perspective de la COP21 – et avec les pays émergents, notamment le Mexique et les pays du Golfe.

Tous ces succès ne seraient pas possibles sans l'effort budgétaire consenti par les pouvoirs publics en faveur du programme spatial. Nous disposons ainsi du deuxième budget annuel par habitant consacré à l'espace civil – 30 euros par an et par habitant –, derrière les États-Unis – 45 euros par an et par habitant –, mais devant l'Allemagne, dont le budget est deux fois moindre. J'ajoute que cet effort se poursuit en 2015, puisque ce budget est encore en augmentation. À ce propos, je tiens à souligner que 80 % du budget du CNES, qui sera supérieur cette année à 2,1 milliards d'euros, vont à l'industrie française. Nous sommes donc un vecteur d'innovation au service de l'emploi. L'industrie spatiale française emploie 16 000 personnes en France métropolitaine, auxquelles il faut ajouter les 1 700 emplois du Centre spatial guyanais et les emplois indirects, cinq fois plus nombreux.

Quelle sera ma feuille de route pour les cinq années à venir si je suis reconduit à la tête du CNES ? Elle se résume en une phrase clé : « Innover pour gagner ». Le domaine spatial connaît en effet actuellement une véritable révolution, que ce soit en matière de lanceurs – le programme Ariane 6 a ainsi été conçu pour répondre aux innovations de l'entreprise américaine SpaceX – ou de satellites : ces dernières semaines, a été annoncé le déploiement de plusieurs milliers de satellites par les acteurs de l'Internet. Ces derniers, dotés de moyens considérables veulent prendre pied dans le domaine spatial, avec pour objectif de connecter l'ensemble de la planète à Internet, probablement à l'aide de réseaux propriétaires, en contournant les opérateurs classiques. Ce mouvement phénoménal qui est en train de naître aux États-Unis, nous devons le connaître, le comprendre et y réagir. C'est pourquoi nous avons conçu Ariane 6 et nous agirons dans les mois qui viennent dans le domaine des satellites.

Pour autant, nous ne devons pas être indifférents à ce qui se passe en Chine et en Inde, où se développe une approche low-cost de l'espace. Le Premier ministre indien s'enorgueillit du fait que son pays soit la troisième puissance spatiale, après les États-Unis et l'Europe, à mettre en orbite une sonde autour de Mars, qui plus est avec un budget de 60 millions de dollars, inférieur, dit-on, à celui du film Gravity. Et je puis vous dire, pour avoir visité le centre indien qui pilote cette mission, que les résultats sont du meilleur niveau. Cette façon de s'intéresser à l'espace est différente de celle que l'on observe sur la côte ouest américaine, mais nous avons beaucoup à apprendre de ces pays, et c'est pourquoi nous coopérons avec la Chine et l'Inde.

En Europe, notre terrain de coopération privilégié, nous devons être attentifs à l'évolution de l'ESA : à sa création, l'agence comptait six États membres ; elle en comptera bientôt vingt-deux. En outre, l'Union européenne occupe une place plus importante, comme en témoignent les programmes Galileo, pour le positionnement, ou Copernicus, pour l'environnement. La France doit jouer tout son rôle dans la nouvelle gouvernance.

Par ailleurs, l'industrie se développe et devient de plus en plus mature. C'est pourquoi nous avons souhaité faire évoluer nos relations avec elle dans le cadre du programme Ariane 6, en modifiant la gouvernance. Il nous faudra poursuivre dans cette voie : l'industrie doit être davantage responsable, comme elle l'est aux États-Unis, car c'est la clé de la compétitivité, et donc du succès.

De manière générale, nous devons repenser nos méthodes, comme nous l'avons fait avec Ariane 6. À cet égard, le Programme d'investissement d'avenir (PIA) contribue beaucoup, de par sa réactivité, au développement de l'activité spatiale. Lors de ma première audition par votre commission, il y a dix-huit mois, j'avais indiqué qu'il nous fallait réaliser ce que j'appelais un « Ariane 6 des satellites », car l'Europe était en retard dans ce domaine. Grâce au PIA, nous avons élaboré un programme de satellites à propulsion électrique – il s'agit de l'un des 34 projets de la nouvelle France industrielle – dont les résultats ont été immédiats. Alors que 2013 avait été une année creuse pour les industriels, les commandes ont enregistré une forte hausse en 2014. Nous devons, là encore, poursuivre dans cette voie et, plus généralement, valoriser notre stratégie de niche, c'est-à-dire notre savoir-faire, au plan international.

Ces nouveaux enjeux, nous en tenons compte dans la préparation du contrat État-CNES 2016-2020 et de la prochaine Conférence ministérielle de l'ESA, qui se tiendra en 2016.

Nos réalisations coûtent beaucoup d'argent. L'effort budgétaire est considérable, dans le contexte économique que chacun connaît. Les citoyens doivent donc être informés de ce que nous faisons. C'est pourquoi, depuis que je préside le CNES, j'ai mis l'accent sur la communication, à laquelle je sais la représentation nationale très attachée. L'année dernière, nous avons ainsi publié plus de cent communiqués de presse. Chaque fois que nous menons une action réalisée grâce à des fonds publics, nous devons la faire connaître. J'ajoute que ces différentes actions, nous pouvons les mener grâce aux 2 500 collaborateurs, extrêmement motivés, du CNES. Ils travaillent dans quatre centres d'excellence : le Centre spatial de Toulouse, qui est le coeur du CNES, puisque c'est là que sont développés les systèmes orbitaux, la direction des lanceurs, à Paris, le Centre spatial guyanais, à Kourou, et le siège, qui se trouve également à Paris.

Quels sont les enjeux pour l'année 2015 ? Premièrement, le programme Ariane 6, décidé en 2014, doit réellement démarrer cette année. Le CNES, l'Agence spatiale européenne et les industriels sont au travail ; les accords ont été signés et les contrats sont en préparation. Il nous faut aller très vite, car le temps presse : la concurrence ne nous attend pas. Deuxième enjeu : la COP21. On sait en effet l'intérêt que représentent les données spatiales pour la climatologie. Nous allons donc poursuivre la mesure de l'augmentation du niveau des océans par les satellites du CNES : Topex-Poséidon, lancé en 1992, Jason 1, lancé en 2004, Jason 2 en 2009 et Jason 3, qui sera lancé au mois de juillet 2015, ainsi que SWOT, que nous lancerons en 2020 en coopération avec la NASA. Par ailleurs, Merlin, programme développé en partenariat avec l'Allemagne, nous permet de mesurer les émissions de méthane ; d'autres programmes sont en préparation qui mesureront les émissions de gaz carbonique. Le point d'orgue de l'année 2015 sera donc la COP21, que précédera le Salon du Bourget, pour lequel nous avons décidé de mettre l'accent sur le climat.

En conclusion, l'innovation sera impérative au cours des cinq années à venir, et ce serait pour moi un très grand honneur de continuer à conduire le CNES toujours plus haut, en étant nommé à sa présidence avec votre soutien.

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