En application de l'article 13 de la Constitution, la Commission a auditionné M. Jean-Yves Le Gall, dont la nomination en tant que président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES) est envisagée par le Président de la République.
Mes chers collègues, la Commission des affaires économiques se réunit ce matin afin de rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le Président de la République. Je rappelle que, conformément au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, ce dernier ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.
Nous auditionnons aujourd'hui M. Jean-Yves Le Gall, personnalité pressentie pour occuper les fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES). Je rappelle que cette audition n'est en aucun cas une formalité – certains peuvent du reste en témoigner. Elle est publique. Le scrutin est secret et doit avoir lieu hors la présence de la personne auditionnée. Il ne peut donner lieu à délégation de vote. Il sera effectué par appel public ; des bulletins vous seront distribués à cet effet. Par ailleurs, le dépouillement du scrutin, qui sera effectué par deux scrutateurs, aura lieu simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat, conformément à l'article 5 modifié de l'ordonnance du 17 novembre 1958. La commission des affaires économiques du Sénat auditionnant M. Jean-Yves Le Gall aujourd'hui à onze heures trente, le dépouillement se tiendra à treize heures dans mon bureau. Il m'appartiendra ensuite de communiquer le résultat du vote à la présidence de l'Assemblée nationale, puis de vous en informer lors de la prochaine réunion de notre commission.
Il se trouve, monsieur Le Gall, que cette audition par notre commission n'est pas une première pour vous, puisque nous vous avons déjà entendu, notamment au mois de décembre dernier. De fait, vous menez déjà, à la tête du CNES, une action remarquable pour que notre industrie aérospatiale se maintienne au meilleur niveau mondial. Je tiens du reste à saluer également la manière dont vous avez contribué, avec le Gouvernement, notamment Mme Fioraso, à relancer la dynamique européenne dans ce domaine.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, si je suis auditionné aujourd'hui par votre commission, c'est en effet parce que le Président de la République envisage de me nommer président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales. Cette proposition a été confirmée le jeudi 5 février par le conseil d'administration du CNES, dont je veux souligner – car j'ai insisté pour qu'il en soit ainsi dans le cadre de mon mandat précédent – que, pour la première fois, il est paritaire puisqu'il comprend neuf femmes et neuf hommes.
En préambule, je veux rendre hommage à tous ceux à qui notre politique spatiale doit ses succès depuis plus de cinquante ans ; ces derniers mois ont été, à cet égard, particulièrement fructueux. Je tiens donc à remercier le Parlement et ses élus, pour l'intérêt qu'ils portent à cette politique et le soutien qu'ils lui apportent, ainsi que le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement, notamment Mme Fioraso, à qui je veux rendre un hommage appuyé pour le travail considérable qu'elle a accompli ces trois dernières années et à qui j'adresse mes voeux de prompt rétablissement. Je veux également saluer les membres du conseil d'administration du CNES et mes dix prédécesseurs, en particulier ceux avec qui j'ai eu l'honneur de travailler : Hubert Curien, dont nous avons commémoré hier le dixième anniversaire de la disparition, Jacques-Louis Lions, qui m'a beaucoup appris, René Pellat, qui était un ami, André Lebeau et, plus récemment, Alain Bensoussan et Yannick d'Escatha, auquel j'ai eu l'honneur et le privilège de succéder il y a deux ans. Je remercie enfin l'équipe de direction ainsi que les femmes et les hommes du CNES, que j'ai appris à connaître au cours des deux années écoulées et dont il faut louer la compétence, l'engagement et le professionnalisme.
Je commencerai mon exposé en vous rappelant brièvement mon parcours. J'ai commencé ma carrière en 1981, lorsque j'ai bénéficié d'une bourse du CNES pour rédiger ma thèse de doctorat. J'ai ensuite travaillé au CNRS ainsi que dans différents ministères, puis à la tête de Novespace, une des filiales du CNES, et au CNES lui-même en tant que directeur général adjoint auprès du président Bensoussan. Au cours des années suivantes, je me suis occupé de lanceurs, puisque j'ai présidé Starsem, puis Arianespace jusqu'en avril 2013, date à laquelle le Président de la République m'a proposé de présider le CNES.
Celui-ci a récemment enregistré des succès historiques. Ainsi, au cours de la Conférence de Luxembourg, qui s'est tenue le 2 décembre 2014 après deux années de préparation et qui a réuni les vingt États membres de l'Agence spatiale européenne (ESA), la France a obtenu de ses partenaires que nous engagions le programme Ariane 6. Ce programme considérable de 4 milliards d'euros doit nous permettre de réaliser un premier lancement en 2020. Il s'agit, pour la France et l'Europe, de continuer à faire la course en tête dans le domaine des lanceurs, en s'inscrivant dans la droite ligne du travail accompli ces dernières années par le CNES, l'ESA, Arianespace et l'industrie. Il a par ailleurs été décidé de poursuivre l'exploitation de la station spatiale internationale (ISS). À ce propos, samedi prochain, le CNES procédera au désamarrage du dernier Véhicule automatique de transfert (ATV) cargo, actuellement accroché à la station. Enfin, la Conférence de Luxembourg a abordé les relations entre l'ESA et l'Union européenne. De tout cela, je vous ai parlé lors de mon audition par votre commission au mois de décembre dernier.
Parmi les succès du CNES, il faut bien entendu citer Rosetta et Philae, qui marquent le triomphe de la technologie européenne. Ce programme a été décidé au début des années 1990, alors qu'Hubert Curien présidait le conseil de l'Agence spatiale européenne ; Rosetta et Philae ont été lancés avec Ariane 5 le 2 mars 2004 et, après un voyage de dix ans et de 6 milliards de kilomètres, Philae s'est posé, le 12 novembre dernier, sur le noyau de la comète Tchourioumov-Guerassimenko. Ce fut un moment d'une intense émotion, car cette prouesse technologique est, pour des centaines de chercheurs et de techniciens, l'aboutissement de vingt années de travail. Cette première mondiale est à mettre à l'actif de nos équipes, qui ont guidé l'atterrisseur vers le noyau de la comète. Mais l'histoire n'est pas terminée. Philae est en effet actuellement en hibernation et devrait se réveiller dans quelques semaines à l'approche du soleil, lorsque la comète entrera en quelque sorte en effervescence. Ce phénomène a déjà été observé, mais de très loin. Si les choses se passent comme nous le souhaitons, nous devrions donc vivre, d'ici au 13 août, lorsque la comète passera au périhélie, c'est-à-dire au point le plus proche du soleil, des moments extrêmement intéressants que je vous engage à suivre, car il s'agit d'une expérience inédite et qui n'est pas près d'être reproduite.
Le CNES a remporté d'autres succès, notamment dans le domaine de la défense. Si, aujourd'hui, la France peut conduire des opérations extérieures, notamment en Afrique, c'est grâce aux satellites que nous déployons. Quant au Centre spatial guyanais, il a une activité opérationnelle record, puisqu'il a procédé, en 2014, à onze lancements. Il procédera, du reste, aujourd'hui à quatorze heures, au premier lancement de l'année 2015, celui du petit lanceur Vega, dans le cadre d'une mission de démonstration hypersonique, là encore tout à fait innovante.
Dans le domaine scientifique, nous avons enregistré des avancées très importantes dans l'exploration de Mars, où se trouvent actuellement certains de nos instruments. Par ailleurs, le satellite Gaia, que nous avons lancé en décembre 2013, cartographie le ciel avec une précision inégalée. Placé à Marseille, le satellite Hipparcos, lancé en 1989, aurait été capable d'observer un petit pois situé à Lille ; vingt-quatre ans plus tard, Gaia pourrait distinguer, à la même distance, le quart de l'épaisseur d'un cheveu. Cette connaissance fine de la cosmogonie et de la position des objets sur la voûte céleste, permet d'améliorer considérablement notre connaissance de l'univers. Plus près de nos préoccupations quotidiennes, nous travaillons, dans le domaine technologique, sur la propulsion électrique, qui est la « nouvelle frontière » des satellites de communication, puisqu'elle permet, pour une masse donnée, d'accroître la charge utile emportée.
Enfin, il convient de mentionner notre activité internationale, à laquelle je vous sais très sensible, monsieur le président. L'expertise du CNES, de ses ingénieurs et scientifiques, est en effet connue et reconnue par toutes les nations spatiales. Nous collaborons ainsi avec les États-Unis, notre principal partenaire, dans le cadre des études menées sur Mars – où nous repartirons l'année prochaine avec la mission Insight pour y mesurer les tremblements de terre, si je puis dire –, avec la Chine, dans le domaine de l'astronomie – outre une mission commune très ambitieuse d'observation des rayons gamma, nous avons conclu, la semaine dernière à Pékin, un partenariat en matière océanographique très important dans la perspective de la COP21 – et avec les pays émergents, notamment le Mexique et les pays du Golfe.
Tous ces succès ne seraient pas possibles sans l'effort budgétaire consenti par les pouvoirs publics en faveur du programme spatial. Nous disposons ainsi du deuxième budget annuel par habitant consacré à l'espace civil – 30 euros par an et par habitant –, derrière les États-Unis – 45 euros par an et par habitant –, mais devant l'Allemagne, dont le budget est deux fois moindre. J'ajoute que cet effort se poursuit en 2015, puisque ce budget est encore en augmentation. À ce propos, je tiens à souligner que 80 % du budget du CNES, qui sera supérieur cette année à 2,1 milliards d'euros, vont à l'industrie française. Nous sommes donc un vecteur d'innovation au service de l'emploi. L'industrie spatiale française emploie 16 000 personnes en France métropolitaine, auxquelles il faut ajouter les 1 700 emplois du Centre spatial guyanais et les emplois indirects, cinq fois plus nombreux.
Quelle sera ma feuille de route pour les cinq années à venir si je suis reconduit à la tête du CNES ? Elle se résume en une phrase clé : « Innover pour gagner ». Le domaine spatial connaît en effet actuellement une véritable révolution, que ce soit en matière de lanceurs – le programme Ariane 6 a ainsi été conçu pour répondre aux innovations de l'entreprise américaine SpaceX – ou de satellites : ces dernières semaines, a été annoncé le déploiement de plusieurs milliers de satellites par les acteurs de l'Internet. Ces derniers, dotés de moyens considérables veulent prendre pied dans le domaine spatial, avec pour objectif de connecter l'ensemble de la planète à Internet, probablement à l'aide de réseaux propriétaires, en contournant les opérateurs classiques. Ce mouvement phénoménal qui est en train de naître aux États-Unis, nous devons le connaître, le comprendre et y réagir. C'est pourquoi nous avons conçu Ariane 6 et nous agirons dans les mois qui viennent dans le domaine des satellites.
Pour autant, nous ne devons pas être indifférents à ce qui se passe en Chine et en Inde, où se développe une approche low-cost de l'espace. Le Premier ministre indien s'enorgueillit du fait que son pays soit la troisième puissance spatiale, après les États-Unis et l'Europe, à mettre en orbite une sonde autour de Mars, qui plus est avec un budget de 60 millions de dollars, inférieur, dit-on, à celui du film Gravity. Et je puis vous dire, pour avoir visité le centre indien qui pilote cette mission, que les résultats sont du meilleur niveau. Cette façon de s'intéresser à l'espace est différente de celle que l'on observe sur la côte ouest américaine, mais nous avons beaucoup à apprendre de ces pays, et c'est pourquoi nous coopérons avec la Chine et l'Inde.
En Europe, notre terrain de coopération privilégié, nous devons être attentifs à l'évolution de l'ESA : à sa création, l'agence comptait six États membres ; elle en comptera bientôt vingt-deux. En outre, l'Union européenne occupe une place plus importante, comme en témoignent les programmes Galileo, pour le positionnement, ou Copernicus, pour l'environnement. La France doit jouer tout son rôle dans la nouvelle gouvernance.
Par ailleurs, l'industrie se développe et devient de plus en plus mature. C'est pourquoi nous avons souhaité faire évoluer nos relations avec elle dans le cadre du programme Ariane 6, en modifiant la gouvernance. Il nous faudra poursuivre dans cette voie : l'industrie doit être davantage responsable, comme elle l'est aux États-Unis, car c'est la clé de la compétitivité, et donc du succès.
De manière générale, nous devons repenser nos méthodes, comme nous l'avons fait avec Ariane 6. À cet égard, le Programme d'investissement d'avenir (PIA) contribue beaucoup, de par sa réactivité, au développement de l'activité spatiale. Lors de ma première audition par votre commission, il y a dix-huit mois, j'avais indiqué qu'il nous fallait réaliser ce que j'appelais un « Ariane 6 des satellites », car l'Europe était en retard dans ce domaine. Grâce au PIA, nous avons élaboré un programme de satellites à propulsion électrique – il s'agit de l'un des 34 projets de la nouvelle France industrielle – dont les résultats ont été immédiats. Alors que 2013 avait été une année creuse pour les industriels, les commandes ont enregistré une forte hausse en 2014. Nous devons, là encore, poursuivre dans cette voie et, plus généralement, valoriser notre stratégie de niche, c'est-à-dire notre savoir-faire, au plan international.
Ces nouveaux enjeux, nous en tenons compte dans la préparation du contrat État-CNES 2016-2020 et de la prochaine Conférence ministérielle de l'ESA, qui se tiendra en 2016.
Nos réalisations coûtent beaucoup d'argent. L'effort budgétaire est considérable, dans le contexte économique que chacun connaît. Les citoyens doivent donc être informés de ce que nous faisons. C'est pourquoi, depuis que je préside le CNES, j'ai mis l'accent sur la communication, à laquelle je sais la représentation nationale très attachée. L'année dernière, nous avons ainsi publié plus de cent communiqués de presse. Chaque fois que nous menons une action réalisée grâce à des fonds publics, nous devons la faire connaître. J'ajoute que ces différentes actions, nous pouvons les mener grâce aux 2 500 collaborateurs, extrêmement motivés, du CNES. Ils travaillent dans quatre centres d'excellence : le Centre spatial de Toulouse, qui est le coeur du CNES, puisque c'est là que sont développés les systèmes orbitaux, la direction des lanceurs, à Paris, le Centre spatial guyanais, à Kourou, et le siège, qui se trouve également à Paris.
Quels sont les enjeux pour l'année 2015 ? Premièrement, le programme Ariane 6, décidé en 2014, doit réellement démarrer cette année. Le CNES, l'Agence spatiale européenne et les industriels sont au travail ; les accords ont été signés et les contrats sont en préparation. Il nous faut aller très vite, car le temps presse : la concurrence ne nous attend pas. Deuxième enjeu : la COP21. On sait en effet l'intérêt que représentent les données spatiales pour la climatologie. Nous allons donc poursuivre la mesure de l'augmentation du niveau des océans par les satellites du CNES : Topex-Poséidon, lancé en 1992, Jason 1, lancé en 2004, Jason 2 en 2009 et Jason 3, qui sera lancé au mois de juillet 2015, ainsi que SWOT, que nous lancerons en 2020 en coopération avec la NASA. Par ailleurs, Merlin, programme développé en partenariat avec l'Allemagne, nous permet de mesurer les émissions de méthane ; d'autres programmes sont en préparation qui mesureront les émissions de gaz carbonique. Le point d'orgue de l'année 2015 sera donc la COP21, que précédera le Salon du Bourget, pour lequel nous avons décidé de mettre l'accent sur le climat.
En conclusion, l'innovation sera impérative au cours des cinq années à venir, et ce serait pour moi un très grand honneur de continuer à conduire le CNES toujours plus haut, en étant nommé à sa présidence avec votre soutien.
Monsieur Le Gall, votre exposé nous comble. Les récents événements qui se sont produits dans le domaine de la conquête spatiale non seulement ont permis au grand public d'apprécier la bonne utilisation qui était faite des fonds publics, mais ont illustré l'utilité de l'Europe qui, lorsqu'elle est ainsi rassemblée, gagne. Et puis nous constatons que la recherche permet des progrès considérables. C'est une très belle aventure que l'aventure spatiale, et ses prouesses sont parfois trop discrètes, même si Philae est désormais connu du monde entier. Notre pays est loin d'être à la traîne dans ce domaine, et on ne le sait pas assez. Il faut donc communiquer, vous avez raison, pour le faire savoir.
Ma question porte sur les débris spatiaux en orbite autour de la Terre, qui mettent une trentaine d'années à s'autodétruire. Entre 1963 et aujourd'hui, leur nombre est passé de 600 à 23 000. À ce rythme, dans trente ans, on ne pourra plus envoyer aucun satellite en orbite. À quand une génération de satellites autonettoyants ?
Le CNES est une des grandes réussites françaises de ces dernières décennies. Vous avez indiqué, monsieur Le Gall, que le budget spatial par habitant de l'Allemagne était deux fois moindre que celui de la France. Comment pourrait-on, selon vous, inciter les Allemands à coopérer davantage avec notre pays ? Par ailleurs, SpaceX, est devenu un concurrent important du CNES. Comment voyez-vous son évolution ? Je pense notamment au développement de sa technique de récupération des lanceurs, qui devrait lui permettre de réduire les coûts de lancement.
Merci, monsieur Le Gall, pour cet exposé d'une grande qualité. Lors de votre audition par notre commission, le 17 décembre dernier, nous vous avions félicité pour les résultats que vous aviez obtenus avec Mme Fioraso, pour laquelle j'ai une pensée particulière, dans le cadre de la Conférence ministérielle de l'ESA.
Vous avez placé l'activité du CNES en 2015 sous le signe du climat, dans la perspective de la COP21 qui se tiendra à Paris au mois de décembre. En octobre dernier, Airbus a signé avec l'ESA un contrat de construction de six satellites météo en orbite polaire de seconde génération pour 1,3 milliard d'euros. Les États membres contribuent-ils au financement de ce programme et dans quelle mesure le CNES y participera-t-il ? Quelle sera sa traduction en termes d'emploi en France ?
Ma seconde question porte sur le projet d'Airbus et de Safran de créer une joint-venture afin de restructurer la filière et de concurrencer SpaceX. Où en sont les discussions concernant le rachat des parts du CNES dans le capital d'Arianespace et que sait-on de l'impact qu'aura un tel regroupement sur l'emploi dans la filière ?
Je crois savoir que certaines informations recueillies par Rosetta et Philae sont traitées à Grenoble, ce dont je me félicite en tant que députée de l'Isère. Qu'en est-il de la coopération du CNES avec les autres laboratoires, français et étrangers ?
Par ailleurs, quelles retombées économiques – notamment en termes d'emploi –, scientifiques et technologiques attend-on du programme Ariane 6 pour le CNES, la France et l'Union européenne ? Ce programme permettra-t-il à l'Europe de prendre une avance technologique dans le domaine de la propulsion et comprend-il des innovations qui vous paraissent déterminantes pour l'avenir ?
S'agissant de la lutte contre le changement climatique, quelle sera l'implication du CNES dans les années à venir ?
Quels seront vos choix en matière d'information et de transmission des connaissances au public et comment le CNES envisage-t-il de former ses personnels ? Enfin, quelles sont les nouvelles méthodes que vous souhaitez voir le CNES adopter ?
Le CNES est l'une de nos fiertés nationales, et nous aurions pu nous attendre à ce que l'élaboration du projet Ariane 6 se fasse dans le cadre d'une gouvernance identique à celle qui prévalait pour les précédents lanceurs. Or, vous avez indiqué que le choix avait été fait de faire appel au privé, en particulier à la société Airbus Safran Launchers. Cette nouvelle gouvernance, que vous présentez comme la clé de la compétitivité et de notre réussite, ne peut-elle avoir pour conséquence de déposséder de manière brutale et rapide le CNES et Arianespace de leurs prérogatives et de favoriser un désengagement de l'État ? En résumé, n'est-ce pas ouvrir la porte à une privatisation de l'ensemble de l'industrie spatiale ? Quelles réponses avez-vous apporté aux organisations syndicales qui expriment de fortes inquiétudes à ce sujet ?
Monsieur Le Gall, le secteur spatial français représente environ 16 000 emplois directs. À quelles évolutions économiques doit-on s'attendre selon vous ? De nouvelles délocalisations sont-elles à craindre dans les mois à venir et le « made in France » est-il préservé dans ce secteur de pointe ?
La ressource en eau étant un enjeu planétaire, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le programme océanographique commun au CNES et à la NASA ? Par ailleurs, certains, dont je ne suis pas, dénoncent le coût très important, dans un contexte budgétaire contraint, de l'entretien de la station spatiale internationale. Comment justifier ces dépenses et peuvent-elles éventuellement être réduites ? Par ailleurs, quels sont les projets économiques les plus pertinents liés à l'exploration spatiale ? Enfin, on annonce une guerre ouverte entre certains opérateurs pour dominer la diffusion d'Internet depuis l'espace. S'agit-il selon vous d'une nouvelle guerre des étoiles et quelles peuvent en être les conséquences ?
Tout d'abord, monsieur Le Gall, transmettez toutes nos félicitations à vos équipes pour la magnifique prouesse technologique qu'est Philae. S'agissant des partenariats du CNES, vous avez évoqué l'Inde, la Chine et les États-Unis, mais vous n'avez pas parlé de la Russie. Avez-vous des projets avec ce pays et le Japon ?
Le CNES est un fleuron national et, à ce titre, il dispose d'un budget important qui, du reste, est l'un des seuls à ne pas baisser. La France occupe ainsi, depuis près de cinquante ans, une position dominante dans le secteur spatial. Cependant, aujourd'hui, la concurrence casse les prix. Le coût d'un vol est de 170 millions d'euros pour Ariane 5, qui est le lanceur le plus fiable du monde, de 45 millions d'euros pour un lanceur de SpaceX, et il sera de 70 millions pour la future Ariane 6. Quels sont les éléments – fiabilité, efficience – qui rendront néanmoins Ariane 6 compétitive lorsque celle-ci sera opérationnelle ?
Le choix a été fait, pour des raisons de coût, d'équiper Ariane 6 du même type de propulseurs qu'Ariane 5. Il semble que le constructeur Astrium peine à diminuer davantage ses coûts. Cette difficulté ne tient-elle pas au fait que la production est dispersée sur plusieurs sites européens, quand SpaceX la concentre sur un seul site ? Par ailleurs, vous avez évoqué votre volonté de mettre en oeuvre une politique internationale avec les États-Unis. De nombreux États considèrent que la conquête de l'espace est indispensable à la protection de leur territoire, notamment pour assurer une observation satellitaire. Pouvez-vous nous indiquer si des échanges d'informations et une coopération existent entre les instances du CNES et les différents états-majors européens ?
Monsieur Le Gall, le conseil de l'Agence spatiale européenne a décidé, début décembre, de doter l'Europe spatiale des moyens lui permettant de faire face aux défis majeurs qu'elle devra relever au cours des prochaines années ; on pense notamment au lancement d'Ariane 6, dont le premier vol est prévu en 2020. Qu'en est-il en termes de développement économique et, surtout, d'emploi ? Par ailleurs, comment comptez-vous communiquer pour inciter les jeunes à s'orienter vers le secteur de l'aérospatiale et envisagez-vous de mettre en place des formations professionnelles diplômantes ?
Monsieur Le Gall, vous vous êtes récemment rendu à Rome pour participer avec le président de l'agence spatiale italienne à un séminaire de réflexion. Quels sont les axes de la coopération franco-italienne dans le domaine spatial ? S'agissant de la COP21, pourriez-vous nous en dire davantage sur le rôle du CNES dans l'organisation de cet événement et sur la contribution qu'il entend apporter pour que la conférence aboutisse à des mesures concrètes ?
Pour compléter la question de M. Lefait, je souhaiterais savoir quels types de dangers représentent les débris spatiaux : sont-ils dangereux pour les lanceurs, les satellites, les populations ?
Monsieur Le Gall, vous avez fait le choix de développer des partenariats avec de grands acteurs du Net, notamment Google dans le cadre du projet Loon, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Avez-vous l'intention de poursuivre cette politique de partenariats, qui témoigne de la reconnaissance de l'expertise du CNES, et quelles autres collaborations envisagez-vous ? Par ailleurs, quels nouveaux modèles économiques ces projets vont-ils faire émerger et quelle sera la répartition de la valeur ?
Monsieur Le Gall, quelle sera la contribution du CNES à la COP 21, qui se tiendra à la fin de l'année ? En matière de politique spatiale, le CNES a toujours privilégié la stratégie à long terme plutôt que la rentabilité. Outre la privatisation d'Arianespace, il est prévu de transférer à la nouvelle société Airbus Safran Launchers la mission de conception des lanceurs, qui est jusqu'à présent assumée par le CNES. Quelles seront les conséquences de ce transfert, d'une part, sur l'emploi dans la filière et les financements publics et, d'autre part, sur la singularité et la spécificité de la politique spatiale de la France en Europe ?
Ma question porte sur les débris spatiaux. La France est l'un des rares pays à avoir adopté une réglementation en la matière, qui exige que l'étage supérieur soit désorbité. Ainsi Ariane 5 et Ariane 6 sont-ils équipés d'un dispositif permettant à leur étage supérieur de rejoindre les hautes couches de l'atmosphère. Qu'en est-il des lanceurs et quelles actions envisagez-vous de mener en la matière, sachant que cette année se tiendra à Paris la conférence sur le climat ?
En raison des avancées technologiques, le risque d'usurpation des données personnelles ou de brouillage d'identité menace non seulement la sécurité des transactions financières, mais aussi la sécurité aérienne. Ainsi, l'aéroport de Taïwan serait victime d'une centaine d'incidents de ce type par jour. Le CNES développe actuellement des dispositifs anti-leurrage qui consistent à ajouter une protection supplémentaire, similaire à un antispam. Pourriez-vous détailler le cadre de ces programmes de recherche ainsi que les perspectives qu'ils offrent, en termes de sécurité et de développement commercial ?
Monsieur Le Gall, lors de vos voeux à la presse, vous avez déclaré que, grâce au succès de Philae et au lancement du projet Ariane 6, l'année 2014 avait été marquée par « un engouement sans précédent du grand public » et par « une prise de conscience collective des apports inestimables de l'espace à notre vie quotidienne ». La sensibilisation du grand public à ces questions est aussi affaire d'éducation, comme en témoigne l'opération « Espace dans ma ville », initiée par le CNES en 2005 pour inciter les jeunes, notamment des quartiers populaires, à s'intéresser aux activités scientifiques et pour favoriser les initiatives locales dans ce domaine. Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de cette opération et le bilan que vous en dressez, dix ans après sa création ?
Lors de sa dernière conférence de presse, le Président de la République a rappelé qu'il souhaitait le maintien de la capacité nucléaire de la France. Quelles peuvent être les conséquences du développement d'Ariane 6 sur sa modernisation ?
Monsieur Le Gall, pourriez-vous nous apporter un éclairage sur les « annonces » qui ont été faites concernant le lancement de plusieurs satellites en partenariat avec le groupe Virgin ?
Vous pouvez constater, monsieur Le Gall, que le domaine spatial passionne mes collègues députés. À leurs questions brèves et précises, j'ajouterai une dernière interrogation : à quelle échéance est prévu le déploiement total de Galileo ?
Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour la richesse et la variété de vos questions.
Plusieurs d'entre elles ont porté sur les débris spatiaux. La meilleure façon de ne pas avoir de débris spatiaux est de ne pas en créer, car il n'existe pas de projets de filet géant qui permettrait de les récupérer. Au tout début de l'ère spatiale, les lanceurs et les satellites n'étaient pas propres : leur séparation se faisait à l'aide de boulons explosifs qui laissaient dans l'espace des débris d'une taille modeste, certes, mais qui, à la vitesse de 9 kilomètres par seconde, peuvent causer des dégâts importants. Ainsi je me souviens d'avoir assisté au retour d'une navette spatiale qui avait embarqué Jean-Loup Chrétien ; un débris qu'on avait identifié comme une écaille de peinture avait créé un petit cratère sur le pare-brise… Il ne faut donc pas créer de débris. À cette fin, la France a adopté une réglementation qui figure dans la loi sur les opérations spatiales. Désormais, il est prévu de faire rentrer l'étage supérieur des fusées et d'éviter les débris en faisant en sorte, par exemple, que la sangle de séparation reste accrochée à l'étage supérieur. Cette approche est de plus en plus partagée par les puissances spatiales. Je précise que les débris en orbite basse ont vocation à rentrer, car ils s'usent sur les hautes couches de l'atmosphère. Dès lors, si nous adoptons une attitude responsable, ces débris – qui sont au nombre de 23 000, mais il ne s'agit là que de ceux qui sont détectables par le NORAD, c'est-à-dire ceux dont la taille est supérieure à un centimètre – devraient donc se résorber.
La question suivante portait sur notre partenariat avec l'Allemagne. Celle-ci accroît son effort dans le domaine spatial, même si elle a encore une marge de progression importante. Nous avons donc souhaité, lors de la conférence de Luxembourg, qu'elle participe au programme Ariane 6 à hauteur de 22 %, et non de 10 % comme elle l'envisageait initialement. Dès lors que les États-Unis, la Chine et l'Inde développent leur politique spatiale, l'Europe doit faire de même et, pour cela, la France ne peut être seule. C'est pourquoi il est important que nos amis allemands maintiennent leur effort dans ce domaine.
Que peut-on penser de la fusée réutilisable développée par la société SpaceX ? Celle-ci approche en effet le marché avec des technologies qualifiées de disruptives. Ainsi, lors du dernier lancement auquel il a procédé, Elon Musk est parvenu à faire revenir le premier étage de son lanceur sur un mode propulsé. Certes, celui-ci s'est mal posé et il s'est écrasé sur la barge de récupération, mais il est vraisemblable que, dans les mois qui viennent, cet étage se posera avec succès. En tout état de cause, il faut saluer cette performance technique car, à ma connaissance, jusqu'à présent, la seule fusée qui se soit posée sur son moteur, c'est celle de Tintin, développée par Hergé… Toutefois, au-delà de la performance, la question qui se pose est celle des conditions économiques de la réutilisation de cet étage, qui aura probablement souffert lors de son entrée dans l'atmosphère. Le coût de sa remise à niveau devra donc être mis en balance avec celui de la production d'un nouvel étage. Quoi qu'il en soit, nous suivons cela de très près car, si l'expérience est concluante, nous aurons à y apporter une réponse.
En ce qui concerne le contrat que l'Agence spatiale européenne a attribué à Airbus Defence and Space pour les satellites MetOp de deuxième génération pour un montant de 1,3 milliard d'euros, il s'agit d'un programme absolument majeur auquel la France participe de deux manières, par ses contributions à l'ESA et à EUMETSAT, et qui représente plusieurs centaines d'emplois durant plusieurs années dans l'industrie spatiale européenne, en particulier française.
J'en viens maintenant à la création d'Airbus Safran Launchers. Il est clair qu'une telle rationalisation de l'industrie spatiale européenne s'impose si nous voulons résister au choc de la compétition dans laquelle nous sommes engagés, en particulier avec SpaceX. Dans l'usine que cette entreprise possède en Californie, on voit des tôles entrer d'un côté et des fusées sortir de l'autre, alors que la fabrication d'Ariane 5 est éclatée sur 25 sites différents en Europe. Cette organisation a un coût structurel : l'industrie spatiale européenne compte une dizaine de PDG. Celle-ci a donc décidé, à la suite de nombreuses discussions avec l'Agence spatiale européenne et le CNES, de simplifier le schéma industriel. Cette rationalisation est en effet un des trois facteurs qui nous permettront de concurrencer SpaceX, les deux autres facteurs étant le développement d'un lanceur au design simplifié, Ariane 6, et le soutien des États. Quant au transfert des parts du CNES dans le capital d'Arianespace, c'est un sujet sur lequel nous travaillons actuellement ; des négociations sont en cours avec les industriels. Il faudra donc patienter quelques mois pour savoir quelles seront l'orientation choisie et les conditions de la transaction.
Quant à la coopération du CNES avec les autres établissements, elle doit d'abord se développer en France. Nous avons ainsi conclu de nombreux accords, notamment avec le CNRS et le CEA – qui dispose, à Grenoble et à Saclay, de compétences intéressantes dans le domaine des rayons X et de l'observation dans l'infrarouge –, et nous en conclurons prochainement un avec l'Office national d'études et de recherches aéronautiques (ONERA). Il nous faut poursuivre dans cette voie et continuer à développer une approche coopérative entre les différents instituts de recherche français, à l'instar de ce que font les Allemands avec le Fraunhofer-Institute, ou les Américains avec la National science foundation (NSF). Travailler tous ensemble est le meilleur moyen d'augmenter notre « puissance de feu ».
Quelles retombées attend-on du projet Ariane 6 ? Tout d'abord, le programme de développement va permettre d'injecter, dans les cinq années à venir, 4,5 milliards d'euros dans l'industrie spatiale européenne. Ces crédits permettront d'assurer le plan de charge des bureaux d'études, qui pourront ainsi développer un nouveau produit innovant capable de résister à la concurrence étrangère. Ensuite, à moyen terme, la pérennisation d'Ariane 5 est garantie. Nous avons mis beaucoup de temps à en faire le produit d'exception qu'il est aujourd'hui ; ses 63 succès d'affilée ne doivent pas faire oublier les difficultés que nous avons rencontrées lors de ses premiers vols il y a dix ans. Ariane 5 existera donc jusqu'au début des années 2020, puis Ariane 6 prendra la relève.
Par ailleurs, l'implication du CNES dans le domaine de l'environnement est quotidienne. Outre l'élévation du niveau des océans due au réchauffement climatique – trois millimètres par an, cela semble peu, mais cela représente six centimètres en vingt ans, trente centimètres en un siècle –, nous mesurons le phénomène qui est à l'origine de ce réchauffement, c'est-à-dire les émissions de gaz à effet de serre : méthane et gaz carbonique. De plus, les satellites permettent de s'assurer, par des mesures locales de ces émissions, que les pays qui signent des accords internationaux dans ce domaine – à Lima l'année dernière, à Paris cette année – les appliquent. À cet égard, l'accord que j'ai tenu à signer avec les Chinois est particulièrement important, car le fait d'associer la Chine à nos projets rendra les contestations de ces mesures plus difficiles.
S'agissant de la formation des personnels et de la sensibilisation des jeunes, le CNES travaille beaucoup dans ce domaine, auquel j'attache une importance particulière. J'ai moi-même participé, avec Mme Fioraso, à une opération « Espace dans ma ville » organisée à Douai, et j'ai été très satisfait et un peu ému de constater que, dans ces quartiers extrêmement difficiles, non seulement nous apportions plaisir et détente à des jeunes qui ne participent pas souvent à ce type de manifestations, mais que nous suscitions un véritable intérêt pour les sciences. Par ailleurs, chaque année, nous organisons le C'Space, qui rassemble pendant une semaine de jeunes étudiants qui ont préparé de petites fusées que le CNES les aide à lancer. Cette action, qui a une double vocation, éducative et sociale – c'est la dimension à laquelle je suis le plus attaché – doit être poursuivie. Nous avons du reste un programme très dense en ce domaine.
J'en viens à la gouvernance d'Ariane 6. Pour faire face à l'intensification de la compétition, il nous faut jouer à armes égales avec nos concurrents. Cela suppose que chacun ait un rôle bien défini. Nous avons ainsi recentré les agences sur leur métier de maître d'ouvrage. Mais je veux rassurer M. Chassaigne : nous ne signerons pas pour autant un chèque en blanc à l'industrie. Nous avons en effet conclu un accord avec l'Agence spatiale européenne, aux termes duquel la direction des lanceurs du CNES interviendra en tant que direction technique afin que le lanceur soit exactement celui que nous avons spécifié. De son côté, l'industrie prendra davantage de risques et bénéficiera d'une certaine marge de manoeuvre pour s'organiser et produire le lanceur dans les meilleurs délais.
Bien entendu, le CNES conserve ses missions régaliennes : il gère le budget, de plusieurs milliards d'euros, veille à l'application de la loi sur les opérations spatiales et procède aux lancements du Centre spatial guyanais. Ainsi, c'est le directeur du centre qui, sur délégation du président du CNES, donne l'ordre de tir. Nous assumons également, avec l'ESA, la maîtrise d'ouvrage du lanceur. En outre, j'ai tenu à ce que nous conservions la maîtrise d'oeuvre de la construction du pas de tir en Guyane. Ce chantier coûtera en effet plusieurs centaines de millions d'euros et nous voulons nous assurer que la Guyane tirera bénéfice du programme Ariane 6 ; un effort considérable sera fait en faveur de l'emploi local et de l'emploi social afin de fournir du travail aux jeunes Guyanais.
J'ignore ce que vous entendez par « propriété ». Le développement d'Ariane 6 sera piloté par les États et réalisé par le privé. Pour les lancements, le système demeurera identique à ce qu'il est actuellement : Arianespace achète à l'industrie des lanceurs qu'elle vend à ses clients, le CNES se chargeant de la préparation des satellites et des opérations de lancement. Les activités régaliennes ne peuvent pas être cédées au privé. Elles ne le sont, du reste, dans aucun pays : les lancements de SpaceX à Cap Canaveral sont effectués par la puissance publique américaine, qui est la seule habilitée à les réaliser aux États-Unis. En France, ces aspects régaliens sont d'autant plus importants que le CNES entretient une relation particulière avec son environnement guyanais.
Par ailleurs, le risque de délocalisation est assez limité, et plus nous innovons, plus il l'est, car les emplois très hautement qualifiés ne peuvent être délocalisés.
Pour revenir à l'enjeu environnemental, j'ai évoqué, tout à l'heure, le satellite SWOT. Jusqu'à présent, nos programmes, Topex-Poséidon et Jason, concernaient les océans ; SWOT nous permettra, pour la première fois, d'améliorer notre connaissance des ressources de la planète en eau douce : fleuves, marécages… Ce satellite très innovant, qui sera lancé en coopération avec la NASA en 2020, sera aussi important pour la connaissance de l'eau douce que ses prédécesseurs le sont pour celle de l'eau salée.
Par ailleurs, il est vrai que le coût d'entretien de l'ISS – dont je rappelle qu'elle a la dimension de deux terrains de football – est important, mais il représente un investissement, depuis le milieu des années 1980, de 100 milliards de dollars dont nous devons profiter. C'est pourquoi la France a maintenu sa participation lors de la Conférence de Luxembourg.
En ce qui concerne les projets économiques liés à l'exploration spatiale, il faut savoir que ce sont les applications qui font rentrer de l'argent. C'est pourquoi nous soutenons leur développement. Nous devons veiller à ne pas élaborer des programmes extrêmement ambitieux d'un point de vue technique dont les bénéfices iront à des sociétés étrangères. Parmi les applications du spatial, figure l'accès à Internet, qui fait l'objet actuellement d'une guerre ouverte. La galaxie « GAFA » – c'est-à-dire Google, Apple, Facebook et Amazon – souhaite en effet disposer de systèmes de connexion à Internet propriétaires afin de contourner les opérateurs. Un tel dispositif permettrait, certes, d'améliorer le service rendu aux clients, mais il constituerait, ne nous leurrons pas, une arme économique considérable. Il faut donc être attentif à cette évolution pour, le cas échéant, pouvoir y résister ou y prendre notre part.
Qu'advient-il de notre partenariat avec la Russie ? Poser la question, c'est d'une certaine façon y répondre. On observe que la « géographie spatiale » a évolué très rapidement ces derniers mois. Outre le « New Space », localisé en Californie et qui n'existait pas il y a cinq ans, la Chine et l'Inde montent en puissance. La situation de la Russie, en revanche, est plutôt en demi-teinte en raison des problèmes techniques qu'elle a rencontrés et des difficultés qu'elle connaît actuellement. Quant au Japon, il est un peu en retrait par rapport à la Chine. Nous conservons cependant des partenariats importants avec la Russie, comme en témoigne Soyouz en Guyane, projet sur lequel j'ai beaucoup travaillé ces dernières années. Mais il faut être conscient de l'évolution de la géographie spatiale globale.
J'en viens maintenant aux bilans économiques comparés d'Ariane 5, d'Ariane 6 et des lanceurs de SpaceX. Pour dire les choses brutalement, Ariane 6 doit nous permettre de diviser par deux le coût au kilo lancé en orbite. Il est vrai qu'à ce stade, il reste encore un peu supérieur aux prix pratiqués par SpaceX, mais il faut tenir compte de la courbe d'apprentissage. En outre, je ne suis pas certain que SpaceX maintiendra des prix aussi bas que ceux observés ces derniers temps. À cet égard, l'évolution des taux de change de l'euro et du dollar est actuellement très favorable à nos produits. En tout état de cause, je considère que la décision qui a été prise au mois de décembre est la meilleure que nous pouvions prendre. En effet, Ariane 6 est un lanceur beaucoup plus simple qu'Ariane 5, donc moins cher ; il est décliné en deux versions, Ariane 62 et Ariane 64, de sorte que nous échappons au débat sur le lancement simple ou double, et il est robuste dans la mesure où nous pourrons faire évoluer sa performance au cours de son développement.
J'ajoute qu'Ariane 6 aura à peu près le même type de propulsion qu'Ariane 5. Nous bénéficierons ainsi de l'héritage de cette dernière, ainsi que du développement, dans le cadre du PIA, de propulseurs bobinés ; cette compétence sera particulièrement précieuse.
En ce qui concerne l'observation de la Terre en Europe, nous avons des programmes en coopération. Je pense notamment au programme Copernicus, pour lequel l'Europe a su s'organiser.
S'agissant des formations diplômantes, j'ai mentionné les efforts que nous réalisons pour attirer les jeunes vers le secteur spatial. Chaque année le CNES accueille de nombreux stagiaires et accorde plusieurs dizaines de bourses – c'est du reste pour moi un grand honneur d'avoir commencé ma carrière grâce à une bourse du CNES.
En ce qui concerne le séminaire franco-italien qui s'est tenu récemment à Rome, je rappelle qu'il y a plusieurs années, nous avions lancé, en coopération avec l'Italie, un programme qui comportait deux volets : le premier, ORFEO, est consacré à l'observation de la Terre et il est constitué d'une composante optique, Pléiades, côté français, et d'une composante radar, Cosmo-Skymed, côté italien ; le second est consacré aux télécommunications militaires, avec Athena-Fidus, que nous avons lancé l'année dernière avec Ariane 5, et Sicral 2 que nous lancerons dans quelques semaines. Ce séminaire avait pour objet d'examiner les prochaines étapes de notre coopération avec l'Italie, l'objectif étant de signer un nouvel accord lors du sommet franco-italien qui se tiendra dans quelques jours à Paris.
En ce qui concerne la stratégie à long terme du CNES et la conception des lanceurs, le fait que nous nous recentrions sur la maîtrise d'ouvrage ne nous interdit pas de continuer à développer une compétence intrinsèque pour faire face à d'éventuelles nouvelles menaces, telles que le réutilisable. Par ailleurs, je confirme qu'Ariane 6 sera parfaitement conforme à la loi sur les opérations spatiales : l'étage supérieur, grâce au moteur réallumable Vinci, sera désorbité.
La sécurité des transactions financières est un véritable enjeu. Il faut en effet s'assurer que toutes les informations transitant par l'espace sont raisonnablement cryptées de manière à être inattaquables. La direction des systèmes d'information du CNES travaille sur ces sujets. Elle dispose d'une véritable expertise en la matière, qui a été renforcée par les développements permis par Gaia dans le domaine du Big data et par les mesures que nous prenons pour nous défendre contre les cyberattaques dont nous sommes quasi quotidiennement la cible.
Par ailleurs, les annonces faites par Virgin montrent combien le secteur spatial attire des entrepreneurs venus d'autres horizons. On pourrait également parler de SpaceX ou de Google, qui a mis 1 milliard de dollars sur la table dans le cadre du projet de constellation de satellites.
On m'a également interrogé sur les liens entre la conception de nouveaux lanceurs et la modernisation de la capacité nucléaire française. Ariane 6 assurera un plan de charge très conséquent au site des Mureaux, où se trouve également le bureau d'études de la force de dissuasion. Il s'agit donc d'une bonne nouvelle pour la dissuasion.
Enfin, monsieur le président, Galileo a connu quelques difficultés. Mais les lancements vont reprendre, avec Soyouz puis Ariane 5. Deux satellites Galileo devraient ainsi être lancés depuis le Centre spatial guyanais le 27 mars prochain. Toutefois, il est de coutume de n'évoquer un lancement que lorsque le précédent a été réussi. En l'espèce, il s'agit du lancement de Vega, auquel nous pourrons assister dans trois heures maintenant.
Monsieur Le Gall, je vous remercie de vous être livré une nouvelle fois à cet exercice, et je vous laisse maintenant rejoindre nos collègues du Sénat, qui doivent, à leur tour, vous auditionner.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants
Bulletins blancs ou nuls
Suffrages exprimés
Pour
Contre
Abstention
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 11 février 2015 à 9 h 30
Présents. - M. Damien Abad, Mme Ericka Bareigts, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter, M. Fabrice Verdier
Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, M. Marcel Bonnot, M. Antoine Herth, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, Mme Marie-Lou Marcel, M. Yannick Moreau, M. Bernard Reynès, M. Frédéric Roig, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin