J'ignore ce que vous entendez par « propriété ». Le développement d'Ariane 6 sera piloté par les États et réalisé par le privé. Pour les lancements, le système demeurera identique à ce qu'il est actuellement : Arianespace achète à l'industrie des lanceurs qu'elle vend à ses clients, le CNES se chargeant de la préparation des satellites et des opérations de lancement. Les activités régaliennes ne peuvent pas être cédées au privé. Elles ne le sont, du reste, dans aucun pays : les lancements de SpaceX à Cap Canaveral sont effectués par la puissance publique américaine, qui est la seule habilitée à les réaliser aux États-Unis. En France, ces aspects régaliens sont d'autant plus importants que le CNES entretient une relation particulière avec son environnement guyanais.
Par ailleurs, le risque de délocalisation est assez limité, et plus nous innovons, plus il l'est, car les emplois très hautement qualifiés ne peuvent être délocalisés.
Pour revenir à l'enjeu environnemental, j'ai évoqué, tout à l'heure, le satellite SWOT. Jusqu'à présent, nos programmes, Topex-Poséidon et Jason, concernaient les océans ; SWOT nous permettra, pour la première fois, d'améliorer notre connaissance des ressources de la planète en eau douce : fleuves, marécages… Ce satellite très innovant, qui sera lancé en coopération avec la NASA en 2020, sera aussi important pour la connaissance de l'eau douce que ses prédécesseurs le sont pour celle de l'eau salée.
Par ailleurs, il est vrai que le coût d'entretien de l'ISS – dont je rappelle qu'elle a la dimension de deux terrains de football – est important, mais il représente un investissement, depuis le milieu des années 1980, de 100 milliards de dollars dont nous devons profiter. C'est pourquoi la France a maintenu sa participation lors de la Conférence de Luxembourg.
En ce qui concerne les projets économiques liés à l'exploration spatiale, il faut savoir que ce sont les applications qui font rentrer de l'argent. C'est pourquoi nous soutenons leur développement. Nous devons veiller à ne pas élaborer des programmes extrêmement ambitieux d'un point de vue technique dont les bénéfices iront à des sociétés étrangères. Parmi les applications du spatial, figure l'accès à Internet, qui fait l'objet actuellement d'une guerre ouverte. La galaxie « GAFA » – c'est-à-dire Google, Apple, Facebook et Amazon – souhaite en effet disposer de systèmes de connexion à Internet propriétaires afin de contourner les opérateurs. Un tel dispositif permettrait, certes, d'améliorer le service rendu aux clients, mais il constituerait, ne nous leurrons pas, une arme économique considérable. Il faut donc être attentif à cette évolution pour, le cas échéant, pouvoir y résister ou y prendre notre part.
Qu'advient-il de notre partenariat avec la Russie ? Poser la question, c'est d'une certaine façon y répondre. On observe que la « géographie spatiale » a évolué très rapidement ces derniers mois. Outre le « New Space », localisé en Californie et qui n'existait pas il y a cinq ans, la Chine et l'Inde montent en puissance. La situation de la Russie, en revanche, est plutôt en demi-teinte en raison des problèmes techniques qu'elle a rencontrés et des difficultés qu'elle connaît actuellement. Quant au Japon, il est un peu en retrait par rapport à la Chine. Nous conservons cependant des partenariats importants avec la Russie, comme en témoigne Soyouz en Guyane, projet sur lequel j'ai beaucoup travaillé ces dernières années. Mais il faut être conscient de l'évolution de la géographie spatiale globale.
J'en viens maintenant aux bilans économiques comparés d'Ariane 5, d'Ariane 6 et des lanceurs de SpaceX. Pour dire les choses brutalement, Ariane 6 doit nous permettre de diviser par deux le coût au kilo lancé en orbite. Il est vrai qu'à ce stade, il reste encore un peu supérieur aux prix pratiqués par SpaceX, mais il faut tenir compte de la courbe d'apprentissage. En outre, je ne suis pas certain que SpaceX maintiendra des prix aussi bas que ceux observés ces derniers temps. À cet égard, l'évolution des taux de change de l'euro et du dollar est actuellement très favorable à nos produits. En tout état de cause, je considère que la décision qui a été prise au mois de décembre est la meilleure que nous pouvions prendre. En effet, Ariane 6 est un lanceur beaucoup plus simple qu'Ariane 5, donc moins cher ; il est décliné en deux versions, Ariane 62 et Ariane 64, de sorte que nous échappons au débat sur le lancement simple ou double, et il est robuste dans la mesure où nous pourrons faire évoluer sa performance au cours de son développement.
J'ajoute qu'Ariane 6 aura à peu près le même type de propulsion qu'Ariane 5. Nous bénéficierons ainsi de l'héritage de cette dernière, ainsi que du développement, dans le cadre du PIA, de propulseurs bobinés ; cette compétence sera particulièrement précieuse.
En ce qui concerne l'observation de la Terre en Europe, nous avons des programmes en coopération. Je pense notamment au programme Copernicus, pour lequel l'Europe a su s'organiser.
S'agissant des formations diplômantes, j'ai mentionné les efforts que nous réalisons pour attirer les jeunes vers le secteur spatial. Chaque année le CNES accueille de nombreux stagiaires et accorde plusieurs dizaines de bourses – c'est du reste pour moi un grand honneur d'avoir commencé ma carrière grâce à une bourse du CNES.
En ce qui concerne le séminaire franco-italien qui s'est tenu récemment à Rome, je rappelle qu'il y a plusieurs années, nous avions lancé, en coopération avec l'Italie, un programme qui comportait deux volets : le premier, ORFEO, est consacré à l'observation de la Terre et il est constitué d'une composante optique, Pléiades, côté français, et d'une composante radar, Cosmo-Skymed, côté italien ; le second est consacré aux télécommunications militaires, avec Athena-Fidus, que nous avons lancé l'année dernière avec Ariane 5, et Sicral 2 que nous lancerons dans quelques semaines. Ce séminaire avait pour objet d'examiner les prochaines étapes de notre coopération avec l'Italie, l'objectif étant de signer un nouvel accord lors du sommet franco-italien qui se tiendra dans quelques jours à Paris.
En ce qui concerne la stratégie à long terme du CNES et la conception des lanceurs, le fait que nous nous recentrions sur la maîtrise d'ouvrage ne nous interdit pas de continuer à développer une compétence intrinsèque pour faire face à d'éventuelles nouvelles menaces, telles que le réutilisable. Par ailleurs, je confirme qu'Ariane 6 sera parfaitement conforme à la loi sur les opérations spatiales : l'étage supérieur, grâce au moteur réallumable Vinci, sera désorbité.
La sécurité des transactions financières est un véritable enjeu. Il faut en effet s'assurer que toutes les informations transitant par l'espace sont raisonnablement cryptées de manière à être inattaquables. La direction des systèmes d'information du CNES travaille sur ces sujets. Elle dispose d'une véritable expertise en la matière, qui a été renforcée par les développements permis par Gaia dans le domaine du Big data et par les mesures que nous prenons pour nous défendre contre les cyberattaques dont nous sommes quasi quotidiennement la cible.
Par ailleurs, les annonces faites par Virgin montrent combien le secteur spatial attire des entrepreneurs venus d'autres horizons. On pourrait également parler de SpaceX ou de Google, qui a mis 1 milliard de dollars sur la table dans le cadre du projet de constellation de satellites.
On m'a également interrogé sur les liens entre la conception de nouveaux lanceurs et la modernisation de la capacité nucléaire française. Ariane 6 assurera un plan de charge très conséquent au site des Mureaux, où se trouve également le bureau d'études de la force de dissuasion. Il s'agit donc d'une bonne nouvelle pour la dissuasion.
Enfin, monsieur le président, Galileo a connu quelques difficultés. Mais les lancements vont reprendre, avec Soyouz puis Ariane 5. Deux satellites Galileo devraient ainsi être lancés depuis le Centre spatial guyanais le 27 mars prochain. Toutefois, il est de coutume de n'évoquer un lancement que lorsque le précédent a été réussi. En l'espèce, il s'agit du lancement de Vega, auquel nous pourrons assister dans trois heures maintenant.