Intervention de Marisol Touraine

Séance en hémicycle du 28 novembre 2012 à 15h00
Suspension du conditionnement alimentaire contenant du bisphénol a — Présentation

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, avec cette proposition de loi, notre démarche s'affirme de façon claire : en matière de santé publique, la sécurité de nos concitoyens est notre première exigence.

Le principe de précaution ne conduit pas systématiquement à une sanction, mais lorsque la santé de nos enfants est en jeu, les intérêts privés doivent pouvoir être strictement encadrés.

Aujourd'hui, nous en savons assez pour prendre les décisions qui s'imposent. Nous savons que la qualité de l'environnement a un impact direct sur la santé des individus. Nous savons que certains produits ont des conséquences néfastes sur notre état de santé. Nous savons que de nombreux objets qui nous entourent présentent des risques. Parce que nous en avons un usage quotidien, ils sont devenus source d'interrogations voire d'inquiétudes.

Les initiatives prises à l'échelle communautaire doivent être poursuivies. C'est le cas de la directive REACH, qui permet de développer une large base de données sur les produits utilisés dans l'Union européenne. Cette démarche mérite d'être soutenue et amplifiée.

Cette intervention est aussi pour moi l'occasion de saluer la mobilisation de Gérard Bapt. C'est en précurseur qu'il a engagé, il y a trois ans, sa croisade contre le bisphénol A. Monsieur le rapporteur, en 2009, vous avez interdit l'utilisation des biberons au bisphénol A dans votre commune de Saint-Jean, en Haute-Garonne. L'année suivante, votre démarche nous a permis de franchir une étape décisive, puisque les deux assemblées ont voté, à l'unanimité, l'interdiction de l'utilisation des biberons contenant du bisphénol A.

On ne compte plus les études qui sont régulièrement venues alerter les pouvoirs publics sur les effets nocifs du bisphénol A qui est un perturbateur endocrinien. Nous savons avec certitude qu'il s'agit d'une substance toxique pour l'animal. Néanmoins, ce n'est qu'en 2010, que l'ex-AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, a reconnu la présence de « signaux d'alerte » dans les études scientifiques. Cette molécule serait directement associée à certaines pathologies humaines, telles que des maladies métaboliques ou cardiovasculaires. En 2011, la nouvelle Agence nationale de sécurité de l'alimentation du travail et de l'environnement, l'ANSES, a montré que les perturbateurs endocriniens toucheraient plus particulièrement certaines populations fragiles : les nourrissons, les femmes enceintes et les femmes allaitantes seraient les premières victimes du bisphénol A.

Face à ces incertitudes, la responsabilité qui nous incombe est immense. Notre devoir, celui du Gouvernement, est d'appliquer le principe de précaution.

Le laisser-faire n'a pas sa place en matière de santé publique : douter de l'innocuité d'une substance est suffisant pour agir. Le rôle des responsables publics est d'encadrer, de réglementer, de contrôler et, le cas échéant, ensuite, de sanctionner.

Le bisphénol A est un enjeu essentiel de santé publique, dans la mesure où il entre dans la composition de nombreux objets dont les Français font un usage quotidien. On en trouve notamment dans un nombre important de contenants alimentaires. Le danger majeur vient du fait qu'il peut spontanément migrer vers les aliments.

L'examen de cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de notre démarche. Il y a un an, de nombreux députés, parmi lesquels M. Jean-Marc Ayrault et M. Gérard Bapt, ont présenté un texte, dont j'étais moi-même signataire. Il s'agit de la loi que nous défendons aujourd'hui, qui vise à « suspendre la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A ».

Avec cohérence, il s'agit désormais de compléter les dispositifs de protection des consommateurs. En matière de santé et environnement, nos prédécesseurs n'ont pas suffisamment pris la mesure de ces enjeux. Sans attendre, il faut désormais engager des efforts pour protéger les populations les plus fragiles – aujourd'hui, cela concerne les effets du bisphénol A.

S'il est nécessaire de protéger les populations les plus fragiles, cela ne suffit pas. Il faudra aller plus loin. L'ambition du Gouvernement est plus large : nous voulons protéger rapidement l'ensemble des Français des effets néfastes des perturbateurs endocriniens. Sur ce sujet, nous pouvons être collectivement fiers que la France soit pionnière en Europe.

La Conférence environnementale a été l'occasion de rappeler la mobilisation du Gouvernement. À cette occasion, le Premier ministre a affirmé la nécessité d'interdire le bisphénol A dans les contenants alimentaires. C'est la raison pour laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre l'examen de cette proposition de loi.

Dès 2013, elle permettra de suspendre la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché de contenants alimentaires produits avec du bisphénol A à destination des enfants de moins de trois ans. En 2015, elle fera disparaître l'ensemble des contenants alimentaires fabriqués avec cette substance.

Pourquoi avons-nous fait le choix d'opérer en deux étapes ? Parce que nous sommes réalistes. Nous devons tenir compte de la nécessité de trouver des produits de substitution qui ne présenteront pas de nouveaux risques pour les Français. À quoi bon remplacer une substance nocive par une autre ? Nous avons donc fait le choix d'une méthode graduelle, mais ferme, dont le terme est rapproché.

Cette proposition de loi constitue une étape décisive, mais nous devrons poursuivre notre mobilisation. À cette fin, nous avons choisi de faire vivre la démocratie environnementale. Dans la concertation, nous avons fixé des objectifs et établi une méthode pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Lors de la Conférence environnementale, j'ai moi-même rappelé l'importance des questions liées à l'apparition des risques dits « émergents ». Ces risques sont source de controverses, tant il est difficile d'appréhender et de caractériser leurs conséquences sur la santé de nos concitoyens. Il nous faut donc miser sur la recherche. Une mobilisation communautaire et internationale est essentielle pour que ces études soient menées à grande échelle.

Par ailleurs, les Français sont confrontés à d'autres expositions au bisphénol A et à des molécules dites cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Les études en cours de réalisation nous apprendront beaucoup sur ces expositions et nous permettront de prendre rapidement les mesures qui s'imposent. Toutefois, il est des mesures qu'il nous faut prendre dès à présent. Ainsi, il semble utile au Gouvernement que, grâce à un amendement du rapporteur adopté en commission, l'article 3 du texte de la commission prévoie d'interdire les tubulures comportant du DEHP dans les services de pédiatrie, de néonatalogie et de maternité. Cette interdiction sera applicable dès 2015 : un substitut inoffensif existe et les industriels produisent déjà des tubulures qui l'utilisent. En l'espèce, la question de la substitution ne se pose donc pas.

La présence de phtalates dans les dispositifs médicaux est un enjeu majeur. Nous devons être précurseurs, dans une Europe où les règles de santé publique doivent s'appliquer à tous les industriels et protéger tous les patients. S'agissant des dispositifs médicaux, le Gouvernement présentera d'ailleurs un amendement afin de corriger une situation difficilement acceptable et compréhensible. En effet, si le bisphénol A est aujourd'hui interdit dans les biberons vendus en pharmacie ou en grande surface, il reste, par contre, autorisé dans les biberons fournis dans les maternités et les services de néonatologie. Cette situation résulte, non pas d'une volonté expresse, mais d'un ensemble complexe de lois et de règlements qui avait, jusque-là, échappé à la sagacité du législateur. Nous remédierons donc à cette situation, qui est au moins incompréhensible et, en fait, inacceptable.

Ces deux dispositifs sont également l'occasion d'envoyer un signal aux industriels : il est absolument nécessaire qu'ils accélèrent leurs travaux sur les produits de substitution des phtalates et des perturbateurs endocriniens. En effet, une fois les études publiées, nous ne pouvons pas attendre plusieurs années que les industriels s'adaptent.

Je tiens enfin à redire devant vous que la prévention des risques sanitaires environnementaux doit être un axe majeur de la politique de santé. Pour être efficace, je veux organiser l'action du Gouvernement autour de trois axes.

Le premier axe est la mise en place d'un groupe de travail associant l'ensemble des acteurs de la lutte contre les perturbateurs endocriniens auquel j'ai confié la mission d'élaborer, d'ici à juin 2013, une stratégie nationale. Pour atteindre nos objectifs, il est en effet fondamental de coordonner efficacement les actions de recherche, d'expertise, d'information du public et de réflexion sur l'encadrement réglementaire.

Le deuxième axe, c'est la priorisation des actions. Le bisphénol A est le sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais, je l'ai dit, c'est l'ensemble des perturbateurs endocriniens, comme les phtalates, qui doivent faire l'objet de notre attention. Pour chaque sujet, il faut aborder le problème en nous fondant sur une expertise plurielle et contradictoire, détachée des intérêts privés. Le crédit d'une étude se mesure à l'aune de son indépendance. Aussi veillerai-je à ce que l'industrie ne soit pas juge et partie dans ce processus de recherche.

Enfin, le troisième axe de ma politique concerne les produits de substitution. Il est évidemment nécessaire qu'ils fassent la preuve de leur innocuité. Les risques et les bénéfices peuvent varier selon qu'il s'agit d'un contenant alimentaire ou d'un dispositif implantable indispensable pour sauver des vies en urgence. Il nous faut, à chaque fois, mesurer ces risques et bénéfices, car notre priorité – la seule qui vaille en matière de santé publique – est évidemment la sécurité des Français.

Mesdames, messieurs les députés, face à de tels enjeux, j'en appelle à votre responsabilité de législateur et vous demande de soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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