Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous allons examiner, en deuxième lecture, la proposition de loi visant à suspendre la commercialisation de tout conditionnement alimentaire comportant du bisphénol A, que j'avais déposée, au nom du groupe SRC, sous la législature précédente, il y a près d'un an et demi. Adoptée en première lecture par l'Assemblée le 12 octobre 2011, elle a été examinée par le Sénat lors de sa séance du 9 octobre 2012.
Est-il besoin de rappeler que le bisphénol A est désormais désigné comme le responsable de perturbations endocriniennes et de troubles de la reproduction chez l'homme ? Les effets sont avérés chez les animaux. Des études scientifiques montrent ainsi que le bisphénol A peut induire une puberté précoce chez la femelle, des altérations des organes génitaux chez le mâle comme chez la femelle, et une diminution de la fertilité. À ce propos, je souhaite rendre hommage aux lanceurs d'alerte, qui, lors de plusieurs conférences scientifiques – à Vienne, à Wingspread et, pour la dernière, à Chapel Hill, en 2006 –, ont attiré l'attention sur le danger que représente l'exposition chronique à de très faibles doses de substances chimiques dont les effets, longtemps retardés, sont difficilement décelables et échappent ainsi aux critères de la toxicologie classique.
Cette année, plusieurs études très importantes ont encore démontré la réalité du risque encouru en raison de telles expositions chroniques. Ainsi, l'équipe du docteur Nadal, de l'université d'Alicante, a montré qu'au niveau d'imprégnation en bisphénol A correspondant à celui de la population générale, on observe une libération accrue d'insuline qui contribue au développement du diabète de type B. Une autre étude menée en Chine, parue en 2012, retrouve une association significative entre imprégnation au bisphénol A et obésité. Le suivi de la cohorte concernée a d'ailleurs permis de montrer que l'association diabète-bisphénol était retrouvée chez les personnes de poids normal – et, parfois, en surpoids –, indépendamment, donc, des facteurs de risque traditionnels du diabète. Le bisphénol A apparaît donc de plus en plus comme l'un des facteurs pouvant être impliqués dans l'épidémie mondiale de diabète, qui ferait passer le nombre de patients concernés de 200 millions à 360 millions en 2030. Plus récemment, une étude expérimentale réalisée chez des primates a pu montrer qu'après exposition in utero, l'accélération de la maturation de la glande mammaire favorise le développement de lésions précancéreuses et cancéreuses, non seulement chez la mère concernée, mais aussi chez les générations suivantes par mécanisme épi-génétique. Tout comme le Distilbène, le bisphénol A pourrait donc avoir – cela avait déjà été montré chez la souris, mais le primate est le mammifère le plus proche de l'homme, notamment du point de vue du système reproducteur – un effet transgénérationnel.
La suppression du bisphénol A dans notre alimentation constitue désormais une priorité, comme Mme la ministre vient de le réaffirmer avec force. Si l'on veut protéger les femmes enceintes et allaitantes ainsi que les hommes en âge de procréer, c'est toute l'alimentation qui doit être concernée. Que ce soit par conviction ou par réalisme commercial, les industriels ne nient plus du tout le bien-fondé de cette suppression et sont désormais engagés dans la recherche de substituts. Lors de l'audition collective organisée par la commission des affaires sociales, nous avons pu constater qu'aucune fédération professionnelle ne nie plus la réalité des dégâts sanitaires occasionnés par l'exposition chronique au bisphénol. L'enjeu est donc maintenant de trouver des substituts qui aient fait la preuve de leur innocuité, ainsi que l'a indiqué le Premier ministre lors de la Conférence environnementale.
En ce qui concerne les contenants de denrées alimentaires, les auditions que nous avons conduites ont montré qu'il existe d'ores et déjà des solutions alternatives. Les résultats de l'appel à contribution de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – ANSES – publiés le 28 juin dernier dans un rapport d'étape donnent une liste de 73 substituts disponibles, pour des usages différents. Ces solutions ne sont pas toutes opérationnelles, car toutes n'ont pas fait la preuve de leur innocuité, mais la fixation d'un délai contraignant pour la disparition du bisphénol A doit permettre de mobiliser les industriels. Certaines entreprises – pas forcément françaises, hélas ! – ont pris de l'avance sur le sujet ; il s'agit de ne pas manquer ce tournant. Ainsi, une entreprise suédoise commercialise déjà des conserves à base de carton, qui peuvent contenir diverses denrées alimentaires – y compris la sauce tomate, qui est relativement acide – et dont une grande chaîne de distribution française commence à faire la promotion depuis le mois dernier. La principale difficulté consistera à trouver de nouvelles résines pour les boîtes de conserves métalliques. S'il faut faire attention à ne pas pénaliser notre industrie par des contraintes trop fortes, il faut en même temps l'inciter à se moderniser. Il ne lui servirait du reste à rien de continuer à produire des emballages dont le consommateur voudra de moins en moins.
Nous devrons également convaincre nos partenaires européens, comme nous avons réussi à le faire à propos des biberons contenant du bisphénol, qui sont interdits sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne depuis le 1er mars 2011, alors que l'agence européenne – l'EFSA, à l'époque – ne recommandait pas encore une telle interdiction. Aussi faudra-t-il considérer la façon dont l'ensemble des pays européens pourront se mobiliser sur les arguments scientifiques avancés par telle ou telle agence au sein de l'agence européenne elle-même. Trois pays européens ont d'ores et déjà décidé d'interdire la commercialisation de contenants de produits alimentaires comportant du bisphénol A et destinés à la petite enfance : le Danemark en 2010, la Belgique et la Suède en 2012.
J'en viens aux amendements du Sénat. La principale modification apportée par celui-ci est le report de dix-huit mois de l'entrée en vigueur de la suspension de la commercialisation de conditionnements alimentaires contenant du bisphénol A, soit du 1er janvier 2014, date qui était prévue dans le texte voté par l'Assemblée nationale, au 1er juillet 2015.