Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il n'est plus besoin, au stade où nous en sommes de la procédure parlementaire et de la discussion, de revenir sur ce qui est un fait acquis. Mme la ministre et M. le rapporteur, qui m'ont précédé à cette tribune, ont d'ailleurs rappelé de manière précise les principaux éléments de cette proposition de loi : la nocivité de cette substance, le BPA, ne fait plus de doute ; ses effets sont identifiés, notamment sur l'obésité, la fertilité, les problèmes endocriniens ; les plus grands risques concernent des personnes traversant des périodes particulières du développement, les femmes enceintes et allaitantes, les foetus, les bébés ; sa présence est suspectée dans à peu près tous les conditionnements et autres contenants alimentaires.
Le moment est donc venu d'agir. De ce point de vue, la proposition de loi obéit à un impératif qui constitue le premier de nos devoirs de législateur : la protection de nos concitoyens. Par ailleurs, elle s'inscrit dans un cheminement ouvert avec le Grenelle de l'environnement 2 et concrétisé par la loi du 30 juin 2010, interdisant le bisphénol A dans les biberons. Le travail de l'ANSES, qui a ouvert le processus parlementaire actuel, s'inscrit d'ailleurs lui-même dans le cadre d'une saisine des pouvoirs publics datant de 2009 sur les perturbateurs endocriniens, dont le bisphénol A.
La proposition de loi prolonge également le plan national santé environnement 2009-2013, qui proposait douze mesures pour réduire l'exposition des femmes et des enfants à des substances toxiques présentes principalement dans l'eau, l'air et l'alimentation. Elle a été précédée d'initiatives de même nature portées, par ailleurs, par notre famille politique au cours de la précédente législature, concernant notamment l'utilisation des phtalates, des parabènes et des alkylphénols.
L'impératif et la cohérence font de cette proposition de loi un texte « translégislature » et « transpartisan » qui nous amènera à une réflexion élargie et prospective sur les bons moyens de prévention des risques sanitaires et environnementaux, réflexion inspirée par vos propos, madame la ministre, en préambule de cette discussion générale. Car, au fond, on voit bien avec ce texte, comme d'autres qui l'ont précédé, que nous ne faisons là qu'un saut de puce supplémentaire, aussi utile et pertinent soit-il. Nous regrettons que le temps très long qu'il aura fallu pour l'adoption de cette proposition de loi n'ait pas été, pour le précédent gouvernement tout comme pour l'actuel, l'occasion d'un enrichissement. Nous aurions peut-être pu faire d'une action législative ponctuelle un véritable projet de politique sanitaire, dont vous faites une priorité au sein de votre mission ministérielle.
Comment aller plus loin ? Comment penser plus large ? Comment viser un cap et donner une stratégie à notre sécurité sanitaire ? Nous touchons là à des sujets essentiels, les futurs dangers pour la santé de nos concitoyens, les moyens de les anticiper via la recherche publique et privée, et la capacité des industries à transformer parfois radicalement leurs chaînes de production.
Le paysage de la sécurité sanitaire s'est beaucoup complexifié ces dix dernières années, tandis que s'accroissait l'attente de nos concitoyens. Beaucoup de monde s'y côtoie, à tel point que les nombreux partenaires et acteurs qui mettent en oeuvre des programmes dans différents pays font parfois double emploi.
Le champ des enjeux sanitaires est, lui-même, plus vaste qu'il ne l'a jamais été. Il déborde largement le périmètre de la sécurité alimentaire, qui constitue pourtant un secteur d'investigation considérable. Beaucoup d'autres controverses apparaissent, et continueront d'apparaître dans les années à venir : les infections nosocomiales et les infections liées aux soins en général ; la gestion des risques iatrogènes ; la sécurité sanitaire environnementale – qui évoque notamment le saturnisme infantile, les pathologies liées à l'amiante, la santé au travail ; la radioprotection et les risques sanitaires liés aux rayonnements ; le bioterrorisme ; la veille sanitaire, c'est-à-dire l'épidémiologie, la surveillance et la gestion d'une épidémie.
Ce texte aurait pu ouvrir des pistes, celles de nos vigies nationales, de nos centres d'alerte et du nécessaire renforcement de leurs moyens. Je veux parler des agences, notamment l'INSERM ou l'ANSES. Grâce à l'ANSES, la France a été la première en Europe à révéler l'existence de mélanges fortuits de semences OGM avec des semences conventionnelles, comme vous l'avez récemment rappelé, monsieur le rapporteur. Elle a permis à la France de jouer un rôle fondamental, ces dix dernières années, pour améliorer la sécurité sanitaire et environnementale des OGM. Encore récemment, le 16 mars 2012, un arrêté suspendait la mise en culture de variétés de semences de maïs génétiquement modifié.
Mais le propos pourrait être élargi au programme budgétaire 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui finance l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'environnement et du travail – l'ANSES –, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, le Centre scientifique et technique du bâtiment, l'Institut français du pétrole énergies nouvelles, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, ainsi que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Cette petite galaxie de la recherche et de l'alerte publique représente 1,418 488 070 milliard d'euros d'autorisations d'engagement et 1,380 488 070 milliard d'euros de crédits de paiement.
Malgré le statut particulier de ces agences, qui leur permet de bénéficier de facilités pour recruter des compétences inhabituelles dans les services de l'État et pour conclure des partenariats avec les collectivités territoriales ou les acteurs de la société civile, ces budgets ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. En effet, ils ne sont pas à la hauteur de ce qu'exigent l'indépendance et l'assurance de l'impartialité, qui, dans ces domaines, sont vitaux ; ils ne permettent pas non plus aux agences de s'autosaisir librement de prospections sur fonds publics pour évaluer les réglementations et les protocoles. Mes chers collègues, nous avons réformé la Constitution pour donner davantage de droits au Parlement, mais celui-ci ne peut toujours pas, par exemple, saisir ces grandes agences d'expertise.
Nous devons, en parallèle, faire preuve d'une plus grande rigueur que par le passé, car si l'expertise publique française a été structurée par les crises sanitaires du début des années 1990 – l'affaire du sang contaminé, celle de l'hormone de croissance, le scandale de l'amiante, l'affaire de la vache folle –, ces agences, quelle que soit la qualité du travail qu'elles ont accompli par ailleurs et le dévouement de leurs agents, n'ont pas empêché la survenue de nouvelles catastrophes comme celle d'AZF ou le scandale du Mediator.
L'efficacité passe par une indépendance absolue, par le recrutement d'experts indépendants, par la stricte protection des lanceurs d'alerte. Il s'agit d'éviter de nouveaux combats du style Monsanto-Séralini. C'est pourquoi il nous semblerait utile de confier l'ensemble du contrôle ainsi que l'application des sanctions à un organisme indépendant et extérieur à la profession sanitaire et médicale. Cet organisme assurerait également la formation des experts sur les liens d'intérêts et sur leurs responsabilités.
Après l'indépendance, la deuxième piste est celle de l'interdépendance. Le coût de la recherche est considérable. Pour le bisphénol A, le remplacement de cette molécule toxique par un substitut non toxique dans un temps contraint – même si le délai a été allongé – pose la question du financement, ou plutôt de la mobilisation de toutes les expertises.
Selon les estimations, les coûts réels des recherches pour de nouvelles molécules seraient de l'ordre de 43 millions de dollars en valeur médiane, et toutes les industries ne disposent pas nécessairement des ressources suffisantes pour mener à bien ces recherches.
Je crois qu'il conviendrait d'associer les talents plutôt que de les opposer. Bien sûr, le principe de base est qu'il revient aux industriels d'apporter la preuve que les produits qu'ils mettent sur le marché ne sont pas dangereux pour la santé. Le rôle des agences sanitaires est de contre-expertiser les éléments et études figurant aux dossiers, le coût financier des études revenant aux industriels.
Une fois cette étape passée, l'élaboration d'une nouvelle substance devrait, elle aussi, obéir à une démarche concertée entre puissance publique et organismes privés. C'est donc avec beaucoup de précaution, parce que le sujet s'y prête, que nous nous engageons à voter ce texte, en regrettant qu'il n'ait pas d'emblée initié une politique nationale de prévention sanitaire – dont vous nous avez rappelé les contours, madame la ministre –, en se fondant sur les deux axes principaux que je viens d'évoquer.