Intervention de Jean-Marc Falcone

Réunion du 12 février 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale :

Je vous remercie de me donner l'occasion de participer à cette commission d'enquête pour donner des précisions sur le sujet, très important pour moi et pour mes équipes, du maintien de l'ordre public. Je suis accompagné de M. Philippe Klayman, préfet, directeur central des compagnies républicaines de sécurité.

Contrairement à certains représentants du ministère qui ont été entendus par la commission, comme le préfet de police de Paris, je n'ai pas de responsabilité opérationnelle directe même si j'ai la charge des 140 000 hommes qui composent la police nationale. Il me revient, en qualité de directeur général de la police nationale, de conduire une action dans plusieurs domaines dont les conséquences directes sur les questions d'ordre public intéressent votre commission d'enquête.

Je pense en particulier aux sujets qui touchent à la sécurité des policiers et des manifestants : la formation des policiers au maintien de l'ordre, la déontologie, le contrôle interne, l'équipement des forces de l'ordre et la doctrine du maintien de l'ordre. Ma préoccupation constante est de donner tous les outils et les moyens nécessaires aux policiers afin que l'exercice des missions de maintien de l'ordre respecte scrupuleusement les cadres légaux et réglementaires et permette l'exercice des libertés publiques.

Je considère que le rôle d'un responsable de la police nationale consiste d'abord à créer les conditions d'exercice des libertés publiques. Le rétablissement de l'ordre, en limitant au maximum l'usage de la force, ne doit venir que dans un second temps.

Une fois ces principes posés, je rappelle que la gestion de l'ordre public est fondamentalement complexe et ne peut s'envisager comme une science exacte. Je rends devant vous hommage aux hommes et aux femmes qui exercent cette mission délicate au sein de la police nationale.

Les nouvelles formes de contestation peuvent être de nature à rompre l'équilibre entre l'expression des libertés publiques et la préservation de l'ordre public.

Je tiens tout d'abord à revenir sur le cadre juridique et opérationnel du maintien de l'ordre.

Pour répondre à la double obligation de préservation des libertés publiques et de maintien de l'ordre, la police nationale dispose de ressources et de moyens spécifiques, au premier rang desquels se trouvent les compagnies républicaines de sécurité. La police nationale fait aujourd'hui des efforts particulièrement soutenus en matière de formation, d'équipement et d'amélioration des réponses opérationnelles.

Les interventions des policiers s'inscrivent dans un cadre juridique strict. Hérité de la période révolutionnaire, le cadre juridique de l'usage de la force se fonde sur un nombre limité de règles. Il s'agit notamment de l'appréciation de la matérialité de l'attroupement et de l'opportunité de sa dispersion, du protocole des sommations et du contrôle a posteriori du juge.

Au-delà de ce cadre juridique, une éthique du maintien de l'ordre a été développée au sein de la police nationale. Le récent code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie, applicable depuis le 1er janvier 2014, traduit largement cet effort d'encadrement des pratiques sur le terrain. Le recueil sur l'organisation tactique des CRS rappelle l'obligation du respect scrupuleux de ce code de déontologie.

De nouvelles formes de contestations ont émergé dans les dernières années. Les forces de l'ordre sont aujourd'hui confrontées à des manifestations dont les formes diffèrent, à bien des égards, de celles que nous connaissions il y a une vingtaine d'années. Elles sont plus souvent spontanées, en lien avec l'actualité internationale couverte de manière instantanée par les médias, moins souvent déclarées et encadrées par des organisateurs responsables ; elles sont également le fait de groupes plus structurés et parfois violents ; elles sont enfin plus hétérogènes, mêlant des manifestants pacifiques, des délinquants et des provocateurs organisés tels que les No Borders ou les Black blocs.

Dans leur expression violente, ces nouvelles formes de contestation bénéficient d'une couverture médiatique considérable et immédiate, qui les rend encore moins acceptables pour l'opinion publique.

Face à ces évolutions, nous devons donner toute sa place au renseignement et adapter notre engagement sur le terrain pour apporter une réponse appropriée.

Le renseignement doit être placé au coeur de la préparation de la manifestation. La réforme du renseignement en 2014 qui s'est traduite par la création du service central du renseignement territorial (SCRT) permet d'atteindre cet objectif en termes de prévision et d'analyse.

Une plus grande qualité du renseignement doit nous permettre de toujours mieux adapter l'engagement des forces d'intervention, en termes de volume, de spécialisation technique des unités et de manoeuvre opérationnelle.

La doctrine française du maintien de l'ordre reste une référence. Elle repose sur deux principes simples : prévenir les troubles pour ne pas avoir à les réprimer et éviter l'usage des armes en faisant preuve, jusqu'aux dernières limites, de calme et de sang-froid.

Plusieurs spécificités de notre modèle méritent d'être rappelées. Je pense tout d'abord aux forces spécialisées et projetables sur l'ensemble du territoire national ainsi qu'aux compagnies d'intervention de la sécurité publique, présentes dans les grandes villes, dont les membres sont eux aussi des professionnels du maintien de l'ordre.

Ensuite, la distinction historique et juridique entre l'autorité civile décidant de l'emploi de la force et le commandant de la force publique chargé de la mettre en oeuvre demeure nécessaire. Cette dichotomie garantit le recul nécessaire à l'appréciation la plus juste des situations les plus compliquées ou les plus confuses.

Les modes d'action de nos forces mobiles sont exemplaires, parce que ces forces sont formées, répondent à une déontologie, bénéficient d'un encadrement et d'un équipement adaptés et respectent un cadre d'emploi strict.

La police nationale cherche en permanence à améliorer ses pratiques pour garantir dans la durée le professionnalisme des effectifs et la préservation des libertés publiques.

Ces efforts d'amélioration passent d'abord par une politique de formation initiale et continue volontariste. Des stages communs réunissent désormais les trois corps de la police, du gardien au commissaire, pour la gestion des violences urbaines. Des formations communes entre CRS et escadrons de gendarmerie mobile (EGM) ont été mises en place.

Ensuite, les analyses comparatives avec nos voisins européens nous permettent de tirer profit des meilleures pratiques de ces pays.

Enfin, l'efficacité de notre contrôle interne et la systématisation des évaluations et des retours d'expériences contribuent à l'adaptation constante de nos pratiques.

Plusieurs retours d'expériences de manifestations récentes nous ont permis d'améliorer notre doctrine ou nos équipements. Ce fut par exemple le cas des manifestations de février 2014 à Nantes, qui nous ont conduits à faire évoluer la doctrine d'emploi des lanceurs d'eau et la doctrine paramédicale au profit des tiers et des forces de l'ordre.

De la même manière, au cours des manifestations post-Sivens à Toulouse à l'automne 2014, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) a expérimenté des dispositifs d'emploi coordonnés de policiers en civil et d'unités d'intervention.

S'agissant du maintien de l'ordre, comme d'autres domaines d'action de la police, rien n'est acquis. La recherche de l'équilibre est une préoccupation constante.

Ainsi, à titre d'exemple, à la suite de sa mission conduite avec 1'Inspection générale de la gendarmerie nationale sur l'emploi des munitions en opérations de maintien de l'ordre, l'Inspection générale de la police nationale a proposé la constitution d'un groupe de travail sur l'évolution de la doctrine de maintien de l'ordre. Ce groupe de travail sera élargi à des membres extérieurs aux forces de sécurité : sociologues, universitaires, etc.

En outre, comme le ministre de l'intérieur l'a déjà précisé lors de son audition, il nous faut simplifier le processus des sommations afin de les rendre plus compréhensibles pour les manifestants.

Par ailleurs, la place de l'autorité civile doit être confortée.

Ensuite, au vu des événements récents, je pense que l'intensification des échanges avec les organisateurs de manifestations est nécessaire. Cette concertation pourrait même être rendue obligatoire.

Enfin, la formation de l'ensemble de la chaîne décisionnelle et hiérarchique doit être professionnalisée. À cette fin, la mise en oeuvre du rapport Lambert portant sur la formation du corps préfectoral au maintien de l'ordre ainsi qu'à l'animation et à la coordination du renseignement, est souhaitable.

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