La réunion

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L'audition commence à dix heures dix.

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Monsieur le directeur, je vous remercie d'avoir répondu à notre sollicitation. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander, ainsi qu'à ceux de vos collaborateurs qui sont appelés à s'exprimer, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Marc Falcone et M. Philippe Klayman prêtent serment.)

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Je vous invite à nous faire part de vos observations sur le sujet qui intéresse notre commission d'enquête, avant de répondre aux questions du rapporteur puis des autres commissaires présents.

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Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale

Je vous remercie de me donner l'occasion de participer à cette commission d'enquête pour donner des précisions sur le sujet, très important pour moi et pour mes équipes, du maintien de l'ordre public. Je suis accompagné de M. Philippe Klayman, préfet, directeur central des compagnies républicaines de sécurité.

Contrairement à certains représentants du ministère qui ont été entendus par la commission, comme le préfet de police de Paris, je n'ai pas de responsabilité opérationnelle directe même si j'ai la charge des 140 000 hommes qui composent la police nationale. Il me revient, en qualité de directeur général de la police nationale, de conduire une action dans plusieurs domaines dont les conséquences directes sur les questions d'ordre public intéressent votre commission d'enquête.

Je pense en particulier aux sujets qui touchent à la sécurité des policiers et des manifestants : la formation des policiers au maintien de l'ordre, la déontologie, le contrôle interne, l'équipement des forces de l'ordre et la doctrine du maintien de l'ordre. Ma préoccupation constante est de donner tous les outils et les moyens nécessaires aux policiers afin que l'exercice des missions de maintien de l'ordre respecte scrupuleusement les cadres légaux et réglementaires et permette l'exercice des libertés publiques.

Je considère que le rôle d'un responsable de la police nationale consiste d'abord à créer les conditions d'exercice des libertés publiques. Le rétablissement de l'ordre, en limitant au maximum l'usage de la force, ne doit venir que dans un second temps.

Une fois ces principes posés, je rappelle que la gestion de l'ordre public est fondamentalement complexe et ne peut s'envisager comme une science exacte. Je rends devant vous hommage aux hommes et aux femmes qui exercent cette mission délicate au sein de la police nationale.

Les nouvelles formes de contestation peuvent être de nature à rompre l'équilibre entre l'expression des libertés publiques et la préservation de l'ordre public.

Je tiens tout d'abord à revenir sur le cadre juridique et opérationnel du maintien de l'ordre.

Pour répondre à la double obligation de préservation des libertés publiques et de maintien de l'ordre, la police nationale dispose de ressources et de moyens spécifiques, au premier rang desquels se trouvent les compagnies républicaines de sécurité. La police nationale fait aujourd'hui des efforts particulièrement soutenus en matière de formation, d'équipement et d'amélioration des réponses opérationnelles.

Les interventions des policiers s'inscrivent dans un cadre juridique strict. Hérité de la période révolutionnaire, le cadre juridique de l'usage de la force se fonde sur un nombre limité de règles. Il s'agit notamment de l'appréciation de la matérialité de l'attroupement et de l'opportunité de sa dispersion, du protocole des sommations et du contrôle a posteriori du juge.

Au-delà de ce cadre juridique, une éthique du maintien de l'ordre a été développée au sein de la police nationale. Le récent code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie, applicable depuis le 1er janvier 2014, traduit largement cet effort d'encadrement des pratiques sur le terrain. Le recueil sur l'organisation tactique des CRS rappelle l'obligation du respect scrupuleux de ce code de déontologie.

De nouvelles formes de contestations ont émergé dans les dernières années. Les forces de l'ordre sont aujourd'hui confrontées à des manifestations dont les formes diffèrent, à bien des égards, de celles que nous connaissions il y a une vingtaine d'années. Elles sont plus souvent spontanées, en lien avec l'actualité internationale couverte de manière instantanée par les médias, moins souvent déclarées et encadrées par des organisateurs responsables ; elles sont également le fait de groupes plus structurés et parfois violents ; elles sont enfin plus hétérogènes, mêlant des manifestants pacifiques, des délinquants et des provocateurs organisés tels que les No Borders ou les Black blocs.

Dans leur expression violente, ces nouvelles formes de contestation bénéficient d'une couverture médiatique considérable et immédiate, qui les rend encore moins acceptables pour l'opinion publique.

Face à ces évolutions, nous devons donner toute sa place au renseignement et adapter notre engagement sur le terrain pour apporter une réponse appropriée.

Le renseignement doit être placé au coeur de la préparation de la manifestation. La réforme du renseignement en 2014 qui s'est traduite par la création du service central du renseignement territorial (SCRT) permet d'atteindre cet objectif en termes de prévision et d'analyse.

Une plus grande qualité du renseignement doit nous permettre de toujours mieux adapter l'engagement des forces d'intervention, en termes de volume, de spécialisation technique des unités et de manoeuvre opérationnelle.

La doctrine française du maintien de l'ordre reste une référence. Elle repose sur deux principes simples : prévenir les troubles pour ne pas avoir à les réprimer et éviter l'usage des armes en faisant preuve, jusqu'aux dernières limites, de calme et de sang-froid.

Plusieurs spécificités de notre modèle méritent d'être rappelées. Je pense tout d'abord aux forces spécialisées et projetables sur l'ensemble du territoire national ainsi qu'aux compagnies d'intervention de la sécurité publique, présentes dans les grandes villes, dont les membres sont eux aussi des professionnels du maintien de l'ordre.

Ensuite, la distinction historique et juridique entre l'autorité civile décidant de l'emploi de la force et le commandant de la force publique chargé de la mettre en oeuvre demeure nécessaire. Cette dichotomie garantit le recul nécessaire à l'appréciation la plus juste des situations les plus compliquées ou les plus confuses.

Les modes d'action de nos forces mobiles sont exemplaires, parce que ces forces sont formées, répondent à une déontologie, bénéficient d'un encadrement et d'un équipement adaptés et respectent un cadre d'emploi strict.

La police nationale cherche en permanence à améliorer ses pratiques pour garantir dans la durée le professionnalisme des effectifs et la préservation des libertés publiques.

Ces efforts d'amélioration passent d'abord par une politique de formation initiale et continue volontariste. Des stages communs réunissent désormais les trois corps de la police, du gardien au commissaire, pour la gestion des violences urbaines. Des formations communes entre CRS et escadrons de gendarmerie mobile (EGM) ont été mises en place.

Ensuite, les analyses comparatives avec nos voisins européens nous permettent de tirer profit des meilleures pratiques de ces pays.

Enfin, l'efficacité de notre contrôle interne et la systématisation des évaluations et des retours d'expériences contribuent à l'adaptation constante de nos pratiques.

Plusieurs retours d'expériences de manifestations récentes nous ont permis d'améliorer notre doctrine ou nos équipements. Ce fut par exemple le cas des manifestations de février 2014 à Nantes, qui nous ont conduits à faire évoluer la doctrine d'emploi des lanceurs d'eau et la doctrine paramédicale au profit des tiers et des forces de l'ordre.

De la même manière, au cours des manifestations post-Sivens à Toulouse à l'automne 2014, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) a expérimenté des dispositifs d'emploi coordonnés de policiers en civil et d'unités d'intervention.

S'agissant du maintien de l'ordre, comme d'autres domaines d'action de la police, rien n'est acquis. La recherche de l'équilibre est une préoccupation constante.

Ainsi, à titre d'exemple, à la suite de sa mission conduite avec 1'Inspection générale de la gendarmerie nationale sur l'emploi des munitions en opérations de maintien de l'ordre, l'Inspection générale de la police nationale a proposé la constitution d'un groupe de travail sur l'évolution de la doctrine de maintien de l'ordre. Ce groupe de travail sera élargi à des membres extérieurs aux forces de sécurité : sociologues, universitaires, etc.

En outre, comme le ministre de l'intérieur l'a déjà précisé lors de son audition, il nous faut simplifier le processus des sommations afin de les rendre plus compréhensibles pour les manifestants.

Par ailleurs, la place de l'autorité civile doit être confortée.

Ensuite, au vu des événements récents, je pense que l'intensification des échanges avec les organisateurs de manifestations est nécessaire. Cette concertation pourrait même être rendue obligatoire.

Enfin, la formation de l'ensemble de la chaîne décisionnelle et hiérarchique doit être professionnalisée. À cette fin, la mise en oeuvre du rapport Lambert portant sur la formation du corps préfectoral au maintien de l'ordre ainsi qu'à l'animation et à la coordination du renseignement, est souhaitable.

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Je tiens compte dans mes questions de l'état d'avancement de nos travaux et de la spécificité de votre position que vous avez rappelée en préambule.

Vous avez évoqué l'emploi coordonné de CRS et de personnes en civil dans les manifestations. Cette pratique correspond-elle à une nouvelle doctrine ? Des consignes ont-elles été données pour la développer ? Les interpellations au coeur des manifestations ne sont-elles pas de nature à gêner le bon déroulement des opérations de maintien de l'ordre dont l'objectif est de canaliser les foules ?

S'agissant de la neutralisation des fauteurs de troubles qui viennent parfois perturber des manifestations pacifiques aux motifs légitimes, les exigences du maintien de l'ordre peuvent-elles constituer un obstacle à la bonne application des règles de procédure pénale, qu'il s'agisse de l'administration de la preuve ou du respect des droits des personnes incriminées ? Quels progrès ont été accomplis en matière d'imputation des faits, de délais de présentation et de qualité des actes de procédure ? Que peut-on encore améliorer ?

Le rôle essentiel du renseignement pour le bon déroulement des manifestations a été souligné à maintes reprises lors des auditions. Faut-il renforcer le renseignement territorial ? Le ministre de l'intérieur a annoncé son intention de corriger l'affaiblissement de ce dernier consécutif à la suppression des Renseignements généraux et à la création de la DCRI, qui a vécu depuis. Comment peut-on mobiliser un service de renseignement territorial qui serait redéployé ?

Que pensez-vous de l'idée, sur laquelle les avis sont partagés, consistant à appliquer aux manifestations sur la voie publique le modèle, qui a démontré son efficacité, des manifestations sportives, à savoir l'interdiction administrative ? En matière sportive, l'interdiction de stade est relativement simple à faire respecter. Si l'interdiction de manifester, qui serait strictement encadrée car elle est restrictive des libertés individuelles, vous semble souhaitable, comment peut-on la faire respecter ? Rien ne serait pire qu'une règle inapplicable.

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Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale

La pratique que vous évoquez est de plus en plus répandue dans les manifestations susceptibles de dégénérer ou d'entraîner des troubles graves à l'ordre public. Ce dispositif conjugue la présence de forces de l'ordre en tenue dont la mission première est le maintien et le rétablissement de l'ordre public avec l'intervention d'unités, souvent en civil, dont la mission consiste à interpeller d'éventuels fauteurs de troubles ou casseurs.

Ce dispositif existe certainement à Paris mais il est aussi mis en place en province, à Toulouse ou à Nantes par exemple. Les unités en civil sont déployées en marge des manifestations afin de procéder éventuellement à des interpellations. À la différence des forces de l'ordre qui sont lourdement équipées pour se protéger, ces unités disposent de la mobilité et de l'expérience requises pour interpeller les auteurs d'infractions.

Quant aux moyens de preuve, le recours à la vidéo est de plus en plus fréquent, les images provenant des caméras sur la voie publique mais aussi de matériels spécifiques dont sont dotées les forces de l'ordre. La vidéo est utile pour établir les éléments constitutifs de l'infraction.

En matière d'interpellation, j'encourage les préfets et les DDSP à travailler en amont avec le procureur de la République. Un substitut du procureur est souvent présent dans le poste de commandement opérationnel lors des manifestations sportives pour prendre les dispositions juridiques nécessaires et donner des instructions aux forces de l'ordre. Cette présence conforte la sécurité juridique des procédures.

Nous faisons appel pour les interpellations, aux côtés de forces de maintien de l'ordre, aux brigades anti-criminalité mais aussi aux unités de police judiciaire car l'intervention d'officiers de police judiciaire permet de constater l'infraction par procès-verbal.

La réforme du renseignement a donné lieu à la dissolution de la direction centrale des renseignements généraux, qui comptait alors 3 300 agents, et à la création de la direction centrale du renseignement intérieur et du service d'information générale qui avait vocation à assurer en partie les missions exercées par les renseignements généraux. Mais, avec 1 000 fonctionnaires seulement pour ce service, la capacité d'analyse et de renseignement a été perdue.

Depuis, la création en milieu d'année dernière du SCRT a permis la montée en puissance du renseignement territorial : 2 200 agents y travaillent, auxquels s'ajouteront les 350 postes annoncés par le Gouvernement, qui sont bienvenus. Ces effectifs seront répartis sur l'ensemble du territoire pour assurer un renseignement de proximité. Des sections zonales ont été créées, réunissant 25 à 30 fonctionnaires qui peuvent être affectés à la surveillance de manifestations à risques.

S'agissant de l'interdiction administrative, il est facile d'interdire l'accès à un stade : les personnes concernées sont connues des services de sécurité et ont souvent l'obligation de pointer au commissariat ou à la gendarmerie lors des matchs.

Pour les manifestations, je ne conteste pas la pertinence de ce dispositif. Mais il me semble bien plus compliqué à mettre en oeuvre sauf à imposer aux personnes d'aller pointer au moment de la manifestation. Cette solution serait une réponse pragmatique à votre interrogation.

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Mais une fois qu'ils ont pointé, ils sont libres de repartir…

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Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale

C'est la limite de l'exercice. La durée d'un match est restreinte et une fois les portes fermées, il n'est plus possible d'y assister. Pour une manifestation qui peut durer une demi-journée et se déroule sur la voie publique, la mesure est plus difficile à faire respecter, je vous le concède.

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S'agissant du régime d'emploi des armes, existe-t-il aujourd'hui des différences légitimes entre les fonctionnaires de la police nationale et ceux de la gendarmerie ?

Quelles sont vos propositions pour faire évoluer les protocoles de sommation ?

Le ministre de l'intérieur souhaite une plus grande implication de l'autorité civile. Une mission relative à la formation du corps préfectoral, dont on connaît la diversité, a été confiée au préfet Christian Lambert. Pensez-vous qu'il appartient au préfet de gérer la manoeuvre sur le terrain ? Je ne suis pas sûr que les conseillers d'État, qui peuvent être amenés à occuper des fonctions de préfet, soient formés pour gérer une manoeuvre opérationnelle, quelles que soient leurs qualités par ailleurs. La fonction d'autorité civile ne devrait-elle pas dans ce cas être exercée par le DDSP ?

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Chacun s'accorde sur la nécessité de responsabiliser les organisateurs des manifestations. Lors de son audition, le préfet Boucault a regretté l'absence dans les textes d'obligation de négociation avec les organisateurs. Doit-on instaurer une concertation préalable obligatoire ? Quel devrait en être le contenu ? Faut-il prévoir une sanction en cas de non-respect qui pourrait aller jusqu'à l'interdiction de la manifestation mais pourrait aussi prendre la forme d'amendes infligées lors du déroulement de celle-ci, comme cela existe pour les manifestations sportives ?

Je partage l'inquiétude de M. Larrivé sur le rôle opérationnel confié à l'autorité civile. Celle-ci prend la responsabilité d'autoriser une manifestation, elle est la garante de la concertation. Son implication est donc déjà importante. En revanche, je fais plus confiance à un commandant de groupement de gendarmerie ou à un DDSP pour les missions opérationnelles. L'intervention du préfet me paraît de nature à introduire une ambiguïté dans la chaîne opérationnelle.

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On entend s'exprimer, pour la gendarmerie, les officiers supérieurs voire le directeur général, pour la justice, le procureur. En revanche, sur les événements faisant intervenir la police, ce sont les organisations syndicales qui prennent la parole…J'en suis toujours étonné.

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L'idée d'une interdiction administrative de manifester est avancée de manière récurrente dans nos auditions. Pourtant, j'ai quelques doutes sur sa faisabilité. Même si la personne visée est obligée de se présenter au commissariat, rien ne l'empêche de participer à la fin de la manifestation dont on sait qu'elle est le moment le plus délicat.

La question des relations entre l'autorité civile et les forces de maintien de l'ordre est abordée dans chacune de nos auditions. J'y vois le signe d'un problème à résoudre. La réponse se trouve-t-elle dans la présence de l'autorité civile sur le terrain ou dans un travail plus efficace sur les consignes ? Même formés au maintien de l'ordre, les préfets n'ont pas vocation à jouer le rôle des responsables opérationnels dont c'est le métier.

Il est envisagé de compléter le régime déclaratoire par une obligation de concertation. Mais dès lors que des organisateurs sont identifiés – manifestations sociales, démocratiques –, la concertation est déjà une réalité. L'obligation viserait d'autres organisateurs plus dissous, moins contrôlables, avec le risque que ceux-ci refusent de se prêter à la concertation et que la manifestation soit finalement interdite. Mesure-t-on toutes les conséquences de cette évolution ?

Enfin, on parle beaucoup des nouvelles formes de contestation très violentes. Dans les zones non urbaines, on comprend à qui renvoie cette expression mais dans les zones urbaines, qui sont ces groupes contestataires ?

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Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale

Le régime d'emploi des armes est identique pour les forces de maintien de l'ordre, qu'elles soient issues de la police ou de la gendarmerie. Depuis l'interdiction des grenades offensives par le ministre de l'intérieur, les deux forces disposent des mêmes armes, la doctrine et les méthodes étant déjà unifiées.

En matière de sommation, certaines personnes sont des habituées des manifestations, elles sont en quelque sorte formées en cas de dérapage et comprennent le jeu des sommations. Mais d'autres personnes – nous l'avons constaté à l'occasion des manifestations contre le mariage pour tous, par exemple – n'ont pas cette expérience : elles ignorent les règles en la matière et ne sont pas réceptives aux instructions données par l'officier de police judiciaire. Or, le non-respect d'une sommation est constitutif d'une infraction pénale qui peut justifier une intervention des forces de l'ordre.

À partir des retours d'expérience et des audits commandés par le ministre de l'intérieur aux inspections générales des deux forces, nous réfléchissons à la meilleure manière de faire des sommations afin de lever tout doute sur leur signification dans l'esprit des manifestants. Rien n'est décidé pour le moment. Les sommations pouvaient jusqu'à présent être doublées de fusées mais l'usage s'est perdu. On évoque désormais des ballons ou d'autres signes susceptibles d'attirer l'attention des manifestants.

Sur le rôle de l'autorité civile, soyons précis. Selon moi, il appartient à l'autorité civile – préfet ou personne mandatée par lui – de décider à quel moment il peut être fait usage de la force. Le maintien de l'ordre n'est pas son métier. Toutefois, le rapport Lambert doit être mis en oeuvre car les nombreux membres du corps préfectoral qui sont appelés à faire de l'intérim du préfet doivent connaître la chaîne hiérarchique de l'ordre public et les moyens à disposition. L'autorité civile apprécie l'opportunité de l'usage de la force. Lorsqu'elle décide le recours à la force, il lui appartient ensuite d'y mettre fin et d'en donner l'ordre au commandant. L'autorité fixe un objectif au commandement de la force publique à qui revient le choix des moyens à employer pour l'atteindre. Celui-ci peut dans ce cadre solliciter l'autorisation d'utiliser des grenades lacrymogènes instantanées qui nécessite une quatrième sommation. L'autorité civile se prononce alors au vu d'éléments objectifs et d'une analyse politique de la situation.

Les rôles sont bien établis. Le préfet n'a pas vocation à commander les forces publiques. C'est un métier d'assurer l'ordre public et d'engager des hommes qui ont l'habitude de travailler en unités constituées et qui reconnaissent leur chef et le suivent. Les rôles de chacun doivent être délimités. Il faut insister sur ce point lors de la formation des membres du corps préfectoral.

Mon expérience de préfet territorial m'a appris que les défilés du 1er mai ne sont pas un sujet. Les participants ont l'habitude de manifester ; les discussions se limitent à l'itinéraire.

En revanche, certaines personnes ne demandent aucune autorisation pour se rassembler spontanément. Malgré la bonne volonté des services de renseignement, nous pouvons être pris au dépourvu. La concertation est dans ce cas difficile.

Nous avons également affaire à des organisateurs qui viennent nous voir en craignant des perturbations ou des contre-manifestations. La mission du préfet consiste alors à convoquer les personnes, à mettre en garde contre les perturbations et à recommander la mise en place d'un dispositif de service d'ordre. Il m'est arrivé de proposer de désigner des correspondants dans les abords des manifestations pour que les organisateurs puissent signaler des problèmes. C'est ainsi que je conçois la concertation.

Dans les zones urbaines, les groupes sont composés de perturbateurs aux origines diverses : des extrémistes, des voyous.

Vous avez raison, monsieur Delcourt, dans la police nationale, les syndicats s'expriment beaucoup. Il y a une raison à cela : pendant longtemps, ils ont été les seuls à répondre aux médias. Ce phénomène n'est pas nouveau mais il a pris de l'ampleur. Je m'évertue à demander aux directeurs des services de police au niveau territorial de s'exprimer. J'encourage également le porte-parole du ministère de l'intérieur à intervenir davantage. Je me félicite des progrès en ce sens. J'ai noté comme vous le manque d'expression de l'institution lors des récentes manifestations à Nantes et Toulouse ayant pourtant donné lieu à d'importants troubles à l'ordre public.

J'ai souhaité lors des grosses manifestations en province la présence d'un état-major qui apporte son expertise pour mieux gérer la manifestation sans toutefois se substituer aux responsables sur place. J'ai également sollicité la présence de personnels du service de communication de la direction générale de la police nationale pour faire entendre une voix institutionnelle.

Ce relatif silence des autorités policières n'est pas propre aux manifestations, il s'observe aussi pour les faits divers. J'essaie d'encourager les patrons de la police à prendre la parole mais ils sont très prudents dans leur expression afin de ne pas gêner l'autorité judiciaire. Je leur recommande de s'en tenir aux faits sans entrer dans le détail de la procédure judiciaire.

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À la différence de la gendarmerie, les CRS ne disposent pas d'un centre de formation unique. Comment dans ces conditions vous assurez-vous de l'uniformisation des opérations de maintien et de la doctrine ainsi que de l'homogénéité entre les compagnies ?

Quel est le nombre de jours d'emploi annuel pour les CRS ? Quelle est la durée moyenne d'une intervention ? Comment s'opèrent les relèves ? Comment est déterminée la fin d'une mission pour une compagnie ?

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Votre expérience de préfet vous donne un double éclairage intéressant sur les questions de maintien de l'ordre.

De nombreuses personnes s'interrogent sur l'opportunité de territorialiser les forces de maintien de l'ordre, en particulier les CRS. Cette solution présente l'avantage de faciliter une meilleure connaissance du terrain mais aussi l'inconvénient de limiter la mobilité au gré des besoins. En outre, la frontière entre les missions relevant de l'ordre public, d'une part, et de la sécurité publique, d'autre part, semble un peu floue. Compte tenu de ces éléments, la territorialisation vous semble-t-elle une bonne idée ?

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Vous avez esquissé une typologie des manifestations. Dans quels cas la concertation préalable obligatoire s'imposerait-elle ? Quelles conséquences seraient attachées à l'échec de la concertation ? Peut-on imaginer une interdiction de la manifestation ?

Peut-on envisager des unités de maintien de l'ordre communes aux deux forces de sécurité marquant l'aboutissement de la mutualisation ?

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Êtes-vous favorable à une systématisation de l'enregistrement vidéo des manifestations ? Nous sommes très en retard, par rapport à l'Angleterre, dans l'équipement en caméras sur la voie publique.

Quel est le protocole pour les interpellations à l'occasion des manifestations ? Ont-elles lieu pendant le déroulement de la manifestation ou à l'issue de celle-ci, une fois les individus repérés ?

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La gestion du maintien de l'ordre en France a longtemps été, et demeure, un modèle pour de nombreux pays. Les évolutions qu'il a connues sont-elles suffisamment abouties ? Que reste-t-il à faire pour s'adapter aux nouvelles formes de manifestation, des casseurs aux zadistes ?

Si on enlève aux forces de l'ordre les moyens de tenir à distance les manifestants, principe au coeur de la doctrine française du maintien de l'ordre, celles-ci ne risquent-elles pas de se trouver démunies face à des manifestants aujourd'hui très violents ? Les conditions d'emploi des grenades lacrymogènes instantanées sont réduites, les grenades offensives sont interdites, les policiers voltigeurs motocyclistes et les camions à eau ont été supprimés sans que rien ne vienne les remplacer.

Le régime de travail des CRS, différent de celui des EGM, est-il toujours adapté aujourd'hui ?

Pouvez-vous préciser la répartition des missions de la police entre maintien de l'ordre, sécurité publique, présence dans les ZSP et garde statique qui obère le potentiel d'emploi pour le maintien de l'ordre ?

Le centre de formation de Saint-Astier est-il ouvert aux CRS ?

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La liberté de manifester est préservée en France, c'est heureux ; le maintien de l'ordre est quant à lui assuré malgré l'évolution des formes des manifestations.

La première n'est pas discutable mais elle doit être encadrée pour être bien exercée. Le second doit s'inscrire dans un cadre réglementaire. La commission d'enquête comme le ministère de l'intérieur travaillent à cette évolution. Le ministre a pris les décisions qui s'imposaient en la matière après le drame de Sivens.

Je ne reviens pas sur l'expression médiatique de la police nationale. Les choses évoluent puisque le ministère de l'intérieur est désormais doté d'un porte-parole. Il manque encore sans doute des relais territoriaux. La langue de bois est parfois préférable à la compétition syndicale.

Une réflexion devrait être conduite sur l'évolution des manifestations qui permettrait d'anticiper davantage. À cet égard, le régime déclaratif est une avancée. Il a porté ses fruits car il a permis de responsabiliser les organisateurs. Nous serions bien inspirés d'aller plus loin en instituant une concertation plus méthodique qui permettrait aussi de repérer des éléments perturbateurs.

L'autorité civile prend la décision de recourir à la force mais elle ne doit perturber en rien le commandement sur le terrain. Informée de la situation, elle n'a pas à se substituer aux professionnels. Lorsque certains ont tenté de le faire par le passé, les résultats ont été calamiteux. Ce n'est pas le travail des préfets même s'il est nécessaire de les former à ces situations.

Quelle est aujourd'hui la capacité à exécuter les décisions des autorités juridictionnelles sur l'occupation d'un site ? Que faut-il faire pour éviter l'affrontement ?

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Il faut se garder de toute caricature : il n'y a pas d'un côté les manifestants du 1er mai et de l'autre les manifestations à risques. Certaines manifestations peuvent dégénérer de manière imprévue – je pense à celles liées à des conflits sociaux. D'autres peuvent correspondre à des mouvements spontanés, de la part de lycéens par exemple. La concertation préalable ne peut pas s'appliquer uniformément. Les choses sont plus complexes.

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Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale

La territorialisation des CRS est une question récurrente. Il existe 60 unités de CRS et 108 EGM. En principe, chaque préfet de zone peut compter sur un certain nombre d'unités. Mais, dans les faits, les six préfets de zone sont privés d'unités à leur main car ces derniers sont absorbés par des missions gérées par la direction générale de la police nationale (DGPN) afin de répondre aux besoins des préfets en matière d'ordre public.

La volonté de « fidéliser » les unités sur le territoire est louable. Mais, en l'état, il n'est pas possible de renoncer à la mobilité des unités, impérative au regard des besoins quotidiens. Pour pallier ce défaut de fidélisation, des sections départementales d'intervention implantées dans de grandes agglomérations bénéficient, dans le cadre des effectifs de sécurité publique, d'unités spécialisées pour assurer le maintien de l'ordre. La gestion au quotidien, « à la dentelle » disons-nous, des forces de l'ordre ne permet pas de fidéliser les unités. Toutefois, celles-ci peuvent être envoyées pour une période déterminée faire de la sécurisation en renfort de la sécurité publique en cas de pic de délinquance dans un territoire. Il est très difficile de maintenir ces forces sur un territoire.

On gagne toujours, lorsque cela est possible, à mener une concertation en amont avec les organisateurs, quoique ce terme ne soit pas vraiment adapté à une manifestation spontanée montée grâce à une chaîne de SMS. Mon expérience me fait dire qu'il y a toujours un intérêt à une discussion, ne serait-ce que pour appeler l'attention. La discussion peut ne pas aboutir mais l'emploi de la force se justifie plus aisément lorsque toutes les voies du dialogue ont été explorées.

Quant à la mutualisation des forces entre CRS et gendarmerie mobile, les doctrines et le temps de travail sont presque identiques. Les EGM ont encore un statut militaire grâce auquel ils peuvent participer à des opérations extérieures. Si les deux forces étaient réunies, il est probable que le nouveau statut ne le leur permettrait. En matière de répartition sur le territoire, je ne vois pas d'intérêt à une réunion des forces qui serait le prélude à une mutualisation totale entre la police et la gendarmerie, sur laquelle il ne m'appartient pas de me prononcer. Les deux forces s'en sortent bien telles qu'elles sont.

Je suis très allant pour filmer les manifestations. Le ministre nous a donné des instructions très claires sur ce point. Je rappelle que certains CRS sont équipés de leur propre dispositif vidéo et que les unités peuvent compter en leur sein des fonctionnaires vidéastes. Les images filmées présentent un triple intérêt : pour le bon déroulement de la manifestation, pour la justice et pour la protection des fonctionnaires – elles permettent d'établir la vérité en cas d'accusation de violences.

Monsieur Goujon, je n'ai aucun doute, les forces de l'ordre en France, avec les moyens et la formation – initiale et continue – dont elles disposent ainsi que l'adaptation permanente de la doctrine, sont armées pour intervenir et garantir l'ordre public.

Vous faites référence aux voltigeurs. Ces unités ont été dissoutes après le drame que vous connaissez. Elles n'ont pas été reconstituées car elles ne correspondaient plus à la doctrine du maintien de l'ordre. Celle-ci repose sur le maintien à distance des manifestants. Nous disposons des outils nécessaires – grenades qui peuvent être lancées à longue distance ou lanceurs d'eau. Il faut éviter le corps à corps. Cette doctrine appliquée dans d'autres pays est très dangereuse. Nous obtenons de très bons résultats avec notre méthode.

Quant à l'exécution des décisions de justice, la décision appartient à l'autorité politique. Les obstacles ne sont pas techniques ou matériels. On peut réussir à déloger les occupants de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens en y affectant les effectifs nécessaires pendant le temps nécessaire. La difficulté tient à l'équilibre qu'il faut trouver entre les troubles à l'ordre public que l'on souhaite faire cesser et les résultats de l'intervention pour atteindre cet objectif. Je crois que c'est précisément l'objet des travaux de votre commission.

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Philippe Klayman, préfet , directeur central des compagnies républicaines de sécurité

La garantie d'une formation initiale de qualité pour tous les grades, après la formation généraliste reçue en école de police, figure parmi nos préoccupations majeures. Dans le même esprit, nous consentons des efforts très importants en faveur de la formation continue.

Chaque année, les unités mobiles mais aussi les compagnies autoroutières et les formations motocyclistes sont astreintes à un minimum de périodes de formation, individuelle et collective. Chaque compagnie de CRS doit ainsi accomplir trois semaines de formation dans l'année auxquelles s'ajoutent dix jours d'entraînement au tir et au maniement des équipements.

Sans méconnaître les qualités du centre de Saint-Astier, nous avons la prétention de penser que nous disposons des infrastructures nécessaires. Quatre centres sont répartis à Lyon, Rennes, Dijon et Toulouse ; les deux premiers sont dédiés à l'ordre public, le troisième, à l'entraînement au tir et le quatrième à la gestion administrative et financière des unités. Nous utilisons également des infrastructures mises à notre disposition de façon ponctuelle, telles que d'anciens sites militaires désaffectés, qui sont très propices à certaines formations en raison des nuisances limitées pour l'environnement, notamment en cas d'entraînement au lancer de grenades lacrymogènes.

Le temps de travail des CRS diffère selon qu'elles remplissent des missions de garde statique ou de sécurisation ou des missions de maintien de l'ordre. Dans le premier cas, la vacation est de 8 heures, du cantonnement au retour au cantonnement, soit une vacation sur le terrain de six heures. Dans le second cas, nécessité fait loi, le temps de travail n'est pas limité. Les dépassements des huit heures sont défrayés en heures supplémentaires. Lors des opérations de maintien de l'ordre en juillet dernier, une compagnie a passé 22 heures sur le terrain. Lorsque les événements se prolongent dans le temps, les forces sont gérées en coordination entre mon service et la DGPN.

L'audition prend fin à onze heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Réunion du jeudi 12 février 2015 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Paul Bacquet, Mme Marie-George Buffet, M. Gwenegan Bui, M. Guy Delcourt, M. Philippe Folliot, M. Hugues Fourage, M. Philippe Goujon, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, M. Noël Mamère, M. Olivier Marleix, M. Pascal Popelin, M. Daniel Vaillant, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Daniel Boisserie, M. Pascal Demarthe