Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du 28 novembre 2012 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé, rapporteur :

Avec nos collègues Éric Ciotti et Philippe Goujon, ainsi qu'avec 51 autres députés cosignataires, nous avons souhaité soumettre à l'examen de l'Assemblée nationale cette proposition de loi visant à renforcer la protection des policiers et des gendarmes. Celle-ci part d'un constat préoccupant : les policiers et les gendarmes s'acquittent avec détermination et loyauté de leurs difficiles missions, dans le plus grand respect de la loi, mais ils sont confrontés à des délinquants déterminés qui n'hésitent pas à attenter à leur vie.

Or, lorsqu'il s'agit de faire usage de leurs armes à feu, les policiers et les gendarmes ne sont pas soumis aux mêmes règles. La réponse susceptible d'être apportée à cette différence de régime fait l'objet de l'article 1er de notre proposition de loi.

Quant aux articles suivants, ils visent à renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, c'est-à-dire la protection juridique accordée par l'administration à ses agents ayant eu à connaître un événement perturbant durant l'exercice de leurs missions.

Les conditions d'emploi des armes à feu varient selon le statut du représentant des forces de l'ordre – un état du droit dont les fonctionnaires de police ne se satisfont pas, comme l'ont confirmé les auditions de leurs organisations représentatives que j'ai pu mener. Dans la police nationale, les conditions d'emploi sont régies par le droit commun de la légitime défense, inscrit dans le code pénal. Le policier est donc soumis aux mêmes règles que n'importe quelle personne. Quant à la gendarmerie, si les dispositions du code pénal lui sont également applicables, ses agents bénéficient également d'un autre régime juridique, défini par un décret de 1903 récemment inséré dans la partie législative du code de la défense par le législateur.

Or si, dans l'ensemble, l'usage que les gendarmes ont fait de leurs armes a diminué de 22 % au cours de l'année 2011, dans un tiers des cas – soit une proportion non négligeable –, ils en ont fait usage en appliquant les dispositions du code de la défense, ce qui montre bien la pertinence de ces dispositions.

Contrairement aux gendarmes, les policiers ne sont autorisés à faire usage de leur arme que dans le cadre strict de la légitime défense, c'est-à-dire en réponse à une agression de même nature. Or, cela les conduit parfois, en cas d'agression violente, à hésiter à riposter – fût-ce au péril de leur vie – par crainte de poursuites administratives ou judiciaires très sévères. Les auditions que nous avons menées – en présence de Mathias Fekl, membre du groupe socialiste – ont été à cet égard éclairantes.

Je ne prendrai qu'un exemple des conséquences que cette différence juridique entre policiers et gendarmes est susceptible d'entraîner, c'est la qualification d'homicide volontaire retenue, en avril dernier, par le parquet de Bobigny à l'encontre d'un policier, après le décès, lors d'une intervention à Noisy-le-Sec, d'un homme recherché pour des vols à main armée. Il n'appartient pas au législateur de porter une appréciation sur ce cas d'espèce ni sur la décision du parquet, mais je veux rappeler que cette qualification a suscité une très forte et très légitime émotion dans les rangs de la police nationale. Les policiers avaient été très profondément heurtés que l'un des leurs soit poursuivi pour un tel chef d'accusation.

Trois options s'offrent à nous. La première serait de modifier le code pénal afin de créer une présomption de légitime défense à raison du statut de représentant des forces de l'ordre. Nous avons écarté cette option, qui ne fait d'ailleurs plus l'objet d'une attente de la part des représentants des policiers.

La deuxième, celle du statu quo, ne nous semble pas acceptable, car elle reviendrait, pour l'administration centrale, dont la position est nettement plus confortable que celle des policiers présents sur le terrain, à laisser ces derniers se débrouiller avec les instruments juridiques dont ils disposent, c'est-à-dire à s'accommoder d'une situation d'insécurité juridique dont les forces de l'ordre paieraient le prix.

La troisième option, celle vers laquelle je vous invite à vous diriger, consiste à opérer un rapprochement entre les deux régimes juridiques, de la même façon qu'ont été rapprochées, depuis la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale – dont le ministre de l'Intérieur nous a dit qu'elle ne serait pas remise en cause, même si elle n'avait pas été votée par l'opposition de l'époque –, les deux forces de sécurité intérieure. Ce processus est d'ailleurs toujours en marche, puisqu'en ce moment même, la direction générale de la police nationale – DGPN – et la direction générale de la gendarmerie nationale – DGGN – travaillent à l'élaboration d'un code de déontologie commun. Nous proposons, quant à nous, l'adoption d'une doctrine commune d'emploi des armes dans les deux forces. C'est pourquoi l'article 1er de cette proposition de loi vise à appliquer aux policiers les dispositions en vigueur pour l'usage de la force armée par les militaires de la gendarmerie nationale, en transposant dans le code de la sécurité intérieure les dispositions de l'article L. 2338-3 du code de la défense.

Bien entendu, ces règles ne sont pas appliquées « en l'air » par les gendarmes ; elles le sont au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation. Toutefois, et afin que les choses soient bien claires, je proposerai un amendement tendant à introduire dans l'article 1er la notion d'« absolue nécessité », condition que la Cour de cassation pose à l'usage de la force armée.

Si cet article était adopté, il serait bien entendu essentiel d'améliorer la formation des policiers et de préciser la doctrine en matière de tir. C'est une attente vivement exprimée par les organisations syndicales qui soulignent l'encadrement insuffisant des pratiques actuelles.

J'en viens à la seconde partie de la proposition de loi. Les articles 2 à 8, qui ont trait à la protection fonctionnelle, contiennent des dispositions attendues aussi bien par les policiers que par les gendarmes, comme nous l'ont confirmé l'ensemble des organisations syndicales des policiers ainsi que la DGPN, la DGGN et la direction des libertés publiques du ministère de l'Intérieur. Ces dispositions sont consensuelles parce qu'issues d'un travail de réflexion engagé à l'initiative de Manuel Valls par un conseiller d'État, Mattias Guyomar. Les articles 2 à 8 sont d'ailleurs la traduction législative directe du rapport rendu par ce dernier.

Dans son extrême rigueur, le président de la commission des Finances a considéré que les articles 2, 3, 4 et 7 devaient être déclarés irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution. J'invite donc le Gouvernement à reprendre par amendement les dispositions qu'ils portent, en raison de leur caractère consensuel.

L'article 2 tendait à étendre la protection fonctionnelle aux ayants droit des policiers et des gendarmes. Concrètement, il s'agissait de couvrir un concubin ou un partenaire de PACS – et non plus seulement un conjoint marié – agressé du fait de ses liens avec un membre des forces.

L'article 3 visait à permettre l'octroi de la protection fonctionnelle aux policiers et aux gendarmes victimes d'atteintes involontaires aggravées à la vie ou à l'intégrité physique donnant lieu à des poursuites pénales. Je pense en particulier aux cas de courses poursuites au cours desquelles des policiers ou des gendarmes sont atteints dans leur chair de manière indirecte.

L'article 4 permettait l'octroi de la protection fonctionnelle à l'agent placé en garde à vue, entendu en qualité de témoin assisté ou faisant l'objet d'une procédure de composition pénale – c'est-à-dire en amont des poursuites pénales. Il était très attendu par les policiers et les gendarmes.

L'article 5, lui, n'a pas été déclaré irrecevable : vous pourrez donc l'adopter avec enthousiasme. Il crée une obligation de reclassement provisoire de l'agent bénéficiaire de la protection fonctionnelle au titre d'une mise en cause devant le juge pénal. En effet, si la suspension administrative est présentée comme une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service, dans les faits, elle est bien évidemment perçue comme une sanction par l'agent concerné. Non seulement ce dernier est écarté du service, mais il est privé, au bout de quelques mois, de la moitié de son traitement et de ses primes. Une obligation de reclassement dans un autre poste ne méconnaîtrait pas l'intérêt du service, mais permettrait à l'agent de poursuivre, sans dommage dirimant, sa carrière professionnelle. Il s'agit, là encore, d'une revendication très forte et légitime des organisations représentatives des agents de la police nationale.

L'article 6 prévoit l'information, par l'autorité hiérarchique, du magistrat chargé de l'instruction sur la situation administrative d'un agent public afin d'adapter au mieux le contrôle judiciaire à la nature du reclassement. Il s'agit de faciliter le dialogue entre les autorités judiciaire et administrative.

L'article 7 visait à permettre à l'administration ayant accordé la protection fonctionnelle à son agent de faire citer l'agent judiciaire de l'État. Aujourd'hui, en effet, seul le ministère public ou la partie civile ont cette compétence.

Enfin, l'article 8, à la suite du rapport Guyomar, a pour objet de réparer l'oubli commis par le législateur et d'établir un délai de prescription d'un an pour les réclamations présentées devant la mission « déontologie de la sécurité » du Défenseur des droits, afin que les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie ne soient pas susceptibles d'être poursuivis ad vitam aeternam devant cette institution. Il s'agit, là encore, d'une disposition très attendue.

Au fond, les enjeux de cette proposition de loi se résument en deux phrases. En ce qui concerne l'usage des armes, il convient de limiter l'insécurité juridique qui paralyse trop souvent les policiers et les expose à des atteintes extrêmement graves, voire à la mort. Et s'agissant de la protection fonctionnelle, nous devons accompagner la démarche consensuelle du rapport Guyomar vers un renforcement de la protection accordée par l'État aux policiers et aux gendarmes. C'est notre devoir de législateur.

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