Le cadre institutionnel a un impact certain sur l'évolution des partis politiques. Vous avez déjà cité l'effet du scrutin uninominal majoritaire à deux tours sur la non-représentation de certains courants de pensée. Pensons aussi au fait que l'élaboration du projet politique peut passer au second plan par rapport aux choix tactiques, les alliances variant d'une élection à une autre – je regarde avec complicité Claude Bartolone en pensant à nos expériences communes en Seine-Saint-Denis. Pensons encore à la transformation des partis en écuries présidentielles : à peine ont-ils fini une campagne qu'ils cherchent à se positionner sur un candidat ou une candidate et à élaborer une nouvelle tactique pour s'assurer de la victoire aux prochaines élections.
Je ne considère toutefois pas que ce soit la cause principale de ce que l'on pourrait appeler l'amaigrissement des partis, tant du point de vue de la pensée que du corps militant. Le déclin idéologique me semble avoir joué un rôle bien plus déterminant dans ce processus. Dans un parti comme le mien, la question de l'éducation populaire était centrale. Nous avions fondé des écoles de formation car, pour répondre à l'exigence de débat, il fallait former nos adhérents, qui étaient d'origine populaire. Prendre la parole dans nos structures était un acte militant important, exigeant de la personne qui intervenait connaissances et réflexions. Nous nous situions dans un combat idéologique qui demandait d'argumenter sur les idées et sur le projet.
À partir du moment où ce qui domine est l'idée que l'on ne peut faire bouger les choses qu'à la marge, avant tout en tenant un discours économique, la notion même de combat idéologique perd de son importance. Or j'estime qu'un parti doit être fondé sur la bataille idéologique. Dans cette perspective, se battre pour avoir des élus est pleinement légitime. Le communisme municipal s'est nourri de la volonté de faire vivre les idéaux du communisme dans les villes.
Porter un projet, voilà qui pourra, à mon sens, permettre aux partis de retrouver une place réelle dans la vie démocratique de notre pays. C'est aussi cela qui incite au militantisme. Quel intérêt y a-t-il à s'engager si c'est pour peser seulement à la marge ? Et si le discours dominant est que tout se règle in fine par Facebook ou Twitter, la pensée militante se réduit à peu. En revanche, si le débat avec les individus reprend de l'importance, alors le militantisme redevient utile et retrouve son objet.
Il faut toutefois veiller à ne pas tomber dans les faux discours sur la proximité. Je partage ce que vous avez dit, monsieur Liegey, sur l'efficacité du porte-à-porte. Là n'est pas la question. Je veux simplement insister sur le fait qu'être proches des gens ne suffit pas : rien ne sert d'aller les voir, si c'est seulement pour recueillir leurs doléances et leur promettre de régler leurs problèmes de logement. Revenir au débat d'idées me paraît essentiel.
Vous avez évoqué la démocratie à l'intérieur des partis. Le débat sur les statuts prend toujours une place disproportionnée lors des congrès. Établir des règles est nécessaire mais elles sont susceptibles de voler en éclat si le débat politique n'est plus à même de recréer une unité de pensée.
Oui, au retour aux débats de société, à l'éducation populaire, à la proximité à travers le militantisme. Encore faut-il que défendre un projet vaille encore le coup en politique.