Intervention de Frédéric Sawicki

Réunion du 13 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Frédéric Sawicki :

La discussion est passionnante. Je vous remercie, les uns et les autres, pour vos remarques et pour vos questions.

La proportionnelle n'est pas la seule question qui se pose, mais elle ouvre sur beaucoup d'autres : la professionnalisation des élus, la représentativité, les relations entre les différents niveaux de pouvoir, etc. Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur Winock, car l'Histoire risque de devenir un argument pour ne rien changer. La question de l'introduction de la proportionnelle pour l'élection des parlementaires ne se pose pas dans les mêmes termes aujourd'hui que lorsque François Mitterrand l'a instaurée en 1986. Certains changements intervenus récemment dans la vie politique française ont des effets très importants, en particulier le quinquennat – dont nous n'avons pas parlé – et l'inversion du calendrier électoral. Déjà légitimé par le scrutin majoritaire à deux tours – mécanisme particulier à la France, le scrutin présidentiel ne comptant souvent qu'un seul tour dans les autres pays – et doté de pouvoirs très larges, le Président de la République est désormais, en sus, élu avant l'Assemblée nationale et pour la même durée qu'elle. Cela le rend potentiellement très puissant, car les élections législatives qui se déroulent dans la foulée lui donnent, en principe, une majorité assez confortable, même si cela ne sera peut-être pas toujours le cas.

Deuxième évolution importante qui va changer la donne : l'interdiction du cumul des mandats. Les parlementaires seront désormais plus disponibles pour effectuer leur travail.

Troisième élément : le Front national. En 1945, le général de Gaulle a introduit la proportionnelle – en 1958, il n'y sera plus favorable – par crainte de voir le parti communiste l'emporter avec un scrutin majoritaire à deux tours. L'instauration de la proportionnelle visait donc à cantonner ou à endiguer le parti communiste. Cela a eu des effets pervers : deux partis politiques, le parti communiste et le nouveau parti créé par de Gaulle lui-même, qui rassemblaient respectivement 25 % et 20 % des voix, se sont retrouvés hors du jeu politique. Les autres partis ont alors inventé le mécanisme invraisemblable des apparentements, qui relevait clairement de la cartellisation.

Aujourd'hui, de nombreuses personnes sont attachées au scrutin majoritaire à deux tours, notamment parce qu'elles pensent que cela va empêcher la montée du Front national. Or c'est faux : il y a de plus en plus de triangulaires. En outre, un nombre croissant d'électeurs de l'UMP – la moitié d'entre eux actuellement – sont prêts à voter en faveur du Front national au second tour s'ils n'ont le choix qu'entre le PS et le Front national. Ce report de voix est dans une certaine mesure contraint : il est notamment le fait d'électeurs de droite qui éprouvent une aversion viscérale pour les socialistes – on peut estimer que leur vision est datée et que les socialistes devraient leur paraître moins « dangereux » aujourd'hui qu'il y a trente ans, mais il existe aussi des formes de haine de classe.

Enfin, je relève une forme de contradiction dans vos propos, monsieur Winock : certes, gouverner ne consiste pas nécessairement à appliquer un programme, et il est en effet important de responsabiliser les partis, mais comment le faire sans leur permettre d'avoir des élus ? Je vous renvoie à certains articles très intéressants sur la manière dont se sont comportés les quelque quarante députés du Front national entre 1986 et 1988 : l'Assemblée nationale a fonctionné, et certains d'entre eux ont rejoint les partis de la droite parlementaire pour avoir une chance d'être réélus. Nous ne pouvons pas maintenir indéfiniment le Front national hors du jeu politique : cela maintient l'illusion aux yeux de l'électorat que ce parti est brimé et qu'il a de véritables solutions à offrir. La proportionnelle permettrait, au contraire, de l'associer en douceur. Ou bien préférons-nous qu'il devienne majoritaire ? Je prévois – j'espère me tromper – la victoire du Front national dans deux régions au mois en décembre prochain. Pour l'emporter au second tour dans le cadre d'une triangulaire, il suffit en effet d'arriver en tête avec 35 % des voix.

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