Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président. Je suis heureux de vous retrouver, monsieur Winock : j'ai « subi » vos livres lorsque j'étais étudiant, et je suis aujourd'hui avec un grand intérêt la controverse dans laquelle vous êtes engagé avec Zeev Sternhell sur le fascisme français.
Il est souvent question d'ouvrir la classe politique, mais il suffit de consulter les curriculum vitae des députés pour constater que les parcours sont souvent assez uniformes : très peu d'entre eux ne sont pas issus de la fonction publique au sens large ou des professions libérales. Vous faites partie de ce petit nombre de députés, monsieur le président de l'Assemblée nationale. Tel est également mon cas, puisque j'ai travaillé pendant vingt-cinq ans dans des entreprises privées, petites ou grandes, françaises ou internationales. À cet égard, je suis toujours apparu comme « un peu à part », notamment au sein du Parti socialiste. Et je n'ai pu exercer mes fonctions d'élu local en parallèle de mon activité professionnelle que par miracle : j'ai eu la chance d'avoir des patrons qui acceptent de jouer le jeu de la démocratie, tout en n'étant pas de la même sensibilité politique que moi. Cela a tenu non pas à un quelconque statut, mais au hasard des rencontres et à la qualité des relations que j'ai pu nouer avec eux. En outre, lorsqu'il m'est arrivé d'être contacté par des chasseurs de têtes, j'ai pu poser un certain nombre de conditions et faire valoir que j'étais déjà élu. Cependant, mon cas relève davantage de l'exception que de la règle.
Je me suis très vite intéressé à la question du statut de l'élu. Mon objectif est non pas d'élaborer un statut supplémentaire, mais d'ouvrir la classe politique, que je trouve, à bien des égards, beaucoup trop fermée, ce qui n'est pas sans conséquences politiques.
Les élus ne sont pas à l'image de la société, ainsi que le montrent les quelques chiffres suivants. D'abord, beaucoup d'élus sont âgés et, loin de s'améliorer, la situation régresse de ce point de vue : en dix ans, le nombre de maires de moins de quarante ans a été divisé par trois. En 2012, 32,4 % des élus locaux étaient des retraités. D'autre part, les femmes restent éloignées des fonctions exécutives : 14,4 % des maires seulement sont des femmes. Enfin, 15,6 % des maires et 11,1 % des conseillers municipaux sont des exploitants agricoles, alors que ceux-ci ne représentent que 1 % de la population active. À l'inverse, seulement 2 % des maires, 4,8 % des conseillers municipaux, 0,4 % des conseillers généraux et 1,1 % des conseillers régionaux sont des ouvriers, alors que ces derniers comptent pour 13,5 % des actifs. L'image globale est donc la suivante : beaucoup de seniors et peu de jeunes, une féminisation très faible, une représentation de certaines catégories professionnelles inversée par rapport à la réalité de la société française.
Si l'on examine les choses de manière plus détaillée, on se rend compte que les villes moyennes, nombreuses en France, sont gérées en majorité par des seniors : 58 % des maires de communes de 5 000 à 20 000 habitants ont plus de soixante ans. De plus, 50 % de ces mêmes maires sont issus du secteur public. Au total, si l'on exclut les seniors, les fonctionnaires et les professions libérales, il ne reste plus que 2 % de maires « normaux », si je puis dire, c'est-à-dire salariés du privé. Certes, les personnes âgées sont parfois nombreuses dans les villes moyennes, mais peut-on dire que la population soit ainsi représentée dans sa diversité ? Par ailleurs, un maire de plus de soixante-cinq ans n'est sans doute pas le mieux à même de gérer les problèmes de crèches – à moins qu'il ne s'occupe de ses petits-enfants – ou les questions qui se rapportent au monde du travail. Cela peut poser de vraies difficultés.
Il est donc indispensable d'ouvrir la classe politique. Cette analyse transcende d'ailleurs les clivages politiques, ainsi que Philippe Gosselin et moi-même avons pu le constater dans le cadre de notre mission d'information. Nous sommes en effet tous conscients que nous passons à côté de l'objectif en matière de représentativité de la classe politique. Or, si nous voulons préserver le lien entre la classe politique et les citoyens, il faut que les gens aient le sentiment d'être représentés. Il ne s'agit pas nécessairement d'instaurer des quotas, mais il faut tenir compte de l'ensemble des critères : l'âge, le sexe, l'origine, la classe sociale. À cet égard, lorsque l'on débat de la représentation politique, notamment au sein du parti socialiste, on se concentre généralement sur la question de la diversité, mais on oublie souvent – je trouve cela très frappant – celle des classes sociales. Rappelons que les ouvriers et les employés, toutes catégories confondues, constituent tout de même plus de 50 % du corps social en France. Comment cette moitié du corps social peut-elle se sentir représentée aujourd'hui ? Cela fait bien longtemps que nous n'avons pas eu un Pierre Mauroy ou un Pierre Bérégovoy au Gouvernement, serait-ce à des postes symboliques. En 2002, il a fallu que Pierre Mauroy explique à Lionel Jospin que le mot « ouvrier » n'était pas un gros mot ! Celui-ci n'apparaissait nulle part dans le programme du candidat à la présidentielle. On voit ainsi à quoi peut aboutir l'absence de représentation politique.
Nous sommes en train d'avancer sur le statut de l'élu, même si ce terme ne me plaît guère, car il laisse penser que les élus se fabriquent une réglementation en béton pour se protéger. En termes de communication, il sera donc préférable de parler d'ouverture de la classe politique.
Quelles sont les pistes qui ont été évoquées dans notre rapport d'information et reprises dans la proposition de loi ? Pour être élu, il faut d'abord être en mesure de se présenter aux élections. Nous souhaitons que davantage de personnes puissent le faire. Or les salariés qui pointent dans leur entreprise ne jouissent pas du tout de la même liberté pour gérer leur temps que les agents de la fonction publique, en particulier que les enseignants. Nous avons donc étendu le congé électif aux candidats à une élection municipale dans les communes d'au moins 1 000 habitants.
Ensuite, il faut que chacun ait la possibilité d'exercer son mandat. Lorsqu'un enseignant devient maire, il lui suffit d'adresser un courrier à l'administration de l'éducation nationale pour passer à mi-temps. Et, le jour où il cesse d'être maire, il envoie une nouvelle lettre pour demander de retrouver un temps plein. Or les choses sont loin d'être aussi simples pour les salariés dans les entreprises, car la pression sociale n'y est pas du tout la même. Nous avons donc abaissé de 20 000 à 10 000 habitants le seuil à partir duquel les adjoints au maire peuvent bénéficier du droit à la suspension de leur contrat de travail, ainsi que d'un congé de formation professionnelle et d'un bilan de compétence à l'issue de leur mandat.
En outre, nous avons fixé par principe l'indemnité de fonction des maires au taux maximal prévu par loi. Contrairement à ce que l'on peut lire ou entendre dans les médias, nous avons constaté que beaucoup d'élus ne touchaient pas le maximum de leur indemnité. Dans les communes petites ou moyennes, il est parfois difficile au conseil municipal de fixer l'indemnité du maire à ce niveau, compte tenu de la pression sociale. Or, si les retraités peuvent éventuellement se contenter de leur pension et les professions libérales des revenus qu'ils tirent de leur activité, il n'en va pas de même pour les salariés : leur patron compte le nombre d'heures qu'ils consacrent à l'exercice de leur mandat et ampute leur salaire d'autant. Pour eux, l'indemnité constitue donc un complément de rémunération essentiel. S'ils ne peuvent pas la percevoir, il y a là un facteur de fermeture. C'est pourquoi nous avons souhaité que le conseil municipal ne soit plus tenu de voter pour fixer le niveau de l'indemnité du maire.
Toujours dans le but de permettre aux élus d'exercer leur mandat, nous avons étendu le crédit d'heures aux conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants. Ce crédit est égal à l'équivalent de 20 % de la durée hebdomadaire légale du travail, ce qui permet aux élus de dégager un jour par semaine pour se consacrer aux affaires de la collectivité locale.
Enfin, si l'on souhaite que davantage de personnes se présentent aux élections, il faut permettre à chacun de préparer son retour à l'emploi à l'issue du mandat. D'une certaine manière, les élus sont en contrat à durée déterminée. Encore une fois, les fonctionnaires sont certains de retrouver leur poste, mais tel n'est pas le cas pour les salariés : en théorie, la loi les protège, mais la pression sociale qui s'exerce au sein de l'entreprise est sans commune mesure avec celle qui peut exister dans la fonction publique, notamment territoriale. Il y a là un frein pour les salariés. Nous avons donc étendu le droit à la suspension du contrat de travail et le droit à la réintégration dans l'entreprise aux adjoints au maire des communes d'au moins 10 000 habitants. Nous clarifions ainsi les éléments de droit relatifs au contrat de travail des personnes qui ont interrompu leur activité professionnelle afin d'exercer leur mandat.
Chaque élection municipale est suivie d'un énorme « plan social », compte tenu du nombre de maires et d'adjoints battus qui ne retrouvent pas d'autres fonctions. Par conséquent, nous avons créé un dispositif obligatoire de « droit individuel à la formation » au bénéfice des élus et leur avons ouvert la possibilité de valider l'expérience acquise dans les mêmes conditions que les salariés. Nous avons aussi allongé de six mois à un an la durée de versement de l'allocation différentielle de fin de mandat, avec un taux dégressif au bout des six premiers mois.
Une commission mixte paritaire devrait se réunir au début du mois de mars pour examiner les dispositions de la proposition de loi restant en discussion. Son résultat devrait être positif, nos collègues sénateurs ayant fini par s'engager dans la discussion de manière constructive. L'ensemble de ces dispositions devrait donc entrer en vigueur le 1er janvier 2016.
Néanmoins, il faut aller plus loin. J'aborde ici une problématique qui ne figure pas dans le rapport de la mission d'information et qui mérite, selon moi, d'être débattue : lorsqu'un salarié accède à des fonctions d'élu local, sauf exception, la chose est plutôt mal vue par son entreprise. Il faut absolument déverrouiller cette situation. Or, compte tenu des logiques de blocage qui demeurent au sein de la société française, nous n'y parviendrons que par la loi, même si, à titre personnel, je n'apprécie guère cette méthode. Peut-être trouverez-vous la comparaison audacieuse, mais nous n'aurions pas avancé en matière de féminisation de la vie politique si nous n'avions pas imposé, par la loi, la parité sur les listes de candidats aux élections municipales et, désormais, sur les listes d'adjoints. Tout le monde a été obligé de se conformer à ces règles. De la même manière, la place des handicapés dans l'entreprise n'aurait pas connu d'amélioration sans un certain nombre de dispositions législatives, même si celles-ci sont parfois contournées et que les résultats sont moins probants en la matière.
Les entreprises reprochent souvent au Parlement et aux collectivités territoriales, notamment aux mairies, de ne pas suffisamment tenir compte de leurs réalités, de ne pas parler la même langue qu'elles. Chaque fois que je rencontre des chefs d'entreprise, je leur demande ce qu'ils font pour lutter contre cette coupure dont ils se plaignent : quel effort seraient-ils prêts à consentir en faveur de la citoyenneté ? Seraient-ils prêts à accepter qu'un plus grand nombre de leurs salariés exercent des fonctions d'élu local ? Seraient-ils disposés à les voir siéger au comité de direction ou au comité d'entreprise ?
Il serait intéressant que les entreprises s'imposent une sorte de « 1 % élu local » pour favoriser la citoyenneté et la représentation politique des salariés. Elles deviendraient ainsi actrices de la société civile et politique. À défaut, combien d'ouvriers exerceront des fonctions d'élu local ? Or, s'il n'y a pas d'ouvriers élus à ce niveau, il n'y en aura pas non plus aux niveaux départemental, régional et national. Chacun de nous a été, mes chers collègues, conseiller municipal, puis conseiller général ou maire, avant d'être élu député. Si nous voulons obtenir une meilleure représentation politique du monde du travail, il faut traiter le problème à la racine. Nous devons entamer un dialogue avec le patronat, qui détient une partie des clés. Mais nous ne nous en sortirons probablement pas, malheureusement, sans un autre texte de loi.
Nous avons tous, y compris les syndicats, notre part de responsabilité dans cette situation. La représentation des différentes classes sociales a été progressivement gommée du paysage politique. Or, ce n'est pas parce que Renault-Billancourt a disparu que la société française ne compte plus d'ouvriers. Que l'on songe au secteur des services ou à celui des PME, qui ont connu un essor important ces dernières années. Si nous avons progressé dans le domaine de la parité, la représentation du salariat, quant à elle, a régressé.
Le 18/12/2016 à 16:29, Laïc1 a dit :
"Nous sommes en effet tous conscients que nous passons à côté de l'objectif en matière de représentativité de la classe politique. Or, si nous voulons préserver le lien entre la classe politique et les citoyens, il faut que les gens aient le sentiment d'être représentés. Il ne s'agit pas nécessairement d'instaurer des quotas, mais il faut tenir compte de l'ensemble des critères : l'âge, le sexe, l'origine, la classe sociale."
C'est ce que je disais, mais en plus grave : car la classe politique, bien consciente finalement qu'elle mure les citoyens dans un silence oppressant, qu'elle ne leur permet pas de s'exprimer intelligemment sur des sujets qui les concerne, mais également consciente qu'elle doit entretenir néanmoins un lien avec les citoyens ainsi rejetés par le système, va tenter de devancer le FN sur son terrain, et va tenter de jouer la carte identitaire, pour récupérer l'antidote possible à leur frustration, à savoir la représentation de leur identité collective, qu'elle soit raciale, originelle ou religieuse, bien que cela soit interdit par la Constitution. M. appelle cela la "représentativité", non pas celle des idées sociales bien sûr, mais celle de l'identité collective : l'âge, le sexe, l'origine, la classe sociale, en sous entendu la religion...
Le PS chasse par avance sur les terres FN : il tire un trait définitif sur le référendum démocratique et humain, il tend à s'installer durablement dans le déni de démocratie, il joue alors la carte de l'identité de l'individu, mais l'identité récupérée par la gauche, et si la constitution républicaine n'est pas contente, tant pis pour elle, de toute façon les juges, la justice est de mèche, elle ne fera rien pour condamner ceux qui enfreignent le "sans distinction d'origine, de race ou de religion", pourtant promue par la République, du moment que cette infraction est commise par les tenants du pouvoir officiel.
Le destruction de la République démocratique et sociale est ainsi faite par tous les partenaires officiels du système étatique.
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