Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 18 février 2015 à 10h00
Commission des affaires économiques

Geneviève Fioraso, secrétaire d'état chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche :

La recherche est un levier essentiel pour l'émancipation, tout d'abord, et l'acquisition de nouveaux savoirs, ainsi que pour les emplois à forte valeur ajoutée, notamment d'innovation.

Vous avez rappelé les indicateurs globaux : nous sommes au sixième rang mondial pour les publications scientifiques toutes disciplines confondues. Au cours des dix dernières années, nous avons obtenu huit prix Nobel, quatre médailles Fields – elles sont décernées aux mathématiciens de moins de quarante ans – et un prix Turing – l'équivalent du prix Nobel pour l'informatique. C'est un Grenoblois d'origine grecque qui l'a reçu : Joseph Sifakis.

L'année 2014 a été, pour la recherche française, exceptionnelle : le prix Nobel d'économie a été décerné à Jean Tirole, la médaille Fields au franco-brésilien Artur Avila, le prix Lasker et le prix Breakthrough pour la médecine et les sciences du vivant au professeur Alim-Louis Benabid – un Grenoblois également –, spécialiste de la stimulation électro-cérébrale. Le prix Breakthrough a également été accordé à une jeune biologiste française. C'est la première fois que deux Français se sont vus récompensés par ce prix décerné par Google. Quant au prix Kavli pour les nanosciences, il a récompensé un Alsacien.

L'année 2014 a été également, outre celle de la réussite de la mission Rosetta, celle de la décision, fondatrice, de la construction du nouveau lanceur Ariane 6, qui relance l'Europe de l'espace face à une concurrence internationale très vive. La même année a vu l'implantation d'un coeur artificiel par la société Carmat, grâce à une technologie, certes issue d'Airbus, mais également fondée sur la recherche et la science françaises. Cette implantation, qui est une réussite exceptionnelle saluée au plan international, ne concerne encore que les hommes en raison de la taille du coeur. Des recherches sont actuellement menées pour créer un coeur plus petit, pouvant être implanté sur des femmes. Enfin, l'année 2014 a permis de poser les premiers jalons en matière de diagnostic et de vaccin contre le virus Ébola. Les recherches menées pourront être utiles à d'autres pandémies.

Le champ de nos compétences est donc très étendu.

Les budgets de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) ont été sanctuarisés par le Gouvernement, dans un contexte contraint. L'ESR est la priorité du deuxième programme des investissements d'avenir (PIA), puisque deux tiers des 12,5 milliards d'euros de la deuxième vague du PIA seront consacrés à la recherche – il convient donc d'ajouter, en termes d'abondement, 1 milliard d'euros aux 15 milliards d'investissements publics et aux 30 milliards d'investissements privés, eux-mêmes encouragés par le CIR. Le budget de la recherche est donc quasiment stable dans le périmètre du ministère depuis deux ans.

L'emploi scientifique public total, titulaires et contractuels réunis, est en croissance, sur la période 2009-2013, de 0,99 % dans les établissements publics scientifiques et techniques (EPST) – cette croissance concerne principalement le CNRS –, de 4,37 % dans les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) – dont le CEA –, et de 2,23 % dans les universités. Le nombre de chercheurs permanents est quasi stable dans les organismes de recherche et le nombre des enseignants-chercheurs est en croissance grâce à la création de 1 000 postes par an durant tout le quinquennat. Au total, la France compte 8,8 chercheurs pour 1 000 actifs, un chiffre supérieur à ceux de l'Allemagne – 7,9 ‰ – et du Royaume-Uni – 8,3 ‰. Si nous sommes distancés par les États-Unis, nous sommes également devant le Japon.

Nous ne saurions pourtant omettre les inquiétudes du secteur ainsi que ses points faibles : le Gouvernement a déjà entrepris d'y remédier.

Les chercheurs s'interrogent à la fois sur la pérennité des succès que j'ai évoqués, sur l'avenir de la recherche fondamentale et sur sa liberté d'exercice. Quant aux jeunes chercheurs, notamment en biologie et en sciences humaines et sociales (SHS), ils s'inquiètent pour leur insertion professionnelle.

De plus, la société, hors du monde de la recherche, doute parfois de la pertinence des réponses que la science et la technologie apportent aux défis des sociétés développées : d'aucuns s'alarment des risques liés à certaines applications. C'est tout l'enjeu du maintien de la confiance à l'innovation. La Commission des affaires économiques, je le sais d'expérience, est très attachée aux notions de progrès et d'innovation. D'ailleurs, le projet de loi dit « Macron » a été l'occasion de rappeler votre attachement au principe d'innovation par le biais de l'adoption de deux amendements.

Une autre faiblesse, objective celle-là, est celle de notre recherche technologique, même si nous avons pris des mesures depuis deux ans pour y remédier. La recherche technologique ne représente en effet que 10 % de l'ensemble de la recherche – un taux inférieur à celui des États-Unis ou de l'Allemagne. Comme la recherche fondamentale, qui représente 50 % de nos crédits de recherche, n'est pas prédictible et bénéficie d'une grande liberté, elle est moins médiatisée, alors que la recherche technologique est davantage sur le devant de la scène car c'est elle qui fait le lien entre la recherche fondamentale et ses applications industrielles, tout en servant de levier à la création d'emplois.

Le Gouvernement a décidé de renforcer les instituts Carnot en y injectant notamment 150 millions d'euros du PIA et en établissant un lien entre ces instituts et les trente-quatre filières industrielles – ce sont les « Carnot 3.0 ». Des plateformes technologiques CEA Tech ont également été mises en place : elles sont plébiscitées par les présidents des régions car elles permettent de faciliter la diffusion des innovations dans le tissu industriel, particulièrement les PMI-PME, en vue de les aider à se transformer en entreprises de taille intermédiaire (ETI). C'est par l'innovation et sa diffusion que nous y parviendrons. Je tiens également à mentionner les instituts de recherche technologique (IRT) et les pôles de compétitivité : ceux qui ont été évalués favorablement ont été renforcés.

Il nous faut développer le transfert, que ce soit dans le domaine des sciences sociales ou dans celui des sciences dites dures ou exactes. Les événements tragiques du mois de janvier impliquent évidemment d'approfondir la recherche sur les fondements du radicalisme, notamment religieux : auparavant, toutefois, il convient de faire un état de la recherche en ces domaines, ce que j'ai demandé à l'Alliance des sciences humaines et sociales, placée sous la présidence d'Alain Fuchs, président du CNRS. Les recherches existantes en la matière sont en effet mal diffusées, notamment auprès des décideurs et des institutions. Il faut rendre plus fluide le transfert de la science vers la société, qu'il s'agisse des milieux socio-économiques ou, je le répète, des décideurs. Lorsque j'étais élue locale, j'avais établi une convention entre la communauté d'agglomération et les universités et les organismes de recherche présents sur le territoire, pour favoriser ce transfert. Qu'il s'agisse du vieillissement ou des facteurs qui concourent à la radicalisation, qu'il s'agisse de la politique de la ville ou de la santé, nous avons tout intérêt à nous appuyer sur les résultats de la recherche. Nous le faisons insuffisamment.

Vous l'avez compris, maintenir l'effort de financement public de la recherche est une priorité : avec un effort total consacré à la recherche de 2,3 % du PIB, la France est encore loin des 3 % définis par la stratégie de Lisbonne – l'Allemagne s'en rapproche. C'est la part du privé qui est trop faible en France, puisque la part de l'effort public, qui s'élève à 0,8 %, est supérieure à celle du Royaume-Uni et du Japon – 0,5 % et 0,56 % – et voisine de celle des États-Unis et de l'Allemagne – 0,86 %. Il convient toutefois d'observer qu'en France la part du privé dans l'effort de recherche est proportionnelle à la part de notre industrie dans le PIB. Si la part du privé est encore insuffisante en France, c'est donc que la taille de notre industrie, y compris des services à l'industrie, a fondu, contrairement à l'industrie allemande. Or c'est l'innovation qui permet à l'industrie d'entrer sur la voie de la régénération. Le CIR est un des outils qui permettra d'y parvenir, aux côtés des instituts Carnot et de tous les dispositifs visant à améliorer la fluidité des transferts.

Il conviendrait également de solliciter davantage les crédits européens : nous sommes encore loin du compte. En effet, alors que la France contribue pour 16 % au budget européen, elle ne retire que 11 % des crédits européens. L'Allemagne, qui est le premier contributeur, retire autant qu'elle verse, à savoir 19 %. Le manque à gagner pour la recherche publique française sur les crédits affectés au programme Horizon 2020 s'élève chaque année à 700 millions d'euros : c'est exactement le budget de l'Agence nationale de la recherche. Certes, parler bruxellois est compliqué. Toutefois, nos chercheurs, qui sont habitués à la complexité de l'administration française, sont mieux armés que d'autres pour face à la complexité de l'administration bruxelloise dont, de plus, la France a contribué à simplifier les procédures en les rendant plus accessibles aux PMI-PME et en améliorant la prise en compte par l'Europe des préciputs – les frais qui environnent les efforts de recherche –, à hauteur de 25 %. Il faut savoir qu'en France l'ANR tourne autour de 10 % et le PIA, malheureusement, autour de 8 % seulement. Il conviendrait de parvenir à 25 %, conformément, du reste, à la demande des chercheurs, qui jugent la prise en compte des préciputs en France trop faible. Nous avons également renforcé l'ingénierie d'accompagnement pour que les chercheurs et les laboratoires français de recherche bénéficient davantage des programmes européens. Il faut parvenir au « un pour un » allemand – les Suisses, quant à eux, sont à trois pour un ; quant à l'investissement britannique, il est également bénéficiaire. Il serait bien que nous soyons récompensés de notre vertu européenne.

En matière de recrutement des docteurs, nous sommes confrontés à une difficulté objective. En effet, le nombre des docteurs diplômés ne cesse de croître, les doctorats étant désormais passés en un laps de temps plus faible – en trois ans ou quatre ans et non plus en six ou sept ans, notamment en SHS. Si, chaque année, 12 000 nouveaux doctorats sont délivrés, dix ans après l'obtention de leur diplôme seuls 25 % des docteurs travaillent dans le privé contre 50 % dans la recherche publique – une proportion inverse à celle du taux de financement des recherches privée et publique. C'est pourquoi nos efforts visent à améliorer la formation des doctorants au milieu de l'entreprise et à les inciter à se tourner vers le secteur privé, dont il convient, parallèlement, de modifier la culture, en le convainquant de la capacité des docteurs à impulser l'innovation de rupture dans les entreprises. Il faut savoir que l'innovation de rupture a un retour sur investissement six à sept fois supérieur à celui de l'innovation incrémentale, qui ne modifie pas les paradigmes. L'acculturation des entreprises est donc essentielle : elle a eu lieu aux États-Unis, en Allemagne et dans l'ensemble des pays où l'équivalent de notre doctorat représente un plus pour être embauché dans le secteur privé. C'est pourquoi j'ai rencontré chacune des branches d'activité et les grandes entreprises du CAC40 pour les convaincre d'embaucher un plus grand nombre de docteurs. Un changement s'opère – les conventions que j'ai signées avec de grands groupes le prouvent : toutefois, il est encore trop faible. Or il convient d'autant plus de l'accentuer que nous sommes confrontés à un problème d'ordre démographique.

En effet, la période de départs à la retraite des baby boomers dans les grands organismes de recherche est derrière nous : le nombre des départs a été divisé par deux. À budget constant, le nombre des entrées se trouve, lui aussi, mécaniquement divisé par deux.

C'est pourquoi j'ai demandé aux organismes de recherche de faire peser tous leurs efforts en matière de gestion des ressources humaines et de primes d'excellence scientifique sur l'insertion des jeunes docteurs. En 2015, pour la première fois depuis dix ans, le CNRS, qui regroupe 35 000 chercheurs, remplacera intégralement les départs à la retraite des chercheurs comme des ingénieurs, des techniciens et des personnels de soutien. Cette mesure, qui comble des faiblesses en ingénierie et en formation des personnels administratifs, permettra d'obtenir davantage de crédits européens.

La création de 1 000 emplois par an pendant cinq ans dans les universités et les regroupements de site contribuera également à accueillir et mieux intégrer les jeunes docteurs.

Nous avons en outre maintenu contre Bercy le soutien de l'État aux conventions CIFRE. Ce doctorat en alternance concerne aujourd'hui 4 000 personnes dont 2 000 en première année. Il permet d'intégrer des jeunes docteurs dans l'industrie : ceux-ci sont embauchés à plus de 96 % par les entreprises au sein desquelles ils sont accueillis.

L'objectif à dix ans est d'équilibrer l'insertion des docteurs entre le secteur public et le secteur privé.

Le Gouvernement a également mis en place une stratégie nationale de la recherche (SNR) afin de répondre à une demande exprimée lors des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Prévue dans la loi, la SNR a été conçue avec la participation régulière de 400 chercheurs. Nous avons également procédé à une consultation en ligne et réuni des assemblées générales. Cette stratégie vivante bénéficiera, de plus, des échanges prévus dans la loi avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), les académies, les alliances et les pays membres de l'OCDE. La stratégie nationale ne saurait être coupée des stratégies internationales : à cette fin, mes services ou moi-même participons à des réunions régulières dans le cadre du G8 et du G20.

Cette stratégie a également été enrichie par le Conseil stratégique de la recherche, qui a terminé ses travaux fin janvier. Elle pourra donc être présentée au Premier ministre et rendue publique dans les trois prochaines semaines.

Il convient enfin de s'appuyer sur le dynamisme des écosystèmes territoriaux. Les vingt-cinq regroupements universitaires, dont vingt communautés d'universités et d'établissements (COMUE) y contribueront : dix-huit sont déjà complètement formalisées, quinze sont passées devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et deux sont en cours d'achèvement. Ces deux dernières, suscitées par le terrain, sont les plus ambitieuses : inter-académiques, elles concernent en effet, d'une part, la Bretagne et les Pays-de-la-Loire et, d'autre part, le Centre, le Limousin et le Poitou-Charentes. Leur objectif est de regrouper de sept à dix universités.

S'il est nécessaire de prévoir une stratégie nationale, il convient également de faire confiance à la force des écosystèmes. Il ne faut être ni complètement jacobin ni complètement girondin. Les pays les plus dynamiques en matière de recherche s'appuient sur la dynamique de leurs écosystèmes. Cette démarche, encouragée par l'Europe, donnera à nos universités une plus grande visibilité.

La recherche, c'est l'espoir et c'est l'avenir. Hier, j'étais à Matignon aux côtés de Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, pour rencontrer le président de la FNSEA. On n'associe pas immédiatement l'agriculture à la recherche : c'est un tort. Le président de la FNSEA a exprimé le besoin de changer l'image du secteur agricole pour accueillir de nouveaux publics. La sociologie des nouveaux exploitants agricoles est désormais en partie urbaine. Il souhaite s'appuyer sur l'innovation et la recherche pour donner un nouvel élan à l'agriculture – il avait lu un rapport que j'avais rendu sur la biologie de synthèse et la biologie des systèmes.

Tous les secteurs ont besoin de la recherche : qu'il s'agisse des sciences humaines ou sociales, dans la difficile période que nous traversons, ou de la santé, dont les acteurs doivent travailler davantage avec les économistes de la santé ou se former aux pratiques de prévention aux côtés des psychologues ou des sociologues. Nous devons également avoir confiance dans les sciences dites exactes.

Ce sentiment de confiance et ce message d'espoir, nous avons le devoir de le faire partager par l'ensemble de la société en s'appuyant sur une culture scientifique et technique intelligente et ouverte.

La recherche dans tous les domaines est un formidable passeport d'avenir pour la jeunesse de notre pays.

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