Mme Lemaire et moi-même travaillons ensemble à la question du numérique, qui est à ce point transversale, du reste, qu'elle concerne la plupart des ministères, qu'il s'agisse de la simplification administrative, de l'évolution de l'industrie avec les imprimantes 3D ou de la robotique. Le numérique s'invite dans nos vies, y compris dans l'organisation du travail.
Notre plan d'action numérique est cohérent. Les universités et la recherche ne sont pas directement concernées par les problèmes touchant la couverture numérique du fait que, contrairement aux écoles du primaire, les organismes d'enseignement supérieur et de recherche sont tous sur des territoires disposant du très haut débit.
Des solutions existent, auxquelles nous n'avions pas encore pensé, pour faciliter l'accès au numérique : c'est ainsi que des satellites situés à une hauteur raisonnable permettront à des territoires qui ne disposent pas actuellement du très haut débit d'y accéder. Cette solution est également valable pour les pays francophones ou d'autres pays : un protocole a été signé entre Eutelsat par M. Michel de Rosen et des territoires anatoliens qui ne pouvaient pas accéder à internet. Ainsi, internet est désormais accessible à des écoles en plein secteur montagnard.
Nous avons lancé, pour le supérieur, un grand plan numérique francophone qui peut être étendu à l'éducation secondaire – l'enseignement supérieur est dépendant de l'amont : un nombre d'autant plus grand de jeunes issus de milieux ou de territoires peu favorisés accédera à l'enseignement supérieur que ces jeunes auront connu en amont un parcours de réussite. Les assises du numérique de la francophonie, prévues pour le 5 juin prochain et que nous préparons, ont suscité une appétence incroyable. La France dispose de toutes les compétences en matière de recherche et de toutes les solutions techniques pour donner des réponses à la fois en termes d'infrastructures et de contenus. Tel est également l'objet de la plateforme France université numérique évoquée par Mme Erhel : mettre à la disposition du plus grand nombre les contenus très riches de nos établissements d'enseignement supérieur – écoles, CNAM, universités.
Parmi les plus de 400 000 inscrits qui suivent avec assiduité les cinquante-trois programmes de la plateforme figurent non seulement des étudiants, mais également des lycéens qui veulent approfondir certaines de leurs connaissances, des enseignants du secondaire, des salariés des secteurs privé et public et des retraités. Le MOOC sur la guerre de 1914-1918, qui repose sur des témoignages et des objets scannés, a été réalisé par des enseignants d'histoire du secondaire. Les MOOC, qui permettent de partager l'accès au savoir, font rayonner l'université au-delà de ses limites. Quelque dix ministres francophones de tous les continents sont venus à la première réunion, qui était pourtant technique, visant à développer la coproduction de MOOC avec les pays de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb.
Les trois MOOC les plus suivis sont, dans l'ordre, le MOOC du CNAM sur le management de l'innovation, le MOOC sur la philosophie réalisée par l'Université Paris-Ouest Nanterre La Défense intitulé « De Socrate à Foucauld » – ce qui révèle un besoin de voir réaffirmer les valeurs fondatrices de la république et de la laïcité – et le MOOC sur la culture scientifique et technique intitulé « QuidQuam ». Nous attendons l'arrivée de trente-cinq nouveaux MOOC, dont un, très attendu, du mathématicien Cédric Villani. Un nouveau MOOC vient de paraître, consacré à Ébola et à la lutte contre les pandémies, réalisé en coopération avec la Suisse et l'OMS et supervisé par le professeur Delfraissy, qui est le coordinateur interministériel de la lutte contre Ébola. Ce MOOC, destiné aux pays touchés, est interdisciplinaire. En effet, les pandémies, en Afrique, ne sauraient être traitées uniquement au plan scientifique : il convient également de prendre en considération les coutumes, notamment les rites funéraires, pour parer à la diffusion de l'épidémie. Nous avons donc besoin, par-delà les compétences médicales ou biologiques, de connaissances en sociologie et en anthropologie. La Fondation Bill-et-Melinda-Gates a compris qu'il convient de s'appuyer sur des communautés et de faire de la coproduction.
Les MOOC permettent de recourir à une pédagogie vivante parce qu'interactive. J'ai visité des universités comme celle d'Albi ou de Brive, qui sont leaders en matière de jeux sérieux ou d' « amphis inversés » : les cours magistraux en amphithéâtre sont remplacés par des clés USB. Parallèlement, des cours sont assurés en configuration plus personnalisée, ce qui correspond aux besoins des étudiants, surtout de première année. La réussite n'est pas qu'une affaire de moyens : c'est également une question de pédagogie. Or le numérique est un outil d'innovation pédagogique et donc un facteur de réussite : les étudiants qui entrent à l'université sont nés avec le numérique. Ils sont habitués à zapper ou à travailler de façon coopérative : le numérique permet de partager les informations dans le cadre d'un travail plus coopératif, qui repose moins sur la performance individuelle.
J'en viens à l'entreprenariat étudiant. 30 % des jeunes, étudiants ou lycéens, ont envie de monter une entreprise ou de créer une activité. Or 3 % seulement le font. Voilà pourquoi nous avons créé le statut d'étudiant entrepreneur qui permet d'avoir accès à un diplôme et surtout d'être accompagné par les « PEPITE », c'est-à-dire des lieux de compétences dans les universités, proches des incubateurs, proches des laboratoires de créativité coopératifs, les fab lab, et d'avoir un tutorat avec un cadre ou un chef d'entreprise. L'activité que le jeune peut créer va de l'économie sociale et solidaire à une association, en passant par une entreprise de technologie de pointe, etc. Les efforts qu'il réalise pour créer son entreprise sont intégrés dans l'obtention du diplôme.
Il est difficile de disposer d'un bilan dès maintenant. On sait que près de 1 000 étudiants ont demandé ce statut. On a surtout instauré un accès à la culture d'entreprise pour l'ensemble des étudiants qui le souhaitent, qu'ils soient en sciences humaines et sociales, en sciences exactes, en sciences économiques. 100 000 étudiants ont demandé d'avoir accès à ces formations.
La culture des entreprises s'acquiert aussi dès l'université. Il est clair que la responsabilité du blocage entre le public et le privé est partagée, c'est-à-dire que l'académie se méfie de l'entreprise et vice versa. Les barrières sont faites pour être détruites. Vous avez bien compris que nous essayons de rendre les choses davantage transversales parce nous sommes confrontés à des enjeux de plus en plus complexes. On a besoin des sciences sociales pour comprendre les sciences humaines, et des sciences exactes pour trouver des solutions à la fois dans la recherche fondamentale et dans la recherche technologique. Les instituts de recherche sont dynamiques, et c'est le cas dans le domaine de la santé. Je pense à l'Institut du cerveau, à l'Institut Imagine, lieu de recherche contre les maladies rares, aux plates-formes à Strasbourg avec le professeur Marescaux, à l'Institut de la vision. Ce sont des endroits où la recherche fondamentale est internationalisée et où l'on trouve le public concerné puisqu'ils sont près d'un milieu hospitalier voire dans l'hôpital.
31 % chercheurs du CNRS et plus de 40 % de nos thésards sont étrangers. Il ne faut pas avoir peur que les étudiants partent à l'étranger et d'accueillir des étudiants étrangers. Plus de 50 % de nos étudiants étrangers viennent des pays de la francophonie, du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne. Il est donc essentiel de conserver cette influence de la francophonie qui véhicule des valeurs importantes sur les plans culturel et sécuritaire. Et comme ces pays connaissant une croissance de 5 à 6 % par an, ce sont aussi de véritables leviers pour nos exportations.
Les étudiants chinois vont davantage étudier dans les universités anglo-saxonnes qu'en France ou dans le reste de l'Europe qui sont pourtant des interlocuteurs culturels naturels. Nous n'accueillons pas non plus suffisamment d'étudiants d'Amérique latine ou des pays asiatiques. Nous voulons attirer davantage les pays émergents, les Indonésiens, les Japonais, les Chinois. Nous y parviendrons en leur proposant des cours en Anglais. D'où l'article 2 de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et la recherche. Cet enseignement en Anglais aidera aussi nos étudiants et nos chercheurs, non seulement à faire de bons exposés, mais à répondre de façon pertinente aux questions. On peut regretter que l'Anglais soit devenu la langue internationale dans le domaine scientifique, mais c'est ainsi. Il est donc important de le maîtriser. J'ajoute que lorsque l'on parle plusieurs langues étrangères, on maîtrise d'autant mieux sa propre langue. Il faut s'ouvrir au monde car, plus que tout autre secteur, la recherche n'a pas de frontières.
Le travail réalisé avec les pays de la francophonie est différent de celui qui était effectué il y a une dizaine d'années. L'idée, ce n'est pas que les chercheurs désertent leur pays mais qu'ils y retournent et que cela permette des collaborations beaucoup plus fortes. Nous sommes dans une coopération d'égal à égal qui n'a rien à voir avec la coopération issue des années postcoloniales. J'insiste toujours pour que l'Europe soutienne davantage le dialogue 5 + 5 et toutes les initiatives Partnership for research and innovation in the mediterranean area (PRIMA) de coopération avec ces pays. Les Chinois ne s'y sont pas trompés puisqu'ils sont très présents dans ces pays.
En ce qui concerne la stratégie nationale de recherche, nous sommes déjà très présents dans le domaine de l'agriculture et du développement durable. S'agissant de l'agriculture, notre investissement est deux fois supérieur au pourcentage que représente l'agriculture dans notre PIB. Nous voulons une alimentation durable, traçable, sûre, des méthodes agricoles modernes qui se fondent sur le biocontrôle, sur les capteurs, sur les dispositifs techniques et qui soient plus respectueuses de l'environnement. Il n'est pas normal que la France soit le pays qui utilise le plus de pesticides. L'agro-écologie, ce n'est pas un retour en arrière, c'est un bon en avant vers une agriculture qui respecte davantage le développement durable, qui utilise moins de pesticides, qui soit très moderne, qui améliore la productivité, qui contribue à nos exportations et nous permette de nourrir 9 milliards d'individus dans le monde. Là aussi, l'espace nous aide parce que nos meilleurs indicateurs sur la déforestation et sur l'épuisement des sols sont des images qui nous viennent de l'espace. Que ce soit dans le domaine de la santé, des matériaux, de la connectique, de la cryogénie, l'espace est un formidable pourvoyeur d'innovations. Tout ce que l'on teste en milieu extrême peut ensuite être utilisé, déployé et disséminé, diffusé grâce à la recherche technologique.
L'Institut national de la recherche agronomique (INRA) est connu dans le monde entier pour ses recherches fondamentales et appliquées. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a développé une recherche fondamentale et partenariale très importante dans ce domaine. En matière d'agroéquipements, de biocontrôle et de biotechnologies, y compris végétales qui ont parfois donné lieu à des débats assez vifs, il faut laisser toutes les portes ouvertes et examiner les choses avec la plus grande sérénité. La biologie des systèmes et la biologie de synthèse auxquelles s'intéresse Xavier Beulin, le président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), sont aussi des pistes formidables. Il ne faut pas avoir peur du débat car il fait partie de la démocratie ni de prendre ses responsabilités avec courage car c'est ce que l'on attend aussi des politiques.
S'agissant de la loi NOTRe, pour respecter la vivacité et la réactivité des écosystèmes, moins on norme, plus on a de chances que l'innovation soit présente. Ce n'est pas du libéralisme, ce n'est pas du laisser-faire. Comme vous l'avez dit, madame Rohfritsch, il y a une trop grande complexité dans les territoires. Il faut donc qu'ils fassent le ménage. J'avais constaté que ma région comptait plus de 600 structures d'aides à l'innovation. Après ce recensement, il avait été procédé aux regroupements nécessaires.
Vous avez raison, il faut préserver la mission des incubateurs, de la même manière que l'on ne doit pas tout englober dans les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT). Souvent, l'innovation s'appuie aussi sur des compétences, sur une histoire. En tant que bonne praticienne d'un écosystème reconnu, je peux vous dire que l'histoire de l'innovation s'inscrit paradoxalement dans des pratiques et une expérience confirmées de travail entre des PMI-PME, le secteur public et le secteur privé. Si nous ne sommes pas très présents dans la loi NOTRe, c'est aussi parce que nous n'avions pas envie que la norme soit la même pour tous les territoires car c'est antinomique avec l'innovation. Je crois n'avoir jamais dit que le principe de précaution allait induire de la décadence. J'ai indiqué que ce principe, inscrit dans la Constitution par Jacques Chirac et Michel Barnier au titre de l'environnement et de l'impact sur l'environnement, après des jurisprudences successives, avait été élargi à bien d'autres secteurs et que s'il n'était pas contrebalancé par une dynamique d'innovation, on allait s'enkyster et prendre du retard par rapport à d'autres pays. Le projet de loi pour la croissance et l'activité comprend deux amendements de Mme Anne-Yvonne Le Dain et M. Jean-Yves Le Déaut qui réhabilitent l'innovation, et c'est une bonne chose. Le principe de précaution et l'impact sur l'environnement ne sont pas antinomiques avec le principe d'innovation dès lors que l'on a un cadre juridique, car nous avons abouti à des dérapages inadmissibles. Vous vous souvenez sans doute que le tribunal de Bobigny s'est prévalu de ce principe de précaution pour interdire, en 2009, l'installation d'antennes de téléphonie. Il faut donc rappeler le principe d'innovation. Nous l'avons fait et vous devriez en être satisfaits.