Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 18 février 2015 à 10h00
Commission des affaires économiques

Geneviève Fioraso, secrétaire d'état chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Pour ce faire, il est nécessaire d'avoir des systèmes intelligents. Ce n'est pas le disjoncteur qui est intelligent mais le logiciel. Là aussi, nous disposons en France de grands groupes qui peuvent le faire.

J'en viens au bac pro, sujet qui me tient à coeur car on assiste, dans ce domaine, à un massacre social. Actuellement, sur 600 000 bacheliers, 30 % sont titulaires de bacs professionnels, 20 % de bacs technologiques et 50 % de bacs généralistes. Les bacs pros ont été créés il y a quarante ans environ, ce qui correspondait alors à une demande de notre industrie qui avait besoin d'une montée en puissance des qualifications. Or depuis, tandis que notre industrie a perdu près d'un million d'emplois, les nouvelles industries ont monté en qualification, ce qui implique qu'un élève sur deux poursuit des études après le bac. Certains sont en BTS, d'autres en alternance, d'autres vont à l'université. Chaque année, 180 000 jeunes vont dans l'enseignement supérieur. Or ils ne sont absolument pas formés pour réussir à l'université. S'ils ne réussissent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont moins doués, mais parce qu'ils ont été habitués à être en petit nombre et à être encadrés. Ils n'ont pas été habitués à la prise de notes, à l'enseignement conceptuel. Seulement 3,5 % réussissent leur licence en trois ans et un peu moins de 5 % réussissent leur première année. Comme 80 % d'entre eux sont issus des milieux les moins favorisés, je trouve qu'il y a là un massacre social. Nous avons une responsabilité vis-à-vis de ces jeunes qui souvent vivent dans les quartiers qui ne sont pas les plus favorisés ou dans des territoires très ruraux éloignés des pôles de compétences.

Pour autant, faut-il charger la seule université de la formation de ces jeunes ? Je ne le crois pas parce qu'il est compliqué d'avoir des niveaux aussi hétérogènes en première année. Il faut donc agir avant, c'est-à-dire au niveau de ce que l'on appelle le -3 +3. Voilà le sens de la mission qui a été confiée à Christian Lerminiaux, l'ancien président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI) qui connaît aussi bien le secteur académique, le secteur privé, les ingénieurs que les standards internationaux. Nous lui avons indiqué des orientations pour qu'il les confronte au réel, c'est-à-dire aux besoins du milieu économique et à ce qui se fait dans les lycées car aujourd'hui on oriente souvent par défaut les jeunes dans les filières professionnelles parce qu'ils ne réussissent pas ailleurs. Voilà pourquoi je souhaite que la voie professionnelle et technologique soit valorisée. J'emploie à dessein le mot « voie » et non celui de « filière » pour éviter une fois de plus d'enfermer les élèves. Peut-être disposons-nous déjà des éléments avec le BTS, les licences pros, les IUT, les passerelles vers les écoles d'ingénieurs et qu'il suffit d'assembler les pièces du puzzle pour donner davantage de visibilité et de valeur à cette voie. Nous disposerons d'un rapport d'étape à la fin du mois de mars. Je peux juste vous dire que M. Lerminiaux travaille avec l'éducation nationale car il est indispensable que ce travail soit fait en commun. Nous parlerons à la fois orientation, progression, passerelles et anticipation des besoins de l'industrie dans les nouvelles filières comme l'agro-écologie, les technologies numériques, le développement des énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, la robotique, bref toutes ces filières industrielles que nous voulons développer.

Je me suis battue pour que l'on ne siphonne pas les fonds de roulement des universités car je souhaite qu'elles continuent à investir. Par ailleurs, je ne voulais pas que celles qui sont bien gérées soient pénalisées. Pour avoir les réponses les plus objectives possible et un dialogue fructueux et constructif avec Bercy, nous avons mandaté une inspection commune entre le ministère des finances et celui de l'enseignement supérieur et la recherche pour analyser budget par budget, université par université, ces fonds de roulement. Nous ferons la même chose pour les écoles d'ingénieurs et d'ici un mois nous serons en mesure de fournir des éléments chiffrés.

Le fonds de roulement des universités et des établissements qui dépendent directement du ministère s'élève à 1,5 milliard environ. Le rapport indique que la partie libre représente près de 25 %. Lorsque l'on analyse les budgets de façon très précise, on constate que ce sont moins de 400 millions d'euros qui sont ainsi mobilisables, le reste étant destiné à des projets structurants ou à des travaux de sécurité. Pour autant, va-t-on mobiliser 400 millions d'euros ? Non, parce qu'il faut garder de l'argent pour des investissements utiles. Nous nous sommes engagés à mobiliser 100 millions d'euros sur le budget 2015 et 100 millions d'euros sur les fonds de roulement. Ce sont donc 200 millions d'euros qui seront utilisés pour augmenter notre aide en direction des universités.

Il faut le dire : il n'y a pas de trésor caché, les présidents d'université ne sont pas des Picsou, ils ne sont pas assis sur un tas d'or. Malgré tout, on peut solliciter un peu d'argent. Nous avons fixé un curseur, ce qui fait que beaucoup d'universités vont échapper à cette ponction ponctuelle sur les fonds de roulement. C'est aussi une incitation à ce qu'elles investissent. À la télévision, j'ai vu un reportage qui montrait des fuites ou des toilettes bouchées dans une université alors que je savais qu'elle disposait d'un fonds de roulement de trois mois – on estime la durée prudentielle des fonds de roulement à un mois. Avec un tel fonds de roulement, on doit être capable d'appeler un plombier pour lui demander de réparer des sanitaires bouchés ou une fuite.

Les plans Campus permettent d'investir dans l'immobilier. À Lille, par exemple, j'ai eu le plaisir de signer, avec Pierre Moscovici, le premier emprunt fait à la Banque européenne d'investissement (BEI). Par ailleurs, un décret impulsé par mon ministère prévoit que les universités peuvent être managées librement, ce qui leur permet de contracter des emprunts quand leur trésorerie le leur permet. La BEI avait dégagé plus de 3 milliards d'euros pour les universités, celle de Lille ayant été l'une des premières signataires.

En termes de développement durable, la convention que l'on a signée avec la Caisse des dépôts et consignations à Strasbourg, en avril 2013, permet que soient financées toutes les études liées à la mise en efficacité énergétique des universités qui ont souvent été construites dans les années 70 et qui sont de vraies passoires. Nous sommes actuellement, c'est vrai, dans une période ingrate de travaux, mais je suis sûre que mes successeurs ne manqueront pas de se prévaloir de tous ces projets que nous avons débloqués. Quand je suis arrivée au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, alors que cela faisait cinq ans que les plans Campus avaient été mis en place, seulement 58 millions des 5 milliards prévus initialement avaient été engagés. Or, lorsque des projets relatifs à l'innovation ne sont pas encore concrétisés cinq ans après, on peut se dire que l'innovation n'est plus très innovante.

Vous savez qu'il avait été prévu que, quelques années après leur lancement, les pôles de compétitivité puissent s'autofinancer. Nous regardons cela de près avec l'industrie. Là aussi, nous ferons attention aux écosystèmes et aux spécificités. En tout cas, nous nous y sommes engagés.

Nous faisons attention aussi à ce qu'il y ait une juste répartition entre les plates-formes technologiques, le CEA Tech, les instituts de recherche technologique et les pôles de compétitivité pour que chacun soit bien dans sa mission et que l'on ne crée pas à nouveau un millefeuille où chacun défendrait son pré carré plutôt que l'intérêt général. Chacun est dans cet état esprit, qu'il s'agisse des partenaires publics ou privés. Nous avons bien conscience que l'urgence consiste à impulser de l'innovation car c'est de cette manière que l'on sauve des emplois.

Nous sommes très sensibles à l'année de césure. J'ai défendu la proposition de loi tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires car il y avait trop d'abus en la matière. Il était inadmissible de voir que certains instituts de sondage, certaines agences de communication fonctionnaient à 80 %, voire à 90 %, avec des stagiaires. D'ailleurs, on peut se demander si le peu de justesse de certains sondages lors d'élections municipales n'était pas lié à une utilisation abusive de stagiaires assez peu formés. Et il est anormal de demander à un stagiaire de savoir parler plusieurs langues et d'avoir des compétences en matière de management et de ressources humaines. À ce moment-là, il ne s'agit plus d'un stage.

Pour que les jeunes aient une meilleure image du secteur privé, il convenait aussi de mettre fin à des abus. Cette loi permet à la fois de protéger les jeunes et de favoriser les stages. La loi Cherpion de 2011 n'avait pas du tout obéré le nombre de stagiaires, puisqu'elle avait permis de passer de 600 000 à 1,2 million de stagiaires. Les années de césure peuvent parfaitement s'adapter avec des statuts différents. Nous nous sommes adaptés également à la spécificité des maisons familiales et rurales et des stages agricoles en trouvant les amendements nécessaires, notamment au Sénat où le débat a été très fructueux.

Nous avons présenté, avec Marisol Touraine et Laurence Rossignol, un plan sur les maladies neurodégénératives. Des progrès formidables ont été réalisés en matière de recherche. Il existe un grand programme européen, le Human brain project, et un sommet du G8 sur la démence a eu lieu, le G8 dementia. Nous avons beaucoup de mal avec le mot français de « démence » que nous associons à la sénilité, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays. C'est pourquoi nous préférons parler de maladies neurodégénératives. Au plan international, nous disposons des meilleurs atouts scientifiques et des meilleures équipes scientifiques. La recherche est de qualité et le nombre de programmes lancés est à la hauteur des défis. Il faut savoir qu'actuellement 800 000 personnes sont atteintes de la maladie d'Alzheimer en France. Mais quand on ajoute celles qui souffrent de la maladie de Parkinson ou d'autres maladies neurodégénératives, on aboutit à près de 1,5 million de personnes. Plus nous vivrons vieux – et c'est une bonne nouvelle –, plus le nombre de malades s'accroîtra mais plus on saura prévenir ces maladies. Nous avons aussi introduit les sciences humaines et sociales parce que tous nos efforts étaient concentrés sur les sciences exactes et pas assez sur les sciences humaines et sociales. Or on sait bien que l'entourage doit être préservé et aidé grâce à un parcours de soins mais aussi un accompagnement social, certains proches succombant parfois par épuisement. Le numérique joue aussi un rôle. En effet, parce qu'il n'existe pas de dossier patient sécurisé, on fait parfois faire au patient le même examen trois ou quatre fois. Or on sait que chez une personne âgée fragilisée, cela peut accélérer le processus neurodégénératif.

Nous avons fait tout ce qui était possible pour fluidifier le transfert de la recherche publique. La loi de juillet 2013 prévoit un mandataire unique de la propriété intellectuelle pour les brevets en copropriété publique. Mais le Conseil d'État a mis un an et demi pour signer le décret. Il est enfin paru et nous en sommes très satisfaits car cela va permettre de faciliter la vie des start-up. Le temps de mettre d'accord les cinq copropriétaires d'une invention, les start-up avaient le temps de mourir. J'avais même reçu une délégation de Japonais qui était intéressé par l'achat d'une licence. Pour les rassurer, je leur avais dit que même s'il y avait cinq copropriétaires, le CNRS était leader. Ils m'avaient alors demandé s'ils pouvaient acheter le CNRS !

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