Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 18 février 2015 à 10h00
Commission des affaires économiques

Geneviève Fioraso, secrétaire d'état chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche :

En ce qui concerne l'orientation des élèves, nous avons essayé de simplifier le système de l'admission post bac (APB). Même s'il était compliqué, il était tout de même meilleur que les bousculades que l'on a pu connaître les uns et les autres à la fac. Pour autant, il ne faut pas faire l'impasse sur l'information. Pour que le système APB ne soit pas une source d'anxiété pour les familles, il est nécessaire que, très en amont, c'est-à-dire dès la classe de seconde ou de première, les métiers puissent être présentés et qu'il y ait davantage de porosité entre la connaissance des métiers et le parcours scolaire des jeunes. Lorsque l'on a autour de soi un réseau relationnel suffisant, on arrive à se repérer. En tant qu'élu, j'ai dû accompagner à de nombreuses reprises des jeunes dans la recherche de leur stage de troisième parce que dans leur quartier ils n'avaient le choix qu'entre une société de vigiles ou un hammam. Ils se retrouvaient alors dans le milieu dans lequel ils vivaient déjà et le stage ne leur ouvrait pas des voies nouvelles. Or les stages de troisième sont faits pour confirmer ou infirmer des envies, découvrir des milieux professionnels nouveaux. Combien de fois j'ai vu des curriculum vitae discriminés par le nom ou par l'adresse, combien de fois on est venu me demander ce qu'était une classe préparatoire ou une université et comment y entrer. J'ai bien vu que ceux qui venaient demander des informations ne bénéficiaient pas de cet environnement qui permet de décrypter une offre de formations souvent complexe.

Nous avons donc simplifié l'offre de formations, ce qui du reste m'a valu quelques pétitions peu sympathiques. Mais il faut assumer de ne pas toujours être populaire quand on est au Gouvernement. Nous sommes passés de plus de 5 800 intitulés de master à 400. Cette prolifération de masters rendait totalement illisible notre offre de formations, tant pour les étudiants que pour les entreprises. On ne peut pas demander aux entreprises d'embaucher davantage de docteurs issus du système académique, davantage de jeunes issus de master plutôt que des jeunes issus des écoles d'ingénieurs, de commerce ou de management alors que les intitulés des formations sont incompréhensibles. La simplification a porté également sur le nombre de licences, puisqu'on est passé de 1 800 intitulés de licences générales à moins de 200. Quant aux intitulés des licences pros qui étaient au nombre de 1 800 également, on en compte maintenant entre 300 et 400 et ils correspondent à des spécificités de branche. Cette simplification n'a pas été faite de façon technocratique. Elle a fait l'objet d'un dialogue avec les acteurs eux-mêmes, même s'il y a eu quelques réactions ici ou là. Il faut savoir que 30 % des masters comptaient moins de quinze étudiants, et pas nécessairement dans des matières rares et que dans certaines universités, un seul étudiant était inscrit en master de mathématique. J'ajoute que si l'on veut que nos formations soient reconnues à l'international, encore faut-il qu'elles soient lisibles.

Dans le système APB, c'est l'université qui a été mise en premier choix, alors qu'auparavant elle était au dixième rang. On revalorise donc le choix de l'université car les meilleurs formateurs sont à l'université. Ce sont en effet des chercheurs, des enseignants, des pédagogues. Ils ont face à eux une masse d'étudiants qui n'est pas du tout homogène, ce qui les conduit à innover sur le plan pédagogique.

Par ailleurs, de plus en plus d'établissements s'inscrivent sur APB, ce qui prouve que le système est apprécié. Pour autant, je le répète, il faut accentuer les contacts d'orientation en amont. Toutefois, je dois dire que des organismes comme le CNRS, le CNES viennent dans les établissements, et pas uniquement durant les journées portes ouvertes ou les semaines de la science. Ils organisent des rencontres avec les organismes socioculturels. C'est ce que j'ai vu par exemple à Douai ou dans les Landes. Le musée de l'homme actuellement en rénovation souhaite favoriser cette science que l'on voit en aménageant des rambardes où l'on pourra justement voir les scientifiques en train de faire la science. Jean Perrin, qui est un peu l'ancêtre de « la main à la pâte », parlait d'apprendre la science en la faisant. Il est important de le faire dès le plus jeune âge pour donner le goût de la science. Ce genre d'initiative ne nécessite pas beaucoup d'argent, seulement un décloisonnement de part et d'autre. J'ajoute que les enseignants apprennent des choses et que certains sont partants pour le faire. J'ai vu des lycées professionnels travailler avec des laboratoires de nanosciences, et à Villetaneuse une section d'IUT fabrique des nano-objets. Les laboratoires publics jouent donc le jeu, et je les en remercie.

Monsieur Laurent, la période de départ à la retraite des baby-boomers dans les grands organismes de recherche est derrière nous : le nombre de départs à la retraite a été divisé par deux. Quand il y a moins de départs à la retraite, il y a mécaniquement moins d'entrées. C'est pourquoi il nous faut davantage orienter les docteurs vers le secteur privé. Il est anormal que, dix ans après leur thèse, seuls 25 % des docteurs travaillent dans la recherche privée où l'on embauche davantage des ingénieurs même s'ils n'ont pas fait de thèse. S'il faut tout faire pour que les filières industrielles et de services accueillent davantage de jeunes issus des filières académiques, encore faut-il que les enseignants-chercheurs expliquent aux doctorants que leur avenir n'est pas seulement dans la recherche publique qui ne peut accueillir 12 000 docteurs par an. La France n'est pas en déficit en ce qui concerne le nombre de chercheurs puisque, si l'on rapporte le nombre de chercheurs à la population active, la France, avec 8,8 chercheurs pour mille actifs, se place devant l'Allemagne et le Royaume-Uni mais presque à égalité avec les États-Unis. Un travail très important a été réalisé avec les organismes de recherche pour que tous leurs efforts en matière de primes et d'insertion portent sur les doctorants et l'insertion des docteurs. En dix ans, on a diminué le temps d'insertion, même si le ressenti n'est pas celui-là, y compris pour les biologistes.

Je le répète, dix ans après l'obtention d'un doctorat, 50 % travaillent dans la recherche publique et 25 % dans la recherche privée. Les 25 % restants ont créé une start-up, sont devenus journalistes ou font de la médiation culturelle, scientifique. Ce qui est anormal, c'est le déséquilibre qui existe entre le public et le privé, même si le crédit impôt recherche prévoit une bonification fiscale pour les entreprises qui accueillent pour la première fois un docteur issu de la recherche académique. L'élargissement de l'assiette du crédit d'impôt recherche a permis de multiplier par trois le nombre de docteurs qui ont bénéficié de ce dispositif.

Nous avons maintenu nos efforts en direction des conventions CIFRE, ces doctorats en alternance. Ils sont 4 000 en tout, dont 2 000 en première année. Ce dispositif bénéficie beaucoup aux PMI-PME et aux start-up, celles qui naturellement n'auraient peut-être pas embauché un docteur. J'ajoute que 80 % sont ensuite intégrés dans le secteur privé.

On fait tout notre possible pour intégrer dans la haute fonction publique les docteurs qui y sont actuellement insuffisamment présents. Introduire des docteurs permettait aussi d'avoir une culture plus transversale car on est face à des enjeux de plus en plus complexes et transdisciplinaires. Il faut que les sciences humaines et sociales (SHS) travaillent davantage avec l'industrie, la haute administration publique. C'est ce à quoi nous nous employons. En ce domaine, le Conseil d'État nous a suivis.

Monsieur Laurent, les réponses objectives à vos questions figurent sur le document que je vais vous faire parvenir et vous trouverez des réponses qualitatives à travers tout ce que nous faisons pour insérer davantage les docteurs. La réduction de la précarité dépend aussi de la gestion des organismes de recherche, de leur politique de ressources humaines. Les efforts portent maintenant sur leurs dix premières années et non plus sur leurs dix dernières années. Avec 90 % de crédits récurrents et seulement 10 % d'appels à projet, notre système français est une exception culturelle internationale. Il y a donc beaucoup moins de précarité qu'ailleurs. Malgré tout, ces appels à projet ont généré davantage de contrats à durée déterminée. La loi Sauvadet que nous avons tous votée n'avait pas suffisamment anticipé son impact sur le secteur de la recherche. Les CDD n'ont pas pu tous être renouvelés, ce qui a permis d'intégrer moins de jeunes docteurs. Il faut donc trouver un équilibre entre appels à projet, crédits récurrents et insertion des jeunes, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas encourager des parcours à l'international qui sont bénéfiques pour les jeunes. J'ajoute que 31 % des chercheurs du CNRS et 41 % de nos doctorants sont étrangers. C'est une bonne chose car la recherche n'a pas de frontières.

Il faut donc avoir un discours ouvert, global et il faut conserver notre modèle français car, comme notre exception culturelle, il est précieux. Il permet à notre recherche publique d'être de qualité mais il doit travailler davantage avec la recherche privée.

Madame Santais, s'agissant du laboratoire souterrain de Modane, nous nous battons. Encore faut-il que les scientifiques soient convaincus, que la qualité soit au rendez-vous et que les collectivités s'engagent. En tout cas, je tiens à vous féliciter car vous avez toujours servi ce projet avec passion. Ce dossier sert un territoire qui a pâti d'une désindustrialisation. Je le répète, la recherche est un moyen de tirer vers le haut les territoires et l'on sait bien que les villes qui accueillent des étudiants et ont des laboratoires de recherche ne sont pas tout à fait comme les autres. On doit continuer à soutenir ces initiatives.

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