Intervention de Bernard Cottaz-Cordier

Réunion du 25 février 2015 à 9h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Bernard Cottaz-Cordier, porte-parole de l'Association départementale des élus communistes et républicains, ADECR-Les Alternatifs du Tarn-Europe écologie-Les Verts- NPA-PCF-Parti de Gauche :

Nous vous remercions de nous entendre, à la suite du courrier qui vous a été adressé par les différentes organisations tarnaises que je représente ce matin : l'Association départementale des élus communistes et républicains (ADECR), les Alternatifs du Tarn, Europe Écologie-Les Verts, le Nouveau Parti anticapitaliste, le Parti communiste français et le Parti de Gauche. Je suis pour ma part le co-secrétaire du Parti de gauche dans le Tarn.

Si nous avons décidé de vous écrire, c'est en raison de la tournure inquiétante que prennent depuis quelques semaines les événements qui se déroulent autour de la zone de Sivens. Nous considérons que nous sommes confrontés à un comportement pour le moins ambigu de ceux qui ont en charge le maintien de l'ordre républicain. Notre responsabilité politique était donc, nous a-t-il semblé, de vous interpeller.

Aujourd'hui, les experts ont rendu leur rapport et donné en grande partie raison aux opposants, en affirmant que le projet de barrage n'apparaissait pas comme une solution adaptée ; la ministre de l'écologie a déclaré que ce projet n'était plus d'actualité. Sur place, cela a suscité une mobilisation des partisans du barrage, qui ont décidé de passer à l'action en engageant une stratégie de la tension : cela concerne des personnes sur le terrain, mais aussi des élus et des responsables de syndicats agricoles. Lors des derniers week-ends se sont déroulées différentes actions, notamment des occupations de la voie publique, qui ont interdit la circulation sur un certain nombre de routes autour du site de Sivens.

Il n'est évidemment pas question pour nous de refuser à ces personnes qui ne sont pas de notre avis le droit de manifester, puisque nous revendiquons ce droit pour nous-mêmes. Ce qui pose problème, c'est le comportement des forces de l'ordre : la neutralité, qui devrait être la règle, ne nous paraît pas respectée.

Je voudrais donc faire connaître à votre commission quelques faits que nous avons relevés.

Le 1er février dernier avait été déclaré journée mondiale pour la sauvegarde des zones humides. À cette occasion, des animations étaient prévues sur le site de Sivens, notamment des conférences destinées à sensibiliser le public à cette question. Plusieurs dizaines de personnes ont donc tenté de se rendre sur place, mais, dès l'aube, les routes étaient interdites à la circulation : des blocages avaient été installés par des individus très organisés. Parmi eux, certains étaient équipés de treillis et de brassards : il ne s'agissait pas du tout d'une action spontanée.

La circulation était donc interrompue à différents endroits, et, à chaque fois, les gendarmes étaient présents. Jamais les forces de l'ordre ne sont intervenues pour rétablir la circulation ; elles ont laissé les manifestants parfaitement libres de leurs actions. À plusieurs reprises, les gendarmes, sollicités par des personnes qui souhaitaient se rendre sur le site de Sivens, ont répondu qu'on ne passait pas. Ce blocage s'est poursuivi toute la journée, dans une ambiance pour le moins cordiale entre les personnes qui barraient les routes et les forces de l'ordre présentes, et un peu moins cordiale entre les personnes qui souhaitaient se rendre sur le site et celles qui bloquaient les routes. Des agressions physiques, des menaces verbales ont eu lieu, dont Patrick Rossignol vous parlera tout à l'heure. Certains incidents auraient pu avoir des conséquences graves : un camion de pompiers, appelé pour porter secours à une personne victime d'un malaise – sans rapport avec ces événements –, a été bloqué ; les personnes qui barraient les routes ont arrêté une voiture qui se rendait sur le site, et, constatant qu'elle transportait notamment des cagettes de nourriture, ont soupçonné – à juste titre – que ces denrées étaient destinées aux occupants du site : ils ont alors ouvert les portes du véhicule et se sont emparées des objets. Ils s'en sont même vantés sur leur site internet, avec un commentaire qui se voulait humoristique : « merci aux collaborateurs des zadistes pour leur “don” ». Ce qui est grave, c'est que la personne à qui ces choses ont été volées précise, dans sa plainte, que les gendarmes présents ne sont pas intervenus pour empêcher ce vol. À notre connaissance, les personnes à l'origine de ces agissements n'ont pas été inquiétées.

Les événements se sont poursuivis : une personne ayant retrouvé son véhicule les quatre pneus crevés est allée déposer plainte au commissariat de Gaillac ; je ne résiste pas au plaisir de vous lire un passage de la plainte telle qu'elle a été saisie : « aucune constatation n'a pu être réalisée par nos soins, car la victime n'a pas amené les roues complètes dégonflées. » Les gendarmes supposaient-ils vraiment que la personne allait apporter ses roues ?

Voilà quelle est l'ambiance sur le terrain. À la suite de ce dépôt de plainte, d'ailleurs, la personne a voulu regagner son véhicule et l'a cette fois trouvé renversé dans le fossé : elle est donc retournée porter plainte. Mais tout cela s'est déroulé dans l'indifférence générale. Les auteurs des faits n'ont pas été poursuivis, alors qu'un groupe de gendarmes se trouvaient en faction à 200 mètres de là. Ces événements ont lieu dans une zone truffée de gendarmes.

Ce même 1er février, une réunion de coordination des opposants au barrage était prévue dans la zone de Sivens mais, en raison des blocages, cette réunion a été déplacée à Gaillac, à une dizaine de kilomètres de là. Elle a eu lieu dans un appartement privé, mis à disposition par une militante, mais elle a été brusquement interrompue par l'arrivée de plusieurs gendarmes, armés, au motif que quelqu'un avait été agressé dans la rue et s'était réfugié dans cet appartement. La scène se déroule sur le palier, dans une très grande tension. Une des personnes qui se trouvait dans l'appartement prend la décision de filmer, mais un gendarme veut l'en empêcher. Alors que je m'interpose, le gendarme pointe son Taser à cinquante centimètres de la personne qui filmait, en lui ordonnant d'arrêter, et en ajoutant que sinon, cela va mal se terminer. Heureusement, un gradé arrive et, devant l'absurdité de cette situation, demande à ses hommes de partir ; tout a pu se terminer dans le calme.

On est là, je le rappelle, dans un immeuble, un lieu privé.

Un peu plus tard dans la journée, différentes exactions ayant eu lieu, plusieurs personnes décident d'aller porter plainte à Gaillac. Nous les accompagnons et une trentaine d'entre nous se retrouvent devant la gendarmerie. Ce sont là que se déroulent les faits les plus graves de la journée. Je vous lis l'une des dépositions – faite auprès du procureur de la République, elle engage celui qui l'a faite, puisqu'une déclaration inexacte est passible de poursuites : « Vers dix-sept heures, nous avons vu débouler trois véhicules, qui se sont garés à proximité du poste de gendarmerie. Cinq personnes en sont sorties et se sont dirigées rapidement dans notre direction ; l'une était armée d'une barre de fer d'environ soixante centimètres de long. […] Nous avons essayé de discuter. La tension est montée d'un cran lorsque la personne armée d'une barre de fer a violemment saisi l'appareil photo d'un journaliste présent sur place pour le fracasser sur le sol. » Nous sommes toujours devant le commissariat : les gendarmes observent la scène depuis la guérite d'accueil, sans intervenir, malgré les demandes répétées faites via l'interphone. Ils ne se décident enfin à s'interposer qu'après l'agression du journaliste. Les personnes sont raccompagnées à leur véhicule et repartent tranquillement. Des plaintes ont été déposées mais nous ne savons pas ce qu'elles sont devenues ; aucune personne n'a été inquiétée.

Ces incidents se poursuivent sur le site : le week-end suivant, une personne arrivant avec son véhicule voit une altercation et fait monter l'une des personnes prises dans cette altercation pour l'emmener : les manifestants favorables au barrage présents sur place renversent le véhicule – avec les passagers à l'intérieur. Une plainte a été déposée, mais aucune suite ne lui a été donnée, à notre connaissance. Tout cela dure sur le site de Sivens – toujours occupé – depuis plusieurs mois au moins. Il y a plus d'un an, déjà, une agression avait déjà eu lieu puisqu'une vingtaine d'individus étaient venus saccager une maison appelée « la métairie neuve », qui abritait des personnes occupant symboliquement le site. Les assaillants avaient tout détruit, cassé portes et fenêtres, répandu du répulsif… avant de repartir dans leurs véhicules dont les plaques d'immatriculation avaient été masquées : il s'agissait bien d'une opération commando. Nul n'a jamais été inquiété pour ces faits ; on n'a retrouvé personne.

Ce qui est constant, dans tous ces cas, c'est l'attitude que l'on peut qualifier de complaisante des forces de l'ordre. Jamais aucun des individus coupables de ces exactions n'a été inquiété. L'impunité dont ils semblent jouir, voire les encouragements de certains élus, renforcent leur détermination, les poussent à l'escalade et à la violence. C'est le fonctionnement même de la démocratie qui est en cause : pas plus tard que dimanche dernier, une candidate à l'élection départementale a été agressée, son véhicule tagué, ses pneus crevés. Là encore, plainte a été déposée. Je ne peux que qualifier ces méthodes de fascisantes ; elles sont, je le répète, le résultat de l'impunité dont certains ont le sentiment de bénéficier, mais aussi de l'attitude de certains élus qui exacerbent les tensions – et la période électorale n'est pas favorable au calme.

Nos organisations ne pensent pas que la violence soit un bon moyen de faire entendre nos voix. Le rôle des forces de l'ordre doit être de faire respecter la loi, pour tout le monde. Ce n'est malheureusement pas ce que nous constatons aujourd'hui autour de Sivens.

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