Intervention de Patrick Rossignol

Réunion du 25 février 2015 à 9h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Patrick Rossignol, maire de Saint-Amancet :

Ma position est particulière. Agriculteur céréalier ayant recours à l'irrigation – je cultive du maïs en société avec deux voisins –, membre de la FNSEA, je suis plutôt partisan des lacs collinaires dont l'utilisation me semble moins néfaste que le fait de puiser dans les nappes phréatiques. Au départ, je n'étais donc pas opposé au barrage de Sivens. C'est en tant que citoyen, père de famille et maire d'une petite commune du Tarn que je m'y suis intéressé ; en effet, je trouve choquant qu'alors qu'aucune urgence ne le justifie, l'on mobilise les forces de l'ordre au lieu de négocier avec les opposants au projet. J'ai plusieurs fois indiqué à M. Carcenac – que j'ai rencontré au Conseil général du Tarn et dans ma mairie – que sa position relevait de la folie : ce n'est pas en attisant les tensions par le recours toujours plus massif aux forces de l'ordre que l'on réglera la question. Je comprends le désarroi de Mme Lherm – pour un maire, une telle situation au sein de sa commune est intenable –, mais ce type de réaction ne fait qu'envenimer la situation. En tant qu'agriculteur, je me suis également intéressé au coût du projet, quatre à dix fois supérieur à celui du lac collinaire que j'utilise actuellement. Enfin, on aurait pu éviter d'envisager la construction du barrage dans une zone à protéger. En considérant l'ensemble du dossier, je suis parvenu à la conclusion que les opposants au barrage avaient raison – prise de position qui m'a valu les reproches de la profession agricole, y compris de mes propres associés.

Lors des manifestations qui ont précédé celle du 1er février, notamment les 25 et 26 octobre, j'ai pu constater le rapport de forces entre les opposants et les gendarmes. La présence de ces derniers n'avait rien de nécessaire – il n'y avait ni personnes ni matériel à protéger – et relevait de la provocation. Il faudrait comprendre qui en est responsable, même si l'on ne peut excuser le comportement des jeunes qui ont participé à la confrontation.

Le 1er février, je suis revenu sur le site, à la fois pour continuer à me tenir informé des événements, mais aussi du fait de la Journée mondiale des zones humides – autre enjeu important de mon travail. En effet, je m'occupe également du tourisme, encadrant des activités sportives telles que la spéléologie, le canyoning et la randonnée. Parti en confiance, je suis tombé sur des barrages imprévus ; m'étant garé à distance, je suis allé à la rencontre de ceux que je pensais être des agriculteurs, dans l'idée de discuter avec tout le monde. Si la conversation s'est bien déroulée avec certains d'entre eux – certainement de vrais agriculteurs –, je suis ensuite tombé sur des gens qui m'ont bousculé et menacé avec des barres de fer, promettant de retourner mon véhicule avec la fourche du tracteur. Parmi les insultes que j'ai essuyées : « J'espère que vos électeurs vous cracheront à la gueule quand ils sauront que vous soutenez ces rats ! » Un autre a alors répliqué : « Ce ne sont même pas des rats, c'est même pire, cette merde ! » Voilà le genre de phrases qui interdisent toute discussion.

La présence sur place des gendarmes – qui avaient une attitude correcte et surveillaient la situation – semble dans ce cas se justifier, même si d'autres témoins ont affirmé qu'un peu plus tard, ils ont clairement pris parti pour l'un des camps. En revanche, à Gaillac – où je me suis rendu ensuite –, le comportement ambigu des forces de l'ordre a été réellement révoltant. Venu pour assister à une réunion, j'ai appris l'arrivée sur la place des partisans du barrage ; en tant que maire – et n'étant pas habillé comme un zadiste –, j'ai cru pouvoir m'interposer. Descendant dans la rue, je suis allé à leur rencontre pour leur demander d'arrêter leur action. En réponse, je me suis à nouveau fait insulter et menacer par des individus en treillis armés de barres, le bras décoré d'une bande de scotch. Étonnamment, les gendarmes sont arrivés très vite, mais se sont contentés de discuter avec les partisans du barrage avant de remonter vers l'appartement en me bousculant presque au passage, pour y rejoindre plusieurs autres collègues. Les y voir en si grand nombre, lourdement équipés, était choquant. Quant à l'individu qui prétend avoir été agressé, ayant vu la scène et lu son témoignage dans La Dépêche du Midi, je doute de la réalité des coups qu'il a reçus et du caractère fortuit de sa présence sur les lieux.

Revenu à mon véhicule, je l'ai trouvé fracassé à coups de barres. À la gendarmerie, on a écouté avec attention ma plainte concernant le véhicule, mais l'on a refusé d'enregistrer la partie relative aux menaces. On m'a demandé si je n'avais pas vu quelqu'un se promener avec une arme blanche ; lorsque j'ai émis des réserves sur la réalité de l'agression, on m'a répondu que je n'avais pas à mettre la plainte en doute. La différence de traitement est ici flagrante. Une fois dehors, j'ai vu des voitures arriver et quatre ou cinq personnes en descendre, armées de barres ; j'ai alors appelé à l'aide, demandant aux gendarmes par interphone de venir s'interposer. Le gendarme en faction m'a alors répondu : « Non, ils n'ont rien dans les mains, je ne vois rien ». Les forces de l'ordre ont attendu l'agression du jeune journaliste et de deux autres personnes – visés en raison de leurs origines maghrébines ou à cause de leurs appareils photo ? –, et mon deuxième appel, pour sortir et nous séparer. Se promenant toute la journée avec des barres sans que la gendarmerie intervienne, les partisans du barrage font penser à une milice ; lorsque j'ai indiqué l'un d'entre eux à un gendarme, celui-ci l'a ceinturé gentiment – presque une accolade – et l'individu a jeté sa barre à travers les grilles de la gendarmerie avant d'être relâché. Les gendarmes ont laissé partir toutes ces personnes sans relever les identités. En revanche, lorsqu'un journaliste, membre du groupe, a commencé à s'indigner, un gendarme – sûrement un gradé – s'est mis à l'injurier, criant : « Vous m'emmerdez tous, d'un côté comme de l'autre ! » Cette histoire aurait pu se terminer par un drame et un scandale au niveau national.

Dans l'ensemble, les gendarmes obéissent aux ordres qu'ils reçoivent, même s'ils semblent parfois perdus et qu'il leur arrive de prendre des initiatives malheureuses – j'espère que c'est de cela qu'il s'agit dans l'incident de Gaillac. En revanche, on parle peu de la responsabilité des élus – départementaux ou syndicaux – qui ont incité au déploiement des forces de l'ordre et qui continuent, en cette période de campagne électorale, à attiser le feu et à dresser les uns contre les autres. La ZAD représente pourtant une société en miniature : si l'on y compte des personnes paumées et sûrement des délinquants, l'on y rencontre aussi des jeunes qui pourraient être nos enfants. Certains d'entre eux ont des capacités intellectuelles élevées – j'y ai vu des ingénieurs et une jeune fille qui a étudié à Sciences Po – et sont animés d'un idéal. Je conseillerais d'aller les voir car j'ai été agréablement surpris en les rencontrant. Les élus devraient se montrer plus responsables : le projet étant suspendu, il faut qu'ils reprennent la négociation au lieu d'attiser les tensions, puis d'envoyer les forces de l'ordre dans l'espoir que cette attitude autoritaire leur apporte des bénéfices électoraux.

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