Je vous remercie de me recevoir à la veille d'une semaine durant laquelle se tiendront, le mardi 10 février, un Conseil Affaires générales, puis, le jeudi 12 février, une réunion informelle des chefs d'État ou de gouvernement qui abordera principalement la question du terrorisme.
Après les attentats qui ont touché notre pays, les Européens se sont spontanément et fortement mobilisés autour de la France. Au-delà des réactions des autorités politiques, les citoyens se sont rassemblés devant les ambassades de France ou ont adressé des témoignages de soutien sur les réseaux sociaux. Cet élan s'est incarné dans la marche républicaine du 11 janvier à Paris, à laquelle ont participé de nombreux chefs d'État ou de gouvernement européens aux côtés des Français et du Président de la République. Après les attentats contre le musée juif de Belgique à Bruxelles en mai dernier, et ceux, plus anciens, de Londres ou de Madrid, les chefs d'État ou de gouvernement européens ont conscience que la menace vise nos valeurs communes, et que tous les pays européens peuvent être frappés. Ils ont manifesté la volonté d'être au côté de la France, et le souhait d'une action européenne solidaire et coordonnée a été très clairement exprimé dès la réunion des ministres de l'intérieur européens du 11 janvier.
À la suite de la rencontre des ministres de la justice et de celle des ministres de l'intérieur, qui se sont tenus à Riga la semaine dernière, nous attendons qu'à l'issue de la réunion du 12 février, le Conseil européen prenne des décisions et fixe des orientations dans trois directions.
La sécurité de nos concitoyens constitue la première d'entre elles.
À ce titre, le Conseil européen devrait demander que le Conseil et le Parlement européen adoptent le plus rapidement possible la directive PNR, actuellement bloquée au Parlement européen. À Paris, à Bruxelles et à Strasbourg, M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, et moi-même ne ménageons pas nos efforts pour convaincre les députés européens de la nécessité de voter ce texte. Dans le cadre du dialogue avec le Parlement européen, nous sommes entièrement disposés à étudier les propositions qui pourraient nous être soumises concernant la proportionnalité du dispositif, notamment pour ce qui concerne la durée de conservation des données ou le contrôle des autorités ayant accès aux données personnelles. Il est indispensable d'aboutir car l'alternative, consistant en la mise en oeuvre de multiples PNR nationaux – ce sera le cas en France à partir du mois de septembre – , n'aurait pas l'efficacité d'un PNR européen faute de système harmonisé, et n'offrirait pas non plus les garanties souhaitées par le Parlement européen en matière de protection des données. Je rappelle aussi, qu'aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de savoir si des personnes déjà fichées passent les frontières de l'Union dans un sens ou dans l'autre.
Le cadre de Schengen doit également être pleinement utilisé, et les contrôles aux frontières extérieures de l'Union doivent être renforcés. Le Conseil européen devrait proposer une modification ciblée du code Schengen afin de permettre des contrôles systématiques aux frontières externes. La liberté de circulation à l'intérieur de la zone Schengen, que nous voulons résolument défendre, sera en effet d'autant mieux assurée que l'effectivité de ces contrôles sera garantie.
Il faut aussi renforcer la coopération policière et judiciaire au niveau européen, que ce soit au plan opérationnel ou en termes d'échange d'informations, en particulier via Europol et Eurojust.
Toutes les autorités compétentes en matière de lutte contre le trafic illégal des armes à feu doivent accroître leur coopération, et les États membres doivent, si cela est nécessaire, adapter rapidement leur législation nationale.
Enfin, la traçabilité des flux financiers doit être renforcée. M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a particulièrement insisté sur ce sujet qui était à l'ordre du jour du dernier conseil ECOFIN. La lutte contre le terrorisme est en effet indissociable de celle contre ses modes de financement. Il faut que des mesures supplémentaires soient adoptées en matière de traçabilité des paiements, d'harmonisation du contrôle des flux financiers, et de lutte contre le blanchiment d'argent, les réseaux opaques ou les centres financiers offshore.
Le Conseil européen devrait agir dans une deuxième direction : la prévention de la radicalisation et la promotion de nos valeurs.
Nous avons besoin d'un cadre global au niveau européen qui doit notamment comprendre la mise en place d'un dialogue structuré avec les grands opérateurs d'internet au niveau européen et international. En effet, internet, au-delà du rôle qu'il joue dans la radicalisation, est aussi un vecteur de communication pour les terroristes. C'est pourquoi la France souhaite que la Commission européenne propose une législation pour assurer, à chaque fois que c'est nécessaire, la suppression des contenus visant à l'apologie et à l'incitation au terrorisme, ou l'impossibilité d'y accéder. Si nous n'harmonisons pas les règles en vigueur et si les grandes entreprises mondiales de l'internet ne coopèrent pas, il sera extrêmement difficile de lutter contre la propagande terroriste au seul niveau national. J'ai eu l'occasion d'évoquer le sujet, à la fin du mois dernier, lors de la session spéciale de l'Assemblée générale des Nations unies consacrée à la montée de l'antisémitisme.
Dans ce cadre global, il faut également travailler en commun à un contre-discours de vérité visant la propagande terroriste – le « contre-narratif » qu'illustre le site stop-djihadisme.gouv.fr lancé récemment en France par le Gouvernement – , mais aussi à un discours positif pour promouvoir les valeurs de l'Europe, la tolérance, la non-discrimination, le respect des libertés fondamentales, et la solidarité.
Le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RAN) réunit des praticiens européens autour d'une approche transversale et pluridisciplinaire du phénomène de la radicalisation. Ses activités doivent être renforcées.
Enfin des initiatives devront être prises dans le domaine de l'éducation, de la formation professionnelle, et de l'intégration sociale, à la fois dans les États membres et au niveau européen, notamment avec le soutien des fonds structurels.
Nos attentes concernent une troisième direction : le renforcement des coopérations avec nos partenaires internationaux.
Les conflits dans notre voisinage, notamment dans notre voisinage sud, doivent être traités avec une approche plus stratégique. Il nous faut donner aux questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme une place renforcée dans nos échanges avec les États tiers, et plus particulièrement ceux du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, notamment en mobilisant les différents instruments financiers de l'action extérieure.
Les trois directions que je viens d'évoquer forment un tout, une approche globale. Le Conseil européen informel constituera une étape importante, mais d'autres viendront ensuite. La Commission a notamment indiqué qu'elle publierait au mois de mai une communication sur une stratégie sur la sécurité.
Vous m'avez par ailleurs interrogé sur l'Ukraine, autre sujet qu'abordera le Conseil Affaires générales.
Le résultat du Conseil Affaires étrangères extraordinaire de la semaine dernière, au cours duquel je représentais M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, en déplacement en Chine, est conforme à la ligne proposée par la France. Il a ainsi été décidé de reconduire jusqu'à septembre 2015 les sanctions individuelles adoptées en mars 2014 contre les séparatistes en Ukraine et ceux qui les soutiennent. De nouvelles listes devront être préparées par la Commission et le service européen pour l'action extérieure (SEAE) afin que d'autres sanctions individuelles puissent éventuellement être adoptées par le Conseil Affaires étrangères du lundi 9 février. La Commission et le SEAE devront également mener des travaux préparatoires concernant toute action appropriée en vue d'assurer la mise en oeuvre rapide et concrète des accords de Minsk.
Les débats ont été marqués par l'aggravation de la situation sur le terrain. Il est apparu que, pour nombre d'États membres aux positions à ce jour équilibrées, la prise de Marioupol constituerait un changement de nature du conflit, tout autant que d'échelle.
L'unité des Européens a été préservée, et l'ensemble des ministres des affaires étrangères se sont retrouvés, autour d'une proposition soumise par la France et l'Allemagne, sur l'idée d'un renforcement des sanctions qui doit permettre de ramener les parties à reprendre la feuille de route de Minsk et à suivre le protocole d'accord signé au mois de septembre 2014. Le processus mis en oeuvre après les réunions au format Normandie avait abouti à un cessez-le-feu, le 9 décembre, et à des échanges de prisonniers à la fin de l'année. L'objectif est de le reprendre où il s'était interrompu au mois de janvier après une dégradation de la situation sur le terrain.
Nous sommes plus que jamais convaincus que cette confrontation n'a pas d'issue militaire et qu'il faut donc mettre en oeuvre la totalité des accords de Minsk : cessez-le-feu, retrait des armes lourdes au-delà des lignes convenues, libération de prisonniers et des otages de part et d'autre... L'élection de représentants légitimes des régions de l'est de l'Ukraine dans un cadre constitutionnel fixé par l'Ukraine est indispensable afin qu'un statut puisse être donné à ces régions. Les autres questions traitées par le protocole de Minsk, comme les accords sur le gaz ou les échanges économiques entre l'Ukraine et la Russie, pourront ensuite être abordées dans un cadre pacifique. Cela suppose évidemment que la Russie n'apporte plus d'aide aux séparatistes et qu'elle ne leur fournisse plus ni armes ni troupes. J'ajoute qu'il faut aussi éviter que, du côté ukrainien, ne se développe, au sein d'une partie de l'État, de la société ou de l'appareil militaire, l'idée selon laquelle des offensives pourraient aider à régler la question. Elles seraient en fait vouées à l'échec, en raison de la très grande supériorité militaire des séparatistes auxquels la Russie apporte une aide très forte, et elles ne feraient qu'aggraver les choses et rendre plus difficile encore le retour à la solution négociée.
J'en viens à la question de la dette grecque. Le Premier ministre grec, M. Alexis Tsipras, a été reçu en début d'après-midi par le Président de la République qui lui a fait part, en ma présence, de la position de la France. Le gouvernement que le peuple grec s'est donné dispose de la légitimité et de temps pour mettre en oeuvre une autre politique que celle fondée sur l'austérité qui a échoué précédemment – la dette qui devait être ramenée à 120 % du PIB en représente désormais 175 % ! Il faut respecter cette aspiration au changement et cette volonté de justice et de croissance. Il faut aussi que soient respectées les règles européennes. Dans ce cadre, M. Alexis Tsipras ayant réaffirmé la volonté de la Grèce de rester dans la zone euro, notre action peut être guidée par quelques principes simples.
Il s'agit tout d'abord du principe de solidarité. La France le met naturellement en oeuvre en raison de ses liens amicaux anciens et profonds avec la Grèce. Nous voulons aujourd'hui aider le peuple grec à sortir de la crise qu'il traverse.
Le principe de responsabilité s'applique aussi car si l'on peut comprendre que le nouveau gouvernement veuille mettre en oeuvre des réformes différentes de celles précédemment engagées, il n'en demeure pas moins que certains sujets, comme la fiscalité, la modernisation de l'administration, ou la lutte contre la corruption, doivent être traités. Le gouvernement de M. Tsipras est d'ailleurs parfaitement conscient des problèmes et il s'est engagé sur ces sujets.
La responsabilité est aussi celle que partagent les Européens afin que la Grèce, en appliquant sa propre stratégie, retrouve la croissance, les investissements, la création d'emplois dont découlera l'assainissement des finances. Sur ce chemin, le pays doit évidemment rester attentif aux équilibres budgétaires. M. Tsipras considère lui-même que le budget grec doit rester en excédent primaire – c'est le cas aujourd'hui, et il s'agit déjà d'un progrès.
Il reste à trouver les nouvelles modalités de la contractualisation entre les institutions européennes et le nouveau gouvernement grec qui ne veut plus avoir affaire à la troïka. La Commission européenne reste un interlocuteur naturel pour un dialogue entre un État membre et l'Union sur les questions de stabilité dans la zone euro, et le gouvernement grec devra poursuivre ses échanges avec la Banque centrale européenne (BCE) afin d'obtenir des liquidités à court terme, mais aussi avec le FMI avec lequel un programme est en cours. En revanche, je crains qu'il soit désormais difficile d'envoyer des représentants techniques de ces trois institutions dicter à des gouvernements quelles réformes ils doivent ou ne doivent pas mettre en oeuvre.
La Grèce ne souhaite pas que le programme conditionnant les aides de la BCE soit prolongé. Il faudra mettre en place un « programme de jonction » afin que le nouveau gouvernement grec définisse d'ici au mois de mai sa stratégie de croissance globale et le nouveau cadre de contractualisation avec les États membres et la Commission.
Ce travail mené en commun au sein de l'Union répond parfaitement à un autre principe : celui de l'unité européenne.
Aujourd'hui, la discussion avec M. Alexis Tsipras a été très constructive, comme celle qui s'est déroulée dimanche entre le ministre des finances grec, M. Yanis Varoufakis, et M. Michel Sapin. Le Premier ministre et le ministre des finances continuent de faire le tour des capitales européennes. Le conseil ECOFIN ou l'Eurogroupe se réuniront prochainement afin que les ministres de finances aident collectivement les nouvelles autorités grecques à définir leur programme de travail. La Grèce peut être assurée qu'elle bénéficiera de l'appui, de la solidarité, et du soutien de la France.
Il n'existe pas de discussions portant sur l'annulation de la dette grecque qui, aujourd'hui, n'est plus constituée d'emprunts auprès d'institutions privées mais contractée, directement ou indirectement, auprès d'autres État membres. Cette situation rend impossible une annulation qui ferait porter le poids de cette dette par les contribuables européens. Les discussions peuvent en revanche porter sur une multitude d'éléments : maturité des prêts, niveau des taux, conditions diverses… Elles visent à la fois à maintenir la stabilité de la zone euro, et à permettre à la Grèce de réaliser ses objectifs. Le gouvernement grec a besoin d'une stratégie et d'un calendrier pour que la croissance permette au pays d'affronter ses problèmes de dette et de retrouver le plein-emploi.