Intervention de Jean-Christophe Peaucelle

Réunion du 27 janvier 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Le directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient serait plus qualifié que moi pour débattre de la politique française à l'égard de la Syrie.

Monsieur Dupré, notre politique s'inscrit nécessairement dans le très long terme. Y a-t-il un espoir que l'on parvienne à protéger les minorités ? Pour ma part, je suis assez optimiste, même si je reste réaliste : nous sommes actuellement en pleine crise. Cependant, il faut raisonner à l'échelle du temps historique, souvent très long. Ne perdons pas de vue que les sociétés civiles connaissent en ce moment de profonds bouleversements dans le monde arabe et au Moyen-Orient – j'inclus aussi l'Iran ; je n'oublie donc pas les Chiites, monsieur Marsaud – dans le sens d'une aspiration à la liberté et d'une émancipation des femmes, un nombre croissant de filles fréquentant l'école et l'université. Ces changements sont extraordinairement difficiles à faire accoucher – nous vivons peut-être les douleurs de l'enfantement –, car les résistances sociales et politiques sont nombreuses. Paradoxalement, ces évolutions sont aussi un des facteurs qui attisent, en réaction, le fondamentalisme. Aux yeux des fondamentalistes, elles représentent en effet les pires horreurs qu'ils puissent imaginer. Néanmoins, à terme, la nouvelle génération de jeunes aspire, selon moi, à cette citoyenneté. Les jeunes de la révolution égyptienne, qu'ils soient chrétiens ou musulmans, se définissaient comme citoyens. Seulement, les populations n'ont pas l'expérience de la démocratie : elles tâtonnent, elles commettent des erreurs et se heurtent à des résistances.

S'agissant de l'islam radical, je recommande d'employer l'expression « terrorisme djihadiste » plutôt que le terme « djihadisme », car le djihad a une valeur positive dans l'islam : il s'agit de l'ascèse que pratique chaque individu pour devenir meilleur. Quoi qu'il en soit, une mobilisation générale de la communauté internationale est nécessaire pour lutter contre ce phénomène. Et il est essentiel que les autorités religieuses musulmanes prennent toute leur part à ce combat. À cet égard, j'ai été frappé par la rapidité et la clarté des réactions de certaines institutions musulmanes après les attentats de Paris, notamment d'Al-Azhar, qui fait référence dans l'ensemble du monde sunnite. Cela mérite d'être relevé et encouragé. En tant que conseiller pour les affaires religieuses, il me revient de dialoguer avec ces institutions, non seulement pour leur demander de réagir, mais aussi pour les remercier lorsqu'elles le font. Il est important de marquer ainsi notre estime et notre approbation lorsque nous constatons des évolutions positives.

La mobilisation internationale est-elle à la hauteur ? Elle progresse, mais elle doit encore s'accélérer et s'intensifier, notamment au sein de l'Union européenne. En 2008 et 2009, la direction d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient – dont j'étais alors le directeur-adjoint – et la direction d'Afrique s'étaient employées, mais on avait parfois l'impression d'être peu entendus, à sensibiliser nos partenaires européens à la menace que représentait Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Monsieur Guibal, il n'y a pas de Saoudiens chrétiens, mais il y a beaucoup de Chrétiens en Arabie Saoudite. Au Qatar, il n'y a pas de statistiques officielles sur ce point, mais je ne serais pas surpris qu'il y ait davantage de Chrétiens que de Musulmans, les Qatariens n'étant que 200 000 sur une population de 2,2 millions d'habitants. Dans l'ensemble de la péninsule arabique, les Chrétiens se comptent aujourd'hui par millions. Ils sont souvent philippins ou indiens. Pour l'Église catholique, il y a là une priorité pastorale. En Arabie Saoudite, la situation des Chrétiens est très difficile, puisque le culte chrétien est interdit. En revanche, il est autorisé officiellement et pratiqué de manière ouverte au Qatar, où s'applique un wahhabisme très édulcoré par rapport à celui de l'Arabie Saoudite.

Le Vatican se préoccupe beaucoup de tout ce qui se passe dans la région. Le pape a pris des initiatives : lorsqu'il s'est rendu en Terre sainte, il a invité les plus hautes autorités israéliennes et palestiniennes. Ces gestes contribuent à faire évoluer les esprits, mais le Vatican ne peut pas régler les problèmes à lui tout seul. Nous avons des contacts étroits avec le Saint-Siège et avec les responsables des Églises d'Orient, qui sont souvent des informateurs très précieux. Je recommande toujours à mes autorités d'écouter ce qu'ils ont à nous dire, même lorsque nous ne faisons pas la même analyse qu'eux, par exemple sur la crise syrienne.

En Israël et dans les territoires palestiniens – j'ai passé quatre ans en poste à Jérusalem –, c'est bien plus « une » minorité que « des » minorités qui rencontrent des difficultés. En effet, la problématique dominante reste le conflit israélo-palestinien. Il n'y a pas à ce stade – et j'espère qu'il n'y en aura pas – de problème politique ou religieux entre les Chrétiens et les Musulmans : les Palestiniens chrétiens se sentent fondamentalement palestiniens et solidaires de leurs compatriotes musulmans. Néanmoins, ils émigrent davantage qu'eux, parce qu'ils ont le sentiment d'être minoritaires au sein de la minorité. Ils sont souvent très bien formés, notamment dans les écoles de tradition française ou francophone, ce qui facilite leur accueil et leur intégration dans les pays occidentaux, dont ils sont aussi plus proches par leur tradition chrétienne.

Monsieur Germain, j'ai entendu, de la part de réfugiés irakiens en France, des propos analogues à ceux que vous rapportez. Ils ne veulent pas rentrer dans leur pays, et c'est un sentiment très fort. Beaucoup disent qu'ils se sont sentis trahis par leurs voisins et qu'ils ne pourront plus leur faire confiance. Je comprends, bien sûr, le traumatisme des personnes déplacées et des réfugiés, mais il est aussi délicat, depuis nos confortables bureaux parisiens, de juger les Musulmans de Mossoul qui ne se sont pas sentis en mesure d'aider leurs compatriotes chrétiens : ils étaient eux-mêmes en danger de mort, Daech tuant non seulement les Chrétiens, mais aussi les Musulmans qui ne se soumettent pas à leur ligne.

En tout cas, si nous voulons reconstruire ces pays – je me place à nouveau dans une perspective de long terme –, nous devrons recréer ces liens, raccommoder le tissu social, ce qui sera très compliqué. Dans le processus politique, il faudra donc inclure des dispositifs de dialogue, de justice et de réconciliation. Il s'agit d'une problématique relativement nouvelle dans la réflexion de la communauté internationale. Néanmoins, certaines agences des Nations unies et des ONG se sont spécialisées en la matière.

Il paraît difficile de recourir à des accords de réciprocité pour maintenir le pluralisme religieux. Lorsqu'une minorité chrétienne ou autre se verrait privée de droits dans un pays donné, cela impliquerait que nous réduisions les droits de certaines minorités chez nous, alors que celles-ci n'ont rien à voir avec la situation que nous voulons corriger. Ce n'est possible ni d'un point de vue juridique ni d'un point de vue politique. En revanche, nous abordons régulièrement ces questions dans le dialogue bilatéral avec les pays concernés.

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