Je vous remercie d'avoir invité l'ANACT à faire part de son point de vue. Ce n'est pas vraiment par rapport au projet de loi relatif à la santé que je souhaitais apporter des éléments complémentaires à ceux que nous avions déjà présentés car, à notre sens, il ne contient quasiment rien au sujet de la santé au travail. En effet, seul un article y est consacré : il s'agit de l'article 6 portant sur les conditions d'exercice des collaborateurs médecins non spécialistes en médecine du travail. Il n'y a pas de disposition spécifique sur la prise en compte de la santé des femmes au travail.
J'exprime, au nom de l'ANACT, le point de vue d'un praticien de l'intervention en entreprise, notre mission consistant en effet à réaliser des diagnostics et des interventions, lesquelles sont la plupart du temps liées à un problème de santé au travail et dans de nombreux cas cela concerne la santé des femmes (sur-absentéisme, risques psychosociaux, troubles musculo-squelettiques, usure professionnelle). Nous n'intervenons pas en raisonnant du point de vue de la réparation et de l'indemnisation mais de la prévention primaire, à travers des actions relatives à l'organisation du travail. Depuis cinq ans, nous intégrons à notre travail une approche genrée – même si l'on n'utilise plus le terme de « genre » dans les entreprises, mais plutôt celui d'« égalité ».
Nous avons fait le constat que la prise en compte du genre en matière d'exposition aux risques professionnels et de paramètres tels que les différences entre les parcours, les métiers, les contraintes de travail ou encore l'impact différencié des risques sanitaires sur les femmes et les hommes, permettaient d'affiner nos diagnostics et nos recommandations. In fine, cela permet d'améliorer les plans de prévention des risques ou les plans d'amélioration des conditions de travail et ce, au bénéfice de tous, pas uniquement des femmes.
Je voudrais mettre en avant plusieurs points.
Le premier concerne les lacunes persistantes en termes de production de données sexuées en santé et sécurité au travail (SST). Cela fait trois ans que l'ANACT publie, de son propre chef, des données relatives à l'évolution de la sinistralité des 18 millions de salariés relevant de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs (CNAMTS), qui ne les publie toujours pas dans son rapport de gestion. Par ailleurs, j'appelle votre attention sur le fait que le groupe d'orientation du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT), qui a produit un document en décembre dernier dans le cadre de la préparation du troisième « plan santé au travail », qui devrait être présenté prochainement, prévoit, dans son orientation n° 6, de rassembler et de mettre en perspective les données de santé au travail. Il y a quinze points de recommandations, mais aucune mention particulière sur la production de données sexuées en santé et sécurité au travail. Il conviendrait d'y remédier.
À l'échelle régionale – je veux parler des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) –, les données sexuées sont très rares. Pourtant, là encore, cela pourrait être développé pour alimenter les plans régionaux en santé au travail.
Au niveau des entreprises, les données sont souvent sexuées dans les bilans sociaux, à l'exception de celles qui concernent la santé et sécurité au travail. La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a toutefois prévu, pour les rapports de situation comparée (RSC), un neuvième domaine d'indicateurs en santé et sécurité au travail, ce qui va conduire les entreprises de de moins et de plus de 300 salariés à produire ce type de données. Nous constatons cependant une lacune lorsque nous intervenons en entreprise : les rapports annuels des médecins du travail ne font pas apparaître de données sexuées. Il me semble par ailleurs que le code du travail ne prévoit aucune obligation de produire des données sexuées. Il est regrettable que la loi du 4 août 2014 n'ait pas apporté de corrections à ce problème.
Nous avons en revanche constaté des progrès en ce qui concerne les enquêtes sur les conditions de travail de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail. Désormais, toutes les enquêtes sont traitées selon le sexe et intègrent mieux la question du genre, avec en particulier des données sur la situation familiale et le « hors travail », les risques liés aux difficultés de conciliation des temps ou aux emplois à prédominance féminine et la prise en compte d'éléments tels que le manque d'autonomie, les exigences émotionnelles, les conflits éthiques, l'insécurité de l'emploi par exemple. Dans le cadre de ces enquêtes sur les conditions de travail, deux sujets sont encore absents : les risques liés à la discrimination et au sexisme.
Il y a un biais dans certaines enquêtes, comme l'enquête SUMER (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels). Cette enquête se caractérise en effet par une sous-représentation des femmes, dans la mesure où les personnes interrogées sont « piochées » dans l'agenda des médecins. Au total, il y a 42 % de femmes parmi les 30 000 ou 50 000 personnes enquêtées. Malgré le redressement opéré dans le cadre de cette enquête, il y a un biais non négligeable.
Je voudrais faire état d'un dernier point sur les données : les études épidémiologiques des organismes de recherche sont faites toutes choses égales par ailleurs. Or nous avons constaté, à plusieurs reprises, que, dans les entreprises, il faut raisonner toutes choses inégales par ailleurs – les femmes et les hommes n'occupent pas les mêmes emplois, n'ont pas les mêmes parcours, etc. Les études faites toutes choses égales par ailleurs masquent un certain nombre de contraintes propres aux femmes. Une étude sur l'absentéisme réalisée à partir de l'enquête SUMER montre d'ailleurs que les analyses faites toutes choses égales par ailleurs ne font pas apparaître de différences selon le sexe s'agissant des facteurs de contraintes au travail mais que ces facteurs apparaissent en revanche lorsque les femmes et les hommes sont étudiés séparément.
En ce qui concerne les données elles-mêmes, l'écart continue de se creuser, entre les femmes et les hommes, concernant les accidents du travail. Nous avons désormais les chiffres correspondant à la période 2000-2013. Le nombre d'accidents du travail continue de diminuer : il a baissé de 17 % en treize ans, et cela est tant mieux. Il y a toutefois une asymétrie : les accidents de travail des hommes ont diminué de 29 % tandis que ceux des femmes ont augmenté de 25 %. On notera que les deux tiers des accidents du travail concernent des hommes.
Il y a trois grands secteurs « accidentogènes » pour les femmes. Il s'agit tout d'abord de la santé et l'action sociale, du nettoyage et du travail temporaire ; les accidents de travail des hommes ont diminué, entre 2001 et 2012, de 27 % et ceux des femmes ont augmenté de 60 %. Par ailleurs, dans les activités de services, banques, assurances, les accidents de travail des hommes ont baissé de 15 %, ceux des femmes ont cru de 24 %. Enfin, s'agissant du commerce non alimentaire, on observe également une progression de 16 % pour les femmes, tandis que les accidents du travail ont diminué de 16 % sur la même période.