Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du 3 février 2015 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • absentéisme
  • accidents
  • inaptitude
  • médecin
  • sexuées

La réunion

Source

La séance est ouverte à 17 heures 10.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation procède à l'audition, sous forme de table ronde, de Mme Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), de Mme Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail (A-SMT), de M. Alain Randon, secrétaire adjoint de l'A-SMT, médecins du travail, et de M. Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SPNST), sur les femmes et la santé au travail et sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302).

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Mesdames, messieurs, la délégation s'est saisie du projet de loi relatif à la santé au regard des enjeux spécifiques liés à la santé des femmes. Dans ce cadre, nous avons souhaité vous entendre sur la santé au travail et les femmes. J'ajoute que nous avons déjà eu l'occasion d'auditionner des responsables de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) au cours de précédents travaux de la délégation.

Si la santé au travail s'améliore pour les hommes, cela n'est pas forcément le cas pour les femmes : il serait donc intéressant d'en connaître les raisons. Par ailleurs, à l'occasion des débats sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, nous avions discuté de l'invisibilité des problèmes de santé des femmes au travail. Un métier pénible est rarement décrit ou considéré comme tel par les femmes.

Vous pouvez, si vous le souhaitez, nous présenter brièvement les organismes que vous représentez mais je souhaiterais avant tout que vous réagissiez par rapport au contenu du projet de loi relatif à la santé et que vous nous fassiez part de vos éventuelles suggestions de modifications.

Mes cher-e-s collègues, je vous précise également que Mme Véronique Massonneau, qui est aujourd'hui parmi nous, va remplacer Mme Barbara Pompili au sein de notre délégation. Mesdames, messieurs, je vous laisse à présent la parole.

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

Je vous remercie d'avoir invité l'ANACT à faire part de son point de vue. Ce n'est pas vraiment par rapport au projet de loi relatif à la santé que je souhaitais apporter des éléments complémentaires à ceux que nous avions déjà présentés car, à notre sens, il ne contient quasiment rien au sujet de la santé au travail. En effet, seul un article y est consacré : il s'agit de l'article 6 portant sur les conditions d'exercice des collaborateurs médecins non spécialistes en médecine du travail. Il n'y a pas de disposition spécifique sur la prise en compte de la santé des femmes au travail.

J'exprime, au nom de l'ANACT, le point de vue d'un praticien de l'intervention en entreprise, notre mission consistant en effet à réaliser des diagnostics et des interventions, lesquelles sont la plupart du temps liées à un problème de santé au travail et dans de nombreux cas cela concerne la santé des femmes (sur-absentéisme, risques psychosociaux, troubles musculo-squelettiques, usure professionnelle). Nous n'intervenons pas en raisonnant du point de vue de la réparation et de l'indemnisation mais de la prévention primaire, à travers des actions relatives à l'organisation du travail. Depuis cinq ans, nous intégrons à notre travail une approche genrée – même si l'on n'utilise plus le terme de « genre » dans les entreprises, mais plutôt celui d'« égalité ».

Nous avons fait le constat que la prise en compte du genre en matière d'exposition aux risques professionnels et de paramètres tels que les différences entre les parcours, les métiers, les contraintes de travail ou encore l'impact différencié des risques sanitaires sur les femmes et les hommes, permettaient d'affiner nos diagnostics et nos recommandations. In fine, cela permet d'améliorer les plans de prévention des risques ou les plans d'amélioration des conditions de travail et ce, au bénéfice de tous, pas uniquement des femmes.

Je voudrais mettre en avant plusieurs points.

Le premier concerne les lacunes persistantes en termes de production de données sexuées en santé et sécurité au travail (SST). Cela fait trois ans que l'ANACT publie, de son propre chef, des données relatives à l'évolution de la sinistralité des 18 millions de salariés relevant de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs (CNAMTS), qui ne les publie toujours pas dans son rapport de gestion. Par ailleurs, j'appelle votre attention sur le fait que le groupe d'orientation du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT), qui a produit un document en décembre dernier dans le cadre de la préparation du troisième « plan santé au travail », qui devrait être présenté prochainement, prévoit, dans son orientation n° 6, de rassembler et de mettre en perspective les données de santé au travail. Il y a quinze points de recommandations, mais aucune mention particulière sur la production de données sexuées en santé et sécurité au travail. Il conviendrait d'y remédier.

À l'échelle régionale – je veux parler des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) –, les données sexuées sont très rares. Pourtant, là encore, cela pourrait être développé pour alimenter les plans régionaux en santé au travail.

Au niveau des entreprises, les données sont souvent sexuées dans les bilans sociaux, à l'exception de celles qui concernent la santé et sécurité au travail. La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a toutefois prévu, pour les rapports de situation comparée (RSC), un neuvième domaine d'indicateurs en santé et sécurité au travail, ce qui va conduire les entreprises de de moins et de plus de 300 salariés à produire ce type de données. Nous constatons cependant une lacune lorsque nous intervenons en entreprise : les rapports annuels des médecins du travail ne font pas apparaître de données sexuées. Il me semble par ailleurs que le code du travail ne prévoit aucune obligation de produire des données sexuées. Il est regrettable que la loi du 4 août 2014 n'ait pas apporté de corrections à ce problème.

Nous avons en revanche constaté des progrès en ce qui concerne les enquêtes sur les conditions de travail de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail. Désormais, toutes les enquêtes sont traitées selon le sexe et intègrent mieux la question du genre, avec en particulier des données sur la situation familiale et le « hors travail », les risques liés aux difficultés de conciliation des temps ou aux emplois à prédominance féminine et la prise en compte d'éléments tels que le manque d'autonomie, les exigences émotionnelles, les conflits éthiques, l'insécurité de l'emploi par exemple. Dans le cadre de ces enquêtes sur les conditions de travail, deux sujets sont encore absents : les risques liés à la discrimination et au sexisme.

Il y a un biais dans certaines enquêtes, comme l'enquête SUMER (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels). Cette enquête se caractérise en effet par une sous-représentation des femmes, dans la mesure où les personnes interrogées sont « piochées » dans l'agenda des médecins. Au total, il y a 42 % de femmes parmi les 30 000 ou 50 000 personnes enquêtées. Malgré le redressement opéré dans le cadre de cette enquête, il y a un biais non négligeable.

Je voudrais faire état d'un dernier point sur les données : les études épidémiologiques des organismes de recherche sont faites toutes choses égales par ailleurs. Or nous avons constaté, à plusieurs reprises, que, dans les entreprises, il faut raisonner toutes choses inégales par ailleurs – les femmes et les hommes n'occupent pas les mêmes emplois, n'ont pas les mêmes parcours, etc. Les études faites toutes choses égales par ailleurs masquent un certain nombre de contraintes propres aux femmes. Une étude sur l'absentéisme réalisée à partir de l'enquête SUMER montre d'ailleurs que les analyses faites toutes choses égales par ailleurs ne font pas apparaître de différences selon le sexe s'agissant des facteurs de contraintes au travail mais que ces facteurs apparaissent en revanche lorsque les femmes et les hommes sont étudiés séparément.

En ce qui concerne les données elles-mêmes, l'écart continue de se creuser, entre les femmes et les hommes, concernant les accidents du travail. Nous avons désormais les chiffres correspondant à la période 2000-2013. Le nombre d'accidents du travail continue de diminuer : il a baissé de 17 % en treize ans, et cela est tant mieux. Il y a toutefois une asymétrie : les accidents de travail des hommes ont diminué de 29 % tandis que ceux des femmes ont augmenté de 25 %. On notera que les deux tiers des accidents du travail concernent des hommes.

Il y a trois grands secteurs « accidentogènes » pour les femmes. Il s'agit tout d'abord de la santé et l'action sociale, du nettoyage et du travail temporaire ; les accidents de travail des hommes ont diminué, entre 2001 et 2012, de 27 % et ceux des femmes ont augmenté de 60 %. Par ailleurs, dans les activités de services, banques, assurances, les accidents de travail des hommes ont baissé de 15 %, ceux des femmes ont cru de 24 %. Enfin, s'agissant du commerce non alimentaire, on observe également une progression de 16 % pour les femmes, tandis que les accidents du travail ont diminué de 16 % sur la même période.

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J'aurais une explication à l'augmentation des accidents du travail des femmes travaillant dans le secteur des services, des banques et assurances : souvent, elles occupent des postes d'accueil et sont en première ligne face aux clients, avec lesquels les relations peuvent être compliquées, voire conflictuelles.

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

Cela est exact. Le problème se pose aussi dans les call centers où des cas de malaises sont recensés sans être toutefois assimilés à des accidents du travail.

En ce qui concerne les accidents de trajet, la situation n'est pas meilleure : ils ont augmenté, de façon globale, de 6 % entre 2001 et 2013, mais cette progression représente en moyenne 24 % s'agissant des femmes. Cette augmentation atteint même 50 % pour les femmes travaillant dans les services, la santé, le nettoyage, le travail temporaire.

Par ailleurs, les maladies professionnelles ont crû deux fois plus vite pour les femmes que pour les hommes. Cela étant, on observe une baisse depuis deux ans, qui est liée, d'une part, au nouveau critère du tableau n° 57 des maladies professionnelles – il s'agit surtout de troubles musculo-squelettiques (TMS) – et, d'autre part, aux effets positifs de la prévention. étant précisé qu'il y a par ailleurs beaucoup de sous-déclaration concernant les maladies professionnelles et beaucoup de traitement par la médecine de ville.

Nous menons actuellement un projet de recherche en partenariat avec une université et une grande entreprise sur l'absentéisme différencié des femmes et des hommes. Les enquêtes montrent que l'absentéisme des femmes est supérieur de l'ordre de 30 % à 40 % – une petite part (10 % seulement) étant due à l'absentéisme avant le congé maternité.

De plus, un fort écart dans l'exposition au stress au travail continue d'exister entre les femmes et les hommes. Cet écart a diminué mais l'exposition à la tension au travail a globalement augmenté, ainsi que le montre la dernière enquête SUMER.

Je voudrais dire un mot de la question de la prévention. Depuis la loi du 4 août 2014, dont l'article 20 dispose que les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs doivent être évalués en tenant compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe, certains services de médecine du travail témoignent d'un intérêt pour la prévention ; par ailleurs, du côté des entreprises, il y a des préoccupations financières liées à la montée de l'absentéisme – phénomène général qui touche toutefois plus les femmes que les hommes.

Nous faisons le constat que les femmes sont entrées sur le marché du travail pour y occuper des postes dans des secteurs en croissance peu ou moyennement qualifiés mais très fortement exposés aux contraintes de rythme, aux exigences émotionnelles, au manque d'autonomie… Il y a une sous-évaluation persistante de l'exposition au risque et à la pénibilité dans ces emplois. Cette invisibilité relève, à nos yeux, d'une méconnaissance des contraintes et des pénibilités auxquelles sont exposées les femmes : lorsque nous intervenons en entreprise, nous nous rendons compte que les postes les plus pénibles ne sont pas ceux des hommes mais plutôt ceux des femmes.

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Lors de la discussion du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, j'avais pris, à ce sujet, deux exemples frappants. Dans les abattoirs, les femmes occupent des postes très répétitifs, à la différence des hommes qui portent des carcasses – certes lourdes – et qui se déplacent fréquemment. De même, dans les imprimeries, les femmes sont généralement affectées à des postes statiques et répétitifs qui les exposent à davantage de souffrances au travail. Nous avions donc demandé que, dans le cadre de la renégociation des conditions de travail, les partenaires sociaux s'emparent de ce sujet afin de redéfinir les postes de travail dont l'ergonomie a été principalement pensée pour les hommes.

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

Nous constatons en effet que les systèmes de travail n'ont pas été suffisamment transformés : ainsi la hauteur des machines continue-t-elle de poser problème, notamment pour les femmes petites et les hommes grands.

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De fait, la redéfinition de la hauteur des machines bénéficie à tout le monde, au-delà des femmes.

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

L'ANACT demande aux médecins du travail de réaliser des courbes de moyennes des tailles des hommes et des femmes, dont la forme en dos de chameau fait apparaître un important étalement des tailles qui joue un rôle important dans les métiers très physiques.

De notre point de vue, la différence biologique des sexes est complètement niée, et ce à deux titres. En premier lieu, la mise à l'écart, au stade de la prévention, de la question de la charge physique et de la force musculaire conduit à ignorer que certains métiers demeurent physiques. En second lieu, la prévention dans les secteurs mixtes ou à prédominance féminine, plus récente que dans les secteurs à prédominance masculine, est, pour cette raison, moins poussée et affinée. Nous pensons donc que cet article de la loi de 2014 peut aider à faire prendre conscience des différences de conditions d'exposition des femmes et des hommes et à mieux les intégrer dans les documents uniques d'évaluation des risques (DUER) et dans les plans de prévention.

Cette meilleure prise en considération risque toutefois de défavoriser les femmes sur le marché du travail si elle ne s'accompagne pas d'une analyse détaillée de l'organisation du travail permettant de mieux comprendre les origines de ces écarts, c'est-à-dire non seulement la différence des sexes mais aussi celle des morphologies, des aptitudes, des postes et des parcours. À défaut, ces données sexuées ne feront que révéler une surexposition des femmes aux accidents du travail et aux troubles musculo-squelettiques, encourageant les responsables d'entreprises, consciemment ou inconsciemment, à ne plus embaucher de femmes, notamment de petite taille, comme les hommes corpulents sont victimes de discrimination à l'embauche dans les pays d'Amérique du Nord où l'obésité a pris le pas sur la question de la différence des sexes.

Il nous apparaît donc nécessaire de mettre ce sujet à plat dans les entreprises, à défaut de quoi la discrimination fondée sur des critères de santé ira croissante, avec aussi la montée en puissance des inaptitudes qui causent de nombreux problèmes dans l'organisation du travail.

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Je vous remercie pour ces éléments. Nous allons maintenant entendre les représentant-e-s des médecins du travail qui, à la lumière de leur expérience de terrain, pourront préciser s'ils confirment les éléments qui viennent d'être évoqués ou s'ils ont des points de vue différents sur ces questions.

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Nous partageons beaucoup des constats qui ont été dressés par Mme Florence Chappert, en particulier celui de la faiblesse des dispositions portant sur la santé au travail dans le projet de loi relatif à la santé.

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Quel est le dernier texte législatif à avoir modifié les règles relatives à la santé au travail ?

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Il s'agit de la loi du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail, qui a réformé les services de santé au travail.

Nous sommes particulièrement préoccupés par les mesures de simplification qui avaient été envisagées par le Gouvernement concernant la suppression de la visite médicale périodique des médecins du travail auprès des salariés, compte tenu des difficultés rencontrées par les médecins en sous-effectifs pour remplir correctement leurs missions. Si les médecins ne voyaient plus régulièrement les salariés, nous redoutons qu'ils ne puissent plus identifier les risques professionnels, alerter sur la santé dans les entreprises, formuler des préconisations sur les adaptations de postes nécessaires et faire des signalements individuels.

Comme l'indiquait Mme Chappert, les rapports annuels de santé de la médecine du travail ne comportent pas de données sexuées car la réglementation actuelle ne l'exige pas et les services de santé n'ont pas l'habitude d'agréger celles qu'ils collectent.

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Je regrette qu'il faille que la loi intervienne pour exiger la publication de données sexuées et ce, quel que soit le domaine concerné. J'ai d'ailleurs dû de nouveau déposer un amendement en ce sens au le projet de loi pour la croissance et l'activité afin de demander la publication de données sexuées sur les clients des transports par car urbain, à la grande surprise de certains de mes collègues qui se demandent pourquoi la loi devait intervenir dans cette matière.

J'ai également récemment écrit au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qui communique très peu de données sexuées sur les agents publics territoriaux. Or comment mettre en oeuvre des lois visant à promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans la fonction publique, si l'on ne dispose pas de tels chiffres ?

Enfin, je trouve catastrophique et invraisemblable que nous n'osions plus parler de « genre » car si l'on s'exprime en termes d'égalité, tout le monde ne va pas comprendre la même chose.

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Dans ces conditions, les médecins du travail ne pourraient-ils pas d'eux-mêmes prendre l'initiative d'inclure des données sexuées dans les rapports annuels qu'ils publient ?

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Cela doit être possible.

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Cette situation est pour le moins paradoxale : le sexe est, à la différence de la race ou de l'ethnie par exemple, une information largement demandée et qui peut être recueillie, mais trop rarement agrégée et publiée.

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

De fait, rien ne garantira que les données sexuées qui figurent dans nos logiciels et dans les rapports annuels seront reprises et agrégées au niveau national.

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En tant que médecin du travail, constatez-vous, dans les entreprises que vous visitez au quotidien, des différences entre les femmes et les hommes en matière de santé au travail ?

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Les problématiques propres aux femmes et aux hommes sont naturellement différentes dans la mesure où les activités qu'ils occupent respectivement le sont aussi. Mais il me paraît compliqué de tirer des conclusions générales d'une expérience personnelle sans travail d'agrégation des informations collectées. L'enquête SUMER constitue une étude intéressante à cet égard, en reprenant les risques relevés au niveau national afin d'en tirer les conclusions pertinentes.

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À propos de la discrimination qu'évoquait tout à l'heure Mme Chappert, je milite depuis longtemps pour que le congé maternité ne soit plus considéré comme une maladie. En effet, la règle actuelle conduit à une surreprésentation des femmes dans les statistiques de l'absentéisme pour cause de maladie au sein des entreprises. La question de la maternité ne pourrait-elle donc pas figurer dans les statistiques autrement que sous la forme d'une maladie ?

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

Le congé maternité stricto sensu ne figure pas dans les données que nous analysons. En revanche, les arrêts maladie antérieurs à la maternité, comme les congés pathologiques, sont présents dans ces statistiques mais nous prenons soin de les retirer afin de procéder à une analyse de statistiques portant exclusivement sur l'absentéisme hors maladies avant la maternité. Toutefois, même avec ces précautions, l'écart entre le taux d'absentéisme des femmes et celui des hommes reste très important – supérieur à 40 % environ.

Comment expliquer cette situation ? Il nous faut écarter l'explication fondée sur un critère extraprofessionnel : le fait d'avoir vécu une séparation ou d'être divorcé ou veuf, seul autre motif extraprofessionnel générant davantage d'absence au travail, est associé à un fort absentéisme pour les femmes et pour les hommes. L'absentéisme des femmes n'est pas davantage déterminé par le nombre d'enfants. Toutes absences confondues (absences de longue durée, maladies ordinaires, accidents du travail, etc.), plus une personne a un nombre important d'enfants, moins elle est susceptible d'être absente, cela en raison de l'effet âge qui permet de cumuler les arrêts longue maladie. Le taux d'absentéisme lié aux maladies ordinaires atteint un petit pic chez les personnes qui ont un enfant de moins de seize ans, mais baisse lorsqu'elles ont deux enfants – cela correspond à la situation de la famille stable qui s'est organisée – et atteint un nouveau petit pic lorsqu'elles ont trois enfants.

En conclusion, l'absentéisme plus élevé des femmes ne s'explique pas par le nombre d'enfants à charge mais, dans une mesure très limitée, par la situation familiale et, plus principalement, par les conditions générales de travail et d'activité, notamment le manque de perspectives professionnelles ou les situations de harcèlement.

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Je souhaite revenir sur l'avis d'inaptitude au travail. On avance souvent qu'un tel avis gênerait les employeurs, mais en réalité il nuit surtout aux salariés qui sont souvent privés d'emploi. De leur côté, les employeurs retrouvent aisément un salarié pour occuper le poste concerné. Il y a d'ailleurs eu une levée de boucliers de leur part contre les propositions des médecins en matière d'adaptation de poste de travail. Les employeurs souhaiteraient en effet que l'avis du médecin se borne à l'aptitude ou l'inaptitude, sans préconisation d'adaptation du poste. Ce serait la voie la plus rapide vers la sortie de l'emploi pour le salarié. Le nombre des avis d'inaptitude explose comme en témoignent les chiffres de 2014, encore plus importants que ceux de 2013.

Or le rôle du médecin du travail est de formuler des restrictions à l'emploi du salarié et des propositions d'adaptation du poste de travail. L'employeur peut procéder à ces adaptations ou réaffecter le salarié à un autre poste, ou bien encore décider la rupture de son contrat de travail. Dans les petites entreprises de moins de dix salariés, les inaptitudes conduisant à des ruptures de contrat de travail sont d'autant plus nombreuses que les réaffectations sont malaisées.

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Lors des travaux législatifs sur le compte pénibilité, il avait été envisagé d'inciter les employeurs à réaffecter les salariés sur des postes présentant moins de pénibilité. Or il était apparu que les entreprises se sont de plus en plus recentrées sur les métiers de leur coeur d'activité, supprimant ou externalisant les métiers annexes et réduisant de ce fait les possibilités de reclassement en interne pour un salarié souffrant de la pénibilité de son poste de travail.

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

En effet, non seulement ces externalisations réduisent les possibilités de mobilité interne des salariés, mais de plus les métiers concernés – qui auparavant pouvaient constituer des alternatives à des postes de travail pénibles – sont eux-mêmes devenus particulièrement difficiles. Le cas du nettoyage en est un bon exemple. Aujourd'hui ce métier a été scindé en des fonctions spécifiques (carreaux, sols, etc.) et les salariés sont dédiés à une seule tâche répétitive. La diversité des activités a disparu et la pénibilité s'en trouve accrue.

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De fait, la recrudescence des accidents du travail dans des métiers tels que le nettoyage ne résulte pas d'une plus grande dangerosité de la fonction mais d'une intensification des tâches et de leur répétition.

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

Cependant la dangerosité de ces fonctions a également augmenté du fait de leur externalisation. Une étude de notre syndicat sur ce sujet montre que le déport des métiers de la propreté en dehors des horaires normaux de travail a entraîné une augmentation des accidents de trajet et des agressions physiques. Ainsi, le secteur de la propreté est le deuxième plus concerné par les accidents mortels de la route (après le secteur du transport), ce qui peut sembler surprenant de prime abord mais résulte de la cascade de conséquences liées à l'externalisation de cette activité.

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Il y a eu des expérimentations sous la houlette de la Fédération des entreprises de propreté, notamment à Nantes, afin d'inciter les entreprises à faire procéder au ménage en continu ou au cours de la journée, en particulier par la signature d'une charte de développement des prestations de propreté en journée. Ces initiatives ont montré que la productivité ne s'en ressentait pas pour les entreprises, tandis que la pénibilité et les risques d'agressions diminuaient.

Malheureusement, les donneurs d'ordre ne se soucient pas assez des conséquences indirectes de leurs décisions. Il y a quelques années, j'ai rencontré le cas d'une direction départementale du travail qui recourait à une prestation pour une durée de deux heures et avait demandé son fractionnement en deux prestations d'une heure. On trouve souvent ce genre de logiques propres au donneur d'ordre qui ne prennent pas en compte les conséquences sur le prestataire.

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

On ne peut pas comprendre les problèmes de santé au travail, si on ne prend pas du recul sur ce qu'est la médecine du travail en France. On cite souvent en modèles les pays scandinaves en matière de risques professionnels, sans mesurer à quel point les approches politiques de la santé au travail ont été différentes en France et dans ces pays. En France, notre politique s'est structurée autour de la médecine du travail et d'un système d'aptitude au poste et de réparation des préjudices liés au travail. Dans les pays scandinaves, la politique est centrée sur la création de conditions de travail saines et salubres afin de prévenir les risques ainsi que sur la formation tout au long de la vie.

Pourquoi en France l'inaptitude prend-elle une telle place ? Avec une politique volontariste d'amélioration des conditions de travail, les problèmes d'aptitude, qui concernent avec plus d'acuité les femmes, se poseraient différemment. Lorsqu'un médecin impose une restriction interdisant, par exemple, à un salarié souffrant du dos de porter des charges supérieures à 25 kilogrammes, il laisse entendre qu'un autre salarié peut le faire et donc également nuire à sa santé. Ce système conduit à une impasse.

Or les femmes souffrent encore davantage de ce système. En tant que médecin du travail, j'observe que notre société est encore très marquée par la différenciation sexuelle.

C'est encore souvent la femme qui supporte la double journée de travail ou qui interrompt son activité lorsque les enfants sont malades. Le temps partiel subi concerne ainsi principalement les femmes, tout comme le temps partiel choisi, sans pour autant diminuer les horaires de travail cumulés des femmes. De même, les métiers sont eux-mêmes marqués par la différenciation. Par exemple, s'il y a de plus en plus de femmes médecins, en revanche les infirmières et aides-soignantes demeurent très majoritairement des femmes. Il s'agit de métiers dits du care, dans lesquels il est culturel de ne pas se plaindre, et où l'on demande à cette population majoritairement féminine d'accomplir des tâches physiquement difficiles, comme porter des patients. Finalement, on constate une recrudescence de troubles musculo-squelettiques déclarés chez cette population, face à laquelle la médecine du travail ne peut que prononcer des restrictions ou des inaptitudes, qui ne résolvent rien.

Il y a des exemples étrangers, aux Etats-Unis notamment, de cliniques spécialisées ayant prohibé le port de patients à la suite de condamnations civiles, et dans lesquelles le transport de personnes est intégralement robotisé. En France, on tient à ce sujet un discours sur le risque de déshumanisation du métier car il est culturel que l'aide-soignante ne se plaigne pas. Je n'ai jamais entendu l'argument de la déshumanisation pour des métiers masculins !

En Seine-Saint-Denis, une étude de surveillance des cancers professionnels a été réalisée à l'initiative du groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle (GISCOP 93) et de l'Université Paris XIII. Cette étude repose sur des tentatives de reconstitution de carrières de personnes atteintes de cancers du poumon afin de déterminer leur exposition professionnelle à des agents cancérogènes. Or cette étude montre une prévalence des métiers de la propreté – anciennement femmes de ménage – dans les cancers du poumon, qui est inexplicable par le tabagisme… Personne ne peut y apporter d'explication satisfaisante en raison de l'absence de suivi des risques professionnels encourus par les femmes. Après recherches, il apparaît pourtant que l'utilisation des monobrosses dans le nettoyage et le ponçage de sol en plastiques, dans la composition desquels entrait de l'amiante, entraîne ou a entraîné une surexposition des femmes de ménage à de telles substances nocives. Or si l'on entend volontiers parler des risques encourus par les garagistes en raison des plaquettes de frein amiantées, il n'est jamais fait état des femmes de ménage ou des repasseuses exposées à l'amiante.

Face au mécontentement des professionnels de santé, les mesures de simplification annoncées ont été retirées du projet de loi, ce qui est une bonne chose car l'idée de réserver le suivi médical aux personnes exerçant un métier dangereux aurait conduit à en exclure les femmes. Le suivi médical de l'ensemble des salariés est essentiel car il est l'occasion pour eux de nous exposer leurs difficultés. Si l'on supprimait ce suivi, les problèmes de violences sexuelles faites aux femmes au travail, sur lesquelles j'ai conduit une enquête en 2007, seraient masqués alors qu'ils sont bien plus répandus que ce que l'on pourrait penser.

La fin de l'obligation de reclassement en cas d'inaptitude médicale serait catastrophique, 120 000 personnes étant licenciées chaque année pour inaptitude médicale et 240 000 personnes se retrouvant en réalité chaque année sans emploi à la suite de problèmes de santé, si l'on prend en compte les personnes contraintes de démissionner ou d'accepter une rupture conventionnelle.

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Sait-on combien de décisions d'aptitude avec restrictions sont prises chaque année ?

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

Il y en aurait environ un million par an assorties de restrictions significatives, par exemple, l'interdiction de porter des charges de plus de 15 kg.

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

Non mais les femmes sont beaucoup plus fréquemment concernées que les hommes, en raison de leur surreprésentation dans certains secteurs d'activité, comme la santé, le secteur social et l'aide à domicile. De plus, les médecins du travail prennent des décisions d'inaptitude pour des questions de harcèlement, de stress, qui touchent beaucoup plus les femmes car elles exercent les métiers les moins autonomes.

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Quels étaient les résultats de votre enquête de 2007 sur les violences sexuelles faites aux femmes au travail, qui portait sur un département ?

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

Une femme sur deux est victime de blagues sexistes, 22 % de harcèlement sexiste et 5 % d'agression ou de viol. Ces chiffres concernent la Seine-Saint-Denis, où sont implantées beaucoup d'entreprises de haut niveau, mais ils sont similaires pour l'Essonne, d'après une étude réalisée il y a deux ans.

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Les femmes ne parlant pas spontanément de ces violences, les médecins du travail sont-ils formés pour les détecter ?

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Il n'existe pas de formation générale des médecins du travail sur ces questions. La difficulté qu'ont les femmes à s'exprimer peut s'expliquer par leur entrée tardive dans le monde du travail et par le fait qu'elles exercent des métiers où elles sont isolées. Leur attitude de retrait face aux agressions qu'elles subissent peut aussi être mise en relation avec le fait qu'elles exercent souvent des métiers où elles effacent les traces des autres et où leur travail est invisible.

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

Seulement 1 % des femmes parlent au médecin du travail des harcèlements sexistes dont elles sont victimes. Celui-ci doit donc être attentif pour détecter les cas qui se présentent à lui. Le niveau actuel du chômage peut dissuader les salariés de parler de leurs difficultés au travail. De plus, les phénomènes de harcèlement sexiste sont source de culpabilité pour les victimes.

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Les femmes parlent-elles plus facilement lorsque le médecin du travail est une femme ? Lorsque celui-ci est salarié de l'entreprise, la communication n'est-elle pas encore plus difficile ?

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Tout dépend de la relation de confiance entre la salariée et le médecin du travail, que celui-ci soit payé directement par l'entreprise, en service autonome, ou indirectement, en service inter-entreprises. Mais cette relation de confiance suppose d'abord qu'il existe une relation, ce qui est de plus en plus rare, du fait de l'espacement très important des visites périodiques des salariés. Après une première visite, il arrive que nous ne les revoyions que lorsqu'ils ont changé d'entreprise et qu'ils ne nous parlent qu'à ce moment-là des violences sexuelles, des agressions et des gestes déplacés dont ils ont été victimes dans leur précédent poste.

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

Dans une entreprise dans laquelle nous intervenons, qui compte plus de 100 000 salariés, sur 70 000 salariés examinés par an lors de visites médicales, 25 % font l'objet de décisions d'inaptitude, partielle ou totale, ou d'aptitude avec aménagements. Cette situation s'explique par l'organisation du travail. L'entreprise ne voulant pas licencier les salariés inaptes, les encadrants sont confrontés à de grandes difficultés car il n'existe plus de « postes doux » du fait de l'intensification du travail. Les aménagements sont source d'inéquités, les autres salariés voyant leurs charges s'alourdir.

Selon l'enquête SUMER, contrairement aux hommes, les femmes ne mettent pas en relation leur état de santé avec leur travail mais avec d'autres facteurs. De ce fait, elles continuent à travailler le plus longtemps possible puis elles craquent : dans l'entreprise où nous intervenons, 80 % de l'absentéisme des femmes concerne des absences de plus de trente jours dans l'année et parmi-celles-ci, 80 % sont d'un seul bloc. Il peut s'agir de graves problèmes de dos, de troubles musculo-squelettiques ou de déprime.

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

La distinction entre service autonome et service inter-entreprises n'est pas toujours pertinente car dans les grandes entreprises, qui emploient directement un médecin du travail, il existe un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des délégués du personnel qui peuvent aider les salariés lorsqu'ils sont en difficulté. Les problèmes de harcèlement sexiste sont bien plus dramatiques dans les petites entreprises où les victimes n'ont aucun recours et sont souvent obligées de démissionner.

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

Lorsque nous intervenons en entreprise, les médecins du travail sont nos meilleurs alliés sur les questions de santé des femmes. Il est donc regrettable que leur fonction ne soit pas davantage valorisée. Par ailleurs, il est inquiétant de voir leurs effectifs diminuer, sinon leur rôle remis en cause.

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C'est vrai, et pourtant les enjeux liés à la prévention et à l'adaptation des postes de travail sont importants, ne serait-ce que sur le plan financier : vous avez évoqué le chiffre de 20 % des salariés d'une entreprise en inaptitude, mais c'est colossal ! Dans les entreprises qui travaillent sur ces sujets, les salariés sont en meilleure condition mais leur compétitivité et leur productivité sont aussi renforcées. Il en va d'ailleurs de même en matière d'articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale, où les difficultés rencontrées, par exemple, pour la garde d'un enfant malade peuvent également entraîner un stress. Si les entreprises s'impliquaient davantage en faveur de cette articulation entre le travail et la vie personnelle, il y aurait moins de stress au travail. En réalité, tout le monde est gagnant avec le développement de ce type d'initiatives mais il s'agit d'une véritable révolution copernicienne !

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

Je dis souvent, de manière un peu caricaturale, qu'au lieu d'évoquer une inaptitude au poste, il faudrait plutôt évoquer une inaptitude du poste à recevoir quelqu'un.

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En effet. Je viens d'ailleurs de visiter une entreprise qui va fabriquer des compteurs électriques à la chaîne, et qui compte notamment des femmes parmi les salariés. Un travail a été fait sur l'ergonomie, par exemple la hauteur des postes, et tout le monde s'en porte mieux, hommes comme femmes. On pourrait aussi évoquer les éviers des cantines scolaires, dont la hauteur peut contraindre le personnel de l'établissement à faire la vaisselle courbé en deux...

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

Cela montre bien que la prévention doit se faire dès le stade de la conception.

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Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST

J'ai commencé ma carrière dans un service autonome dans une entreprise et il y avait un atelier dans lequel travaillaient des femmes originaires du Portugal et les machines, tout comme la maison-mère, étaient allemandes. Naturellement les salariées qui travaillaient sur ces machines avaient des douleurs dans les épaules ou les coudes ; cela aurait dû être anticipé et mieux pris en compte.

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Nadine Khayi, membre du bureau de l'association Santé et médecine au travail, A-SMT

De ce que j'entends parfois auprès de salariés ou d'employeurs, c'est tant qu'on n'en a pas besoin de la médecine du travail qu'on estime qu'elle ne sert à rien, mais cela s'inverse lorsqu'un besoin survient, le problème étant qu'alors la question ne doit pas se poser uniquement en termes d'inaptitude.

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Concernant le rôle des médecins du travail, en tant qu'élue dans un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), j'ai eu l'occasion d'accompagner des salariés, suite à une demande de rendez-vous, et cela a toujours été très intéressant.

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Dans une collectivité, les médecins du travail jouent également un rôle important.

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Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » à l'ANACT

Le jugement du médecin du travail sur l'organisation du travail est souvent très pertinent. Dans l'enquête SUMER, on a d'ailleurs pu croiser l'appréciation portée sur l'organisation du travail et son caractère jugé favorable ou délétère avec l'état de santé des personnes concernées, et cela coïncide parfaitement. En tout état de cause, ce regard externe du médecin est très important, quand bien même il ne serait pas un expert en conception.

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Je vous remercie pour vos propos très intéressants.

La séance est levée à 18 heures 30.