Intervention de Jean-Michel Sterdyniak

Réunion du 3 février 2015 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, SPNST :

On ne peut pas comprendre les problèmes de santé au travail, si on ne prend pas du recul sur ce qu'est la médecine du travail en France. On cite souvent en modèles les pays scandinaves en matière de risques professionnels, sans mesurer à quel point les approches politiques de la santé au travail ont été différentes en France et dans ces pays. En France, notre politique s'est structurée autour de la médecine du travail et d'un système d'aptitude au poste et de réparation des préjudices liés au travail. Dans les pays scandinaves, la politique est centrée sur la création de conditions de travail saines et salubres afin de prévenir les risques ainsi que sur la formation tout au long de la vie.

Pourquoi en France l'inaptitude prend-elle une telle place ? Avec une politique volontariste d'amélioration des conditions de travail, les problèmes d'aptitude, qui concernent avec plus d'acuité les femmes, se poseraient différemment. Lorsqu'un médecin impose une restriction interdisant, par exemple, à un salarié souffrant du dos de porter des charges supérieures à 25 kilogrammes, il laisse entendre qu'un autre salarié peut le faire et donc également nuire à sa santé. Ce système conduit à une impasse.

Or les femmes souffrent encore davantage de ce système. En tant que médecin du travail, j'observe que notre société est encore très marquée par la différenciation sexuelle.

C'est encore souvent la femme qui supporte la double journée de travail ou qui interrompt son activité lorsque les enfants sont malades. Le temps partiel subi concerne ainsi principalement les femmes, tout comme le temps partiel choisi, sans pour autant diminuer les horaires de travail cumulés des femmes. De même, les métiers sont eux-mêmes marqués par la différenciation. Par exemple, s'il y a de plus en plus de femmes médecins, en revanche les infirmières et aides-soignantes demeurent très majoritairement des femmes. Il s'agit de métiers dits du care, dans lesquels il est culturel de ne pas se plaindre, et où l'on demande à cette population majoritairement féminine d'accomplir des tâches physiquement difficiles, comme porter des patients. Finalement, on constate une recrudescence de troubles musculo-squelettiques déclarés chez cette population, face à laquelle la médecine du travail ne peut que prononcer des restrictions ou des inaptitudes, qui ne résolvent rien.

Il y a des exemples étrangers, aux Etats-Unis notamment, de cliniques spécialisées ayant prohibé le port de patients à la suite de condamnations civiles, et dans lesquelles le transport de personnes est intégralement robotisé. En France, on tient à ce sujet un discours sur le risque de déshumanisation du métier car il est culturel que l'aide-soignante ne se plaigne pas. Je n'ai jamais entendu l'argument de la déshumanisation pour des métiers masculins !

En Seine-Saint-Denis, une étude de surveillance des cancers professionnels a été réalisée à l'initiative du groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle (GISCOP 93) et de l'Université Paris XIII. Cette étude repose sur des tentatives de reconstitution de carrières de personnes atteintes de cancers du poumon afin de déterminer leur exposition professionnelle à des agents cancérogènes. Or cette étude montre une prévalence des métiers de la propreté – anciennement femmes de ménage – dans les cancers du poumon, qui est inexplicable par le tabagisme… Personne ne peut y apporter d'explication satisfaisante en raison de l'absence de suivi des risques professionnels encourus par les femmes. Après recherches, il apparaît pourtant que l'utilisation des monobrosses dans le nettoyage et le ponçage de sol en plastiques, dans la composition desquels entrait de l'amiante, entraîne ou a entraîné une surexposition des femmes de ménage à de telles substances nocives. Or si l'on entend volontiers parler des risques encourus par les garagistes en raison des plaquettes de frein amiantées, il n'est jamais fait état des femmes de ménage ou des repasseuses exposées à l'amiante.

Face au mécontentement des professionnels de santé, les mesures de simplification annoncées ont été retirées du projet de loi, ce qui est une bonne chose car l'idée de réserver le suivi médical aux personnes exerçant un métier dangereux aurait conduit à en exclure les femmes. Le suivi médical de l'ensemble des salariés est essentiel car il est l'occasion pour eux de nous exposer leurs difficultés. Si l'on supprimait ce suivi, les problèmes de violences sexuelles faites aux femmes au travail, sur lesquelles j'ai conduit une enquête en 2007, seraient masqués alors qu'ils sont bien plus répandus que ce que l'on pourrait penser.

La fin de l'obligation de reclassement en cas d'inaptitude médicale serait catastrophique, 120 000 personnes étant licenciées chaque année pour inaptitude médicale et 240 000 personnes se retrouvant en réalité chaque année sans emploi à la suite de problèmes de santé, si l'on prend en compte les personnes contraintes de démissionner ou d'accepter une rupture conventionnelle.

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