Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, notre débat reprend un questionnement universel et singulier : universel puisque la mort est inéluctable, partout et pour tous ; singulier puisqu’elle est, à chaque fois, la fin d’un être unique. Au moins une énigme, peut-être un mystère. Telle est sans doute la raison pour laquelle nous demeurons perplexes devant l’extrême complexité de la question.
Comment trouver les mots justes pour parler de la mort qui sera toujours une expérience incommunicable puisque nous n’en saurons jamais rien vivants. La mort n’existe que pour ceux qui restent, c’est pourquoi nous ne pouvons parler que de la mort des autres.
Comment en outre s’étonner que la mort soit abordée avec autant de pudeur alors que notre société semble vouloir en évacuer la réalité, la dissimuler, voire la nier ?
La mort aujourd’hui est désincarnée. Les cortèges funèbres ont laissé place à une mort invisible, le temps des cimetières devient celui des crémations. Le lieu de la mort n’est plus le domicile ou celui des proches, il est devenu le lieu des professionnels, l’hôpital ou la maison de retraite.
La mort devient également un défi médical et technique. Il faut agir sur ses causes, repousser ses frontières, en contrôler les moindres paramètres. Quelle que soit l’angoisse que l’on ressent face à une question si personnelle, cette fuite, cet évitement de nos sociétés expliquent sans doute en partie notre désarroi lorsqu’il s’agit, comme aujourd’hui, d’apporter ou de tenter d’apporter, avec d’infinies précautions, des réponses à la question de la fin de vie.
En cet instant, il me semble que nous devons d’abord nous montrer humbles et bienveillants devant l’extraordinaire complexité de la fin de vie et l’idée même de légiférer sur ce sujet.
En 2004, j’avais participé aux travaux de la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie – les mots ont un sens – qui avait effectué quelque quatre-vingts auditions.
Notre mission, fort intelligemment, avait tout d’abord entendu des historiens, des ethnologues, des sociologues, des psychologues, des philosophes, des représentants des grandes familles religieuses ou de pensée, afin de remettre en perspective le rapport à la mort dans les différentes civilisations au cours de l’histoire.
Nous avions ensuite entendu des membres du corps médical, y compris des infirmières et des aides-soignantes qui tiennent la main du mourant dans les tout derniers instants. Et ce n’est qu’à la fin seulement que les juristes sont arrivés, comme si la loi devait s’incliner avec respect devant cette épreuve, comme s’il était impossible, et sans doute pas souhaitable, que la loi dise tout de ce dont on connaît finalement si peu...
Telle est la raison pour laquelle nous devons avoir la plume qui tremble au moment où nous envisageons de modifier la loi du 22 avril 2005, qui avait été votée à l’unanimité et qui constitue aujourd’hui un point d’équilibre fragile.
Cette loi a en effet amélioré le respect et la compréhension de la volonté du malade, prenant en compte non seulement les douleurs, mais aussi la souffrance des malades en fin de vie, selon la belle distinction qu’autorise notre langue entre la douleur physique et la souffrance morale, plus englobante. Elle a fait progresser les soins palliatifs, fût-ce insuffisamment, et condamne clairement l’acharnement thérapeutique. Pour autant, des difficultés subsistent. La douleur des patients n’est pas toujours suffisamment prise en charge, l’obstination déraisonnable demeure malheureusement une réalité dans ce pays, l’accès aux soins palliatifs est bien loin d’être toujours effectif et la formation des médecins demeure insuffisante. Des zones d’ombre subsistent, mais comment pourrait-il en être autrement ? En effet, des questions demeurent : doit-on et peut-on aller plus loin dans certains cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients endurant une douleur insupportable ? Doit-on et peut-on alors assumer un acte médical mettant un terme à une souffrance et une douleur devenues irréversiblement intolérables ?
Ces questions en soulèvent encore bien d’autres. À partir de quel point peut-on considérer que les traitements n’éviteront pas une issue fatale ? Comment juger du caractère insupportable d’une douleur ? Comment s’assurer du consentement du patient et que faire s’il ne peut être obtenu ? Comment comprendre les directives anticipées alors même que le questionnement face à la mort évolue ? Comment être certain de ne pas emprisonner un malade dans une formulation ancienne de sa volonté ? Les députés de notre groupe se prononceront en conscience face à ces questions lourdes qui appellent des réponses éminemment personnelles. Pour autant, je souhaite partager avec vous, chers collègues, quelques convictions communes qui guideront notre réflexion sur la proposition de loi que nous examinons. Aborder le sujet de la fin de vie, c’est rappeler la dignité de chaque personne humaine et le respect qui s’y attache, conformément à l’autre très belle distinction opérée par Berdiaev entre la personne, irremplaçable, et l’individu qui n’est que l’élément d’un tout.
Alors qu’une existence s’éteint et son caractère unique avec elle, il ne fait nul doute que la collectivité a des devoirs à l’égard de la personne. Pour autant, a-t-elle des droits ? Rien n’est moins sûr. Nous pensons également qu’il est de notre devoir de soulager la douleur et la souffrance dans toute la mesure du possible. Aussi est-il absolument essentiel que les soins palliatifs soient significativement développés. En outre, nous considérons que toute personne vivant ses derniers instants a le droit d’être accompagnée, respectée et écoutée car, une fois rompu l’isolement, il peut se trouver que le patient supporte autrement la souffrance, que la perception même de la vie et de sa fin de vie évolue et qu’il traverse alors le moment du départ comme une part pleine et entière de sa vie. Ainsi, nous estimons qu’une rupture abrupte des digues érigées par la loi du 22 avril 2005 risquerait d’entraîner des dérives insupportables dont les plus fragiles seraient les premières victimes. Si la frontière entre faire mourir et laisser mourir peut sembler ténue, elle nous semble en réalité profonde. L’assumer, n’est-ce pas aussi respecter la dignité de chaque être ? Si nous estimons que demander à la loi de répondre à toutes nos incertitudes sur la mort, c’est trop lui demander, nous respectons cependant ceux qui croient que la loi peut aider à faire des modalités de sa mort l’ultime liberté du vivant.
Pour autant, notre groupe pense dans son immense majorité que la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté reviendrait à accorder à la collectivité un droit sur l’existence même de chacun outrepassant largement les limites du respect dû à chaque personne auquel pourtant nous tenons tous. Si nous pensons qu’il est de notre devoir de faire en sorte que la main du mourant soit tenue le plus longtemps possible – je pense ici à l’admirable vers de Lorca Si je meurs laissez la fenêtre ouverte, écho à travers les siècles à la main tenue de Mozart composant ses derniers adagios – nous croyons que l’encre de la loi ne doit pas couvrir ce qu’elle ne pourra jamais définir, cet instant qui en fin de compte n’appartient qu’à celui qui part en ouvrant tout grand la porte des questions. Telle est selon nous la double ambition de la proposition de loi : permettre à ceux qui sont proches de la mort, s’ils le demandent, de s’endormir au lieu d’être confrontés à une souffrance intolérable. Chacun d’entre nous indiquera en conscience ce qui distingue l’équilibre de la loi de 2005 de la proposition de loi dont nous débutons l’examen. Telle est, en tout état de cause, la limite que notre groupe ne saurait envisager de franchir.