La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Mes chers collègues, il y a cent ans naissait Jacques Chaban-Delmas. Ce matin-même, à l’Hôtel de Lassay, nous avons inauguré une exposition retraçant sa vie et son oeuvre. Le centenaire de cet homme de passion et de conviction, président d’honneur de notre assemblée, se devait aussi de résonner dans cet hémicycle, où bat le coeur de la démocratie.
Ni sa vie ni ca carrière ne peuvent se résumer, mais quand on dit « Chaban », c’est vers la Résistance que les regards se tournent. Celui qui considéra comme un affront l’humiliation de juin 1940 ne cessa de fournir des renseignements à la France libre, devint l’envoyé personnel du général de Gaulle et participa à la libération de Paris. Le général le fit, bien sûr, Compagnon de la Libération.
En 1946, Jacques Chaban-Delmas fut élu député de la Gironde, mandat qu’il conserva jusqu’en 1997. Il fut plusieurs fois ministre sous la IVe République, puis le premier président de l’Assemblée nationale sous la Ve République, fonction qu’il exerça de 1958 à 1969, de 1978 à 1981 et de 1986 à 1988. Il fut aussi l’emblématique maire de Bordeaux de 1947 à 1995.
Enfin, Jacques Chaban-Delmas fut Premier ministre entre 1969 et 1972. Son passage au Gouvernement fut marqué par son projet de Nouvelle société, démontrant que l’engagement social et la goût de la modernité ne se contredisent pas. La modernité d’une société se mesure toujours à l’attention portée aux plus humbles. Sans doute est-ce cela, le legs que nous transmet « Chaban ».
Jacques Chaban-Delmas est ici, à l’Assemblée nationale, une figure tutélaire. Nombre d’entre nous l’ont connu. Dans cette salle, sa voix, inimitable, résonne encore. Ces marches pour monter au perchoir, certains le voient encore les grimper au pas de course.
Avec vous tous, je tiens à rendre hommage à cet homme qui fut un modèle pour la République, et à saluer chaleureusement sa famille, son épouse et ses enfants, qui regardent depuis les tribunes les députés, successeurs du grand « Chaban ».
Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.
La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la ministre de la santé, le journal Libération a confirmé hier l’ampleur du plan d’austérité que le Gouvernement impose aux hôpitaux. Une coupe budgétaire de 3 milliards d’euros est envisagée, et 22 000 suppressions de postes seraient en jeu, avec 860 millions d’euros d’économies par an sur la masse salariale.
Rien n’échappe à cette logique aveugle de l’austérité, pas même le plus précieux : la santé. Les hôpitaux ont déjà consenti beaucoup d’efforts ces dernières années. En Seine-Saint-Denis, à l’hôpital Robert Ballanger comme dans beaucoup d’autres hôpitaux qui font office de bouclier social, nous sommes au bord de l’asphyxie. Les urgences sont dans le rouge et les renseignements généraux évoquent un risque d’implosion sociale.
En effet, l’urgence dans les villes populaires, ce sont aussi les inégalités de santé et la désertification médicale. Dans ces territoires, l’hôpital public est la pierre angulaire de l’accès aux soins et le visage de notre République.
Pour les députés du Front de gauche, les hôpitaux ne peuvent être gérés comme une simple entreprise. Une nouvelle saignée conduirait à baisser la qualité des soins. Elle aggraverait la souffrance des agents hospitaliers, qui font un travail admirable et dont nous saluons le dévouement.
Madame la ministre, démentez-vous devant la représentation nationale les chiffres parus ? Vous engagez-vous à ce qu’il n’y ait ni suppressions de postes ni baisse des moyens dans les hôpitaux publics ?
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Monsieur le député, le montant consacré en 2015 à l’hôpital public sera supérieur de 1,5 milliard d’euros à celui de 2014 – je le répète : 1,5 milliard d’euros de plus. En 2012 et en 2013, nous avons créé près de 30 000 nouveaux postes de médecins ou de personnels soignants. Autrement dit, le Gouvernement fait la preuve de son engagement en faveur de l’hôpital public, parce que l’hôpital public est au coeur de la République, et parce qu’il est au coeur de nos territoires.
Vous l’avez dit, monsieur le député : dans les territoires ruraux et ailleurs, l’hôpital public joue un rôle de proximité qui est absolument indispensable. À cet égard, si nous voulons que des médecins libéraux s’installent dans ce que l’on appelle des « déserts médicaux », nous avons besoin de l’hôpital, car c’est la continuité entre l’hôpital et les médecins de proximité qui permet à nos concitoyens d’être bien soignés.
Nous sommes engagés avec force, monsieur le député. Le Gouvernement a annoncé qu’il mobilisait des fonds pour permettre aux hôpitaux de faire face aux emprunts toxiques. Nous adressons un message de confiance et de soutien à l’ensemble des personnels, et je veux le dire de la manière la plus claire, monsieur le député : il n’y aura aucune baisse des effectifs à l’hôpital public.
Ces effectifs sont stabilisés. Nous mobilisons des fonds – à hauteur de 1,5 milliard d’euros supplémentaires – en faveur de l’hôpital public en 2015, parce que nous croyons à l’hôpital public ! Nous soutenons les personnels des hôpitaux publics et les remercions pour leur engagement quotidien au service de la population française !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Il y a quarante ans, ici même, la France accordait enfin aux femmes le droit de disposer de leur corps. Pourtant, le droit de disposer de leur mort reste encore aujourd’hui refusé aux Français.
Le débat s’ouvre aujourd’hui ; je poserai plusieurs questions. Aurons-nous en 2015 le même courage qu’a eu Simone Veil en 1974 ? Je le souhaite. Allons-nous continuer cette obstination déraisonnable, cet acharnement politique à ne rien changer, ou si peu ? J’espère que non.
Allons-nous accepter encore longtemps cette logique hypocrite du « laisser mourir » qui ne fait que prolonger des agonies insupportables ? Est-il tolérable que des Français soient obligés, pour ceux qui en ont les moyens physiques et financiers, de partir à l’étranger pour bénéficier d’une aide active à mourir comme autrefois les femmes qui voulaient avorter se rendaient hors de nos frontières ?
Est-il acceptable de devoir s’en remettre à la clandestinité pour pouvoir partir dignement, comme autrefois les femmes s’en remettaient au secret des « faiseuses d’anges » ?
Personne, pas même un médecin, ne doit pouvoir nous confisquer le droit de choisir nous-mêmes les conditions de notre propre mort. Je sais, monsieur le Premier ministre, que vous partagez cette conviction intime depuis très longtemps.
Alors il faut agir vraiment et maintenant, car si la vie nous est donnée, la mort ne peut pas – ne peut plus – nous être volée !
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste, et sur certains bancs du groupe SRC.
Monsieur le député Falorni, vous le savez, la fin de vie est un sujet délicat qui concerne tous les Français et qui touche à notre intimité. C’est donc un sujet qui, parmi d’autres, nécessite que l’on avance avec prudence. Parce qu’il doit nous rassembler, c’est un sujet sur lequel nous devons sans cesse rechercher la convergence la plus large possible.
La législation sur la fin de vie ne saurait faire l’objet de décisions brusques. Il faut laisser du temps à la réflexion, au débat et à la décision. La loi de 2005, dont l’adoption a réuni tous les groupes parlementaires, constituait déjà une belle avancée. Nous avons la conviction qu’il faut désormais la faire évoluer, car cette loi est mal connue, et donc mal appliquée.
Depuis le mois de juillet 2012, plusieurs réflexions ont été menées, notamment par le Comité consultatif national d’éthique. Vos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti ont travaillé à améliorer le cadre législatif et ont déposé une proposition de loi dont chacun s’accorde à reconnaître la qualité, proposition qui sera débattue à partir de cet après-midi dans cet hémicycle ; Marisol Touraine y représentera le Gouvernement.
Je veux le dire de la manière la plus nette : leur proposition constitue une réforme ambitieuse. Elle concerne en premier lieu le malade, dont les souffrances doivent être épargnées et les volontés respectées. Elle affirme le respect absolu des directives anticipées par les médecins. Elle consacre le droit à mourir paisiblement, dans la dignité et sans souffrance.
Je reprendrai une expression qui n’est pas la mienne : il s’agit non pas d’un compromis au sens classique de ce terme dans notre vie politique, mais d’un point de rencontre entre deux parlementaires, entre deux hommes qui, au-delà des clivages politiques, ont souhaité avancer l’un et l’autre ensemble.
C’est sans aucun doute une étape. Pourquoi ?
Il y a quelques années, j’avais moi-même présenté une proposition de loi qui allait plus loin que le texte présenté aujourd’hui. À l’époque, avec des arguments que l’on pouvait entendre, Jean Leonetti considérait qu’il ne fallait pas alors légiférer.
Aujourd’hui, pourtant, le Parlement légifère, et il est important qu’il puisse le faire. Nous savons toutefois que la société, la médecine et la science évoluent.
Ne cherchez donc pas querelle sur ce sujet. Je ne doute pas qu’il y aura forcément d’autres discussions sur ces questions dans les années qui viennent. Aujourd’hui, cependant, le plus important est que l’Assemblée nationale puisse se retrouver avec la majorité la plus large car sur ces sujets, je le répète, j’estime qu’il faut être capable de se rassembler, notamment à partir du travail conduit par Jean Leonetti et Alain Claeys, et de l’expérience qu’ils ont en la matière.
Chacun a naturellement le droit d’avoir des opinions intimes et politiques sur ce sujet. Au-delà des clivages partisans, toutefois,…
…je souhaite que nous gardions à l’esprit l’impératif qui consiste à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Il me semble qu’il faut préserver l’équilibre du texte de la proposition de loi, et que – c’est le plus important – nous pouvons y parvenir ensemble.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Élie Aboud, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, vous avez réussi ce qu’aucun ministre de la santé n’avait réussi avant vous
« C’est vrai ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC
; vous avez réalisé un exploit digne d’un livre des records (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)…
…en vous mettant à dos tous les professionnels de santé, tous sans exception
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP
les médecins, généralistes comme spécialistes, les personnels hospitaliers du secteur public comme ceux du secteur privé, les syndicats, de gauche comme de droite, les étudiants, les internes, les dentistes, les pharmaciens, les infirmières et toutes les professions paramédicales.
« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Oui, madame la ministre, tous les professionnels de santé sans exception !
Votre dernière intervention a été extraordinaire. Dans un grand quotidien du soir, vous avez parlé du tiers payant généralisé dans un langage technocratique alarmant. La réponse des professionnels de santé fut immédiate, et ils vous le diront encore ce dimanche 15 mars. Madame la ministre, nous n’acceptons pas l’inacceptable !
Cerise sur le gâteau, vous avez réussi à semer le doute dans la tête des parlementaires de votre majorité.
« Mais non ! » sur quelques bancs du groupe SRC.
Une phrase de Sacha Guitry me revient : « La raison et la logique ne peuvent rien contre l’entêtement ». Ma question est simple : pourquoi ce passage en force, au mépris de tous les acteurs de terrain, et pourquoi un tel entêtement ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Monsieur le député, je suis certaine que la majorité est attachée à ce qui sera une loi de progrès, de justice et de lutte contre les inégalités.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; protestations sur les bancs du groupe UMP.
Si nous avons besoin d’une loi de santé et de modernisation de notre système de santé, c’est parce que nous ne devons pas nous résigner aux inégalités. Car dans notre pays, des hommes et des femmes meurent dix ans avant d’autres à cause de leur appartenance sociale.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Nous ne nous résignons pas à ce qu’un enfant d’ouvrier ait dix fois plus de risques d’être obèse qu’un enfant de cadre.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
Cette réalité, monsieur le député, appelle des réponses fortes en matière de prévention.
Nous n’acceptons pas que l’accès aux soins soit plus difficile dans certains territoires que dans d’autres, et nous avons compris que l’accès aux soins devait être facilité sur le plan financier, ce qui justifie la mise en place du tiers payant.
Et puis, monsieur le député, le projet de loi de santé reconnaît les droits des malades. Peut-on être opposé au droit à l’oubli, sachant que d’anciens malades se voient reprocher par les banques et les assureurs leur maladie passée ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Faut-il refuser que des malades puissent agir en justice au titre d’une action de groupe ?
C’est la modernisation de la prévention, de la médecine de proximité et des droits des malades que porte avec force le projet de loi de santé.
Ce texte, élaboré dans l’écoute et le dialogue avec les professionnels de santé, sera une loi de justice et une loi de progrès. Je souhaite que ce dialogue puisse se poursuivre dans l’intérêt des Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Sylvie Tolmont, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi d’abord d’exprimer l’émotion des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen suite au drame survenu cette nuit en Argentine. Nos pensées accompagnent les victimes et leurs familles, et nous partageons l’émotion du sport français face à la disparition de grands champions qui ont si brillamment porté nos couleurs.
Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, depuis 2012 et malgré un environnement budgétaire contraint, notre majorité agit pour placer la réforme et le renforcement de notre système de santé au coeur de son action. C’est particulièrement vrai avec le projet de loi de santé, qui sera examiné par notre assemblée au printemps et permettra de moderniser notre système de santé et de prendre des mesures de justice sociale.
Parmi celles-ci, les Français sont particulièrement sensibles à la généralisation du tiers payant, qui sera progressivement mis en oeuvre d’ici à 2017.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
Cette réforme constitue bien une avancée majeure, car les Français n’auront plus à avancer leurs frais médicaux lorsqu’ils se rendront chez un professionnel de santé, ce qui leur permettra de consulter un médecin dès qu’ils en auront besoin.
Cette réforme est aussi le moyen de revaloriser la place du médecin de premier recours dans notre système de santé.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Enfin, cette réforme complète nos efforts en vue de généraliser l’accès à une complémentaire santé, qu’il s’agisse de la CMU pour les familles les plus défavorisées, de l’ACS pour les retraités modestes ou de la généralisation de la complémentaire à tous les salariés à partir du 1er janvier 2016.
Madame la ministre, des rumeurs infondées se répandent, visant à dénigrer l’effort de votre gouvernement. Dans ce contexte particulier, pouvez-vous nous préciser à nouveau les enjeux et les objectifs de votre réforme ? Comment et à quel rythme entendez-vous la mener ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Madame la députée, je ne reviens pas sur les grandes orientations et les principes qui fondent ce projet de loi de santé, préférant me concentrer sur le tiers payant puisque vous avez évoqué cet enjeu majeur.
Des inquiétudes ont été exprimées par les professionnels de santé, en particulier les médecins : inquiétude que soit mis en place un système trop complexe, inquiétude quant à des délais de paiement qui pourraient être trop longs, inquiétude sur le fait qu’ils pourraient être dominés par l’assurance maladie ou les organismes complémentaires.
Ces inquiétudes, je les ai entendues, tout en conservant dans le même temps la volonté ferme de mettre en place cette réforme de justice qui doit permettre de faciliter l’accès aux soins pour tous, partout sur le territoire national.
C’est pourquoi j’ai annoncé que des garanties seraient apportées aux professionnels de santé. Ainsi le délai de paiement n’excédera pas sept jours, et lorsque ce délai ne sera pas respecté, les médecins percevront des pénalités de retard.
Dans le même temps, j’ai la volonté de mettre en place progressivement le tiers payant, en commençant par les malades qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux qui sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie, dès le 1er juillet 2016…
…ce qui représente 15 millions de nos concitoyens et la moitié des actes effectués en France.
La deuxième étape, qui interviendra à partir du 1er janvier 2017, sera l’extension du tiers payant à tous les Français. Cette phase de rodage permettra aux professionnels de santé de s’acclimater au tiers payant.
Comme vous le voyez, madame la députée, le tiers payant est bien une avancée sociale que nous mettons en oeuvre, avec pour préoccupation la recherche de la simplicité.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Christian Kert, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Notre groupe s’associe bien entendu à l’hommage que vient de rendre notre collègue aux victimes de l’accident survenu hier en Argentine.
Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication. Candidat à la présidence de la République, François Hollande a affirmé qu’aucune nomination à la présidence d’établissements publics ne serait arbitraire. Manifestement, le mot d’ordre n’est pas parvenu à votre ministère, madame la ministre !
Prenons deux exemples. La nomination à la présidence de France Télévisions, tout d’abord, devait être confiée à une autorité en principe indépendante, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Mais tandis que celui-ci valide une procédure à mi-chemin entre la transparence et le secret, vous imaginez avec vos collègues M. Macron et M. Sapin un rapport à transmettre au CSA afin qu’il choisisse en toute indépendance un successeur au président de France Télévisions ! En réalité, vous faites au CSA l’aumône de son indépendance !
Rires sur les bancs du groupe UMP.
Mais il y a mieux : la nomination à la présidence du Centre Pompidou ! Là, vous faites fort : vous désignez, à la place d’un président reconnu de tous et méritant de poursuivre sa mission, le secrétaire général du Gouvernement dont vous m’accorderez qu’il n’est peut-être pas le plus légitime pour occuper ce poste !
D’ailleurs, notre collègue Aurélie Filippetti elle-même, qui vous a précédée, y voit la main de 1’Élysée ! La lumière de la transparence pénétrera-t-elle un jour les ténèbres de votre ministère, madame la ministre ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.
Votre question est très intéressante, monsieur le député. Je répondrai d’abord au sujet de France Télévisions. À propos de France Télévisions et de l’audiovisuel public en général, le Président de la République s’est en effet engagé pendant la campagne électorale à améliorer l’indépendance de la procédure de nomination du président de France Télévisions. De même, nous faisons en sorte que le financement de France Télévisions garantisse l’indépendance de l’audiovisuel public, car telle est notre conception de l’information et du service public audiovisuel.
Que des ministres travaillent d’après un rapport ayant vocation à fournir des pistes de réflexion sur les grandes missions de l’audiovisuel public correspond selon moi au rôle de l’État actionnaire. En effet, l’audiovisuel public bénéficie d’un financement de 3 milliards d’euros issu de la contribution à l’audiovisuel public versée par nos concitoyens.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
S’il vous plaît, mes chers collègues, écoutons sereinement la réponse de Mme la ministre !
L’État actionnaire est tout à fait dans son rôle lorsqu’il pose les jalons des grandes missions de l’audiovisuel public. Tel était le sens du rapport remis à Emmanuel Macron, Michel Sapin et moi-même, que nous n’avons pas transmis au CSA. Nous avons en effet formulé les grandes missions que nous assignons à l’audiovisuel public pour les années à venir, mais il n’y a là absolument aucune ingérence dans le processus de nomination du président de France Télévisions, ne vous en déplaise, monsieur le député !
Quant à la nomination de M. Lasvignes, le Centre Pompidou est une institution très complexe et pluridisciplinaire, comme vous le savez sans doute fort bien, vous qui vous intéressez de près aux établissements publics culturels. Il compte plusieurs directeurs, tels que le directeur du Musée national d’Art moderne en la personne de Bernard Blistène, celui de l’Institut de Recherche et de Coordination AcoustiqueMusique et celui de la Bibliothèque publique d’information qui sont des scientifiques ou des membres de la communauté artistique. M. Serge Lasvignes a toute légitimité pour occuper le poste de président du Centre Pompidou et je trouve bien malvenu de le critiquer, car il a servi plusieurs gouvernements. Il ne s’agit pas du tout d’une nomination politique.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Fabrice Verdier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales. Notre majorité est mobilisée pour soutenir la croissance en favorisant l’activité économique. Nous soutenons ceux qui produisent, les entrepreneurs, salariés et artisans qui s’engagent afin de faire vivre notre tissu économique dans les territoires. Mener ce combat est essentiel. Nous avons engagé des efforts importants en vue de soutenir les artisans et les commerçants, acteurs majeurs de notre économie. Nous avons adopté la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui favorise la diversité des commerces dans les territoires, modernise l’urbanisme commercial, promeut le savoir-faire de nos artisans et simplifie les statuts de l’entreprise individuelle.
Par le biais du crédit d’impôt compétitivité emploi et du pacte de responsabilité, nous mobilisons 1 milliard d’euros afin d’accompagner les travailleurs indépendants dans leur développement et la création d’emplois. Ces efforts et cette mobilisation sont nécessaires. La Cour des comptes a pourtant qualifié de catastrophe industrielle la réforme du régime social des indépendants – RSI – votée en 2008 par la majorité précédente. Bricolée et insuffisamment préparée, elle a généré d’importants dysfonctionnements et des difficultés dans la gestion des entrepreneurs individuels.
Depuis 2012, notre majorité agit en vue d’améliorer la réactivité et la qualité du RSI, en particulier en matière de gestion des réclamations de ses 6 millions d’affiliés. Les améliorations obtenues étaient indispensables, mais demeurent insuffisantes. Des efforts supplémentaires sont nécessaires afin de simplifier et fluidifier le fonctionnement du RSI, humaniser la relation avec les affiliés, améliorer les délais de traitement et renforcer la transparence du régime. Vous êtes pleinement mobilisée avec Carole Delga et Christian Eckert sur ce sujet crucial, madame la ministre. Quelles réformes envisagez-vous en vue d’améliorer le RSI à court et moyen terme ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Vous avez raison, monsieur le député, de souligner le rôle important des travailleurs indépendants dans nos territoires et de rappeler qu’ils ont été confrontés, en raison des décisions prises en 2008, à une véritable catastrophe industrielle, comme l’a relevé la Cour des comptes. Il a fallu mettre en place des dispositions afin d’améliorer la prise en charge des travailleurs indépendants, tant des remboursements que des prestations. C’est ce que nous faisons grâce à la mobilisation des acteurs du RSI. De même, depuis deux ans, nous avons mis en place une politique de baisse des cotisations des travailleurs indépendants, qui se traduit, pour 70 % d’entre eux, par des baisses concrètes allant jusqu’à 400 euros pour ceux ayant un revenu inférieur à 20 000 euros par an.
Mais vous avez également raison d’indiquer que, si de grands progrès ont été accomplis, il en reste à réaliser car on observe de trop nombreux dysfonctionnements. Ceux-ci ne peuvent néanmoins servir de prétexte, je le dis à ceux qui plaident pour une désaffiliation et une désinscription de la Sécurité sociale. Je salue les organismes représentatifs qui condamnent de tels agissements, dont la Confédération Générale des petites et moyennes entreprises et l’Union Professionnelle Artisanale. Nous devons, en lien avec les organisations professionnelles, réfléchir à des perspectives d’amélioration du régime. Une mission parlementaire travaillant avec les acteurs concernés pourrait étudier les pistes d’amélioration et les réformes à entreprendre dans l’intérêt des travailleurs indépendants et de tous ceux qui travaillent dans ce secteur si important pour nos territoires.
La parole est à Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, le groupe UMP souhaite que vous retrouviez votre sang-froid, à quelques jours des élections départementales. Alors que le premier tour a lieu dans douze jours, nous ne connaissons toujours pas, de façon définitive, les compétences des futurs départements.
« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.
Nous en savons encore moins sur les financements dont ils disposeront pour assumer leurs politiques sociales et le versement des trois prestations : l’allocation d’autonomie, la prestation de compensation du handicap et le revenu de solidarité active, qui représentent une dépense annuelle de plus de 15 milliards d’euros.
La seule prestation d’autonomie pèse aujourd’hui plus de 5 milliards, et ce coût devrait doubler à horizon 2040. À titre d’exemple, dans mon département, l’llle-et-Vilaine, les dépenses liées à l’APA sont passées de 52 à 87 millions d’euros en dix ans. Les retraités sont inquiets, d’autant que leur niveau de vie ne cesse de baisser en raison du matraquage fiscal dont ils ont fait l’objet depuis bientôt trois ans.
Les futurs conseillers départementaux sont tout autant dans le flou sur les moyens que l’État consacrera au maintien à domicile, sur la tarification des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, et sur le reste à charge pour les familles. Les personnes âgées accueillies dans ces structures sont de plus en plus dépendantes, et les conditions de travail du personnel ont tendance à se dégrader malgré tout leur dévouement.
Ce n’est malheureusement pas le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement qui apportera la moindre réponse à près de deux millions de personnes en situation de dépendance et aux quatre millions d’aidants qui ne comptent pas leurs heures.
Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : au moment où l’État baisse ses dotations aux collectivités de façon drastique, quelles garanties apportez-vous aux futures assemblées départementales pour qu’elles puissent honorer leurs compétences sociales et répondre en toute dignité aux attentes des personnes âgées et de leurs familles ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Madame la députée, on entend désormais de manière récurrente que nous sommes à quelques jours des élections départementales et qu’on ne connaît pas les compétences des départements.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je vous rappelle deux choses. Premièrement, le Premier ministre a accepté, le 28 octobre, à la demande de la nouvelle majorité sénatoriale, de reporter le vote de ce texte en séance publique au Sénat afin d’organiser un débat, au cours duquel il a d’abord, pour ainsi dire, négocié avec la nouvelle majorité. Nous aurions achevé l’examen du texte depuis longtemps si le Premier ministre n’avait pas accepté cette demande de la nouvelle majorité.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Deuxièmement, les départements gardent la solidarité sociale et territoriale, les collèges et les routes : chacun le sait désormais. Parce que nos personnes âgées ressentent effectivement de l’inquiétude, et qu’elles ont besoin de solidarité, le Gouvernement s’est engagé il y a deux ans, aux côtés des départements, à discuter – pour la première fois depuis douze ans – du reste à charge des départements. C’est la première fois qu’un gouvernement accepte de verser, hors enveloppes des dotations de l’État, 827 millions d’euros il y a deux ans, puis 900 millions cette année, pour que les départements puissent faire face.
Vous ne pouvez le contester, madame Le Callennec : l’Assemblée des départements de France elle-même a souligné que, pour la première fois, un gouvernement prend ses responsabilités.
Interruptions sur les bancs du groupe UMP.
Troisièmement, nous nous sommes engagés avec le Premier ministre, hors enveloppe des dotations, à assurer – cela va sans dire – le financement de l’APA. Vous oubliez aussi de dire que cette aide aux personnes âgées en perte d’autonomie va être augmentée grâce à l’application de nouveaux coefficients : le Premier ministre s’y est engagé pour le mois de juillet. Ce sera financé, car nos personnes âgées ont besoin de nous.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Le groupe UDI s’associe à l’hommage rendu aux dix victimes – je dis bien : aux dix victimes – du crash survenu en Argentine.
Monsieur le secrétaire d’État au budget, hier, des dizaines de milliers de travailleurs indépendants, artisans et commerçants ont exprimé leur colère dans la rue : colère face aux impôts, taxes et charges, toujours plus élevés, qui les asphyxient, colère face aux contraintes, toujours plus nombreuses, qui entravent leur activité. Mais surtout, ils ont crié leur colère face aux dysfonctionnements insupportables de leur régime de protection sociale, qui mettent en péril des millions de TPE françaises.
Le régime social des indépendants – le RSI – se trouve en effet dans l’incapacité, non seulement de collecter les cotisations, mais également de délivrer correctement les prestations qu’il doit. Appels de cotisations incohérents, envois d’huissiers ou interdictions bancaires sans réels motifs, oublis d’affiliation ou de radiation, ou encore difficultés à faire valoir ses droits à la retraite : les entrepreneurs ont dû, et doivent encore aujourd’hui, faire face à une situation cauchemardesque.
Cette « catastrophe industrielle », comme le dénonce la Cour des comptes elle-même, a brisé la confiance des travailleurs indépendants, et fragilise les plus petites entreprises – en particulier les artisans et les commerçants – déjà lourdement touchées par la crise. Or, ce sont justement eux dont la France a tant besoin pour créer des emplois et des richesses.
Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous enfin entendre l’exaspération de ces centaines de milliers de travailleurs indépendants et mettre en place un moratoire qui, seul, permettra d’apaiser cette situation et d’engager une véritable et indispensable réforme du RSI ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et qur quelques bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, vous avez rappelé que c’est en 2008 que M. Dutreil et quelques autres ministres oeuvrant dans le domaine des affaires sociales, ont décidé à la hussarde, et malgré tous les avertissements des professionnels du secteur, de fusionner des régimes.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Que s’est-il passé ? Un milliard et demi de cotisations, perdues à cause de la fusion de systèmes informatiques incompatibles, n’ont pas été recouvrées ; 300 000 dossiers ont dû être reconstitués manuellement, concernant parfois des carrières longues d’une trentaine d’années, afin que les retraites puissent être liquidées. Telles sont les responsabilités.
Mais ceci est derrière nous : vous avez raison, ce n’est pas aux travailleurs indépendants d’aujourd’hui de payer les erreurs des gouvernements d’hier.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Il s’agit aujourd’hui de fournir des prestations de qualité, en tenant compte des particularités d’un régime dont je dois rappeler – car le poids des cotisations est souvent mis en avant – que les affiliés payent en même temps les cotisations employeurs et les cotisations salariés, ce qui peut en effet donner un sentiment de pesanteur, notamment au regard de la situation des salariés du secteur privé.
Monsieur le député, quelles décisions avons-nous prises ? Premièrement, les cotisations ne seront plus recouvrées, à partir du mois d’avril, sur l’année n - 2 – pardon de faire de la technique – mais sur l’année précédente, ce qui permettra d’éviter les à-coups et évitera que l’on paie, en particulier en période de récession, des cotisations fondées sur une assiette correspondant à une période plus faste. Par ailleurs, un certain nombre d’opérations techniques en matière de gestion seront mis en oeuvre. Marisol Touraine, Carole Delga et moi-même sommes particulièrement vigilants sur ces questions.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Régime social des indépendants
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, mes chers collègues, j’associe à cette question Bruno Le Maire, Julien Aubert et les 106 députés avec lesquels nous avons demandé la mise en place d’une mission parlementaire sur l’organisation et les dysfonctionnements du régime social des indépendants.
Monsieur le Premier ministre, plusieurs dizaines de milliers d’artisans, commerçants et indépendants étaient hier dans la rue pour exprimer leur colère à l’égard du régime social des indépendants.
Ils ont quitté leur échoppe, leur salon de coiffure, leur atelier, leur cabinet, leur agence pour battre le pavé parisien. Ils ont sacrifié une journée de travail pour dire « non » aux erreurs dans le calcul des cotisations, « non » aux inscriptions non prises en compte ou erronées, « non » aux poursuites judiciaires sans motif, « non » aux absences de réponse aux demandes des chefs d’entreprise.
Depuis de trop nombreuses années, les patrons des petites entreprises subissent les dysfonctionnements et les erreurs du RSI. Aujourd’hui, ils sont au bord de la révolte !
Ce que ces indépendants attendent en tout premier lieu est bien la baisse des charges qui pèsent sur leur travail. Ils subissent un matraquage fiscal sans précédent : leurs charges sociales ne cessent de s’alourdir et atteignent aujourd’hui le taux record de 53 % du chiffre d’affaires. Quand cela va-t-il s’arrêter ?
Tous sont excédés de payer des charges sans trop savoir à quoi elles servent. Les deux millions et demi de Français qui se débattent avec le RSI tentent de vous faire entendre leurs souffrances et leurs difficultés quotidiennes. La première entreprise de France va mal… Pourtant, c’est bien elle, le poumon de notre économie.
Monsieur le Premier ministre, quelles solutions concrètes proposez-vous pour mettre fin aux dysfonctionnements du RSI et pour alléger le fardeau des charges des artisans, commerçants et indépendants ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.
Monsieur le député, vous nous interrogez sur la situation des commerçants et des artisans.
Je vous rappelle tout d’abord que, depuis le 1er janvier dernier, nous avons diminué les charges pour les indépendants.
Les cotisations familiales ont baissé de 70 % et la cotisation minimale à la Sécurité sociale est passée de 900 à 200 euros par an, soit une diminution de 700 euros. En outre, les cotisations pour les salaires autour du SMIC ont été supprimées pour les très petites entreprises.
Nous nous préoccupons également de former les futurs commerçants et artisans en donnant les moyens aux apprentis d’étudier dans de bonnes conditions : 80 millions d’euros ont été consacrés à l’hébergement de ces derniers et une prime de 2 000 euros est attribuée aux maîtres d’apprentissage dans les entreprises de moins de onze salariés.
Concernant le RSI,
« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP
Marisol Touraine, Christian Eckert et moi-même avons mis en place de nombreuses mesures. Depuis deux ans, la situation s’améliore ; un rapport sénatorial l’a prouvé. Il nous reste cependant beaucoup à faire, car ce que vous avez mis en place en 2008 a conduit à un résultat catastrophique, il faut bien le rappeler.
Nous avons souhaité que la qualité des réponses téléphoniques s’améliore. En 2015, elles seront traitées en interne par des personnes compétentes. Comme cela a déjà été indiqué, le calcul des cotisations ne portera que sur les revenus de l’année N - 1.
Enfin, monsieur le député, je suis ravie que vous vous occupiez des très petites entreprises qui irriguent nos territoires, parce qu’en 2008 le Gouvernement s’occupait d’alléger surtout les impôts des titulaires des grandes fortunes, certainement pas ceux des petits.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Jacques Valax, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l’intérieur, je voulais, au nom des Tarnaises et des Tarnais, en particulier des habitants du territoire de Sivens, vous adresser tous nos remerciements. Le site de Sivens est libéré.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – « Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.
« Ce sont eux, les écologistes ! » sur les bancs du groupe UMP.
Ils, ce sont ceux qui, sans droit ni titre, sans légitimité aucune, se sont imposés chez nous, ont privé nos concitoyens de leur tranquillité, les ont empêchés de travailler, ont abîmé leurs biens, maltraité leur famille, troublé de façon inadmissible l’ordre public.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Veuillez retrouver votre calme, mes chers collègues ! Nous ne sommes pas sur une ZAD !
Cet ordre public, vous l’avez rétabli. Fidèle à l’engagement pris par M. le Premier ministre, vous avez ordonné l’évacuation du site ; nous vous en remercions.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
J’en profite également pour remercier les agriculteurs tarnais, qui ont su faire preuve de responsabilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.
Ils se sont comportés de manière digne et ont su faire confiance à nos institutions.
Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.
Votre décision d’évacuation est un signal fort. Je vous le dis, monsieur le ministre de l’intérieur, parce que je le pense très sincèrement : cette intervention a réhabilité la parole publique et redonne de la crédibilité à l’action des élus locaux.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
L’ordre républicain, c’est le devoir de faire respecter les décisions prises par les majorités élues au suffrage universel. Personne ne pouvait contester ni la légalité ni la légitimité de cette décision.
L’ordre républicain est le fondement de notre vie en commun, personne n’a le droit de s’y opposer.
Ordre public et laïcité sont les fondements républicains que nous devons protéger avec force et persévérance.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Ma question est simple : pouvez-vous m’assurer que vous ferez tout pour empêcher que des minorités extrémistes arrêtent par la force des chantiers indispensables à l’aménagement du territoire de notre pays ?
Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le ministre de l’intérieur. Je constate que vous lui réservez un accueil chaleureux.
Sourires.
Monsieur le député, comme vous avez pu le remarquer, votre question a suscité un très large intérêt sur tous les bancs.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Elle appelle par conséquent une réponse extrêmement précise.
Concernant tant Sivens que les autres zones à défendre, le Gouvernement, notamment le Premier ministre, a posé des principes extrêmement simples et clairs auxquels il nous faut nous conformer si nous voulons obtenir à la fois l’apaisement et l’application des décisions de justice.
Le premier principe qui doit prévaloir est celui que la ministre de l’écologie a rappelé à plusieurs reprises : la simplification et le raccourcissement des procédures de manière qu’il ne s’écoule pas un temps trop long entre le moment où des collectivités locales décident de la construction d’ouvrages d’infrastructures importants et celui où ils sont réalisés. Des réformes sont à prévoir, des simplifications doivent être apportées. Le Gouvernement s’y penche et cela sera de nature, incontestablement, à apaiser le climat là où il y a des contestations et des confrontations.
Deuxièmement, il est important, lorsque des infrastructures de grande envergure sont susceptibles de poser des problèmes environnementaux, que le dialogue, la confrontation des points de vue aient lieu, que les expertises soient réalisées.
Enfin, troisièmement, il est indispensable, lorsque des occupations durent sans titre ni droit alors que des décisions de justice ont été énoncées, que l’autorité de l’État en charge d’appliquer ces décisions soit respectée et que le droit prévale.
C’est la raison pour laquelle, au cours des dernières semaines, depuis près d’un mois, grâce au concours de la gendarmerie et avec la contribution du préfet, nous avons multiplié les occasions de dialogue pour apaiser la situation. J’ai ainsi décidé d’engager cette opération d’évacuation puis de surveillance de la ZAD de manière à rétablir le droit.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et j’y associe ma collègue Brigitte Allain.
Madame la ministre, hier, le président du groupe de travail sur l’avenir des concessions autoroutières démissionnait en dénonçant une « parodie de consultation ». Comme lui, vous nous permettrez d’être inquiets quant aux suites qui seront données à ces travaux.
La renégociation des contrats de concession d’autoroutes est aujourd’hui, de l’aveu de tous, une nécessité absolue au vu de leur « rentabilité exceptionnelle », dénoncée par la Cour des comptes et par l’Autorité de la concurrence. Faut-il rappeler que les bénéfices des sept sociétés autoroutières historiques ont été en 2013 de 1,8 milliard d’euros ?
Compte tenu de cette rente exceptionnelle et excessive, l’enjeu est clair.
Il faut d’abord augmenter la contribution des sociétés d’autoroutes au financement des infrastructures de transports.
Il faut également cesser d’allonger la durée des concessions, pour qu’enfin l’exploitation des autoroutes et les bénéfices qui y sont associés reviennent dans le patrimoine public.
Il faut enfin abandonner les projets d’autoroutes inutiles, comme la transformation de la nationale 21 entre Auch et Limoges. Certes, cette voie nécessite des aménagements de sécurité pour les usagers, mais en aucun cas la création d’une autoroute, coûteuse pour les usagers et écologiquement inacceptable.
Comment justifier le plan de relance autoroutier que vous proposez et qui prévoit, d’une part, des projets autoroutiers sur tout le territoire, et de l’autre, l’allongement des durées des concessions de deux à quatre ans ? Comment comprendre, surtout, que seule une contribution supplémentaire de 40 millions d’euros soit envisagée pour les sociétés d’autoroutes, alors que celles-ci engrangent des bénéfices substantiels chaque année ?
Madame la ministre, ma question sera directe : quand défendrons-nous vraiment l’intérêt de l’État, des usagers, des contribuables et de l’environnement contre les intérêts des sociétés autoroutières, qui bénéficient depuis trop longtemps d’une rente financière excessive et indue ?
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Madame la députée, le groupe de travail mis en place à l’initiative du Gouvernement a en effet approfondi les questions légitimement soulevées après la remise des rapports de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes. Ses travaux, qui ont parfois nécessité la confrontation de points de vue techniques, ont quand même permis de partager un constat : les décisions prises il y a longtemps sur la privatisation des autoroutes apparaissent aujourd’hui comme très contestables, notamment s’agissant du montant perçu à l’époque.
De l’aveu même du ministre qui était alors en place, la valeur des sociétés privatisées s’approchait plus de 19 milliards d’euros que des 15 milliards auxquels elles avaient été évaluées. Cela devrait inciter à plus de mesure ceux qui aujourd’hui se répandent en commentaires !
Le Gouvernement, pour sa part, souhaite que l’on retrouve le chemin du dialogue et de la justice. Il a déjà pris plusieurs dispositions. Face à la difficulté que constitue l’existence d’engagements contractuels, il s’est engagé à ce que l’on ne retrouve pas les clauses contestées, et parfois contestables, dans les contrats à l’avenir et à ce que l’on en revienne à un dispositif qui respecte l’intérêt général.
Une telle solution passe par une négociation de rééquilibrage. Cette négociation n’est pas terminée. Le Gouvernement souhaite qu’elle aboutisse, sur des bases qu’il a lui-même posées et que la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a rappelées : la justice, l’équité et la conformité à l’intérêt général.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, « pigeons », « poussins », « citrons pressés », « bonnets rouges », « pendus »… qu’ils soient commerçants, artisans, professionnels libéraux, à la tête de PME, les entrepreneurs de France n’en peuvent plus. Comme beaucoup de Français, ils sont en colère.
En colère contre votre politique qui a aggravé la crise dans notre pays, qui a provoqué 600 000 chômeurs de plus en trois ans, et 60 000 fermetures d’entreprises en 2013 et en 2014.
En colère contre la loi Macron et le projet de loi de santé de Mme Touraine, qui ont pris sans raison pour cible les notaires, les huissiers, les avocats, et maintenant les professionnels de santé. En colère contre les dysfonctionnements du RSI, le régime social des indépendants. Le rapport de la Cour des comptes remonte à septembre 2012. Qu’avez-vous fait pour le RSI depuis cette date ? Rien !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; « Et vous ? » sur les bancs du groupe SRC.
En colère contre votre indifférence face à leur désespoir, à celui de leurs salariés, à celui des retraités qui ne touchent pas leurs pensions des CARSAT – caisses d’assurance retraite et de la santé au travail. Hier encore, les indépendants qui défilaient dans Paris ont eu pour seule et unique réponse un déploiement hors de proportion de forces de l’ordre afin de les maintenir le plus loin possible des bureaux de vos ministres, dont il ne fallait surtout pas troubler la tranquillité.
Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous prendre enfin la mesure des vraies difficultés du pays, et écouter ceux qui souffrent et qui font la richesse de la France ? Quand cesserez-vous d’ajouter de nouvelles complexités, comme le compte pénibilité, et d’inventer des taxes comme celle votée la semaine dernière dans le cadre du projet de loi NOTRe ? Quand allez-vous enfin vous attaquer aux 360 impôts et taxes, aux 400 000 normes, aux 3 500 pages du code du travail qui étouffent le pays ?
Monsieur le Premier ministre, quand engagerez-vous les vraies réformes dont la France a besoin ? Quand comprendrez-vous que la réponse à la crise n’est ni dans la multiplication de lois inutiles, ni dans l’outrance verbale qui vous tient désormais lieu de politique ?
Vous abordez tellement de sujets que je ne saisis pas très bien la nature de votre question, monsieur le député.
En évoquant avec démagogie et populisme différentes situations, en faisant des amalgames, vous vous employez en réalité à fuir vos propres responsabilités.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
S’agissant du RSI et de la « catastrophe industrielle » qu’il a provoquée, selon les termes de la Cour des comptes, certains de vos collègues présents sur ces bancs savent de quoi vous parlez et portent une responsabilité.
« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.
Les administrateurs du RSI, on l’oublie trop souvent, sont élus par leurs pairs. Ce n’est pas le Gouvernement qui met seul en oeuvre les dispositions techniques, même s’il prend ses responsabilités et continuera à le faire.
Je vous invite donc à faire preuve de plus d’humilité et de moins de démagogie. Le Gouvernement est au travail. Je me suis rendu la semaine dernière, avec Carole Delga, à la caisse du RSI de Nantes pour mesurer la capacité des URSSAF et du RSI à travailler en commun. Comptez sur notre vigilance pour remédier aux dysfonctionnements dont vous portez la responsabilité !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, au titre des députés non inscrits.
Monsieur le Premier ministre, à mesure que la date des élections départementales approche, vos prises de parole obsessionnelles et celles de vos amis du PS se font de plus en plus injurieuses à l’égard des électeurs du Front national et de leurs candidats. Quelle image de votre fonction pensez-vous donner, vous qui êtes censé être le Premier ministre de tous les Français et qui allez soutenir les candidats PS aux frais de la princesse ?
Vous qui étalez votre angoisse – l’angoisse de perdre votre mandat – alors que vous devriez vous soucier de l’angoisse de nos agriculteurs, balayés par la concurrence déloyale et les déréglementations européennes, de l’angoisse de nos artisans et commerçants, asphyxiés par les charges et victimes des dysfonctionnements du RSI, de l’angoisse de nos retraités, dont vous avez augmenté les impôts, de l’angoisse de notre pays, qui voit monter le communautarisme et l’islamisme, de l’angoisse de nos 5,5 millions de chômeurs, sans compter les territoires d’outre-mer, qui n’ont aucune perspective d’avenir.
Protestations sur les bancs du groupe SRC
et vos leçons de république pour votre propre parti qui, en moins de trois ans, a oscillé entre phobie administrative et faux diplômes – sans doute Cambadélis a-t-il trouvé le sien au fond de sa poubelle –, entre comptes en Suisse et prises illégales d’intérêt.
Ce n’est pas du Front national que sont issus les Cahuzac, les Sylvie Andrieux, les Kader Arif, et tant d’autres qui ont volé les Français. Au nom de la République, vous revendiquez la stigmatisation de Marine Le Pen et de 30 % des électeurs français, quand vous condamnez toutes les autres formes d’amalgame et de stigmatisation.
« Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice » disait Montesquieu. Doit-on s’attendre, monsieur le Premier ministre, à d’autres mesures d’exception à l’égard de notre mouvement ? Quand comptez-vous enfin vous occuper des angoisses des Français plutôt que du sort de votre parti qui, je l’espère, se fracassera sur les urnes à la fin du mois ?
Madame Maréchal-Le Pen, s’il fallait résumer en deux minutes l’outrance, la démagogie et le vrai visage de l’extrême-droite, vous venez de le faire parfaitement.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.
L’insulte, la calomnie, c’est ce qui fonde votre parti !
Oui, je mène campagne. Je suis chef du Gouvernement et je mène campagne dans le cadre de ces élections départementales, dans le strict respect, comme il se doit, des lois de mon pays. Je mène campagne parce que cette élection est un rendez-vous important pour les Français.
D’abord, pour les conseils départementaux, car, comme cela a été rappelé, leurs compétences,
Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP
au-delà de nos débats, sont importantes pour la vie des Français.
Je mène campagne, car une réforme importante a été mise en oeuvre, avec un nouveau mode de scrutin, un nouveau découpage, de nouvelles circonscriptions. Une révolution tout à fait particulière va se produire, que je veux souligner une nouvelle fois car il s’agit bien de passer des discours aux actes : le 29 mars prochain, 2 000 femmes seront élues dans nos conseils départementaux, alors qu’elles ne représentent aujourd’hui que 13 % de leurs effectifs.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.
Je mène campagne, car je pense qu’après les événements que nous avons connus, madame, il est important que chacun puisse se rendre compte que si voter est un droit, c’est aussi un devoir. Personne ne peut rester indifférent, deux mois après que notre démocratie a été attaquée. Chaque Français, en quelque sorte, est mis devant ses responsabilités.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.
Oui, madame, je mène campagne contre l’extrême droite. Car dans le débat politique, il est toujours important qu’une alternative existe, qu’il y ait une droite, une gauche, un camp conservateur, un camp du progrès
Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP
et que chacun puisse porter ses propositions. C’est la vie de notre démocratie, et c’est ainsi.
Mais à partir du moment où l’extrême-droite a réalisé le score de 25 % aux élections européennes, à partir du moment où les enquêtes d’opinion vous donnent 30 % aux prochaines élections départementales, je considère que, pour l’image de mon pays, pour notre démocratie, cela représente un véritable danger.
Ma responsabilité, celle aussi de tous les républicains, est de faire en sorte que cela ne soit pas possible. Je ne veux pas que le 22 mars, ce pays, mon pays, ma France, se réveille avec la gueule de bois !
Vos candidats sont des dizaines, madame, à tenir des propos antisémites, racistes, homophobes, sexistes
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste
et à s’en prendre à des ministres de la République. Voulez-vous que je vous en donne la liste ? Non, ce ne sont pas, madame, des cas isolés ; ce sont des cas graves et vous le saviez parfaitement : ce sont des récidivistes.
Alors, face à cela, madame, oui, je mène campagne. Et je mènerai toujours campagne lorsqu’il s’agira de la France et des valeurs de la République. Je ne confonds pas, madame, les électeurs du Front national, les Français, avec vous. Je veux leur dire que vous les trompez et que votre politique mènerait la France à la ruine, en la sortant de l’euro, de la politique agricole commune, de l’Union européenne. Oui, il faut dire la vérité aux Français. Vous les trompez, vous trompez les petites gens, vous trompez les ouvriers, vous trompez les agriculteurs, vous trompez ceux qui souffrent !
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste et sur certains bancs du groupe GDR.
Il est temps qu’il y ait dans ce pays un débat, que l’on déchire le voile, la mascarade qui est la vôtre, que nous affirmions tous, comme je l’ai fait ici le 13 janvier, les valeurs de la République, de la France, que nous rappelions les actes et la politique de mon gouvernement contre la pauvreté, pour l’école, pour les valeurs de la République, pour redresser pays. C’est aussi une réponse à ce que vous portez. Jusqu’au bout, madame, je mènerai campagne pour vous stigmatiser et pour vous dire que vous n’êtes ni la République ni la France !
Mmes et MM. les députés des groupes SRC, RRDP et écologiste se lèvent et applaudissent.
La parole est à M. Pascal Demarthe, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Sous l’impulsion de Jean-Marc Ayrault et de Michèle Delaunay, notre majorité a engagé une réforme majeure de la dépendance pour relever le défi du bien vieillir.
Ne nous y trompons pas, ce défi n’est pas seulement individuel, il est collectif. En 2060, un tiers des Français aura plus de 60 ans, 5 millions d’entre eux, contre 1,4 million aujourd’hui, seront âgés de plus de 85 ans. Répondre à cette évolution normale, de manière sereine et efficace, exige qu’on le fasse dès aujourd’hui. Comme le disait François Mitterrand : « il faut ajouter des années à la vie et de la vie aux années. »
Madame la ministre, notre assemblée a adopté un texte sur l’adaptation de la société au vieillissement, qui mobilisera 645 millions d’euros. Il s’agit de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes, avec une revalorisation significative de l’allocation personnalisée d’autonomie – l’APA – d’adapter les politiques publiques du vieillissement via la modernisation des logements, l’usage des nouvelles technologies, le renforcement de la convivialité dans nos territoires et le développement de la silver economy. Il s’agit enfin d’accompagner les aidants, ces proches qui soutiennent leur père, leur mère, leur oncle, leur tante ou leur ami, avec la création d’un droit au répit, grâce à une aide qui pourra atteindre 500 euros par an.
Pendant cinq ans, Nicolas Sarkozy a annoncé une loi sur la dépendance, restée lettre morte. Nous, nous la faisons. D’ailleurs, c’est déjà la gauche qui, avec Lionel Jospin, avait créé l’allocation personnalisée pour l’autonomie, mise en oeuvre dans nos départements.
Madame la ministre, Nous sommes fiers de la loi dépendance en cours d’examen. Pouvez-vous nous redire la détermination du Gouvernement à réussir cette étape majeure du quinquennat ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.
Monsieur le député, les Français souhaitent vieillir chez eux, le plus longtemps possible et dans les meilleures conditions possibles. C’est à cette espérance que répond le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, un texte qui vise à retarder la perte d’autonomie. Nous engageons l’acte II de l’allocation personnalisée d’autonomie – APA – avec des droits nouveaux qui permettront aux personnes âgées de bénéficier de davantage d’heures d’aide à domicile – une heure hebdomadaire supplémentaire pour les moins dépendantes, une heure quotidienne supplémentaire pour les plus dépendantes – et de voir leur reste à charge diminuer.
Nous agissons aussi en faveur des fameux « aidants », ces 4 millions de personnes qui, chaque jour, consacrent un temps important à la prise en charge de leur proche atteint d’une perte d’autonomie. Pour eux, nous créons un droit nouveau, le droit au répit. Une allocation leur sera versée pour financer une semaine d’hébergement temporaire ou quinze jours d’accueil de jour, ou encore une prise en charge lorsque l’aidant lui-même est hospitalisé, ce qui répond à une réelle inquiétude.
Cette loi ne concerne pas seulement la prise en charge de l’autonomie, elle vise aussi à retarder et à prévenir la perte d’autonomie. C’est pourquoi nous mobilisons l’ensemble des politiques publiques et des moyens supplémentaires en faveur de l’adaptation des logements, de la mobilité, des transports, de l’urbanisme, des politiques culturelles ou sportives. Enfin, cette loi est construite de manière originale sur le plan budgétaire, puisque les dépenses sont adaptées aux recettes.
Cette loi attendue, promise, sans cesse abandonnée ou repoussée, nous la ferons ! Elle sera en oeuvre le 1er janvier 2016, dans l’intérêt de toutes les familles.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Sonia Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le Premier ministre, le 26 février 2014, j’interpellais votre prédécesseur sur la situation de milliers de Calédoniens en passe de perdre leur droit de vote lors de la révision des listes électorales du fait de demandes de radiations par les indépendantistes.
Jean-Marc Ayrault, avait, au nom de l’État, précisé ici même, au travers d’une lecture politique de l’accord de Nouméa, que le défaut d’inscription sur la liste générale de 1998 ne pouvait à lui seul justifier une radiation. Or, la Cour de cassation avait déjà, en 2011, avec l’arrêt Jolivel, pris une position inverse allant dans le sens des indépendantistes.
Vous avez abandonné cette position politique au profit de celle de la Cour de cassation, et ce revirement en moins d’un an a jeté le trouble en Nouvelle-Calédonie, faisant perdre à l’État de sa crédibilité.
Faut-il rappeler que les indépendantistes fondent ces radiations sur des critères ethniques et sur la consonance des noms ?
Je veux redire une chose simple : jusqu’à ce que les Calédoniens en décident autrement, la Nouvelle-Calédonie, c’est encore la République française, et les citoyens durablement installés ne sauraient être exclus de la construction du pays.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.
J’appelle mes collègues à la vigilance dans la perspective prochaine de l’examen du projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie.
Pour réussir sur la voie tracée par l’accord de Nouméa, nous avons besoin, vous l’avez vous-même rappelé lors du dernier comité des signataires, d’un État qui s’engage de manière forte et volontaire, mais nous avons surtout besoin de clarté et de cohérence de la part de l’État. C’est précisément, monsieur le Premier ministre, ce que vous demandent les Calédoniens.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.
Madame la députée, la position de l’État est claire : celle du respect de l’État de droit et des décisions de justice. Dans une série de décisions rendues il y a quelques mois, à l’automne 2014, la Cour de cassation a interprété très strictement l’article 188 b de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
Elle impose aux personnes installées en Nouvelle-Calédonie, au plus tard le 8 novembre 1998, d’avoir été inscrites sur les listes électorales avant 1998.
Ces décisions sont postérieures à la réponse apportée ici même par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en février 2014. Elles s’imposent à tous, à l’État, aux élus, aux formations politiques. L’État ne pouvait pas les ignorer, d’autant plus qu’elles ont été largement diffusées depuis. Il en allait de sa crédibilité.
Aujourd’hui, la jurisprudence de la Cour de cassation étant stabilisée, la loi organique prise en application de la Constitution ne peut revenir sur ces dispositions. C’est en effet impossible, compte tenu de la révision de l’article 77 de la Constitution portée en 2007 par le Président de la République Jacques Chirac et le ministre de l’outre-mer François Baroin. Cela irait aussi à l’encontre de l’accord de Nouméa, et en particulier de son point 221, qui a également valeur constitutionnelle.
Il ne s’agit évidemment pas d’une vision purement technique de cette question de la part du Gouvernement, ni d’une quelconque manoeuvre, mais de l’application normale, dans un État de droit, des décisions de justice de dernier ressort. On ne peut faire grief au Gouvernement d’avoir, à titre conservatoire, adopté l’interprétation la plus ouverte de la Constitution et de la loi organique dans l’attente de la stabilisation de la jurisprudence judiciaire.
Il appartient à présent aux commissions de révision d’examiner chaque dossier avec rigueur et objectivité, sans arrière-pensée politique.
Madame Lagarde, tout l’esprit des accords de Matignon puis de Nouméa, repose sur la parole donnée. Nous en sommes garants et moi, en tant que Premier ministre, plus que tout autre. Respectons les accords, respectons notre Constitution, respectons les décisions de justice. C’est ainsi que nous bâtirons ensemble, en cette année importante, dans la sérénité, la transparence et la confiance réciproque, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Sophie Rohfritsch, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, aujourd’hui 10 mars, des milliers de responsables et d’employés des entreprises de travaux publics battent le pavé français, qu’ils connaissent si bien, pour attirer l’attention sur la situation dramatique de leur branche d’activité.
Après une année blanche en 2014, aucun signe de reprise en 2015. La commande publique, en particulier celle des collectivités territoriales, est en berne, faute de capacités d’investissement. Les errements du Gouvernement aggravent encore la situation : manque de clarté de la loi NOTRe, atermoiements autour du plan de relance autoroutier, incertitudes quant au financement de l’AFITF, absence de stratégie claire pour mobiliser des moyens issus du plan de relance européen.
Pire, les 270 000 emplois dans les travaux publics sont des emplois faiblement qualifiés, vous le savez bien. Ils sont occupés par des personnes bien souvent issues de l’immigration qui acceptent ces postes pénibles. Mettre leur situation en péril a d’ores et déjà provoqué de nombreux licenciements – plus de 10 000 à ce jour. Et ce sont des personnes qui auront bien plus de mal que d’autres à retrouver un emploi. Cette situation dissuade aussi les entreprises de former des apprentis dans un secteur où, pourtant, cela était la tradition.
Monsieur le Premier ministre, la meilleure façon d’éviter le vote Front national, ce n’est pas l’incantation, mais l’action. Il faut tout mettre en oeuvre pour obtenir des résultats. C’est ce qu’attendent les Français. Vous devez agir pour sauver les entreprises du secteur des travaux publics comme pour toutes les entreprises françaises. C’est cela, agir pour la France.
Monsieur le Premier ministre, comptez-vous enfin entendre les entreprises françaises ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Madame la députée, je ne peux vous laisser dire ou sous-entendre que le Gouvernement resterait inactif par rapport au secteur du bâtiment et des travaux publics.
Rappelons un certain nombre de mesures que nous avons prises concernant le logement, qu’il s’agisse du logement intermédiaire ou du logement social, les dispositions fiscales que nous avons mises en oeuvre au travers du dispositif Pinel. Concernant les travaux publics, même si les dotations aux collectivités territoriales ont été réduites, une majoration de la dotation d’équipement des territoires ruraux a été décidée à hauteur de 200 millions d’euros par ce Gouvernement. Nous veillons par ailleurs à ce que les salariés et les entreprises de ce secteur ne soient pas pénalisés par le travail détaché, contre lequel nous luttons.
Madame la députée, vous avez parlé d’incantation, mais le Gouvernement est justement dans l’action. Nous avons, au travers des dispositifs fiscaux relatifs à la transition énergétique, en particulier le crédit d’impôt pour la transition énergétique mis en place avec Mme Royal, développé tout un chantier d’activité qui pourra donner des signes encourageants. Les premiers ont d’ailleurs été enregistrés au niveau des chiffres concernant la construction. Je peux vous assurer, madame la députée, de la pleine mobilisation de l’ensemble du Gouvernement en faveur des marchés dans le secteur des travaux publics et du logement.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq.
L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, portant nouvelle organisation territoriale de la République (nos 2529, 2553, 2542, 2544, 2545, 2546, 2549).
Dans les explications de vote, la parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, cette loi n’est pas la grande loi de décentralisation différenciée que nous aurions souhaitée. À vrai dire, ce n’est même pas une loi de décentralisation. Nous aurions souhaité un vrai pas vers une autre organisation territoriale, nous conduisant vers le fédéralisme et nous éloignant résolument d’une vision centralisée, technocratique, et finalement très napoléonienne de la structure administrative.
Quand je dis napoléonienne, ce n’est évidemment pas un compliment.
La structure pyramidale, héritée du modèle militaire, avait du sens sous une dictature comme celle des deux Napoléon. Dans une démocratie, où les logiques ascendantes, venant de la population et des territoires doivent être l’essentiel, ce système centralisé tousse, s’engorge, se sclérose.
Finalement, l’incontinence législativo-réglementaire que nous dénonçons tous n’est que le résultat de notre incapacité à nous réformer, à donner véritablement le pouvoir réglementaire aux régions comme dans le reste de l’Europe. La redevance sur le mouillage dans les aires maritimes protégées en est la meilleure illustration. Suite à une demande de la collectivité territoriale de Corse qui vise à protéger les bouches de Bonifacio, nous sommes amenés à voter, après moult discussions et débats, une disposition générale qui, au final, ne s’appliquera qu’à la Corse…
Il aurait été plus simple d’autoriser la Corse à faire des lois de pays. Elle aurait elle-même réglé le problème.
Cette loi n’est pas franchement la NOTRe, sans jeu de mot… Pour autant, il ne faudrait pas caricaturer ; écarter d’un revers de main en se drapant dans sa dignité, une loi, certes timide, mais qui va dans le bon sens.
Il faut savoir être positif et reconnaître les progrès même si l’on juge qu’ils sont modestes, voire insuffisants.
Ces progrès, quels sont-ils ? Tout d’abord, une réelle volonté de clarifier les compétences en matière économique en renforçant le rôle des régions dans ce domaine. La compétence exclusive confiée aux régions couvre désormais la totalité des interventions économiques. Nous regrettons toutefois le fait que le schéma ne soit pas aussi prescriptif que prévu, notamment en ce qui concerne leur application aux métropoles.
Je regrette aussi les reculs sur le transfert des collèges et des routes départementales aux régions, ce qui permet de laisser les départements sous perfusion en quelque sorte.
Notons toutefois la création de schémas régionaux d’enseignement supérieur, notamment à l’initiative des députés écologistes, ainsi que la coordination des politiques de l’emploi et le transfert de l’essentiel des transports non-urbains aux régions.
De même, l’article 13 crée notamment une collectivité territoriale unique de Corse à l’horizon du 1er janvier 2018, évolution que nous défendons aussi dans d’autres régions, comme la Bretagne, où cette revendication d’assemblée unique est très forte. Espérons que l’ouverture dont Mme la ministre, au nom du Gouvernement, fait preuve sur ce sujet ne sera pas un espoir déçu.
La création des schémas régionaux d’aménagement et de développement durable est autre point positif de ce texte. Ils permettront aux régions d’élaborer un schéma prescriptif à l’égard des documents d’urbanisme élaborés par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – sur le climat, l’air, l’énergie, l’intermodalité ou la prévention des déchets. Nous nous réjouissons de l’adoption d’un amendement de notre groupe permettant l’association du comité régional « trames vertes et bleues » à l’élaboration de ce schéma régional.
Les intercommunalités sortent également renforcées, avec l’ajout de nouvelles compétences obligatoires. Les nouvelles dérogations au seuil des 20 000 habitants pour les territoires à faible densité, les zones de montagne ou les îles permettront de mieux coller aux territoires vécus.
Nous nous réjouissons de l’adoption de plusieurs amendements de notre groupe visant à renforcer la démocratie et la transparence dans les communes. Soulignons également l’adoption de nos amendements en faveur de l’open data dans les collectivités locales, par exemple à Rennes, ainsi que pour une meilleure reconnaissance des groupes d’opposition ou minoritaires au sein des conseils régionaux et un renforcement des prérogatives des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux– CESER.
Nous nous félicitons également de la possibilité laissée à toutes les collectivités locales de continuer à promouvoir les langues régionales, ainsi que de l’aboutissement d’un long combat pour la prise en charge des forfaits scolaires dans les écoles publiques bilingues. Plijus eo memestra , madame Appéré !
Au bout du compte, mes chers collègues, ce projet de loi demeure dans l’ambiguïté en conservant certaines strates administratives qui ont fait leur temps. Néanmoins, il annonce – timidement, certes – l’ascension du couple intercommunalité-région que nous avons toujours défendu. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera ce projet de loi, en espérant pouvoir renforcer davantage ses points positifs d’ici à la deuxième lecture.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au terme de l’examen de ce troisième volet de la réforme territoriale, nous ne pouvons que réaffirmer notre ferme opposition à la remise en cause de l’architecture institutionnelle de notre pays, bouleversement institutionnel sans précédent qui conduira inévitablement à renforcer la fracture territoriale par la mise en concurrence de nos territoires, l’augmentation des inégalités et la remise en cause des principes constitutionnels d’unité et d’indivisibilité de la République.
Nous contestons à la fois la méthode, l’esprit et la plupart des dispositions de cette réforme, qui est au coeur de notre démocratie.
La méthode, tout d’abord, va bouleverser l’organisation territoriale de notre pays pour plusieurs décennies. Face à un tel séisme institutionnel, il aurait été légitime d’engager un grand débat national, car rien de sérieux et de durable ne peut se construire sans y associer étroitement les citoyens et leurs élus, les partenaires économiques et sociaux et les personnels territoriaux. Mais le Gouvernement s’y est refusé, préférant précipiter l’examen d’une réforme élaborée sans vision stratégique.
Les multiples incohérences de cette réforme et les revirements du Gouvernement témoignent parfaitement de l’absence de vision globale et participe à son illisibilité. Il nous paraît en effet incohérent de définir la réorganisation des compétences des collectivités territoriales sans se préoccuper des ressources dont elles disposeront, alors que les collectivités subissent une restriction drastique de leurs dotations.
De même, nous ne pouvons que contester la suppression – autre incohérence – de la clause de compétence générale des départements et des régions, après son rétablissement dans la loi MAPTAM. Enfin, vos déclarations contradictoires, madame la ministre, sur la suppression à terme des départements ne leurrent personne.
Au-delà de la méthode et des hésitations et revirements du Gouvernement, nous contestons la philosophie générale de cette réforme, qui s’inscrit clairement dans la lignée des réformes précédentes, en particulier celle de 2010, rejetée avec force, à l’époque, par l’ensemble de la gauche.
Ce texte renforce la concentration des pouvoirs locaux au niveau régional et intercommunal, réduit les compétences des départements et les met sous la tutelle des régions dans un grand nombre de domaines. Sous couvert de réorganisation, l’objectif principal est la recherche d’économies par l’assèchement des collectivités. Ces économies sont pourtant loin d’être assurées.
Pour en venir plus précisément aux dispositions de ce texte, celui-ci ôte aux départements d’importantes compétences de proximité en les transférant aux régions, en particulier en matière de transports. On peut certes se réjouir que la gestion des collèges et de la voirie urbaine reste de la compétence des départements mais, pour ce qui est de la gestion des collèges, nous pensons que le dispositif proposé ouvre la porte à une généralisation des transferts de compétences entre les collectivités territoriales et au transfert définitif des compétences scolaires des départements aux régions.
Ensuite, si nous ne sommes pas hostiles par principe au renforcement des compétences des régions en matière de développement économique, nous regrettons l’absence d’une réflexion sérieuse pour définir notamment des objectifs sociaux et environnementaux.
Pour ce qui est de l’élargissement des intercommunalités, vous engagez là encore, dans la lignée de la réforme de 2010, la fusion des intercommunalités à marche forcée, au mépris de la concordance de ces EPCI avec les bassins de vie. Le relèvement du seuil à 20 000 habitants est une mesure totalement déconnectée des réalités du terrain – en témoignent les multiples et complexes dérogations adoptées par notre Assemblée.
Quant à la métropole du Grand Paris, véritable monstre technocratique et contresens démocratique, elle vide les communes de leurs compétences…
…et ne corrige pas les inégalités et la sélection des territoires, qui créent des discriminations et minent les fondements de notre pacte républicain.
Enfin, nous demeurons très inquiets quant aux conséquences de cette réforme sur l’organisation et les conditions de travail des fonctionnaires et agents publics territoriaux. La mobilité et la flexibilité à grande échelle des personnels territoriaux sont confortées en dehors de tout processus de négociation réel.
Pour conclure, nous sommes résolument opposés – vous l’aurez compris – à cette réforme, car nous croyons à la nécessité de maintenir chaque niveau de collectivité. Les communes, les départements et les régions doivent disposer de compétences identifiées, mais non exclusives, d’outils de coopérations, de moyens pour agir en faveur de projets partagés. Notre vision est claire : nous défendons une décentralisation au service de nos concitoyens et organisée en fonction du principe de proximité – en somme, une décentralisation qui renforce notre démocratie locale.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
La parole est à Mme Nathalie Appéré, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, tant attendue et pourtant si souvent ajournée, la réforme territoriale franchit, avec ce texte que nous allons voter, une étape décisive, avec un seul cap, une seule boussole : une France mieux organisée pour un service public plus efficace et plus solidaire.
Ce texte n’est ni régionaliste, ni départementaliste ; il n’est ni communaliste, ni communautaire, pas plus ruraliste que métropolitain, ni des villes, ni des champs :…
…il est simplement utile à nos concitoyens.
Après la réforme des modes de scrutins en 2013, dont nous allons voir les effets dans nos conseils départementaux,…
…avec des assemblées strictement paritaires, après l’affirmation des métropoles comme moteurs de croissance et la reconnaissance du fait urbain dans la loi MAPTAM, après l’adoption d’une loi redessinant les contours des régions pour qu’elles pèsent davantage à l’échelle européenne, nous allons aujourd’hui nous prononcer pour une nouvelle répartition des compétences entre nos collectivités et leurs groupements.
Ce vote doit aussi être celui de notre confiance dans la capacité des territoires à participer au redressement de notre pays.
Aux réponses simplistes, comme le rétablissement du conseiller territorial, totem permanent et unique proposition peut-être de nos collègues de l’UMP tout au long de nos débats
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
nous avons préféré une nouvelle cohérence dans les compétences exercées.
Aux blocages nostalgiques, nous avons préféré…
…une nouvelle conception de la décentralisation. La coopération plutôt que la compétition. La cohésion plutôt que la division.
Nous passons en quelque sorte du « je » au « notre », des égoïsmes territoriaux à la solidarité par les territoires.
Alors oui, cela implique de rechercher en permanence de nouveaux équilibres et de nouveaux consensus pour avancer. Tous les échelons territoriaux ont été entendus, toutes les associations d’élus ont été auditionnées et les propositions de nos collègues sénateurs ont été prises en compte.
Je veux vous remercier madame la ministre, pour la qualité du dialogue que vous avez su établir. Je veux saluer aussi l’excellent travail de notre rapporteur, M. Olivier Dussopt qui a permis que soient étudiées et intégrées les propositions sans jamais céder sur les lignes de force de ce texte.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Déjà, des rendez-vous sont donnés pour la deuxième lecture. Il reste des points à approfondir, des rédactions à préciser, mais ne laissons personne douter de la lisibilité et de la clarté des orientations.
Les effets de manche ne résistent pas à une lecture de bonne foi de chacun des 37 articles du texte.
Aux régions, aidées des métropoles, le développement économique pour mener le combat pour l’emploi et l’aménagement stratégique du territoire. Ces régions seront renforcées par des schémas prescriptifs et un pouvoir réglementaire. Aux départements, la cohésion sociale et la solidarité, conditions essentielles de l’égalité républicaine. Aux intercommunalités renforcées, l’action de proximité et les services à la population à l’échelle des bassins de vie.
Loin de vouloir dévitaliser les communes, nous leur donnons, à l’inverse, davantage de leviers d’action par la mutualisation et la mise en commun des moyens. Aux citoyens, nous donnons aussi davantage de leviers de contrôle démocratique, avec l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires dès 2020.
Nous pouvons regarder le chemin qu’il reste à parcourir. Chacun ressent la nécessité de nouvelles réformes, mais chacun voit aussi qu’il nous faut passer les étapes les unes après les autres, pour expliquer, pour rassurer et pour nous préparer.
Je citerai en conclusion cette phrase de Charles Péguy : « La République une et indivisible, voilà ce qui est sorti de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. C’est de cette République-là que nous sommes républicains. »
Une République indivisible, car efficace, citoyenne et mue par une obsession permanente : l’égalité des chances sur les territoires, par les territoires, pour les territoires. C’est dans cette République-là que nous serons davantage républicains. C’est la raison pour laquelle le groupe SRC votera ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Sur l’ensemble du projet de loi, le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, madame la ministre monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi relatif à une « nouvelle organisation territoriale de la République » a-t-il tenu ses promesses ? À l’évidence, non. Censé apporter une réponse claire à la question de savoir qui fait quoi, l’examen de la loi NOTRe a erré, de revirements en confusion.
Les revirements, d’abord : les départements, voués à disparaître, se sont trouvés ressuscités à la faveur d’un improbable accord politique.
Des députés de tous bords ont dénoncé avec raison – ne vous en déplaise, madame la ministre – le scandale d’une élection d’assemblées départementales dont les compétences ne sont pas arrêtées. Il y a là une forme de mépris de l’électeur…
…qui ne peut que nourrir sa rancoeur ou son désintérêt pour la chose publique.
Ce revirement désinvolte, et que vous n’assumez pas tout à fait, a rendu votre loi boiteuse, car vous avez dû réintroduire, au Sénat puis à l’Assemblée, des compétences départementales transférées à la région au moment de la conception de la loi. C’est ainsi que la compétence des collèges est redevenue départementale, tout comme la voirie, mais pas le transport scolaire.
Et que dire du seuil de l’intercommunalité, fixé à 20 000 habitants, dont on vous a prévenu d’emblée qu’il n’était pas tenable – évidence à laquelle il a bien fallu vous rendre ? Désormais, à ce stade de l’examen de la loi, il y a plus d’exceptions que de cas conformes à la règle et nous voilà passés d’une mauvaise idée à une mauvaise loi !
Et que dire de la seconde délibération, qui a conduit à un transfert automatique à la métropole du Grand Paris des compétences gaz et réseaux de chaleur, alors même que les Franciliens de droite comme de gauche s’y étaient opposés plus tôt dans la journée ? Que dire aussi du revirement scandaleux concernant les plans locaux d’urbanisme du Grand Paris, soumis désormais à l’avis conforme de la métropole ?
Les confusions ensuite : alors que le renforcement du fait régional était un des objectifs de la loi, le débat a illustré jusqu’à la caricature la capacité à emmêler les choses. Quelques exemples éclairants : l’économie est devenue une compétence exclusive de la région, partagée de fait avec le bloc local qui peut l’exercer par délégation, mais pas avec les départements qui, toutefois, par l’aide apportée aux communes ou à leurs groupements, pourront indirectement continuer à aider sur le foncier et l’immobilier d’entreprises – comprenne qui pourra ! La région aura le dernier mot en matière d’économie, même contre les métropoles : cela promet d’homériques combats, quand notre pays aurait besoin de mobiliser toutes ses forces pour son redressement social et économique !
Quant au tourisme, la compétence est saucissonnée dans le bloc local entre la promotion et l’action, exclusive pour l’une et partagée pour l’autre – c’est simple ! Voilà, en somme, de prometteuses perspectives pour le secrétaire d’État chargé de la simplification !
Cette absence de ligne s’est traduite par les amendements du Gouvernement, arrivés avant et pendant la séance – pas moins de 138, mes chers collègues ! –, sans étude d’impact, sans concertation, dans l’improvisation la plus totale et ce, jusqu’à la fin du débat, où vous avez présenté quatre secondes délibérations,…
…dont une annulant une possibilité d’expérimentation très innovante sur Reims, Épernay et Châlons-en-Champagne présentée par notre collègue Benoist Apparu, au mépris des parlementaires sur tous les bancs.
Combien de points oubliés ont été soulevés par les députés rompus au terrain,…
…d’où l’intérêt d’un cumul minimum d’un mandat national avec un mandat local ! Ces points oubliés ont été renvoyés par le Gouvernement à la deuxième lecture, évoquée près de cinquante fois au cours des débats, faute d’autre réponse possible.
Et puis, comme chaque fois que l’autorité défaille, c’est l’autoritarisme qui apparaît. Ainsi, par des amendements de dernière minute, des compétences très lourdes, comme l’eau ou l’assainissement, ont été ajoutées aux compétences des établissements publics de coopération intercommunale, dits EPCI. L’absence de débat en commission sur de tels sujets est particulièrement préoccupante sur le plan financier. C’est d’ailleurs le point aveugle de votre loi, comme l’a dit Hervé Gaymard, puisqu’elle ne comporte aucun soubassement budgétaire.
De finances, il n’en a pas été question, sauf peut-être pour créer une nouvelle redevance sur les navires de plaisance mouillant dans une aire marine protégée, comme si, une fois de plus, les problèmes d’environnement ne pouvaient se résoudre que par l’impôt. Et que dire de la compétence GEMAPI qui coûtera cher à chaque contribuable ?
Mais l’aspect le plus contestable de cette loi, madame la ministre, c’est le pas fatal que vous faites sur le chemin de la disparition des communes. Ne disposant plus de minorité de blocage pour s’opposer au plan local d’urbanisme intercommunal – ou PLUI –, perdant des compétences qu’elles exerçaient parfaitement, affaiblies par la baisse des dotations qui n’a pas fini de produire ses effets ravageurs, les communes sortent exsangues. Et la goutte qui a fait déborder le vase, c’est l’élection au suffrage universel des conseillers communautaires à horizon 2017 !
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Dites-nous ce qui distinguera désormais l’intercommunalité, dont vous changez la nature, avec une fiscalité propre, une circonscription électorale, le suffrage universel direct et des compétences renforcées. Ce sera donc une collectivité de plus dans un paysage que l’on voulait simplifier et, au passage, vous organisez sans le dire la disparition des communes !
Je conclus, monsieur le président. Notre pays se portera-t-il mieux avec l’application de cette loi ?
« Non ! » sur les bancs du groupe UMP.
Mêmes mouvements.
Mêmes mouvements.
Je ne le crois pas et c’est la raison pour laquelle, comme moi, le groupe UMP votera résolument contre son adoption.
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.
La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous pouvions attendre beaucoup de cette réforme territoriale : nous pouvions attendre un rapprochement entre régions et départements ; nous pouvions attendre une mutualisation accrue entre intercommunalités et communes ; nous pouvions attendre une redéfinition du rôle de l’État ; nous pouvions attendre une redistribution des moyens financiers alloués aux collectivités.
Or, au terme de deux semaines de débats à l’Assemblée, qu’en est-il ? Je serai synthétique : les compétences des régions sont à peine accrues – Pôle Emploi reste affaire d’État –, celles des départements quasi maintenues : où est la simplification ?
Entre intercommunalités et communes, la fixation d’un seuil uniforme de 20 000 habitants pour les premières, qui remet en question 70 % des communautés, est tellement inadaptée qu’elle devrait faire l’objet de dérogations dans plus de 50 % des cas ! Que vaut donc une règle qui exige autant d’exceptions ? Des territoires divers exigeant des réponses diversifiées, il eût mieux valu confier aux élus dans chaque département le soin de fixer en commission départementale de la coopération intercommunale – ou CDCI – des seuils adaptés à leur territoire : voilà ce qu’il eût fallu faire ! À l’encontre d’une démarche jacobine, nous sommes décentralisateurs !
Que dire enfin de l’État, que cette réforme ne semble pas concerner et dont le rôle aurait pu être revu dans sa relation aux collectivités comme dans ses responsabilités régaliennes et péréquatrices ? Loin du simple contrôle de légalité, l’État garderait la main sur des schémas régionaux qui s’imposeraient aux collectivités subsidiaires, même en matière d’urbanisme. Si loin qu’il soit et si loin qu’en soient les concepteurs, où sont la décentralisation et l’intelligence partagée ?
Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous sommes désolés de constater qu’il n’y a dans ce texte, à nos yeux, ni cap, ni vision. Quelle architecture d’ensemble proposez-vous, dans laquelle seules émergent quelques sculptures métropolitaines ? Et encore, s’agissant de Paris…
Ce n’est pas de ma faute !
En effet !
Nous vous en donnons acte ; mais quand avez-vous arbitré ? Faute d’avoir choisi, que reste-t-il de vos déclarations premières ? Alors que nous avons encore deux lectures, au Sénat et à l’Assemblée nationale, nous vous demandons instamment de revoir ce texte afin, et ce n’est pas rien, d’améliorer la gouvernance de notre pays. L’enjeu est trop important pour que nous en restions à cette mauvaise ébauche.
En l’état, l’ensemble du groupe UDI se prononcera donc contre ce projet, dans l’attente d’un tout autre texte !
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, depuis l’annonce du projet de loi de réforme territoriale par le Premier ministre, les radicaux de gauche ont maintenu une position constante.
Nous avons critiqué la méthode employée par le Gouvernement et la précipitation qui a entouré ce texte ; nous avons également contesté le choix de diviser la réforme en trois textes, examinés successivement, et celui de discuter du redécoupage des grandes régions avant d’aborder les compétences des différents échelons ; nous avons enfin évoqué la possibilité de reporter l’examen de ce texte après les élections départementales. Force est de reconnaître que, sur l’ensemble de ces points, nous n’avons pas été entendus !
Ainsi, comme nous vous l’avions indiqué lors de la discussion générale, l’examen du texte en commission des lois de l’Assemblée nationale, laquelle avait purement et simplement ignoré le travail effectué par nos collègues sénateurs, nous avait laissés interrogatifs quant aux véritables intentions du Gouvernement. Nous entamions alors l’examen du texte en séance publique avec beaucoup de réticences.
Aussi, une fois n’est pas coutume, je voudrais aujourd’hui saluer le travail accompli pendant ces deux semaines d’examen. Si les débats ont été nombreux et parfois houleux entre régionalistes, départementalistes et métropolitains, ils ont permis de faire bouger les lignes sur un certain nombre de points qui nous tenaient à coeur et sur lesquels je reviendrai.
Ces débats ont abouti à un compromis permettant d’équilibrer la répartition des compétences entre les différents échelons territoriaux au regard de l’agrandissement des régions, tout en ne perdant pas de vue l’objectif initial de clarification des compétences dans un souci d’efficacité mais aussi de transparence et de responsabilité.
Revenons tout d’abord sur l’échelon départemental, qui a été, à notre grande satisfaction, reconnu dans son rôle primordial de garant de la solidarité territoriale et sociale. Nous souhaitions en effet que les départements, véritables fers de lance de la cohésion sociale, puissent conserver leur rôle de proximité auprès des populations. Dans cet esprit, les départements continueront à assurer leur mission de prévention et de prise en charge des situations de fragilité et de développement social.
Les collèges ainsi que l’entretien de la voirie resteront également du ressort des conseils départementaux, qui sont les mieux à mêmes de garantir un maillage territorial fin dans une logique de désenclavement des territoires. Un bémol est toutefois apporté quant au transfert de la compétence des transports scolaires, qui aurait pu légitimement rester dans le giron des départements en conformité avec la compétence départementale en matière de collèges.
En ce qui concerne les territoires ruraux, auxquels nous sommes très attachés, les départements seront associés à l’élaboration du schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire – ou SRADDT –, qui fixe les orientations stratégiques et les objectifs d’équilibre et d’égalité des territoires.
En tant que pilier de l’aménagement rural de notre pays, les départements continueront à financer, en lien avec les régions, les filières agricoles, et je veux saluer ici l’action de notre collègue Germinal Peiro.
De plus, le tourisme demeurera une compétence partagée. Ainsi, les régions, les départements et les collectivités territoriales à statut particulier élaboreront et adopteront conjointement un schéma de développement touristique.
En outre, si les régions seront, à juste titre, les chefs de file en matière de développement économique, nous saluons l’adoption d’un amendement qui permettra la poursuite des actions de développement économique, à l’exception des aides aux entreprises, mises en oeuvre par les conseils départementaux jusqu’au 31 décembre 2016.
Les conseils départementaux pourront par ailleurs continuer à aider les communes et les intercommunalités à financer leurs projets, et continueront ainsi à soutenir l’activité des secteurs de l’artisanat, du bâtiment et des travaux publics.
Concernant les intercommunalités, nous accueillons favorablement l’atténuation portée en zones rurales et de montagne par le Gouvernement et le rapporteur au seuil de 20 000 habitants nécessaire pour constituer un EPCI. Désormais, ce seuil, eu égard à la densité de la population, pourra être adapté – sans être toutefois inférieur à 5 000 habitants – dans les zones de montagne, dans les zones de faible densité, pour les intercommunalités de plus de 15 000 habitants ou si l’intercommunalité regroupe cinquante communes et plus. Nous déplorons néanmoins que le Haut conseil des territoires, tant décrié par nos amis sénateurs, ait été réintroduit par l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur la création d’une collectivité territoriale unique en Corse au 1er janvier 2018. C’est le fruit d’un travail approfondi des élus de l’Assemblée de Corse, à l’initiative de son président, notre collègue Paul Giaccobbi ; nous nous en félicitons. Je tiens également à citer l’adoption d’un amendement qui introduit la possibilité pour la collectivité territoriale de Corse d’instituer une redevance pour le mouillage des bateaux dans la réserve naturelle de Bonifacio.
Pour conclure, madame la ministre, les radicaux de gauche ne sont pas des opposants systématiques à la réforme quand celle-ci est discutée et améliorée. Cela étant, si ces nombreuses avancées ont permis de rassurer nos concitoyens quant à l’avenir de leurs territoires, nous restons des élus vigilants : nous serons particulièrement attentifs à ce que ces avancées ne soient pas les prochaines victimes de la navette législative au lendemain des élections départementales. Aussi, vous l’aurez compris, et pour toutes les raisons que je viens d’énoncer, les radicaux de gauche et apparentés voteront pour ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 555 Nombre de suffrages exprimés: 544 Majorité absolue: 273 Pour l’adoption: 306 contre: 238 (Le projet de loi est adopté.)
La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Je voudrais d’abord remercier, dans le brouhaha qui suit toujours les votes, ceux qui ont soutenu le projet de loi. Je voudrais aussi remercier le rapporteur, Mme Appéré, Mme Genevard, M. Piron, M. Chassaigne, et l’ensemble des porte-parole des groupes sur ce projet, qui ont su rendre ce débat extrêmement précis et dynamique.
Chacun dans l’opposition peut toujours trouver une raison de ne pas voter ce texte. Je rappelle que vous avez déjà, par un premier texte, inscrit dans notre droit la reconnaissance du fait urbain. Nous le devons à Jean-Marc Ayrault, ici présent et que je salue, parce que c’était sans doute ce qu’il y avait de plus difficile à faire.
Aujourd’hui nous avons essayé de trouver un équilibre. Bien sûr, on peut regretter qu’une métropole constituée de Châlons, Reims et Épernay n’ait pas vu le jour, mais il n’y avait pas les 400 000 habitants nécessaires pour ce faire. On peut regretter, monsieur Piron, de ne pas être allé jusqu’au bout de la suppression des départements, mais je rappelle que la majorité du groupe de l’UDI s’y est opposée au Sénat.
On peut regretter beaucoup de choses, mais je voudrais préciser un point qui a son importance pour les élections à venir. Même si la majorité sénatoriale a décidé de retarder la discussion, ce qui est dommage, il y a eu un accord entre elle et le Gouvernement. Nous nous sommes engagés à ne pas proposer un texte très différent au Sénat et à garder les lignes que vous avez définies. Ainsi vous pourrez aller, les uns et les autres, vous battre, d’abord pour que les gens aillent voter – il est important de lutter contre l’abstention – et surtout pour vos valeurs, car c’est quand même ce qui compte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.
La parole est à M. Alain Claeys, co-rapporteur de la commission des affaires sociales.
Madame la présidente, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis autour d’un constat et d’une volonté unanimes.
Le constat, nous le connaissons tous : le « mal mourir » concerne un grand nombre de nos concitoyens. La volonté, commune sur tous les bancs, est d’évoluer, de soulager, en un mot, de progresser.
L’accès aux soins palliatifs, s’il est garanti depuis plus de quinze ans, demeure insuffisant. Or, il ne peut y avoir de nouvelles avancées pour nos concitoyens si ce préalable n’est pas rempli.
Nous savons tous dans cet hémicycle combien les inégalités sont criantes dans ce domaine sur tout le territoire, comme de nombreux rapports en attestent.
Certes, je me réjouis de la décision prise par le Président de la République au mois de décembre dernier : dès la prochaine rentrée universitaire, un enseignement spécifique sera consacré à l’accompagnement des malades et intégré à toutes les formations sanitaires, aussi bien pour les diplômes d’État que pour les études de médecine.
Cet enseignement sera obligatoire et commun à tous les étudiants. Il s’agit effectivement d’une impérieuse nécessité tant le chemin à parcourir est long. Cela constitue un préalable, madame la ministre, à toute nouvelle proposition de loi.
Chers collègues, au cours de ces dernières décennies, la médecine a enregistré de tels progrès techniques et technologiques qu’elle a pu sembler s’éloigner de l’humain à mesure qu’elle le connaissait davantage.
Il est certes aisé d’opposer la froideur et la rigueur scientifiques à l’empathie et à la chaleur humaine que le médecin doit à son malade.
Sans tomber dans ce facile travers, contentons-nous tout de même d’admettre tous ici, dans notre diversité, que les conditions de fin de vie n’ont pas suivi la courbe du progrès médical.
Le Comité Consultatif National d’Éthique ne dit pas autre chose dans son rapport rendu au mois d’octobre dernier sur le débat public concernant la fin de vie.
Il y pointe, je le cite, « le scandale que constitue, depuis quinze ans, le non-accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens. »
De la même façon, il évoque « les situations fréquentes d’isolement social et de dénuement qui précèdent trop souvent la fin de vie et l’organisation inappropriée du système de santé, qui ne permet pas de répondre à ces enjeux essentiels ».
Pire encore, le CCNE ne nous cache pas que « les inégalités devant la mort sont aussi le reflet des inégalités sociales. Entre le parcours de soins de la personne bien entourée, connaissant bien les réseaux, le milieu médical, vivant en centre-ville, et la personne démunie, vivant seule, loin de tout centre de soins, sans connaissance du milieu médical, on conçoit l’écart de l’attention ou de l’inattention qui sera portée à sa fin de vie et à sa mort. »
Et le CCNE d’ajouter : « Plus la situation sociale est celle d’une grande vulnérabilité, moins le choix de sa fin de vie, voire de sa mort, est possible. Mais cette expression même de choix de sa propre mort est réduite au minimum, comme s’il fallait avoir une conscience aiguë et concrète des ressources existantes pour exprimer l’accès au droit ou à une liberté en fin de vie. Ce sont les personnes qui connaissent les situations les plus précaires qui ont le plus besoin, à tout âge de la vie, d’un parcours de soins cohérent et organisé. »
Enfin, nous le savons tous, de fortes inégalités perdurent entre régions, villes et campagnes, établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes et structures hospitalières et, souvent, au sein même de ceux-ci.
Combien de nos concitoyens meurent aujourd’hui comme ils le souhaiteraient, entourés de l’affection des leurs et pris en charge par des équipes de soins spécialement dédiées à la fin de vie ? Il s’agit malheureusement d’une minorité.
Voilà, mes chers collègues, la situation de laquelle nous partons. Et pourtant, beaucoup a été fait. Je pense au long chemin législatif entrepris depuis plus de quinze ans. Je pense à la loi de 1999 sur l’accès aux soins palliatifs, à celle de 2002 consacrée au droit des patients, et qui a légitimé la possibilité, pour le malade, de refuser un traitement. Je pense aussi à la loi de 2005 qui a consacré la notion d’obstination déraisonnable. Voilà comment, à l’époque, en tant que porte-parole du groupe socialiste sur ce texte, je concluais mon intervention : « Sur de tels sujets, il est impossible de figer les choses dans le marbre. Quelle que soit la qualité de nos délibérations, l’exécutif et le législatif doivent pouvoir évaluer lucidement la situation. »
Mes chers collègues, ce moment est arrivé. Le Président de la République, en 2012, alors qu’il était candidat, l’avait promis aux Françaises et aux Français. Et le Premier ministre a fixé un cadre dans sa lettre du 20 juin dernier nous missionnant, Jean Leonetti et moi-même : « Nos concitoyens aspirent à ce que leurs volontés soient pleinement respectées dans les derniers moments de leur vie. Cela suppose de rendre possible pour toute personne majeure, atteinte d’une maladie grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme, d’être accompagnée, afin de terminer sa vie dignement et conformément à la volonté qu’elle a exprimée. »
C’est de là qu’est parti le texte que nous vous proposons aujourd’hui : de la demande des Françaises et des Français. Il n’est parti ni d’un sentiment, ni d’une vérité personnelle, ni d’une conviction religieuse ou philosophique, ni même de mots ou de concepts derrière lesquels, trop souvent, se glissent des opinions différentes, et même divergentes. Tout au long de la rédaction de cette proposition de loi, nous avons simplement cherché à mettre des mots sur des gestes, à qualifier des actes. Oui, notre proposition de loi, mes chers collègues, part du plus près de la demande de nos concitoyens : celle d’avoir une fin de vie sans souffrance et de pouvoir la maîtriser jusqu’au bout.
Le Comité consultatif national d’éthique le dit : il existe une « expression forte, et unanimement partagée par les personnes, d’une volonté d’être entendues, respectées, et de voir leur autonomie reconnue ». C’est pourquoi nous avons souhaité que les directives anticipées s’imposent désormais au médecin et que la personne de confiance bénéficie d’un véritable statut. Pour que le patient puisse bénéficier d’une fin de vie apaisée, nous avons ouvert un nouveau droit à la sédation pour des malades atteints d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme. Celle-ci sera accompagnée d’un arrêt de tout traitement, y compris l’hydratation et la nutrition artificielles, lesquelles, comme l’a rappelé le Conseil d’État, constituent des traitements. Dans le cadre des auditions que nous avons menées avec Jean Leonetti pour préparer la présente proposition de loi, cet avis a d’ailleurs été partagé par Axel Kahn, président du Comité éthique et cancer. Selon lui, la nutrition par sonde gastrique et l’hydratation par perfusion de personnes plongées dans un sommeil profond correspondent à une forme de réanimation assimilable à de l’acharnement thérapeutique.
Voilà les réponses que cette proposition de loi contient, et que nos concitoyens attendent. Le président de l’Assemblée nationale a d’ailleurs ouvert, à juste titre, une consultation citoyenne. Au-delà d’une mobilisation légitime des adversaires de ce texte, elle a permis de recueillir le précieux témoignage de Françaises et de Français qui, loin des postures, voulaient simplement participer à un débat qui concerne chacun d’entre nous dans son ultime vérité.
Je respecte infiniment ceux qui, sur ces bancs, ne partagent pas mon opinion dans ce domaine. Je sais que ce nouveau texte choque certains d’entre vous, qui le trouvent trop hardi. Je leur demande de regarder la situation dans laquelle beaucoup de nos concitoyens finissent leur vie. Nous ne pouvons en rester à la loi de 2005. Je sais que d’autres collègues, à l’inverse, auraient souhaité introduire l’euthanasie. Mais, à mon sens, la demande des Françaises et des Français n’est pas majoritairement – j’en suis profondément convaincu – de succomber à une injection létale. Je pense avec eux qu’il arrive effectivement un moment où le patient souhaite renoncer. Pour cela, il a la possibilité, depuis 2002, d’arrêter ses traitements, et il aura désormais celle de se faire accompagner jusqu’au décès par une sédation profonde et continue.
Voilà ce que je pense être une fin de vie apaisée, qui respecte l’idée de dignité que chacun peut s’en faire, et qui garantit l’autonomie de la personne. Mais, au-delà de nos différences, je sais qu’une immense majorité d’entre vous mesure combien cette proposition de loi constitue une avancée. Certains jugeront qu’elle ne va pas assez loin, et je respecte leur sentiment. Il n’en demeure pas moins que nos concitoyens méritent cette avancée, comme ils méritent celle que le Président de la République a annoncée en décembre dernier concernant le développement de la culture palliative dans le monde médical.
Nos débats vont être longs et riches. Aucun d’entre nous, dans cet hémicycle, ne détient à lui seul la vérité. Je sais combien, sur un sujet aussi important, nos échanges seront féconds, dignes et mesurés. D’autant que – chacun en a ici conscience – ce texte n’a pas vocation à épuiser le débat sur la fin de vie. Dans quelques années, d’autres se pencheront à nouveau sur ce sujet, et il leur appartiendra, s’ils le souhaitent, de faire ou non un nouveau pas. Il n’est pas de choses humaines qui soient figées.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le co-rapporteur, mes chers collègues, la situation du mal mourir en France est trop grave, l’attente de nos concitoyens trop importante, pour que, tous ensemble, dans l’esprit de responsabilité qui honore notre Assemblée, nous ne fassions pas ensemble ce pas.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP et sur quelques bancs du groupe UMP.
Mme Catherine Vautrin remplace Mme Laurence Dumont au fauteuil de la présidence.
La parole est à M. Jean Leonetti, co-rapporteur de la commission des affaires sociales.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le co-rapporteur, mes chers collègues, le débat sur la fin de vie est un sujet très particulier, car il nous renvoie d’abord à notre propre mort, au plus intime d’entre nous, et interroge en même temps la société qui est la nôtre sur les valeurs qu’elle veut conforter ou remettre en cause.
Aucun d’entre nous ne peut tirer une expérience de sa propre mort. Nous sommes marqués par la mort de l’autre, l’être aimé que nous avons accompagné et qui nous manque aujourd’hui. Cette expérience structure notre pensée sur la mort et, quelquefois, nous y enferme. Par ailleurs, chaque société, chaque culture, chaque civilisation a une vision de la mort qui traduit ce qu’elle pense du sens de la vie et les valeurs qu’elle défend.
La situation de la fin de vie en France – Alain Claeys l’a dit – n’est absolument pas satisfaisante, comme l’ont rappelé Didier Sicard, dans son rapport, et le Comité consultatif national d’éthique, qui ont été sollicités par le Président de la République. On meurt mal dans notre pays, car la parole du mourant n’est pas entendue, et la souffrance mal soulagée.
Peut-on faire ainsi une loi sur la bonne mort ? Il n’y a pas de bonne ou de belle mort. La mort est un arrachement. Le deuil est une souffrance. Aucune loi n’y pourra rien changer. Mais peut-on, au moins, avec les moyens médicaux et humains qui sont à notre disposition dans notre belle et vieille démocratie, empêcher la souffrance en fin de vie ? La loi ne peut pas tout codifier et la mort ne peut pas être totalement maîtrisée, mais la loi porte un message, en même temps qu’elle dit la règle. Elle est répressive et expressive, comme le dit Robert Badinter, et constitue donc un levier puissant pour introduire les changements de comportement nécessaires à notre pays. Ce changement, madame la ministre, ne sera possible que si nous nous engageons fortement et ensemble en faveur d’une meilleure formation des médecins, et si nous sommes capables de diffuser une culture du « prendre soin », encore défaillante sur notre territoire. Les soins palliatifs méritent, eux aussi, des moyens supplémentaires.
La loi, comme chacun sait, n’a de force que si elle s’accompagne d’une puissante volonté dans les moyens et les objectifs. Pourquoi, malgré la loi de 1999 qui a ouvert à tous l’accès aux soins palliatifs, seule une personne sur cinq en bénéficie aujourd’hui ? Pourquoi la loi de 2002, qui dispose que les hommes et les femmes de ce pays peuvent refuser un traitement, n’est-elle toujours pas appliquée ? Pourquoi, enfin, alors que la loi de 2005 a fermement condamné l’acharnement thérapeutique, celui-ci subsiste-t-il dans notre territoire ?
La nouvelle loi ne peut pas être le verbe législatif incantatoire de l’impuissance publique qui dit la règle, qui dit le droit, qui dit la loi, mais qui ne les met pas en application. Nous avons tous pris acte de l’engagement du Président de la République et du Gouvernement dans ce domaine, et nous serons bien sûr vigilants sur ce point, car c’est le préalable indispensable à un changement de la vie et de la fin de vie de nos concitoyens.
Nous sommes aussi dans un débat de convictions, et toutes les opinions sont respectables. Elles résultent de positions, d’expériences, de croyances philosophiques ou religieuses différentes. Elles traduisent aussi ce conflit de valeurs qui traverse tout débat, entre une éthique de la responsabilité et une éthique de la conviction. C’est aussi un débat entre une éthique de la vulnérabilité, qui dit « nous » et qui protège le plus faible, au nom de la solidarité, et une éthique de l’autonomie, qui dit « je », qui dit la liberté et qui écoute chacun d’entre nous.
Personne ne détient la vérité sur ce sujet – Alain Claeys a eu raison de le rappeler – ; personne ne peut incarner la morale ; personne ne peut incarner le progrès. Personne ne peut dire qui est digne et qui ne l’est pas. Personne ne peut dire quelle vie mérite d’être vécue. Aucun pays n’est en avance sur l’autre et aucune législation n’est parfaite. Et pourtant, avec mon collègue Alain Claeys, nous avons rédigé, à la demande du Président de la République, et en vertu d’une lettre de mission du Premier ministre, un texte que nous avons voulu équilibré.
Je tiens d’ailleurs à exprimer ma reconnaissance aux nombreux parlementaires de la droite, du centre, mais aussi de la majorité, qui ont contribué à élaborer ce texte de consensus. Je veux dire aussi, avec conviction, que ce texte n’est pas un compromis, et encore moins une compromission. Il respecte les convictions de chacun, il fait un pas dans la bonne direction. Ce texte met désormais le patient au centre des décisions, car il remplace le devoir du médecin, qui prévalait jusqu’ici, par un droit des malades opposable. On doit avoir le droit, aujourd’hui, de ne pas souffrir avant de mourir. On doit avoir le droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir, et la parole de chacun doit être respectée.
Ce texte répond à l’attente des Français et vise à supprimer les fins de vie douloureuses. Ce texte – vous le savez comme moi – ne permet pas de donner la mort, et il n’est pas la porte ouverte à l’euthanasie ou au suicide assisté. Vous savez que j’y suis personnellement opposé, mais je respecte ceux qui pensent qu’il s’agit d’une évolution nécessaire de notre société. Je partage sur ce point l’avis de Robert Badinter, qui déclarait : « Le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain. C’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. » L’ancien garde des sceaux ajoutait, à propos de l’exception de l’euthanasie : « Je n’ai jamais été amateur de juridictions d’exception, encore moins quand il s’agit de principes fondamentaux. Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie. »
Le philosophe Emmanuel Levinas disait que le visage de l’autre, par sa vulnérabilité, est ce qui permet le meurtre, et en même temps l’empêche ; que le visage de l’autre est, par son évidence de vulnérabilité, une injonction de ne pas tuer. Quel visage, mes chers collègues, est plus vulnérable que celui du mourant ? Réaffirmons cependant que la qualité de la vie prime sur la durée de la vie à la fin de nos existences, car la souffrance tolérée, méprisée, acceptée dans les derniers jours de la vie est aujourd’hui le scandale d’une société indifférente à cette vulnérabilité.
Le débat est ouvert, et je vois bien que certains sont inquiets et d’autres déçus. Dans cet hémicycle, il y a parfois des affrontements que je juge stériles, mais aussi des débats riches, respectueux, qui sont les témoins de la vie démocratique et font l’honneur de notre assemblée. La mort n’est ni de droite ni de gauche, et elle peut rassembler des hommes et des femmes de bonne volonté pour trouver le chemin de l’amélioration de la loi sur ce sujet douloureux et intime.
Malraux disait que toute civilisation est hantée par ce qu’elle pense de la mort. Elle peut aussi être jugée à la façon dont elle traite ses membres les plus vulnérables, en particulier ceux qui vont mourir. Il faut soulager la souffrance de ceux-là sans les abandonner, en continuant à les considérer vivants jusqu’au dernier instant.
Dans notre société moderne, l’individu revendique toujours plus de sécurité, de performance et de certitude, mais restera démuni devant sa mort que rien n’empêchera, et que rien ne pourra codifier. Cette mort, la sienne, est encore une partie de sa vie, ultime rencontre avec lui-même, qu’il découvrira alors probablement dans sa complexité et son mystère.
Mes chers collègues, madame la ministre, je veux croire que nous serons, au-delà de nos différences, une majorité de conviction à déclarer la souffrance interdite en fin de vie, et cet engagement fera honneur à notre assemblée aux yeux des Français.
Applaudissements sur certains bancs des groupes UMP et UDI et sur les bancs des groupes SRC et GDR.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, Chateaubriand écrivait : « L’Homme n’a qu’un mal réel : la crainte de la mort. Délivrez-le de cette crainte et vous le rendrez libre. » Pourtant, nous savons bien que cette crainte ne disparaîtra jamais, parce qu’elle renvoie à la nature même de l’être humain : sa propre finitude.
Mais au fil des siècles, cette crainte a évolué, tandis que les progrès de la science et de la médecine ont changé la mort. Nous vivons en moyenne plus longtemps et surtout en meilleure santé. C’est une chance, mais aussi un défi puisque les situations de fin de vie deviennent plus longues et plus complexes. À mesure que la médecine progresse, les frontières entre la vie et la mort, entre le soin et l’acharnement thérapeutique, s’effacent, s’estompent, sont plus difficiles à percevoir. Bien souvent aujourd’hui – trop souvent en tout cas – on ne craint plus que la vie s’arrête, mais qu’elle se prolonge à un point tel qu’on ne puisse plus parler de vie.
Nous avons tous été confrontés à la mort d’un proche, difficile, nécessairement douloureuse. Ce moment redouté, parfois attendu autant qu’il est redouté lorsque la souffrance est présente, est aussi celui où s’expriment la solidarité, la proximité, une histoire qui se retrouve, l’amour tout simplement. C’est l’expérience de ces moments qui ont forgé nos convictions, quelles qu’elles soient. Nos convictions de femmes et d’hommes, assurément. Nos convictions de citoyennes et de citoyens, aussi. Nos convictions de représentants du peuple, également. La question de la fin de vie a quitté la sphère intime pour occuper aujourd’hui le débat public. C’est une question éthique, philosophique, une question sociale et donc une question politique au sens le plus noble du terme, qui doit nous permettre de dépasser les enjeux partisans.
Les attentes de nos concitoyens ont évolué, parce que le regard sur la mort s’est transformé, parce que le sens de la liberté se déploie autrement. Aujourd’hui, les Français nous regardent et attendent que nous allions de l’avant. Aller de l’avant, c’est d’abord se donner les moyens d’appliquer la législation existante. Aller de l’avant, c’est permettre à nos concitoyens de connaître leurs droits, et de pouvoir les exercer. Aller de l’avant, c’est faire évoluer le droit pour que la fin de vie se déroule le plus sereinement possible, pour celui ou celle qui s’en va comme pour ceux qui restent.
Deux valeurs fondamentales sont ici en jeu : la dignité et la liberté. Le respect de ces valeurs est dû à chacun tout au long de la vie. Il doit l’être tout autant lorsque la vie s’achève. Chacun entend mourir dans la dignité, dans sa dignité. Et chacun a droit au respect de son autonomie, au respect de ses choix. Le choix de ne pas souffrir, qui paraît une évidence, mais encore faut-il que ce soit possible. Le choix de mettre un terme à ses traitements lorsque le pronostic vital est engagé, ou à l’inverse, de les poursuivre jusqu’au dernier moment. Le choix de pouvoir décider en amont, lorsque l’on est encore capable de le faire, de la manière dont on voudra terminer ses jours.
Répondre à ces exigences ; permettre à chacun de vivre ses derniers instants comme il l’entend ; mieux accompagner la fin de vie dans le contexte d’une maladie incurable, d’une souffrance insoutenable ; c’est l’engagement pris dès 2012 par le Président de la République.
C’est à partir de cet engagement que s’est lancée une réflexion considérable au cours des trois dernières années. Elle était nécessaire. La mission confiée au professeur Sicard, puis les travaux du Comité consultatif national d’éthique, ont permis aux Français de s’emparer de ce sujet – c’est peut-être là l’essentiel – et de faire valoir leur opinion à travers des débats régionaux et une conférence citoyenne originale dans sa démarche. Ces travaux ont aussi permis de recueillir les réflexions de personnalités du monde médical, de patients, de représentants des grandes familles de pensée ou religieuses. Tout cela a permis d’identifier les évolutions possibles de la législation actuelle, celles qui rassemblent, celles qui interrogent, celles qui divisent.
Puis le Premier ministre vous a confié une mission, messieurs les co-rapporteurs. Il s’agissait de tirer les enseignements des travaux menés et de proposer des évolutions de la loi dans un esprit de rassemblement. Le rassemblement, notre société en a besoin sur un tel sujet, sans doute plus que de consensus. Comme cela a été dit, il ne s’agit pas de compromis. Mais sur un sujet aussi difficile, il s’agit de trouver la sérénité – exigence essentielle – et de permettre d’emprunter un chemin partagé.
Que propose donc votre texte ?
D’abord, de renforcer l’accès aux soins palliatifs. Nous le savons, les Français ne sont pas égaux face à la mort, ou aux conditions de leur mort. Deux tiers des Français qui meurent de maladie auraient besoin de soins palliatifs. Les unités de soins palliatifs se sont développées dans notre pays, le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans. Pourtant, une grande partie de nos concitoyens n’y ont pas accès, ou trop tardivement. Cette réalité doit nous interpeller parce qu’elle met en lumière une injustice territoriale et sociale.
Votre texte propose de consacrer un droit universel, pour toute personne malade, d’accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. S’il est une proposition qui doit tous nous rassembler, c’est bien celle-ci. Elle figurait d’ailleurs dans la proposition de loi portée par Véronique Massonneau il y a quelques semaines.
Le renforcement des soins palliatifs est pour moi une priorité, dans le cadre de l’engagement du Président de la République, qui a annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs. Ce plan sera lancé dans les prochaines semaines, en lien avec les acteurs concernés.
Concrètement, il prévoit plusieurs axes. D’abord, améliorer l’accès aux soins palliatifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Les inégalités entre les territoires, et parfois même entre les établissements d’un même territoire sont réelles et inacceptables. Ensuite, il est prévu de renforcer l’accès aux soins palliatifs à domicile, où la majorité de nos concitoyens voudrait pouvoir finir ses jours. Il est également prévu la formation des personnels soignants. Un enseignement spécifique consacré à l’accompagnement des malades sera intégré à toutes les formations sanitaires.
Enfin, nous devons travailler à des repères communs pour les professionnels de santé qui doivent pouvoir assurer cette prise en charge dans des conditions optimales tout au long du parcours de soins. J’ai demandé à la Haute Autorité de santé d’élaborer ces référentiels qui permettront aux professionnels d’accompagner la sortie de l’hôpital vers leur domicile ou vers un EPHAD des patients nécessitant des soins palliatifs.
La seconde grande orientation de ce texte, après les soins palliatifs, est de donner à nos concitoyens les moyens de faire valoir leurs droits. Seuls 2,5 % des Français ont rédigé des directives anticipées, et près de la moitié d’entre eux ignorent que la loi autorise le patient à demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. La loi est mal connue, alors même que l’existence de directives anticipées permettrait de résoudre, peut-être pas toutes les situations difficiles, mais sans doute la plupart d’entre elles.
Vous proposez de renforcer le poids de ces directives, en les rendant contraignantes pour les médecins et en supprimant leur durée de validité. C’est une avancée considérable. Désormais, la volonté du patient sera déterminante pour l’issue de sa vie, alors que ces directives ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments à prendre en compte dans la décision médicale.
Nous le savons, l’autre grand enjeu est d’améliorer l’information sur ces directives. L’information des patients, qui doivent savoir qu’ils disposent d’un droit à déterminer les conditions dans lesquelles ils entendent terminer leur vie ; mais aussi l’information de l’équipe médicale, qui doit avoir connaissance rapidement et complètement des volontés du malade. Votre proposition de loi entend également répondre à cette exigence, et le Gouvernement accompagnera le travail nécessaire pour garantir son effectivité. Un formulaire type de directive anticipée sera prochainement élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé.
Pour améliorer la visibilité des directives anticipées, vous proposez qu’une mention signale leur existence sur la carte vitale. Cette idée était également portée par d’autres parlementaires, et elle paraît naturelle. Néanmoins, le développement des technologies permet aujourd’hui d’envisager un dispositif plus performant. Je vous proposerai donc un amendement tendant à créer un registre national automatisé. Il permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit, et donnera la possibilité aux médecins de les consulter rapidement. Nous apporterons évidemment toutes les garanties nécessaires au strict respect de la confidentialité, par un décret en Conseil d’État.
Enfin, la troisième orientation de votre texte est de mieux consacrer dans la loi une plus grande autonomie des personnes. La loi d’avril 2005, qui porte votre nom, monsieur le co-rapporteur Jean Leonetti, a permis d’encadrer l’arrêt des traitements. Ce progrès pour la dignité des malades, personne ne le conteste. La loi avait d’ailleurs été adoptée à l’unanimité de cette assemblée.
Mais vous estimez aujourd’hui, et je crois cette position partagée très largement sur ces bancs, qu’il faut aller plus loin parce qu’aujourd’hui, c’est le médecin seul qui décide. Il est celui qui, dans l’état de notre droit, décide seul d’interrompre ou de ne pas initier les traitements, souvent avec les équipes soignantes avec lesquelles le dialogue existe.
Mais beaucoup de professionnels disent être parfois désemparés face à des situations qui les laissent dans l’immense solitude de leur seule conscience.
Dans le même temps, il y a aujourd’hui trop de patients et trop de familles qui ont le sentiment de ne pas être entendus ou de ne pouvoir l’être. Oui, il faut renforcer les droits des malades en fin de vie.
Ce texte apporte donc des précisions sur les modalités d’interruption des traitements. Il clarifie la définition de l’obstination déraisonnable, qui a fait l’objet d’une décision du Conseil d’État dans l’affaire Vincent Lambert. Trois éléments alternatifs la caractérisent : l’inutilité des traitements, leur disproportion ou leur seule finalité de maintien artificiel de la vie.
Ce texte propose – c’est sans doute le point le plus important – d’instaurer un droit à bénéficier d’une sédation continue en phase terminale et jusqu’au décès, lorsque le pronostic vital est engagé. Si cette pratique existe aujourd’hui, elle est considérée comme un traitement relevant de la seule appréciation médicale : des inégalités très grandes existent donc entre les services, les hôpitaux et les territoires. Cette évolution, couplée au renforcement et à l’opposabilité des directives anticipées, constituera une avancée importante.
L’ensemble de ces propositions contribuent à faire du patient le maître de la fin de sa vie.
Mesdames, messieurs les députés, sur un sujet comme celui-ci, il n’y a pas de vérité absolue. Personne n’a raison et personne n’a tort : chacun a ses propres convictions. Toutes sont éminemment respectables, et personne ne doit se permettre de les juger.
Certains parmi vous ne soutiennent pas ce texte et s’opposent à toute évolution du cadre juridique de la fin de vie. Les nombreux amendements de suppression des différents articles qui ont été déposés en témoignent. Je le dis à nouveau : il ne s’agit pas de porter un jugement sur la conviction de ceux qui ont déposé ces amendements. Mais nous estimons qu’une nouvelle étape est aujourd’hui nécessaire afin de mieux reconnaître les droits des patients en fin de vie. Cette évolution correspond à l’attente d’une écrasante majorité de nos concitoyens.
D’autres, à l’inverse, estiment que le texte ne va pas assez loin aujourd’hui. Il ne s’agit pas de nier, d’écarter ou de ne pas voir cette position. Celle-ci a été soutenue par de nombreux parlementaires, notamment à l’occasion de la discussion dans cet hémicycle de la proposition de loi de Véronique Massonneau,…
…et plus largement lors de l’examen du présent texte par la commission des affaires sociales. Cette position est forte et indéniablement cohérente. Nous devons l’entendre – nous ne pouvons que l’entendre.
Néanmoins, derrière cette ambition d’une étape supplémentaire, les avis diffèrent : les amendements déposés et les positions exprimées le montrent bien. Certains souhaiteraient s’orienter vers une aide active à mourir, dans des conditions strictement définies et dans des cas particuliers. D’autres souhaiteraient reconnaître le droit au suicide assisté pour les patients qui en feraient la demande, ce terme de suicide assisté recouvrant lui-même différentes acceptions et différentes situations. D’autres, enfin, privilégient le droit à l’euthanasie active, le médecin étant chargé de donner lui-même la mort au patient.
Cette diversité de points de vue montre bien qu’il n’y a pas une vérité : elle illustre la complexité du sujet qui nous rassemble aujourd’hui. Il n’existe pas une option, une solution et une seule, qui s’imposerait à tous comme une évidence.
La volonté du Président de la République d’avancer, dans le rassemblement et la hauteur de vue, en faveur des droits des patients a permis l’élaboration d’un texte dont personne ici ne peut nier qu’il constitue une véritable avancée. Il consacre une étape importante parce qu’il renverse la logique de décision : c’est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maître de son destin.
À l’évidence, le débat reste ouvert – c’est naturel pour un tel sujet. Il s’agira par la suite de voir comment cette loi est appliquée et, au cas où une étape supplémentaire paraîtrait nécessaire, de réfléchir à la meilleure manière de l’engager.
Le Gouvernement apportera son appui à cette réflexion. Je donnerai d’ailleurs un avis favorable à un amendement prévoyant que l’application de cette proposition de loi fasse l’objet d’un rapport annuel du Gouvernement au Parlement.
Mesdames, messieurs les députés, vous avez aujourd’hui la responsabilité immense d’examiner un texte important, un texte de respect pour les patients, un texte d’humanité, qui constitue un point d’équilibre. Il s’agit d’offrir aux Français le droit et les moyens de mourir dignement, aussi dignement qu’ils auront vécu. Je sais que nous parviendrons à nous retrouver pour répondre à cet enjeu et à cette attente.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, on peut se demander pourquoi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques intervient aujourd’hui sur la question de la fin de vie, une question qui touche à notre intimité. C’est en fait la conséquence de la mise en oeuvre, pour la première fois, du processus prévu par l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, qui dispose que l’OPECST doit être saisi dans le cas où le Gouvernement lance un « projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ».
Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE, a organisé un débat public et a présenté un rapport de synthèse sur celui-ci devant l’OPECST le 9 décembre 2014. C’est pourquoi nous avons organisé, le 20 janvier 2015, en lien avec les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, une audition publique sur le thème dont nous étions saisis : « L’état des lieux de la gestion actuelle de l’apaisement de la douleur et les perspectives médicales de son amélioration ». Vous y avez participé, messieurs les rapporteurs, de même que de nombreux acteurs de la communauté hospitalière, des universitaires, des philosophes et des responsables associatifs.
Comme cela a déjà été dit, on observe une médicalisation croissante de la fin de la vie. Nos débats sur ce texte s’expliquent sans doute par le fait que les frontières de la mort médicalisée sont floues. Il appartenait à l’OPECST de faire au moins la clarté sur la panoplie des soins palliatifs disponibles.
Cette audition a montré que la pharmacopée de la lutte contre la douleur, longtemps cantonnée à la morphine, s’est considérablement enrichie depuis trente ans. On sait aujourd’hui soulager des crises de douleur en quelques dizaines de minutes. Des patchs renouvelés régulièrement permettent par ailleurs de traiter les douleurs de fond. Certaines structures spécialisées savent dispenser à des patients en situation particulièrement difficile des produits comme la méthadone ou la kétamine, dont l’emploi nécessite une expertise médicale approfondie. La technique de l’analgésique contrôlé par le patient, basée sur ce qu’on appelle, en jargon, les « pompes de PCA », est devenue courante en médecine post-opératoire ; elle est tout à fait utilisable dans les situations de fin de vie, même à domicile, grâce à un boîtier préprogrammé par le médecin. Pour ce dernier, il est même devenu possible de dialoguer avec le boîtier à distance, en mode de télésurveillance, voire de le reprogrammer via un smartphone.
L’audition publique a confirmé que les solutions techniques d’apaisement de la douleur étaient disponibles, mais que leur utilisation à large échelle butait sur un manque de formation des personnels soignants et sur une appropriation insuffisante de ces techniques par ces derniers. C’est pourquoi le Président de la République a demandé d’intégrer des formations aux soins palliatifs dans les études médicales, afin que chacun d’entre nous ait un accès égal à ces soins.
Un point mérite particulièrement notre vigilance : il s’agit du cadre juridique pour le pilotage à distance, par le médecin, à partir d’un smartphone, des boîtiers régulant les doses d’antalgique. La technologie existe, elle est très efficace, mais sa généralisation pose des problèmes évidents de sécurité. Le directeur général de la santé, M. Benoît Vallet, nous a indiqué que des expérimentations étaient en cours pour préparer la réglementation nécessaire. Nous souhaitons qu’un bilan rapide soit réalisé en la matière. Par ailleurs, madame la ministre, vous avez annoncé la création d’un registre national automatisé : à notre sens, c’est une très bonne décision.
L’audition de l’OPECST a donc utilement rappelé l’attention du législateur sur le sujet de la domo-médecine. Les débats ont montré que les progrès médicaux permettent également, par une maîtrise plus précise des produits et des doses, de s’affranchir du risque de double effet. Ce risque retient encore certains médecins d’utiliser les sédatifs, car ils craignent que l’effet d’apaisement ne se combine avec un effet d’abréviation de la vie. Ce point a fait l’objet de débats en commission, mais il a été clarifié lors de l’audition de l’OPECST.
En marge de cette analyse des fondamentaux médicaux de l’apaisement de la douleur, nous avons été amenés à nous interroger sur la difficulté pratique rencontrée par le CCNE pour organiser un débat public à l’échelle nationale. C’est pourquoi nous avons également auditionné, le 3 février 2015, M. Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public.
Toutes ces analyses nous ont conduits à proposer des amendements. Le premier vise à préciser le rôle de l’OPECST s’agissant d’un texte concernant la bioéthique. Le second vise à donner à la Commission nationale du débat public la possibilité d’aider le CCNE à organiser un débat public : nous pensons en effet que les liens entre responsables politiques, médecins, associations et citoyens permettent de préparer de tels textes en amont.
À titre personnel, je pense que l’adoption de cette proposition de loi permettra à des personnes atteintes de maladies incurables, consentantes, ayant formulé des directives, de bénéficier d’une sédation pour ne pas souffrir avant de mourir. Ce texte peut être amélioré par nos débats. Vous l’avez dit : il doit permettre à tous les malades d’avoir accès à des soins palliatifs et – ce qui nous importe tous, mes chers collègues – de mourir dans la dignité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cette intervention aurait dû être prononcée par Jacqueline Fraysse. Je la supplée en précisant que je partage son appréciation, comme la grande majorité des députés du Front de gauche.
Cette proposition de loi poursuit, en l’améliorant, la démarche engagée par la loi de 1999 ouvrant l’accès aux soins palliatifs, celle de 2002 relative aux droits des malades et celle de 2005 relative aux droits des patients en fin de vie, qui proscrit clairement l’acharnement thérapeutique et met en place une procédure collégiale d’arrêt des traitements. Ces différents textes illustrent l’adaptation de notre droit pour tenir compte des avancées scientifiques, de l’évolution de la société et des exigences de nos concitoyens en matière de libertés individuelles comme de respect de la personne humaine.
Le texte qui nous est proposé s’inscrit dans cette lignée. Il réaffirme les droits des malades en fin de vie et les devoirs des médecins à l’égard de ces patients, selon les recommandations du rapport de nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti présenté à l’Assemblée nationale le 21 janvier dernier.
Il vise à compléter la loi de 2005 pour ouvrir de nouveaux droits aux personnes en fin de vie. Ainsi prévoit-il un droit à la sédation profonde et continue, à la demande du patient, pour accompagner l’arrêt d’un traitement, et ceci jusqu’au décès.
Serait désormais inscrit dans la loi le principe du double effet chez le patient conscient sujet à des souffrances réfractaires, obligeant les médecins à mettre en oeuvre un traitement antalgique et sédatif pour soulager et apaiser la douleur, même s’il peut avoir pour effet d’abréger la vie.
Enfin, cette proposition de loi renforce les directives anticipées, qui s’imposeront dorénavant au médecin.
Ce texte vient donc confirmer et renforcer le refus de l’acharnement thérapeutique, en précisant d’ailleurs que la nutrition et l’hydratation sont considérées comme des traitements, l’impérieuse nécessité de soulager les souffrances dans le cadre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, et l’obligation de respecter scrupuleusement les directives anticipées formulées par le patient. Il s’agit d’avancées indéniables.
Cependant, ce texte ne va pas jusqu’à légaliser l’acte de donner la mort par une personne précise à un moment précis et préalablement décidé. C’est le reproche que certains de nos collègues formulent. Ces différences d’appréciation traversent tous les groupes politiques ; elles relèvent de réflexions et de convictions personnelles que nul n’a à juger.
Pour notre part, nous pensons que les textes actuels, auxquels s’ajoute celui dont nous débattons aujourd’hui, permettent de répondre de manière digne et apaisée à la quasi-totalité des situations de fin de vie – chacun ayant naturellement la liberté de décider à tout moment de mettre fin à ses jours.
Il faut reconnaître qu’ils ne répondent pas à quelques situations rares et très particulières. Nous ne pouvons toutefois pas perdre de vue le fait que nous travaillons sur un texte sensible puisqu’il s’agit de la vie humaine et de la mort ; cela nous confère une lourde responsabilité. Aussi avons-nous l’obligation de dépasser nos sentiments personnels, de légiférer non pas pour nous-mêmes en fonction de nos convictions, non pas pour répondre à quelques situations exceptionnelles, mais pour la société tout entière, dans un équilibre respectant à la fois la diversité des convictions et, surtout, la vie humaine.
Nous entendons bien l’argument de la liberté que certains avancent, et nous le comprenons. C’est justement au nom de cette valeur partagée – la liberté – que certains, dont je suis, refusent, en l’état actuel du fonctionnement de notre société, qu’elle s’autorise à interrompre la vie d’autrui. En effet, comme le rappelait Robert Badinter, que je citerai à mon tour, « le droit à la vie est le premier droit de tout être humain. C’est le fondement de l’abolition de la peine de mort et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie ».
C’est cette conviction qui nous conduit à être réticents à inscrire dans les lois qui régissent notre société l’autorisation de mettre fin à la vie d’autrui. C’est une question de fond, une conception qui rejoint effectivement notre refus de la peine de mort, d’autant plus que l’examen de ces pratiques et de leur évolution au fil du temps, dans les pays où elles existent depuis plusieurs années, est loin d’être convaincant.
Si nous n’avons pas d’inquiétude majeure sur notre capacité à gérer humainement les situations exceptionnelles lorsqu’elles s’imposent, nous sommes beaucoup plus réservés sur le devenir de la légalisation de l’acte de donner la mort à une personne. L’expérience professionnelle de nombreux médecins, y compris Jacqueline Fraysse, et toutes les rencontres que nous avons eues sur ce sujet confirment que notre législation répond aux légitimes aspirations de nos concitoyens à ne pas souffrir et à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer leur vie dans la dignité.
Le véritable débat ne serait-il pas ailleurs ? Ne concernerait-il pas les moyens ? Il ne faudrait pas risquer de l’occulter en parlant d’autre chose. Le véritable problème, qui touche profondément nos concitoyens et les inquiète, est la non-application persistante des textes en vigueur concernant les soins palliatifs.
Songeons, chers collègues, que la loi Leonetti a dix ans et que dans l’immense majorité des cas, elle n’est toujours pas appliquée.
Ce constat est confirmé tant par le rapport de nos deux collègues que par la Cour des comptes, dans un récent rapport intitulé « Les soins palliatifs : une prise en charge toujours très incomplète ». Cette situation est liée à plusieurs facteurs tenant tout à la fois à la formation des médecins, à l’information des équipes hospitalières comme des citoyens, et aux moyens financiers permettant la mise en oeuvre concrète de ces soins. Pour être efficaces et répondre au maximum de situations, les soins palliatifs doivent non seulement être mis en oeuvre dans les services hospitaliers mais aussi, comme l’a souligné Mme la ministre, sortir de l’hôpital pour s’étendre sous forme de réseaux à la médecine de ville et aux établissements médico-sociaux.
Nous disposons de nombreux travaux de recherche et d’expériences concluantes dans ce domaine, qui tous confirment que cette fin est d’autant plus sereine que les soins palliatifs, au sens complet du terme – à savoir l’accompagnement psychologique, thérapeutique et social du patient – ont été mis en oeuvre précocement, c’est-à-dire dès qu’a été formulé le diagnostic de maladie grave, incurable et en cours d’évolution.
Force est de constater le manque de détermination et de volonté politique des différents gouvernements face à ce sujet crucial qui anime tant de débats dans notre société, et nous ne décelons aucun infléchissement rassurant à l’horizon.
Ainsi, le projet de loi sur la santé, que nous examinerons la semaine prochaine, se contente-t-il d’inscrire les soins palliatifs comme une des missions des établissements de santé. C’est bien, mais ce n’est qu’une déclaration de principe, sans aucun cadre précis.
De plus, on peut craindre la remise en cause des financements spécifiques visant à inciter à la création de lits réservés aux soins palliatifs dans les services hospitaliers et dans les établissements accueillant des malades en fin de vie. S’il est vrai que ces lits identifiés devraient être mieux évalués, il est cependant indéniable qu’ils ont contribué à la diffusion de la culture palliative, et l’heure n’est pas à ralentir l’effort. Or, si l’on en croit la réponse faite par le ministère des finances au rapport public précité de la Cour des comptes, le Gouvernement envisagerait de revoir le mécanisme d’incitation tarifaire pour le déploiement de ces lits. Confirmez-vous, madame la ministre, cette orientation qui, il est vrai, peut sembler cohérente avec les récentes annonces prévoyant 3 milliards d’économies supplémentaires dans les hôpitaux publics ?
De même, madame la ministre, nous ne comprenons pas votre refus – également mentionné dans les réponses au rapport de la Cour des comptes – de créer une filière universitaire de soins palliatifs ; tout à l’heure, vous n’avez évoqué que la formation des personnels soignants. Il est pourtant urgent que la médecine de notre pays sorte de la seule culture des soins curatifs.
C’est un impératif majeur de la société moderne.
Tel est, madame la ministre, chers collègues, l’état de nos réflexions à ce jour. Permettez-moi, pour conclure et toujours comme porte-parole de Jacqueline Fraysse,
Sourires
de répéter ce qu’indique le rapport du Comité consultatif national d’éthique : « la demande d’euthanasie est moins une volonté profonde de ceux qui en expriment le désir que l’effet de souffrances insoutenables dues aux conditions indignes dans lesquelles on continue à mourir en France ».
Applaudissements sur divers bancs.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous vivons aujourd’hui un moment important dans une période importante : un moment important où nous allons toucher « d’une main tremblante » à la loi dans un domaine qui est fondamentalement humain, l’homme étant le seul animal conscient de sa propre mort. C’est un domaine que les législateurs que nous sommes abordent obligatoirement avec tout le poids de leur expérience humaine, personnelle, familiale, amicale, quelquefois aussi avec leur expérience professionnelle et son « cortège d’ombres noires », mais dans tous les cas avec la singularité de leur vie spirituelle, ce qu’est toute interrogation sur la mort.
C’est un moment important parce que notre volonté est d’avancer. Dix ans après la loi Leonetti de 2005, alors votée à l’unanimité, puis au cours de ces dix années jalonnées par des centaines de débats, de colloques et d’avis, de nombreux ouvrages et publications littéraires ou scientifiques, nous voulons donner le droit à mourir dans l’égalité – ou du moins dans plus d’égalité.
« Égaux devant la mort », dit-on souvent : rien n’est plus faux. Les humains sont égaux devant l’obligation de mourir, mais pas devant les conditions.
Cette inégalité est multiple. Elle est territoriale, selon la qualité et la possibilité d’accès aux services et structures de soins ou d’accompagnement. Elle est aussi individuelle, en fonction des équipes et des soignants présents au moment de la fin de vie et, naturellement, selon la présence d’un entourage familial ou amical. Elle est enfin – je dirai presque surtout – fonction de l’âge : les grands âgés, qui sont les plus nombreux à être concernés puisque l’âge moyen de la mort est en France de quatre-vingts ans, sont loin d’être les mieux accompagnés, qu’ils soient à leur domicile ou en établissement. Ces inégalités, nous devons les réduire. Oui, il y a un droit à mourir dans plus d’égalité.
C’est un moment important dans une période importante : celle de la transition démographique, ce basculement de l’équilibre entre les générations qui affecte tous les champs de la vie en société, en particulier la place de la mort et de son approche. Ce mouvement s’accélère aujourd’hui avec l’arrivée dans le champ de l’âge des générations nombreuses du baby-boom. Ce sont principalement ces générations, élevées dans une culture d’émancipation, qui, accompagnant ou ayant accompagné massivement leurs parents dans le grand âge, nous imposent aujourd’hui d’avancer. Elles s’interrogent et nous leur devons des réponses.
Pour avancer, nous avons fait le choix de porter au plus haut la possibilité d’un consensus politique. Au plus haut, dis-je : il s’agit non pas du plus petit dénominateur commun ou d’un compromis, mais d’un dépassement respectueux de tous, d’une manière de se retrouver et non pas de se combattre sur un sujet qui mérite mieux que cela.
Ce fut aussi la réalité de la loi Leonetti de 2005. Croyez-vous qu’à cette époque déjà, d’aucuns ne pensaient pas que l’on allait trop loin, et d’autres pas assez ? Pourtant, le consensus fut souhaité, et il fut obtenu. Qui oserait aujourd’hui critiquer cette loi et vilipender ceux qui l’ont votée ? Le seul regret qui s’exprime tient au fait qu’elle soit insuffisamment connue et appliquée.
En ce moment même autour de l’Assemblée, deux manifestations s’affrontent : ceux qui veulent aller plus loin et ceux qui trouvent que nous allons déjà trop loin. Il me semble que cela confirme presque ce que nous ne voulons pas.
À mon sens, on peut penser qu’il en sera demain pour la loi Claeys-Leonetti comme il en est aujourd’hui pour la loi Leonetti : plus personne ne la remettra en question. Le sujet sera sans doute le suivant : faut-il la faire évoluer, et comment ?
C’est pour y répondre qu’une évaluation annuelle de la loi a été proposée par amendement. Elle sera confiée à l’Observatoire national de la fin de vie, qui nous a déjà fait toucher du doigt nos insuffisances en matière de fin de vie des grands âgés.
Les objectifs de la loi sont autant d’avancées. Le premier d’entre eux vise à développer l’offre de soins palliatifs pour améliorer le contexte et les conditions de l’expression et de l’observation de la volonté de chacun.
C’est par ce volet de la loi que je veux commencer. Le ressenti, l’expression de la volonté ne sont pas les mêmes selon la manière dont on est accompagné pendant des semaines, voire des mois si nécessaire. Cela commence par un coup d’accélérateur à la formation des professionnels, des soignants et des bénévoles. La culture palliative doit imprégner tous les champs du soin et de l’accompagnement social.
Un enseignement universitaire spécifique sera mis en place dès la prochaine rentrée en direction des étudiants en médecine et des médecins, dans toute la diversité de leurs spécialités. Un plan triennal de développement des soins palliatifs et de leurs diverses structures sera mis en place de telle sorte que nous n’affichions plus cette statistique catastrophique : seuls 20 % des Français qui devraient bénéficier des soins palliatifs y ont aujourd’hui accès. Ce plan de développement et de formation permettra d’affronter le choc démographique et le nombre chaque jour croissant de ceux qui ont besoin de ces soins.
Mourir dans l’absence de souffrance physique et morale : voilà le coeur du sujet. Nous ne sommes faits ni pour mourir seuls, ni pour savoir le jour de notre mort. Si la Bible a osé la règle selon laquelle « tu enfanteras dans la douleur », elle n’a imposé à personne de mourir dans la souffrance.
C’est à cela que répond la possibilité d’accès à la sédation profonde. Il s’agit du recours à des médicaments sédatifs antalgiques et anesthésiques, et non à des médicaments dont l’effet est d’entraîner la mort. Les uns et les autres de ces médicaments sont bien connus et « sédation » s’écrit avec un « s » et veut dire calmer, apaiser, et en aucun cas avec un « c », qui fait cesser ou qui fait céder. La sédation apaise, calme, soulage, elle ne tue pas. La mort survient du fait de l’état terminal de la maladie ou de l’épuisement dû au grand âge. Sans ce contexte, la mort ne serait pas survenue. Elle ne constitue pas l’objet du traitement, qui est bien un traitement et ne relève donc pas d’une clause de conscience autre que la clause de conscience générale de l’article 47 du code de déontologie.
Troisième point : le respect de la volonté de la personne, et de la seule personne. Des directives anticipées peuvent être rédigées, ou au demeurant ne pas l’être. Un modèle sera proposé par décret, après avis de la Haute autorité de santé en tenant compte de la situation de la personne, cela de manière à éviter les directives inappropriées, incompréhensibles ou litigieuses. L’existence de ces directives sera portée sur la carte vitale de manière à être sûr que l’ensemble des soignants en soit informé.
Élément essentiel au regard de la très fréquente dissociation entre les souhaits de la personne et ceux de sa famille, celle-ci ne sera consultée que pour indiquer ce que cette personne avait exprimé ou, si elle ne peut plus l’exprimer, ce qu’elle aurait souhaité. L’avis des proches ne s’impose aucunement, ni relativement à celui de la personne, ni à l’égard du médecin.
Ce texte n’est nullement établi en direction des médecins, pas plus qu’en direction des soignants. Pour autant, il me paraît important qu’il réponde là aussi à un consensus majoritaire sur lequel s’est exprimé le Conseil de l’ordre. Les soignants ne sont pas décisionnaires, mais nul ne peut négliger le fait qu’ils sont, après la personne elle-même, fortement impliqués.
Pour ma part et en connaissance de ce que nous réunissons sous le vocable un peu ambigu de « fin de vie », les jours, les nuits, les bruits et les silences, les gestes, comme la main prise ou lâchée, en connaissance aussi de cet instant très court et très effrayant qui s’appelle la mort, je souscris sans réserve à ce texte et souhaite qu’il vienne en aide à tous ceux qui en prendront connaissance, pour leurs proches ou pour eux-mêmes.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, chers collègues, dix ans après la promulgation de la loi de Jean Leonetti, auquel vous me permettrez de rendre hommage, chacun s’accorde, me semble-t-il, à reconnaître que la loi éponyme répond à l’immense majorité des situations de fin de vie.
Il y a aussi consensus, je pense, pour affirmer deux réalités : la loi est mal connue, et donc pas systématiquement appliquée ; les soins palliatifs auxquels les patients devraient pouvoir prétendre sont loin d’être accessibles à tous.
Notre débat sur la fin de vie s’inscrit dans un contexte démographique marqué par un allongement de l’espérance de vie, le vieillissement de la population et une fin de vie de plus en plus médicalisée. Or toute vie humaine doit être respectée au moment où elle est la plus fragilisée.
Cette question de la fin de vie a fait l’objet d’une large concertation souhaitée par le Président de la République « dans un esprit de rassemblement » : avis du Comité consultatif national d’éthique, rapport Sicard et consultation citoyenne, celle-ci ayant donné lieu à plus de 10 000 contributions sur le site de l’Assemblée nationale.
Je veux à cet instant saluer la contribution des deux rapporteurs de la loi, Jean Leonetti, député UMP, et Alain Claeys, député socialiste. Ils ont bien entendu intégré dans leur réflexion le contenu et les conclusions de tous ces débats publics, mais ils ont aussi beaucoup travaillé et beaucoup auditionné, avec à l’esprit la volonté de rendre la loi de 2005 totalement « opérative », pour reprendre une expression entendue au cours de l’examen du texte en commission des affaires sociales.
Les travaux de nos collègues, que j’invite tous les Français qui s’interrogent à découvrir ou à redécouvrir, nous éclairent utilement sur l’état de la prise en charge de la fin de vie dans notre pays et ont l’immense mérite de proposer les moyens de l’améliorer concrètement.
C’est précisément l’objet de cette proposition de loi dont nous partageons pleinement l’esprit : le refus de l’acharnement thérapeutique et de l’obstination déraisonnable, la non-souffrance de la personne, mais l’interdiction de tuer, qui doit rester absolue. Autrement dit, soulager mais pas tuer.
À l’instar de Robert Badinter, nous estimons que le droit à la vie est le premier des droits de l’homme et que personne ne peut disposer de la vie d’autrui. C’est la raison pour laquelle nous restons opposés à toute légalisation de l’euthanasie. Nous mettons aussi en garde contre la tentative d’aide active à mourir qui risque de recouvrir les mêmes réalités.
Nous estimons au contraire que notre corpus juridique doit créer les conditions favorables à un accompagnement tout au bout de la vie. Certains de nos semblables se trouvent dans une situation d’extrême fragilité et rien dans notre regard ne doit trahir l’idée qu’ils ne seraient plus dignes de vivre. Nous disposons de nombreux témoignages d’équipes qui travaillent dans des unités de soins palliatifs. Si les demandes de recours à l’euthanasie existent, dans l’immense majorité des cas elles ne sont pas réitérées dès lors que les personnes sont soutenues et accompagnées, que leur souffrance est soulagée.
Nous devons donc parvenir à concilier le devoir des médecins de soulager et le droit des patients à s’exprimer. Si la loi est mal appliquée par le monde médical, c’est par manque d’information et de formation. Le Président de la République a annoncé que la formation des jeunes médecins allait être renforcée dès la prochaine rentrée universitaire, ce dont nous nous réjouissons. Ces formations doivent être axées sur l’accompagnement du patient tout au long du parcours de santé.
Si le recours aux soins palliatifs n’est pas systématique, c’est parce que notre pays ne compte pas suffisamment d’unités spécialisées. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes s’est intéressée aux personnes décédées à l’hôpital : seulement un tiers de celles qui auraient pu recevoir des soins palliatifs en a effectivement bénéficié. La Cour constate néanmoins des progrès réels, surtout entre 2007 et 2012, avec une augmentation de 35 % des unités spécialisées, de 65 % des lits identifiés et de 24 % des équipes mobiles.
Mais nous sommes loin du compte. Il est donc plus que temps de garantir le développement des soins palliatifs dans toutes les régions de France et de dégager les moyens nécessaires pour en garantir l’accès à tous. Notre collègue Philippe Gosselin propose un amendement visant à instaurer un plan pluriannuel de promotion de la culture palliative et de développement des soins palliatifs, à l’instar du Plan cancer. Mais je vous ai écoutée, madame la ministre, et je crois vous avoir entendue évoquer un plan triennal visant à promouvoir la culture palliative. J’espère que l’amendement de notre collègue sera voté à l’unanimité.
Pour les équipes qui font un travail remarquable, pour les bénévoles des associations qui s’engagent avec humanité dans l’accompagnement psychologique, l’attente est grande, tout comme l’est la crainte d’une légalisation de l’euthanasie qui serait forcément un prétexte pour relâcher les efforts.
Nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti nous proposent une voie permettant d’améliorer la loi sans en dévoyer l’esprit, notamment grâce à deux mesures emblématiques : une meilleure prise en compte des directives anticipées, contraignantes sans pour autant être opposables, et un droit absolu à la prise en compte de la souffrance, via la sédation profonde et continue, jusqu’à la mort lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.
Au cours de nos débats, chacun s’exprimera en conscience sur ces mesures et, nous l’espérons, dans le respect des convictions de chacun.
Dans sa grande majorité, le groupe UMP estime qu’un point d’équilibre a été trouvé avec ce texte et ne souhaite pas que cet équilibre fragile soit rompu. Si des amendements ouvrant une brèche vers l’assistance médicalisée active, le suicide assisté ou l’euthanasie devaient être adoptés, nous exprimerions notre profonde opposition.
Notre société a été très malmenée par des réformes sociétales qui l’ont profondément divisée.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Dans le contexte actuel, nos concitoyens attendent de nous, sur des sujets aussi complexes et sensibles, des propositions qui rassemblent.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, notre débat reprend un questionnement universel et singulier : universel puisque la mort est inéluctable, partout et pour tous ; singulier puisqu’elle est, à chaque fois, la fin d’un être unique. Au moins une énigme, peut-être un mystère. Telle est sans doute la raison pour laquelle nous demeurons perplexes devant l’extrême complexité de la question.
Comment trouver les mots justes pour parler de la mort qui sera toujours une expérience incommunicable puisque nous n’en saurons jamais rien vivants. La mort n’existe que pour ceux qui restent, c’est pourquoi nous ne pouvons parler que de la mort des autres.
Comment en outre s’étonner que la mort soit abordée avec autant de pudeur alors que notre société semble vouloir en évacuer la réalité, la dissimuler, voire la nier ?
La mort aujourd’hui est désincarnée. Les cortèges funèbres ont laissé place à une mort invisible, le temps des cimetières devient celui des crémations. Le lieu de la mort n’est plus le domicile ou celui des proches, il est devenu le lieu des professionnels, l’hôpital ou la maison de retraite.
La mort devient également un défi médical et technique. Il faut agir sur ses causes, repousser ses frontières, en contrôler les moindres paramètres. Quelle que soit l’angoisse que l’on ressent face à une question si personnelle, cette fuite, cet évitement de nos sociétés expliquent sans doute en partie notre désarroi lorsqu’il s’agit, comme aujourd’hui, d’apporter ou de tenter d’apporter, avec d’infinies précautions, des réponses à la question de la fin de vie.
En cet instant, il me semble que nous devons d’abord nous montrer humbles et bienveillants devant l’extraordinaire complexité de la fin de vie et l’idée même de légiférer sur ce sujet.
En 2004, j’avais participé aux travaux de la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie – les mots ont un sens – qui avait effectué quelque quatre-vingts auditions.
Notre mission, fort intelligemment, avait tout d’abord entendu des historiens, des ethnologues, des sociologues, des psychologues, des philosophes, des représentants des grandes familles religieuses ou de pensée, afin de remettre en perspective le rapport à la mort dans les différentes civilisations au cours de l’histoire.
Nous avions ensuite entendu des membres du corps médical, y compris des infirmières et des aides-soignantes qui tiennent la main du mourant dans les tout derniers instants. Et ce n’est qu’à la fin seulement que les juristes sont arrivés, comme si la loi devait s’incliner avec respect devant cette épreuve, comme s’il était impossible, et sans doute pas souhaitable, que la loi dise tout de ce dont on connaît finalement si peu...
Telle est la raison pour laquelle nous devons avoir la plume qui tremble au moment où nous envisageons de modifier la loi du 22 avril 2005, qui avait été votée à l’unanimité et qui constitue aujourd’hui un point d’équilibre fragile.
Cette loi a en effet amélioré le respect et la compréhension de la volonté du malade, prenant en compte non seulement les douleurs, mais aussi la souffrance des malades en fin de vie, selon la belle distinction qu’autorise notre langue entre la douleur physique et la souffrance morale, plus englobante. Elle a fait progresser les soins palliatifs, fût-ce insuffisamment, et condamne clairement l’acharnement thérapeutique. Pour autant, des difficultés subsistent. La douleur des patients n’est pas toujours suffisamment prise en charge, l’obstination déraisonnable demeure malheureusement une réalité dans ce pays, l’accès aux soins palliatifs est bien loin d’être toujours effectif et la formation des médecins demeure insuffisante. Des zones d’ombre subsistent, mais comment pourrait-il en être autrement ? En effet, des questions demeurent : doit-on et peut-on aller plus loin dans certains cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients endurant une douleur insupportable ? Doit-on et peut-on alors assumer un acte médical mettant un terme à une souffrance et une douleur devenues irréversiblement intolérables ?
Ces questions en soulèvent encore bien d’autres. À partir de quel point peut-on considérer que les traitements n’éviteront pas une issue fatale ? Comment juger du caractère insupportable d’une douleur ? Comment s’assurer du consentement du patient et que faire s’il ne peut être obtenu ? Comment comprendre les directives anticipées alors même que le questionnement face à la mort évolue ? Comment être certain de ne pas emprisonner un malade dans une formulation ancienne de sa volonté ? Les députés de notre groupe se prononceront en conscience face à ces questions lourdes qui appellent des réponses éminemment personnelles. Pour autant, je souhaite partager avec vous, chers collègues, quelques convictions communes qui guideront notre réflexion sur la proposition de loi que nous examinons. Aborder le sujet de la fin de vie, c’est rappeler la dignité de chaque personne humaine et le respect qui s’y attache, conformément à l’autre très belle distinction opérée par Berdiaev entre la personne, irremplaçable, et l’individu qui n’est que l’élément d’un tout.
Alors qu’une existence s’éteint et son caractère unique avec elle, il ne fait nul doute que la collectivité a des devoirs à l’égard de la personne. Pour autant, a-t-elle des droits ? Rien n’est moins sûr. Nous pensons également qu’il est de notre devoir de soulager la douleur et la souffrance dans toute la mesure du possible. Aussi est-il absolument essentiel que les soins palliatifs soient significativement développés. En outre, nous considérons que toute personne vivant ses derniers instants a le droit d’être accompagnée, respectée et écoutée car, une fois rompu l’isolement, il peut se trouver que le patient supporte autrement la souffrance, que la perception même de la vie et de sa fin de vie évolue et qu’il traverse alors le moment du départ comme une part pleine et entière de sa vie. Ainsi, nous estimons qu’une rupture abrupte des digues érigées par la loi du 22 avril 2005 risquerait d’entraîner des dérives insupportables dont les plus fragiles seraient les premières victimes. Si la frontière entre faire mourir et laisser mourir peut sembler ténue, elle nous semble en réalité profonde. L’assumer, n’est-ce pas aussi respecter la dignité de chaque être ? Si nous estimons que demander à la loi de répondre à toutes nos incertitudes sur la mort, c’est trop lui demander, nous respectons cependant ceux qui croient que la loi peut aider à faire des modalités de sa mort l’ultime liberté du vivant.
Pour autant, notre groupe pense dans son immense majorité que la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté reviendrait à accorder à la collectivité un droit sur l’existence même de chacun outrepassant largement les limites du respect dû à chaque personne auquel pourtant nous tenons tous. Si nous pensons qu’il est de notre devoir de faire en sorte que la main du mourant soit tenue le plus longtemps possible – je pense ici à l’admirable vers de Lorca Si je meurs laissez la fenêtre ouverte, écho à travers les siècles à la main tenue de Mozart composant ses derniers adagios – nous croyons que l’encre de la loi ne doit pas couvrir ce qu’elle ne pourra jamais définir, cet instant qui en fin de compte n’appartient qu’à celui qui part en ouvrant tout grand la porte des questions. Telle est selon nous la double ambition de la proposition de loi : permettre à ceux qui sont proches de la mort, s’ils le demandent, de s’endormir au lieu d’être confrontés à une souffrance intolérable. Chacun d’entre nous indiquera en conscience ce qui distingue l’équilibre de la loi de 2005 de la proposition de loi dont nous débutons l’examen. Telle est, en tout état de cause, la limite que notre groupe ne saurait envisager de franchir.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie doit être un temps d’attention et de compassion pour celui qui s’en va. À cette fin, les députés radicaux de gauche ont déposé au mois de mars 1999 une proposition de loi visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs, devenue sous le même intitulé la loi du 19 juin 1999. Toutefois, le développement de ces soins demeure insuffisant, surtout dans les cas où même les soins palliatifs ne parviennent pas ou plus à soulager la douleur du patient. La loi Leonetti de 2005 a constitué une étape en consacrant le droit du patient d’arrêter de suivre un traitement même si cela met sa vie en danger et l’obligation faite au médecin de respecter sa volonté, donc en admettant le laisser mourir. Elle a en revanche maintenu l’interdiction de l’aide médicalisée à mourir selon une démarche active et non plus passive.
Il reste nécessaire de dépasser le cadre de la loi de 2005. Dès le début de la législature, le 26 septembre 2012, notre groupe a donc déposé une proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité. Ce texte concerne les patients en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable leur infligeant des souffrances intolérables ne pouvant être apaisées. La proposition de loi Claeys-Leonetti examinée aujourd’hui continue à proscrire l’assistance médicalisée active à mourir et se borne à proposer une autre solution très imparfaite, une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à l’arrêt des traitements de maintien en vie.
En premier lieu, il y a là une distinction assez artificielle, voire artificieuse sinon fallacieuse, car l’effet recherché est le même dans les deux cas : amener le malade au décès en utilisant non des substances létales, mais des produits sédatifs à très forte dose. Comme le concède le professeur Sicard dans son rapport de 2012, « la frontière entre l’euthanasie volontaire et la sédation profonde peut sembler poreuse ». La distinction est évidemment très fragile, voire factice, et s’apparente à une subtile casuistique car il s’agit dans les deux cas de préparer la même issue : le décès du patient.
En second lieu, la sédation en phase terminale s’accompagne de l’arrêt des traitements ou des soins tels que l’alimentation et l’hydratation artificielles, ce qui est susceptible d’entraîner, selon de nombreux médecins, des effets très pénibles : faim, soif, insuffisance respiratoire, phlébite, spasmes, infections et escarres. La situation peut se prolonger, la mort intervenant, selon le professeur Sicard, entre deux et huit jours, entre une et deux semaines selon d’autres. Par conséquent, la sédation en phase terminale n’évite pas à coup sûr une fin de vie douloureuse, une agonie parfois lente et longue. Les auteurs du texte écrivent à l’article 1er que « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée », or la démarche qu’ils proposent ne garantit nullement un tel résultat. « Agonie », comme on sait, vient du grec « agonia » qui signifie lutte, angoisse. Faut-il nécessairement partir dans la détresse et la douleur ? L’agonie ne doit pas être une étape obligée de la mort.
La sédation prévue par le texte de loi que nous examinons comporte un autre inconvénient majeur. En effet, elle vise à provoquer une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès. En fait, il y aura perte de conscience. Les auteurs du texte l’ont souligné devant la commission des affaires sociales le 17 février, M. Claeys déclarant qu’il n’y a aucun risque que le patient se réveille et M. Leonetti disant qu’un réveil n’est pas envisageable. En réalité, comme l’a admis avec franchise M. Leonetti devant la commission, il s’agira non pas d’une sédation, mais d’une anesthésie générale. Les patients aspirent à décéder entourés de leur famille afin d’avoir avec elle une ultime communication et une phase de survie sous anesthésie rendra impossible ces derniers échanges. Le patient partira dans un état d’inconscience, muré dans la solitude, coupé de toute relation avec l’extérieur.
Il faut donc enfin accepter une autre pratique, l’assistance médicalisée active à mourir, évidemment très strictement encadrée par des règles et des procédures. Il faut respecter la diversité des attentes et volontés des patients en fin de vie. Pour cela, le législateur se doit d’élargir le champ des possibilités ouvertes à ceux-ci et de traiter les différentes situations. Il n’existe pas de réponse unique et chacun peut avoir sa propre conception sur la manière de quitter la vie : soins palliatifs, arrêt des traitements, sédation profonde et continue jusqu’au décès, assistance médicalisée active. Dans ce cadre général, la loi doit permettre à chacun de choisir les conditions de son décès. Dans plusieurs pays, le droit a changé. Les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg ont autorisé l’aide active à mourir en l’encadrant strictement. Par ailleurs, la Suisse, les Pays-Bas et l’Oregon ont admis le suicide assisté.
En revanche, selon les circonstances, notre droit pénal assimile l’aide active à mourir à un assassinat, un meurtre ou un empoisonnement. Même si des poursuites pénales ne sont pas toujours engagées en fait, le législateur ne peut se défaire ainsi de ses responsabilités et s’en remettre à l’appréciation aléatoire et variable de juridictions statuant au cas par cas. Il ne peut laisser les praticiens saisis d’une demande légitime d’assistance médicalisée exposés au prononcé éventuel de telles peines. En 2003, des poursuites ont été engagées contre la mère et le médecin du jeune Vincent Humbert, qui conformément au voeu de celui-ci, l’avaient aidé à mourir afin de mettre un terme à ses souffrances. La situation peut néanmoins évoluer, comme le montrent la proposition de loi déposée par le parti des radicaux de gauche au mois de juin 2009 et celle déposée par le groupe socialiste au mois d’octobre 2009, signée par plusieurs ministres du gouvernement actuel ainsi que par M. Alain Claeys.
Choisir sa mort doit en effet constituer la dernière liberté. Pourtant, le droit de choisir les conditions de son décès est toujours refusé aux patients en phase terminale d’une maladie incurable et très douloureuse. Il y a là une atteinte à la liberté de décision du patient en fin de vie qui n’est pas compatible avec le droit de mourir dans la dignité revendiqué dès 1978 par le sénateur radical Henri Caillavet. Chacun doit avoir la possibilité de conclure sa vie comme il l’entend en se déterminant de manière autonome et en demeurant l’arbitre de son propre destin. Désormais, l’objectif doit être celui-ci : respecter la volonté du malade, respecter le libre choix par chacun de son sort personnel, bref respecter le droit des patients à disposer d’eux-mêmes, ultime espace de liberté et de dignité. L’enjeu est essentiel. Il s’agit de permettre aux malades incurables en phase terminale de finir leur vie dans des conditions meilleures que celles qui prévalent aujourd’hui. Changer la mort, tel était le titre du livre publié en 1977 par un grand cancérologue rebelle aux normes établies.
C’est un livre pour une fin de vie digne et apaisée, un livre pour une médecine secourable, celle qui aide les malades en phase terminale qui vont partir et assiste ses patients arrivés au bout du chemin qui souffrent intensément. Ce qui reste à ce moment final si singulier et si unique, c’est la compassion, la tentative d’humaniser la mort afin que cessent douleurs et détresse et que la dernière heure ne soit pas abandon mais attention dans une ultime solidarité.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.
Le temps est venu de la discussion parlementaire d’un sujet lourd que le Président de la République vous a confié, messieurs les rapporteurs, qui a donné lieu à l’élaboration d’un rapport, puis d’une proposition de loi, que j’appelle, sans qu’il faille y voir la moindre connotation péjorative, un « compromis », c’est-à-dire que chacun a fait un pas en direction de l’autre. Il me semble que si M. Leonetti ou M. Claeys avait fait, seul, une proposition de loi, elle n’aurait sans doute pas été tout à fait la même que celle à laquelle vous êtes arrivés ensemble.
M. Leonetti l’a pourtant fait en 2007, et la loi a été votée à l’unanimité !
La volonté de rassemblement exprimée par le Président de la République se retrouve dans le texte « d’équilibre », comme vous le qualifiez vous-mêmes, que vous nous présentez aujourd’hui.
Je veux le redire : c’est une question lourde et difficile, et je ne me suis autorisé à interpeller personne, parce qu’une question de ce type mérite mieux qu’un débat manichéen. Elle mérite le respect de tous, dans une République laïque où tous ont le droit de s’exprimer, y compris les représentants des autorités religieuses, qui le font à l’extérieur de l’enceinte parlementaire. Pour notre part, nous sommes au coeur de la démocratie ; depuis la tribune où je me trouve, Aristide Briand définissait la République laïque en disant qu’elle n’était pas une opinion, mais le droit d’en avoir une. De fait, nous avons tous le droit d’avoir une opinion sur une question aussi lourde que celle que nous abordons aujourd’hui.
C’est dans cet esprit de tolérance, de respect et de fraternité que j’entends contribuer, à ma place de député, à ce débat. J’y contribue pour constater que la proposition de loi comporte deux avancées – je ne m’y attarderai pas, car cela a déjà été dit. La première, qui est très significative, MM. Claeys et Leonetti l’ont dit, marque un pas très important – j’ai parlé ailleurs d’un pas de géant : on passe de la logique du médecin à celle du patient. Les directives anticipées, qui existaient déjà dans le code de la santé, s’imposeront désormais au médecin, à condition, toutefois, que le travail parlementaire que nous allons faire le précise.
J’insisterai sur une deuxième avancée, qui me semble insuffisante : l’apaisement des souffrances par la voie de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort que vous proposez. Il s’agit certes d’une réponse, mais qui, en conscience, me paraît largement insuffisante et ne permettra pas de faire face à toutes les situations que nous rencontrons et auxquelles les Français demandent des réponses.
Je pense donc qu’il faut examiner d’autres voies. Il ne s’agit pas là, comme j’ai pu le lire, de prétendre légiférer sur tout ou imposer les conditions de fin de vie au patient ou au médecin. Il ne s’agit pas de cela, mais simplement d’ouvrir un droit nouveau à ceux qui en feraient le choix, et à eux seuls, sans ôter aucun autre droit aux autres, en leur donnant le droit de partir au moment où ils le désirent. Il y a plusieurs degrés possibles, que nous aurons l’occasion d’examiner : certains nomment cela l’aide active à mourir dans la dignité, d’autres l’euthanasie – le terme même a été dévoyé car, étymologiquement, chez les Grecs, c’est la « bonne mort » –, d’autres l’exception d’euthanasie, qui est un peu en retrait et devrait permettre de faire face à certaines situations particulières, ou, dans d’autres cas encore, le suicide assisté.
Je voudrais demander simplement aux deux rapporteurs, avec le même état d’esprit, d’examiner les amendements à venir relatifs à ces sujets, pour trois raisons. La première est qu’avec ce texte, on continuera d’interdire l’euthanasie en France, mais, en même temps, on continuera à fermer les yeux sur le fait qu’elle y est pratiquée.
Selon un rapport de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, publié en décembre, un peu plus de 4 500 cas de décès ont été recensés qui font suite à l’administration – je cite – de « médicaments pour mettre délibérément fin à la vie ». Au-delà de ces 4 500 cas, il y a tous ceux qui ont décidé eux-mêmes de mettre fin à leur propre vie pour ne pas subir les affres de la maladie ou de la fin de cette dernière.
La deuxième raison est qu’avec ce texte, on continuera d’interdire l’euthanasie en France, mais on n’interdira pas l’euthanasie aux Français. De fait, ils se tournent de plus en plus nombreux vers des cliniques ou des associations belges, néerlandaises, suisses, pour obtenir ce droit que la législation française leur refuse. On ne peut pas faire comme si ce n’était pas vrai : s’ils le font, cela signifie que cette demande existe, que l’on ne peut fermer les yeux.
La troisième raison enfin, qui est peut-être la plus difficile à exprimer, mais certainement la plus lourde, tient au fait que terminer sa vie dans la dignité, ce n’est pas seulement ne plus souffrir quand la maladie, inéluctable, grignote chaque jour un peu plus la vie : la dignité, c’est aussi la traversée du miroir, l’image que l’on veut garder de soi, ou continuer à donner à ceux que l’on aime, et le refus de la déchéance physique, même sans souffrir, même en dormant. Cette dignité-là, on doit comprendre qu’on veuille la préserver en partant, en disant adieu à ceux que l’on aime, et non en s’endormant ou en se laissant endormir.
Voilà pourquoi je pense que, dans ce grand débat parlementaire, que nous devons aborder avec fierté, il faut que nous gardions les yeux ouverts sur ces différentes facettes, auxquelles nous ne répondons pas encore avec ce texte Claeys-Leonetti, et que nous puissions examiner les amendements qui seront présentés avec ce souci de la dignité de chacun.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur quelques bancs du groupe UDI.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous partageons une approche commune face à la fin de vie, à savoir la nécessité de ne pas rester inactif devant la souffrance physique ou psychique inapaisable ou celle que le malade juge insupportable.
Le groupe GDR, au sein duquel règne le respect de l’autre, me permet d’exprimer une position personnelle.
Cette proposition de loi améliorera notre législation, par des dispositions telles que le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, l’arrêt des traitements en cas de maladie incurable en phase terminale, ou encore le droit de ne pas souffrir. Elle préconise des directives anticipées plus contraignantes pour le médecin, les encadre, et offre un recours plus large à ces dernières. Elle affirme la primauté de l’avis de la personne de confiance pour les cas où les patients ne sont plus conscients. Ces mesures devraient répondre aux cas d’acharnement médical les plus graves, contraires aux souhaits des patients.
Toutefois, j’ai bien peur que la politique gouvernementale en matière de soins palliatifs ne permette pas d’atteindre certains principes louables énoncés par la proposition de loi, qui dispose que « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée » et que « les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. » La faute en incombe notamment à des budgets constants, jugés insuffisants même par la Cour des comptes, dont on connaît la propension à limiter les dépenses publiques à tout crin.
J’ai reçu de ma circonscription un courrier émouvant d’une personne qui a vu sa femme mourir d’une double tumeur au cerveau et au cervelet. Je le cite : « Il est des situations où la médecine est impuissante. Ma conviction personnelle est la suivante : quand la douleur ne peut être apaisée et que l’issue fatale est proche, il est préférable de partir dignement, avec le suicide assisté. Doit-on forcément finir ses jours dans un état abominable, sur un lit d’hôpital, quand on sait très bien que la médecine ne peut plus rien pour soigner ou apaiser ? Pensons aussi à la dernière image que les proches peuvent avoir des patients en fin de vie. Pouvons-nous éviter certaines images traumatisantes pour les proches ? Quand les gens souffrent trop, ils n’ont aucune envie de soins palliatifs ; ils veulent cesser de vivre. »
Ce courrier a renforcé ma conviction qu’il faut aller plus loin que ce qui est permis par ce texte, et légaliser l’acte de donner la mort. C’est ce qu’ont proposé, le 29 janvier, nos collègues d’Europe Écologie-Les Verts, ainsi que d’autres collègues, par des amendements à ce texte, qui ont tous été rejetés en commission. Il semble que notre assemblée ne soit pas prête à légiférer en ce sens.
Dans le cadre d’un sondage, il a été posé la question suivante : « selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin sans souffrance à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ? » Les personnes interrogées ont répondu « oui, absolument » à 54 %, et « oui, dans certains cas » à 42 %, soit un total de 96 % de personnes favorables.
Nous savons qu’un cas de conscience peut se poser aux médecins, car leur travail est de soigner et non de donner la mort. Pourquoi, dès lors, ne pas envisager de faire appel à d’autres professionnels que les médecins ? Des spécialistes, formés au sein du service public – cela va de soi – pourraient provoquer, sous de stricts contrôles, le décès d’un individu atteint d’une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales ou physiques intolérables.
Les patients devraient pouvoir choisir leur fin de vie, le droit de définir pour eux-mêmes ce qu’est leur dignité. Il ne s’agirait pas d’encourager le suicide en toutes circonstances, ou d’ouvrir je ne sais quel commerce de la mort, mais simplement de prendre en compte la volonté du peuple et de répondre à certains cas, quand la mort proche n’est pas une hypothèse ou une option, mais une certitude.
Cette proposition de loi est à la limite de l’euthanasie. Les médecins pourront mettre fin à un traitement et appliquer un traitement à visée sédative et antalgique, même si ces décisions conduisent à précipiter la mort. Mais, selon moi, c’est insuffisant.
On nous répète que cette proposition de loi est un texte de consensus, un texte équilibré, mais je ne sais pas, pour ma part, ce qu’est une loi déséquilibrée. En revanche, je sais qu’aucune des grandes lois ne s’est jamais votée dans le consensus : pensons à l’IVG ou à l’abolition de la peine de mort.
Malgré tout, j’annonce d’ores et déjà que j’exprimerai un vote favorable à cette proposition de loi, avec les réserves indiquées.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, vous avez dû comme moi entendre et lire les témoignages de nos concitoyens, les inquiétudes légitimes de certains, les craintes justifiées des autres. Nous ne pouvons aborder ce lourd sujet avec des certitudes, et c’est bien ce que je retiendrai de ce débat dans lequel je me suis particulièrement impliquée depuis plusieurs mois.
Il existe une inquiétude de ne pas être entendu, de ne pas être écouté, de ne pas être respecté. Nous ne pouvons accepter qu’à la difficulté d’affronter la mort s’ajoute la crainte des circonstances dans laquelle elle est susceptible d’intervenir.
J’ai entendu les témoignages de Français qui craignent que leur vie soit abrégée contre leur volonté.
J’ai entendu les témoignages de Français qui craignent de se retrouver otages de machines sur un lit d’hôpital.
J’ai entendu les témoignages de Français dont les convictions s’opposent à ce qu’on permette d’abréger la vie d’un malade qui en fait la demande.
J’ai entendu les témoignages de Français qui veulent affronter sereinement leur fin de vie, en sachant qu’une issue leur sera offerte quand leur existence leur paraîtra insupportable.
Comment ne pas entendre ces inquiétudes, qui sont tellement légitimes ? Et comment ne pas s’inquiéter, dès lors, du fait que deux Français sur trois n’aient pas accès aux soins palliatifs ?
Comment ne pas s’inquiéter lorsqu’on a vu mourir un proche et qu’on était impuissant face à sa demande d’en finir ? Comment ne pas s’inquiéter lorsqu’un proche décide de partir mourir à l’étranger, loin des siens, par peur de se retrouver « piégé » ? Ces inquiétudes naissent d’un encadrement ambigu de la fin de vie, trop souvent sujet à interprétations diverses.
C’était le point faible de la loi Leonetti de 2005, qui était claire sur la fin de l’acharnement thérapeutique, mais bien trop floue sur les possibilités de soulagement des souffrances en fin de vie. Et nous constatons tous aujourd’hui que c’est aussi le cas de l’engagement 21 du Président de la République, qui proposait d’autoriser « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Alors que de nombreux Français, dont je fais partie, y voyaient un engagement à légaliser une assistance médicalisée active à mourir, il est clair aujourd’hui que le Président pense remplir cet engagement par le seul droit à une sédation terminale. Un journaliste le formule très bien dans un article du Monde de ce jour : « C’est l’histoire d’une promesse de campagne si habilement formulée que chacun y a lu ce qu’il voulait y voir. »
De ces ambiguïtés naissent inévitablement des inquiétudes. J’entends aussi les Français qui se sont largement emparés du texte qui nous est soumis aujourd’hui. Certains lui reprochent de légaliser une forme d’euthanasie déguisée, d’autres de laisser mourir plutôt que d’aider à mourir. À vouloir un texte d’apaisement, on joue sur les ambiguïtés et on favorise les peurs.
Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC.
Tel est mon point de vue.
Si je m’en réfère à ce texte, la sédation profonde peut provoquer la mort, mais le médecin ne doit pas donner la mort avec intention de la donner. Comment cela peut-il s’appliquer concrètement sans crainte ? Comment rassurer nos concitoyens face à ces flous juridiques qui persisteront faute de clarifications assez nettes ? Combien de recours juridiques et de jurisprudences faudra-t-il avant que ce texte ne trouve son juste champ d’application ?
Il n’est certainement pas nécessaire de vous démontrer davantage que ce texte n’atteint pas le compromis d’apaisement qu’il ambitionnait. Aujourd’hui même, l’ADMD, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, dénonce ce texte devant l’Assemblée et Alliance Vita s’y oppose devant les Invalides. Non, il n’est pas le texte d’apaisement que certains espéraient.
Mes chers collègues, il est temps de poser un cadre clair. D’un côté, il faut respecter les choix de fin de vie de chaque Français, avec des conditions précises, et s’assurer que toutes les autres solutions leur sont accessibles et proposées, des soins palliatifs à l’aide active à mourir, c’est-à-dire l’euthanasie et le suicide médicalement assisté.
De l’autre côté, il s’agit de proposer aux médecins une clause de conscience et d’instaurer une procédure de contrôle pour chaque recours à une aide à mourir, sédation terminale comprise. De tels garde-fous ne sont pas prévus par ce texte.
Voilà les bases d’un véritable cadre juridique clair, rassurant, respectueux des choix et de la conscience de chacun. Il s’agit d’offrir des solutions adaptées à chaque demande, au lieu de forcer chacun à conformer son choix à la seule alternative proposée ici – un choix par défaut qui soulève les réticences et les craintes des uns et des autres.
Cette solution du libre choix ne fait peut-être pas consensus aujourd’hui, mais elle fera son chemin avec le temps, comme d’autres avancées de société qui l’ont précédée.
Pour élaborer le texte qui nous est soumis aujourd’hui, le Président de la République a décidé que son engagement prendrait la forme non pas d’un texte gouvernemental, mais d’une initiative parlementaire. Il incombe ainsi d’autant plus aux parlementaires de s’emparer de ce texte et de le faire évoluer au cours de débats sereins et constructifs – et nous sommes nombreux à le souhaiter. Rappelons qu’en 2009, Manuel Valls soutenait ici même une proposition de loi visant à légaliser l’aide active à mourir,…
…et bon nombre d’entre nous l’ont soutenue, dont vous, monsieur le rapporteur, et vous, madame la ministre.
Par ailleurs, je tiens à saluer la constance de M. Leonetti sur ce sujet. Si vous reconnaissez aujourd’hui que votre texte de 2005 a besoin d’être amélioré, monsieur le rapporteur, vous défendez une position cohérente au travers de cette proposition de loi. Celle-ci est d’ailleurs quasiment identique à celle que vous nous aviez présentée déjà en 2013, qui avait été renvoyée en commission au motif qu’elle n’abordait pas « l’éventuelle évolution vers un suicide assisté », selon les termes de notre collègue Bernadette Laclais, qui s’exprimait au nom du groupe SRC.
À l’inverse, je m’interroge sur la constance d’une partie de la majorité : au regard des votes de 2009 sur la proposition de loi de Manuel Valls, des prises de position sur la proposition de loi de Jean Leonetti de 2013, et de la position défendue sur ce texte en commission par Mme Delaunay, c’est un véritable revirement ! À propos de l’examen de ce texte en commission, Mme Delaunay a rétorqué à notre collègue Jean-Louis Touraine, qui défendait un amendement sur l’aide active à mourir : « […] nous avions convenu de rester dans les limites du consensus. Or, si nous adoptions cet amendement, nous franchirions ces limites et nous détruirions de facto l’esprit du texte. » Elle a ensuite suggéré aux auteurs de l’amendement de déposer plutôt une proposition de loi distincte.
Cependant, trois semaines auparavant, la proposition de loi que je défendais était renvoyée en commission, et notre collègue Martine Pinville affirmait : « […] il faut continuer […] sans doute à apporter des améliorations. C’est ce que nous allons faire lorsque nous examinerons la proposition de loi de MM. Claeys et Leonetti, dans un accord le plus large possible, mais qu’il faudra bien évidemment enrichir. » Un jour, il est trop tôt pour parler de l’aide active à mourir, un autre, il est trop tard. En d’autres termes, chers collègues, le groupe majoritaire ne tient pas une position très cohérente. Il est certainement divisé sur le sujet,…
… mais ces divergences ne doivent pas empêcher le débat, qui est incontournable.
Pendant l’examen de ce texte par la commission des affaires sociales, le débat s’est aussi heurté à plusieurs reprises à la lettre de mission reçue par les rapporteurs. Dans ces conditions, notre assemblée ne devrait-elle pas elle-même inscrire ses travaux dans le périmètre précis du débat ouvert par ce document ?
Permettez-moi d’en rappeler les termes. Il s’agissait de poursuivre un triple objectif : « assurer le développement de la médecine palliative, y compris dès la formation initiale des professionnels de santé ; mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées dont le caractère engageant doit être pleinement reconnu ; définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l’apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l’autonomie de la personne. » Comment ne pas voir que le texte qui nous est soumis aujourd’hui constitue une interprétation extrêmement restrictive de la commande passée à nos deux rapporteurs ?
J’ai du respect pour le travail de nos collègues MM. Leonetti et Claeys. J’ai entendu le Premier ministre tout à l’heure nous dire que ce texte était le fruit d’un point de rencontre entre leurs deux pensées. J’ai toutefois la faiblesse de croire que, sur un sujet qui concerne chaque Française, chaque Français, le Parlement ne peut se dessaisir de ses choix, et qu’il n’est pas possible de privatiser un débat de cette nature.
Ce débat mérite bien mieux que cela. Nos concitoyens nous regardent et attendent avec une exigence légitime que nous ayons enfin, ici, à l’Assemblée nationale, un vrai débat démocratique où chaque opinion pourra s’exprimer librement, se confronter à de vrais arguments de fond, et à l’issue duquel chacun d’entre nous votera en conscience.
Il n’y a pas de place pour la petite politique sur un sujet comme celui-là. Montrons aux Françaises et aux Français que nous en sommes capables et que nous sommes à la hauteur de leurs attentes.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, concernant un sujet aussi grave et difficile que la fin de vie, l’approche partisane n’est sûrement pas la bonne. Pour toutes les questions qui touchent à l’éthique, aux règles de vie fondamentales de notre société, l’approche consensuelle apparaît la plus sage, la plus sûre.
C’est cette dernière qui avait présidé lors de l’élaboration et de l’adoption à l’unanimité de la loi de 2005, à l’issue du travail remarquable et unanimement apprécié de notre collègue Jean Leonetti. Cette loi avait été saluée comme un important progrès. Moins de dix ans plus tard, tout aussi unanimement, il est regretté que seul un malade sur cinq en fin de vie relevant des soins palliatifs puisse être admis, faute de places, dans un service spécialisé.
Il manque en effet en France 20 000 places de soins palliatifs. Leur nombre a été porté de 2 000 à 5 000 entre 2007 et 2012. Cet effort, madame la ministre, a été interrompu depuis lors.
La législation actuelle sur la fin de vie est donc largement acceptée. Pourtant, elle est très insuffisamment appliquée, car elle est insuffisamment connue, l’effort de formation professionnelle aux soins palliatifs étant inexistant, et surtout insuffisamment applicable, faute de moyens. Reconnaissons que le bon sens, la bonne méthode de gouvernance devraient nous amener d’abord à corriger ces deux défaillances et, une fois la loi bien connue et correctement appliquée, à envisager de l’améliorer en légiférant de nouveau le cas échéant si elle s’avérait insuffisante.
Or, tel n’a pas été le choix du Président de la République qui, dès son élection, a pris une série d’initiatives afin de satisfaire l’engagement 21 de sa campagne présidentielle de 2012.
C’est dans ce contexte que nos collègues Jean Leonetti et Alain Claeys ont été missionnés par le Président de la République et qu’ils ont élaboré la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. Je veux les remercier pour leur travail commun, puisqu’il aboutit à une proposition dépassant les clivages partisans qui, sinon, sur un tel sujet, n’auraient pas manqué de diviser à nouveau notre cher pays, qui n’en a pas besoin.
C’est pour cela, et parce que cette proposition a su trouver un équilibre, certes fragile, que je la voterai.
Pourtant, deux questions me paraissent devoir être soulevées. La première concerne le caractère opposable donné par la proposition de loi aux directives anticipées.
Pourquoi rendre ces directives, définies dans la loi de 2005, opposables ? Aux termes de cette loi, elles constituent une volonté exprimée par anticipation, à l’intention des soignants, face à des circonstances extrêmes de fin de vie dans un environnement par définition inconnu en tous domaines. Cette liberté laissée aux soignants, conforme aux règles de l’éthique et de la bonne pratique médicale, apporte à ceux-ci, au moment crucial, les meilleures indications pour prendre la meilleure décision en considérant en priorité les souhaits connus du malade.
Comment imaginer, longtemps avant leur matérialisation, les conditions psychologiques, émotionnelles, affectives ou religieuses dans lesquelles la question fatidique pourra se poser ?
Le caractère opposable des directives anticipées déresponsabilise le médecin en le contraignant, et interdit au malade de bénéficier d’une appréciation ou d’une adaptation des décisions aux circonstances par définition particulières, alors que la loi de 2005 l’autorise. Avec la prise en compte, certes indispensable, de l’urgence ou d’un caractère inapproprié des directives anticipées dans le cas d’une évolution malheureuse, douloureuse ou durable, il apparaît à n’en pas douter comme une source de recours judiciaires à l’encontre des soignants déjà bien malmenés sur ce sujet.
L’opposabilité constituera aussi une incitation pour les plus radicaux partisans de l’euthanasie à privilégier les directives anticipées préétablies, véritable commandement à mettre fin à la vie, contraignantes au point d’obliger l’équipe soignante à donner la mort comme s’il s’agissait d’une initiative médicale, alors que cela est en contradiction avec le serment d’Hippocrate.
La deuxième question concerne le droit à sédation profonde et continue jusqu’au décès à la demande du patient accompagnant l’arrêt du traitement, droit inscrit à l’article 3 de la proposition de loi. S’il est légitime d’offrir un tel choix, la demande de sa mise en oeuvre par le seul patient atteint d’une affection incurable qui a décidé d’arrêter le traitement n’est-elle pas, en définitive, un pas en direction de l’euthanasie ou de l’aide au suicide ? Est-ce bien ce que notre société attend, ce dont elle a besoin en ces temps d’inquiétude et de doute ? Est-ce ce que nous voulons ?
Ce qu’a laissé entendre le Premier ministre tout à l’heure lors des questions au Gouvernement, vos propos, madame la ministre, en introduction de cette discussion, ne traduisent-ils par la volonté d’aller à petits pas vers l’euthanasie ?
Madame la ministre, c’est une question que je vous pose, et je vous demande d’apporter une réponse sur ce point essentiel.
En tout état de cause, le texte va bien au-delà de la loi de 2005. Il établit un équilibre fragile, parfois même incertain. Aussi, toute modification substantielle introduite par voie d’amendement – je pense à celles que certains de nos collègues de la majorité ont eu ou ont encore l’intention de proposer – la dénaturerait. Dans un tel cas, les hésitations que j’ai exposées transformeraient mon vote positif en un vote d’opposition : je préférerais alors en rester à la loi de 2005 et en exiger une véritable application.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous abordons avec ce texte un sujet délicat, qui exige avant tout que l’on respecte les convictions de chacun et que l’on évite les caricatures. Je pense que cela est possible, même si l’on entend en dehors de l’hémicycle des propos outranciers ou choquants. Faire rimer « euthanasie » avec « nazi » ou faire l’amalgame avec la peine de mort n’est d’aucune aide pour avancer concrètement !
Comme l’a dit Véronique Massonneau, nous respectons tous les points de vue et toutes les convictions, y compris la légitimité qu’ont les autorités religieuses à s’exprimer sur le sujet pour éclairer les Français, notamment celles et ceux qui se reconnaissent dans leurs croyances. Mais, dans notre République, il n’y aura jamais rien au-dessus de la loi des hommes, celle que nous débattons et votons ici, au Parlement.
La question du passage de la vie à la mort nous ramène à l’essentiel. Il faut donc rappeler que nous sommes tous des législateurs. Certes, il est difficile de s’abstraire de convictions philosophiques ou religieuses, mais également d’expériences personnelles. Beaucoup ont fait état de ces expériences, soit en tant que proches de personnes ayant connu une fin de vie plus ou moins digne, soit en tant que membres d’une profession médicale. Ceux de nos collègues qui sont médecins, en particulier, ont toute légitimité à s’exprimer. Pour autant, nous devons d’abord et avant tout rester des législateurs.
Je le dis d’autant plus tranquillement que je ne puis me référer pour ma part à aucune expérience personnelle et à aucune conviction religieuse en la matière. Je ne suis pas non plus un militant de l’euthanasie en tant que telle, pas plus pour moi que pour mes proches. En tant que législateur, en revanche, je revendique d’être un militant de la liberté de choix, et je ne poursuis qu’un seul but : ouvrir un droit pour celles et ceux qui le souhaitent.
Rien ne sera jamais imposé à personne. Arrêtons de laisser entendre que l’ouverture d’un droit pourrait se traduire par des euthanasies forcées ! La loi est justement là pour encadrer strictement toute euthanasie ou toute aide active à mourir.
C’est un texte assez particulier que nous examinons aujourd’hui, fruit du travail de deux de nos collègues appartenant l’un au groupe UMP, l’autre au groupe SRC. Il s’agit, selon les termes du Premier ministre, du « point de rencontre » entre deux points de vue, et non pas d’un compromis – même si lui-même affirme que les compromis permettent bien souvent d’avancer. Ces deux points de vue, soit dit en passant – et ce n’est nullement une critique ! –, étaient dès le départ relativement proches.
Le texte, donc, comporte des avancées, notamment s’agissant de la reconnaissance du point de vue du patient. Lors de la remise du rapport, le Président de la République a même indiqué que cette perspective devenait devenir prépondérante. Désormais, c’est le point de vue de la personne concernée qui doit s’imposer, y compris au corps médical. La reconnaissance des directives anticipées comme prépondérantes – « opposables », pour reprendre le terme employé par l’orateur précédent – est pour nous un point extrêmement important. Il faut que sa traduction législative soit aussi précise que possible.
Cela dit, la sédation profonde pose plusieurs problèmes. Si nous pouvons entendre le raisonnement de nombre de médecins qui accepteraient la sédation profonde alors qu’ils refuseraient l’euthanasie ou l’aide active à mourir, nous ne pouvons nous arrêter à ce point de vue. Aussi le groupe écologiste a-t-il déposé plusieurs amendements à ce sujet. Si une majorité se dégage dans notre Assemblée pour aller plus loin, faisons-le, car cela correspond au sentiment d’une très large majorité de nos concitoyens. Sinon, comme l’a dit le Premier ministre lors de la séance de questions d’actualité, cette loi ne sera qu’une étape, qui appellera à son tour une autre loi.
Espérons alors qu’il ne faudra pas attendre dix ans, c’est-à-dire le temps qui sépare ce texte et la loi Leonetti. Tel est l’état d’esprit dans lequel le groupe écologiste aborde ce débat.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c’est une question essentielle et grave que pose à chacun d’entre nous cette proposition de loi déposée par Jean Leonetti et Alain Claeys. Essentielle parce qu’elle touche à ce qu’il y a de plus précieux, la vie ; grave parce qu’elle touche à l’éthique et à la morale.
La notion de droits nouveaux pour les patients en fin de vie est intimement liée à la dignité humaine, à notre approche individuelle et collective de la mort. La fin de vie est source d’interrogation pour les entourages familiaux lorsqu’un être cher franchit cette étape sans retour, mais aussi pour l’ensemble des personnels soignants, médicaux et paramédicaux, pour qui l’accompagnement des malades constitue toujours une épreuve.
Beaucoup de progrès auront été accomplis avec la loi de 2002 et avec celle de 2005, dite loi Leonetti, qui condamne tout acharnement thérapeutique et qui rejette toute idée de suicide assisté. Mais votre loi, monsieur le rapporteur, est encore insuffisamment connue et appliquée. Elle s’est certes accompagnée d’une montée en puissance des soins palliatifs, mais, comme le souligne le Comité consultatif national d’éthique, la tâche à accomplir est encore immense : le nombre de lits dans ce secteur devrait être multiplié par trois ; la formation des personnels soignants, l’harmonisation des protocoles anti-douleur, la prise en charge des soins à domicile, sont autant de questions qu’il faut approfondir ; enfin, la question de l’acharnement thérapeutique reste cruciale malgré les améliorations apportées par la loi.
La fin de vie s’accompagne le plus souvent de souffrances du corps et de l’esprit et d’un isolement toujours plus grand des malades. La complexité des rapports de notre société à la fin de vie se traduit par de multiples situations dramatiques, où la relative impuissance de l’action publique suscite indignation et frustration d’une partie de l’opinion.
Le texte rend les directives anticipées plus contraignantes. Le Comité consultatif national d’éthique invite d’ailleurs les pouvoirs publics à s’engager dans cette voie et préconise leur intégration au dossier médical.
Si cette démarche participe de la volonté de mieux prendre en compte les souhaits des patients, des questions majeures subsistent. Comment concilier l’obligation de soigner à laquelle le serment d’Hippocrate soumet les praticiens et le refus, par un patient, de tout protocole ? Comment respecter les directives des patients quand leur volonté et leur capacité d’appréciation se trouvent altérées au fil de l’évolution de la maladie ? Comment préciser par la loi les situations particulières dans lesquelles le médecin ne respectera pas les volontés du malade ? Ces questions exigent de nous une humilité de tous les instants.
Enfin, la proposition de loi aborde le sujet de la sédation profonde et continue, mise en oeuvre à la demande des malades dans des situations définies. Or le Comité consultatif national d’éthique a démontré dans ses conclusions que beaucoup des cas dits « limite » ne permettaient ni au malade, ni au personnel soignant, ni aux proches de disposer d’éléments suffisants pour engager une sédation profonde jusqu’à la mort.
Mes chers collègues, personne n’accepte la souffrance insupportable trop souvent exprimée par les patients. Personne n’accepte une déchéance incompatible avec la dignité humaine. Pour autant, comme l’a très bien rappelé notre porte-parole Michel Piron, le groupe UDI est opposé à la légalisation du suicide médicalement assisté que soutiennent de très nombreux députés socialistes dans le sillage de Jean-Louis Touraine.
Oui à la prise en charge efficace de la douleur. Oui à l’extension des soins palliatifs. Oui à la sédation profonde dans des cas précis. Mais non à l’euthanasie.
Alors que la mort et la vie se tutoient quotidiennement, cette proposition de loi doit rester un texte d’équilibre afin de bénéficier d’un soutien aussi large que possible dans cet hémicycle. Chacun reconnaîtra que la portée de la loi ne peut répondre à toute interrogation et à toute situation. Chacun reconnaîtra aussi que ces questions, dans leurs dimensions éthique, philosophique et morale, sont infiniment personnelles. C’est pourquoi, comme l’a précisé Michel Piron, chacun des députés UDI se prononcera en conscience sur ce texte, un texte équilibré qui permet de répondre à l’exigence de mieux accompagner les malades en fin de vie sans banaliser les thérapeutiques conduisant à la mort.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les radicaux de gauche, vous le savez, mènent depuis longtemps le combat pour le droit de mourir dans la dignité. Ce combat est inscrit dans leur histoire, dans leur ADN, comme se plaît à le rappeler Jeanine Dubié. Il est donc logique qu’on le retrouve dans la position des députés du groupe RRDP.
Profondément attachés à la défense des libertés individuelles, nous considérons que le droit de vivre sa mort et de finir sa vie dans la dignité relève d’un choix individuel qu’il convient de respecter. C’est la volonté de la personne qui doit prévaloir. La capacité à apprécier ce qui est digne et ce qui est indigne doit lui être reconnue. C’est pourquoi notre groupe, qui avait déposé une proposition de loi en ce sens dès le mois de septembre 2012, a apporté son soutien à la proposition de loi défendue par nos collègues du groupe écologiste.
Si les progrès de la médecine et des traitements ont contribué à allonger l’espérance de vie, cela s’est parfois fait au détriment de la qualité de vie et de la dignité. Or qui est plus à même d’apprécier cette dignité que l’individu lui-même ? Pourquoi la liberté, valeur fondamentale qui oriente la vie de chacun, est-elle si difficile à admettre lorsqu’il s’agit de la fin de la vie ? Choisir sa mort devrait être la dernière liberté. On respecterait ainsi l’autonomie de l’individu, entendue comme ce qui permet aux êtres humains de mener et d’accomplir un projet de vie selon leurs convictions et dans les limites imposées par le respect des droits et libertés des autres.
Pourtant, le droit de choisir reste souvent refusé au patient en phase avancée ou terminale d’une affection grave, invalidante et incurable, génératrice de souffrances insupportables. Cette atteinte à la liberté de décision du malade en fin de vie n’est pas compatible avec le respect de la volonté de chacun et avec le droit de mourir dans la dignité.
La loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, proscrit l’« obstination déraisonnable », c’est-à-dire l’acharnement thérapeutique. Elle consacre aussi le droit de tout patient de refuser ou d’interrompre un traitement, même si cela met sa vie en danger, et fait obligation au médecin de respecter sa volonté.
Depuis une quinzaine d’années, le développement des soins palliatifs – hélas trop limité – a permis d’accomplir de réels progrès. Il importe de leur consacrer plus de moyens, pour qu’un nombre bien plus important de patients puisse y accéder.
C’est d’autant plus nécessaire qu’il existe de fortes inégalités territoriales, certains départements étant nettement sous-dotés en réseaux de soins palliatifs, voire n’en possédant aucun.
Les Français attendent aujourd’hui la reconnaissance d’un droit à l’aide active à mourir. La liberté fondamentale de rester maître de sa destinée, de choisir pour soi, de ne pas aller au-delà de telles souffrances physiques, de ne pas supporter une déchéance inéluctable : voilà ce que veulent nos compatriotes. Nous ne pouvons accepter l’obstination déraisonnable au statu quo que nous subissons actuellement.
La proposition de loi qui nous est faite, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, s’inscrit dans la continuité de la loi Leonetti de 2005. Elle ne règle en rien la demande formulée par de nombreux citoyens et portée par les radicaux, depuis 1978 et Henri Caillavet – l’aide active à mourir.
L’idée qui sous-tend ce texte est toujours le laisser-mourir, notion introduite en 2005, améliorée ici par la reconnaissance d’un droit à la sédation profonde et continue. Mais cette évolution ne nous paraît pas suffisante, et une nouvelle option, en vue de légaliser l’aide active à mourir, doit être introduite dans le parcours de soins en fin de vie.
Si les progrès de la médecine et des traitements ont contribué à allonger l’espérance de vie, cela peut parfois être au détriment de la qualité de vie et de la dignité. Et qui est le mieux à même d’apprécier cette dignité, si ce n’est l’individu lui-même ?
Alors oui, nous voulons une loi qui plonge ses racines dans le meilleur de notre République. Je terminerai par cette citation, qui me paraît la plus belle pour incarner la loi républicaine que nous voulons : « Le droit à mourir dans la dignité s’intègre pleinement dans nos valeurs. Il est d’abord conforme à la liberté, car il met chaque individu en mesure de choisir la fin qu’il souhaite. Il est utile en outre à l’égalité de nos concitoyens, car il n’est pas acceptable que le bénéfice d’une aide active à mourir dépende, comme c’est le cas aujourd’hui, de la chance ou des moyens du malade. Il est conforme, enfin, à la fraternité, car il permet de rassembler au moment ultime celui qui part et ceux qui restent. » À cette citation du député Manuel Valls, rapporteur de la proposition de loi socialiste sur la fin de vie en 2009, je n’ai rien à ajouter : c’est notre feuille de route.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste et qur quelques bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, on meurt mal en France. Chacun désirerait une fin de vie paisible, à son domicile et entouré de ses proches, sans obstination déraisonnable dans la délivrance de soins prétendument curatifs.
Au lieu de cela, les Français décèdent à l’hôpital, parfois dans un service de réanimation bruyant et angoissant, sans que ne puissent être échangés en famille des propos affectueux et intimes. Les soins palliatifs ne sont accessibles qu’à un cinquième de ceux qui en ont besoin, et la volonté du malade sur les modalités souhaitables pour sa fin de vie n’est pas entendue.
Mourir heureux est certes une utopie. Pourtant, ce ne devrait pas être un oxymore. C’est d’ailleurs l’objectif de nombreuses philosophies laïques ou religieuses. Beaucoup se disent que la mort étant inéluctable, mieux vaut l’apprivoiser pour moins la redouter. Certains, sûrs de trouver un autre monde après la mort, se réjouissent presque de rejoindre un tel lieu de félicité, pour peu que les souffrances leur soient épargnées. D’autres, adeptes d’une philosophie plus laïque, constatent que leur vie a été bien remplie, que le néant ne les rebute pas et qu’ils ont à coeur de laisser à leurs proches une image d’honnête homme ou d’honnête femme. Eux aussi désirent échapper aux douleurs physiques et aux souffrances psychiques. Les uns veulent mourir debout, d’autres endormis – naturellement ou artificiellement.
Dès lors, que faut-il pour qu’une personne parvenue à la phase ultime d’une maladie incurable ait l’impression de « bien mourir » ? Deux choses sont essentielles : ne pas être privé de son droit à choisir la modalité de sa fin de vie ; être accompagné et aidé par son entourage familial et par une équipe soignante organisée autour de médecins compétents et susceptible de manifester par ses actions une authentique compassion.
L’aide à une personne en train de mourir, la possibilité de faire entendre et respecter le désir légitime qu’une agonie particulièrement pénible soit abrégée, voilà ce que demandent 96 % de nos concitoyens dans les enquêtes d’opinion itératives. Ce n’est pas seulement la carence en soins palliatifs dans notre pays qui alimente cette opinion, c’est une aspiration, noble et responsable, à une liberté – la liberté de choisir pour soi.
C’est d’ailleurs en prenant en compte cette sollicitation de progrès dans les droits humains qu’avait été rédigée la proposition de loi de 2009, dont le rapporteur était Manuel Valls, les signataires Jean-Marc Ayrault, Laurent Fabius, Alain Claeys, Marisol Touraine, moi-même et beaucoup d’autres. Elle avait été l’objet d’un vote positif de François Hollande, qui n’était évidemment pas encore Président de la République, et donc pas en mesure de faire adopter le texte.
Des députés de divers groupes politiques avaient également apporté leur soutien à cette proposition de loi. Un texte voisin a été présenté il y a quelques semaines par Véronique Massonneau.
Aujourd’hui, nous reprenons, de façon plus modérée, les propositions de 2009 dans un amendement que je présenterai après l’article 3, conjointement avec Philip Cordery et de très nombreux collègues. Il ne s’agit pas à proprement parler de suicide assisté, ni d’euthanasie, mais d’accompagnement et d’aide à mourir.
Permettez-moi de résumer les distinctions entre ces trois concepts. Le suicide assisté correspond à une décision du malade, auquel sont fournis des produits létaux. L’euthanasie est souvent entendue comme une décision relevant principalement de l’équipe médicale, qui abrège les souffrances d’une personne en fin de vie. L’aide active à mourir suppose une décision conjointe du malade et de l’équipe médicale, qui organisent ensemble la fin de vie selon les voeux de la personne, après que les médecins se soient assurés d’une décision immuable du patient. Ils s’assurent aussi que l’impasse thérapeutique est avérée, la fin de vie proche et inéluctable, les pressions familiales inexistantes et l’état mental de la personne apte à une décision aussi importante.
Pourquoi cette évolution est-elle nécessaire ? Selon l’étude déjà citée de l’INED, au moins 4 000 personnes meurent chaque année en France grâce à une aide médicalisée active à mourir. En rendant légale cette pratique, devenue quotidienne mais non encadrée, on éviterait les situations d’agonie prolongée, pénible et douloureuse ; on éviterait aussi les dérives, les excès de toutes sortes. En effet, en catimini et hors de toute procédure, le risque d’euthanasie imposée, sans l’accord du malade, existe. À l’inverse, des équipes soignantes peuvent montrer une compassion insuffisante et refuser d’entendre un malheureux qui implore en vain qu’il soit mis un terme à une agonie insensée, accompagnée de suffocations, de douleurs irréductibles, d’une souffrance psychique que rien ne parvient à apaiser.
Pour toutes ces raisons, il importe de compléter la loi par une liberté nouvelle, un droit véritable – le droit de choisir. Ceux qui ne veulent pas se saisir de cette liberté peuvent bien sûr en rester aux dispositions actuellement en vigueur. Mais beaucoup, pour être rassurés, veulent savoir qu’un choix existe, même lorsqu’ils ne sont pas certains d’y recourir le moment venu.
De plus, réglementer l’aide active à mourir en France évitera que des Français se rendent à l’étranger pour avoir accès à un service plus ou moins comparable, parfois loin de leurs proches.
Du fait de toutes les insuffisances actuelles, génératrices d’inégalités devant la mort, nous devons donner un cadre légal aux pratiques d’aide à mourir, nous efforcer de répondre à toutes les situations, à toutes les convictions.
Toute philosophie sur ces questions mérite respect. Chacun d’entre nous sera amené à choisir en son âme et conscience. Soyons attentifs à n’être influencés par aucune pression, aucun groupe de pensée absolutiste, et prenons notre décision sereinement.
Il s’agit d’un choix éthique fondamental. L’éthique, disait Jean Bernard, n’est pas une métaphysique ; elle doit être pragmatique. Seuls notre réflexion et notre humanisme peuvent nous porter vers un choix éclairé. Ainsi sera appliqué à cette fin de vie le principe « du moindre mal », qu’évoquait fréquemment le premier président du comité d’éthique, le Professeur Jean Bernard. Ainsi se réalisera la prophétie d’un autre grand médecin français, Jean Hamburger : « Le grand destin de l’homme est de refuser son destin ».
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur les bancs des groupes écologiste et RRDP.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cinq ans après la loi dite Leonetti, notre assemblée est appelée à élaborer une nouvelle loi. Ce n’est pas une nouveauté instituée par François Hollande, mais bien l’issue d’une réflexion conduite depuis des années.
Ce texte comporte trois aspects importants. D’abord, ne pas laisser souffrir un patient en fin de vie. Nous avions légiféré en 2005 afin de recommander la prescription de médicaments antalgiques. Même si ces médicaments accélèrent la mort, l’intentionnalité était de traiter la douleur, de la diminuer.
Qu’y a-t-il de plus dans le texte que nous examinons aujourd’hui ? En réalité, pas grand-chose, si ce n’est l’affirmation que les traitements sédatifs antalgiques, qui étaient prescrits, peuvent aller jusqu’à la sédation profonde ou « sédation terminale ». L’expression était déjà utilisée en 2005 ! Je le redis avec force, ces traitements de sédation étaient déjà administrés jusqu’à ce que la mort survienne. Ils l’accompagnaient, ils permettaient de l’attendre, l’accéléraient parfois. Ce texte apporte une précision sémantique. Dont acte.
Le deuxième axe est d’obtenir des Français des « directives anticipées ». Elles étaient déjà dictées dans la loi de 2005. Mais aujourd’hui, elles s’imposent aux médecins. Est-ce bien raisonnable ? Attention au suicide, ou plutôt aux tentatives de suicide ! Beaucoup d’entre elles sont des appels au secours, témoignant d’un mal essentiellement psychologique. Pourtant, ce patient arrivant aux urgences dans un état grave serait en fin de vie si rien n’était fait. En Belgique, les troubles psychologiques graves conduisant à des tentatives de suicide sont considérés comme des maladies graves pouvant justifier un « suicide assisté ». Que faire si cette personne a laissé des directives anticipées, qui s’imposent ? Faut-il l’aider à réaliser son suicide, ou la sauver ? C’est toute l’ambiguïté de cette nouvelle disposition.
Le refus de soins constitue le troisième point fort repris dans ce texte. Il fait déjà l’objet de l’article 1111-4 du code de la santé. Il s’agit du refus de soins. Il est naturel et constitue l’une des libertés du patient, à condition qu’il soit réservé aux patients en fin de vie et dont la mort est certaine. Il faut qu’il n’existe aucun traitement adapté qui pourrait le guérir ou le mettre en rémission sur un long terme. Nous savons tous que lors des traitements, parfois difficiles, de maladies graves pouvant néanmoins guérir, le malade flanche, cède et, las, peut refuser les soins. Je l’ai déjà dit : il faut refuser l’acharnement médical, sans espoir de guérison, mais être suffisamment persuasif lorsqu’il s’agit d’un acharnement thérapeutique, avec la guérison au bout du chemin. Mais c’est vrai, la volonté du malade doit être respectée ; la loi devient ici péremptoire et dangereuse, le dialogue entre le médecin et le malade peut en être biaisé. L’article équivalent de la loi de 2005 me semblait plus souple et plus clair.
Administration de traitements antalgiques, directives anticipées et refus de soin constituent les trois piliers de ce texte. Alors, pourquoi cette nouvelle proposition de loi ? Je n’ai pas de réponse satisfaisante.
Par contre, j’aurais aimé que la diffusion de l’information sur la loi de 2005 soit plus efficace et plus complète, que l’enseignement à destination des étudiants en médecine consacré à la fin de vie soit plus important et que la loi Leonetti leur soit davantage explicitée. Je prends acte de ce qu’a déclaré le Président de la République et de ce que vous-même avez dit, madame la ministre.
J’aurais aimé que les unités de fin de vie soient développées, en particulier les unités fixes. Elles sont si peu nombreuses que cela en est indécent. J’en profite pour dire ici toute l’admiration que je porte au personnel qui y travaille. Le nombre d’unités de fin de vie doit être multiplié, il manque 20 000 lits !
Au XXIe siècle, en 2015, les médecins, les scientifiques, les patients ont en leur possession le crayon pour dessiner l’enfant à naître. Avec l’euthanasie, nous maîtriserions la gomme pour effacer l’homme qui le déciderait. C’est pour cette raison que je suis très opposé à l’euthanasie et au suicide assisté. Mais ce texte n’en parle pas. C’est pourquoi je le voterai tel quel.
La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine de contrôle du 23 mars : deux projets de loi relatifs à la métropole de Lyon ; débat sur les services à la personne ; questions sur la politique pénale ; CMP sur la proposition de loi relative au secteur de la presse ; débat sur France Télévisions.
Et, pour la semaine de l’Assemblée du 30 mars : proposition de loi relative aux délais d’inscription sur les listes électorales ; proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères ; projet de loi relatif à la santé.
Il n’y a pas d’opposition ? Il en est ainsi décidé.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly