Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 10 mars 2015 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie doit être un temps d’attention et de compassion pour celui qui s’en va. À cette fin, les députés radicaux de gauche ont déposé au mois de mars 1999 une proposition de loi visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs, devenue sous le même intitulé la loi du 19 juin 1999. Toutefois, le développement de ces soins demeure insuffisant, surtout dans les cas où même les soins palliatifs ne parviennent pas ou plus à soulager la douleur du patient. La loi Leonetti de 2005 a constitué une étape en consacrant le droit du patient d’arrêter de suivre un traitement même si cela met sa vie en danger et l’obligation faite au médecin de respecter sa volonté, donc en admettant le laisser mourir. Elle a en revanche maintenu l’interdiction de l’aide médicalisée à mourir selon une démarche active et non plus passive.

Il reste nécessaire de dépasser le cadre de la loi de 2005. Dès le début de la législature, le 26 septembre 2012, notre groupe a donc déposé une proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité. Ce texte concerne les patients en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable leur infligeant des souffrances intolérables ne pouvant être apaisées. La proposition de loi Claeys-Leonetti examinée aujourd’hui continue à proscrire l’assistance médicalisée active à mourir et se borne à proposer une autre solution très imparfaite, une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à l’arrêt des traitements de maintien en vie.

En premier lieu, il y a là une distinction assez artificielle, voire artificieuse sinon fallacieuse, car l’effet recherché est le même dans les deux cas : amener le malade au décès en utilisant non des substances létales, mais des produits sédatifs à très forte dose. Comme le concède le professeur Sicard dans son rapport de 2012, « la frontière entre l’euthanasie volontaire et la sédation profonde peut sembler poreuse ». La distinction est évidemment très fragile, voire factice, et s’apparente à une subtile casuistique car il s’agit dans les deux cas de préparer la même issue : le décès du patient.

En second lieu, la sédation en phase terminale s’accompagne de l’arrêt des traitements ou des soins tels que l’alimentation et l’hydratation artificielles, ce qui est susceptible d’entraîner, selon de nombreux médecins, des effets très pénibles : faim, soif, insuffisance respiratoire, phlébite, spasmes, infections et escarres. La situation peut se prolonger, la mort intervenant, selon le professeur Sicard, entre deux et huit jours, entre une et deux semaines selon d’autres. Par conséquent, la sédation en phase terminale n’évite pas à coup sûr une fin de vie douloureuse, une agonie parfois lente et longue. Les auteurs du texte écrivent à l’article 1er que « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée », or la démarche qu’ils proposent ne garantit nullement un tel résultat. « Agonie », comme on sait, vient du grec « agonia » qui signifie lutte, angoisse. Faut-il nécessairement partir dans la détresse et la douleur ? L’agonie ne doit pas être une étape obligée de la mort.

La sédation prévue par le texte de loi que nous examinons comporte un autre inconvénient majeur. En effet, elle vise à provoquer une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès. En fait, il y aura perte de conscience. Les auteurs du texte l’ont souligné devant la commission des affaires sociales le 17 février, M. Claeys déclarant qu’il n’y a aucun risque que le patient se réveille et M. Leonetti disant qu’un réveil n’est pas envisageable. En réalité, comme l’a admis avec franchise M. Leonetti devant la commission, il s’agira non pas d’une sédation, mais d’une anesthésie générale. Les patients aspirent à décéder entourés de leur famille afin d’avoir avec elle une ultime communication et une phase de survie sous anesthésie rendra impossible ces derniers échanges. Le patient partira dans un état d’inconscience, muré dans la solitude, coupé de toute relation avec l’extérieur.

Il faut donc enfin accepter une autre pratique, l’assistance médicalisée active à mourir, évidemment très strictement encadrée par des règles et des procédures. Il faut respecter la diversité des attentes et volontés des patients en fin de vie. Pour cela, le législateur se doit d’élargir le champ des possibilités ouvertes à ceux-ci et de traiter les différentes situations. Il n’existe pas de réponse unique et chacun peut avoir sa propre conception sur la manière de quitter la vie : soins palliatifs, arrêt des traitements, sédation profonde et continue jusqu’au décès, assistance médicalisée active. Dans ce cadre général, la loi doit permettre à chacun de choisir les conditions de son décès. Dans plusieurs pays, le droit a changé. Les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg ont autorisé l’aide active à mourir en l’encadrant strictement. Par ailleurs, la Suisse, les Pays-Bas et l’Oregon ont admis le suicide assisté.

En revanche, selon les circonstances, notre droit pénal assimile l’aide active à mourir à un assassinat, un meurtre ou un empoisonnement. Même si des poursuites pénales ne sont pas toujours engagées en fait, le législateur ne peut se défaire ainsi de ses responsabilités et s’en remettre à l’appréciation aléatoire et variable de juridictions statuant au cas par cas. Il ne peut laisser les praticiens saisis d’une demande légitime d’assistance médicalisée exposés au prononcé éventuel de telles peines. En 2003, des poursuites ont été engagées contre la mère et le médecin du jeune Vincent Humbert, qui conformément au voeu de celui-ci, l’avaient aidé à mourir afin de mettre un terme à ses souffrances. La situation peut néanmoins évoluer, comme le montrent la proposition de loi déposée par le parti des radicaux de gauche au mois de juin 2009 et celle déposée par le groupe socialiste au mois d’octobre 2009, signée par plusieurs ministres du gouvernement actuel ainsi que par M. Alain Claeys.

Choisir sa mort doit en effet constituer la dernière liberté. Pourtant, le droit de choisir les conditions de son décès est toujours refusé aux patients en phase terminale d’une maladie incurable et très douloureuse. Il y a là une atteinte à la liberté de décision du patient en fin de vie qui n’est pas compatible avec le droit de mourir dans la dignité revendiqué dès 1978 par le sénateur radical Henri Caillavet. Chacun doit avoir la possibilité de conclure sa vie comme il l’entend en se déterminant de manière autonome et en demeurant l’arbitre de son propre destin. Désormais, l’objectif doit être celui-ci : respecter la volonté du malade, respecter le libre choix par chacun de son sort personnel, bref respecter le droit des patients à disposer d’eux-mêmes, ultime espace de liberté et de dignité. L’enjeu est essentiel. Il s’agit de permettre aux malades incurables en phase terminale de finir leur vie dans des conditions meilleures que celles qui prévalent aujourd’hui. Changer la mort, tel était le titre du livre publié en 1977 par un grand cancérologue rebelle aux normes établies.

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