La question qui nous réunit aujourd’hui est une question délicate, qui nécessite beaucoup d’humilité et qui suppose de rester apaisé, à l’écoute de l’autre et de ses souffrances. Méfions-nous des coups de projecteur braqués sur telle ou telle situation individuelle que l’on voudrait généraliser, car chaque vie est singulière.
Cela étant, nous voici au pied du mur : faut-il revoir la loi Leonetti, dont je salue ici l’auteur ?
Pour ma part, je reste très attaché à cette loi de 2005, loi d’équilibre qui autorise déjà la sédation sous certaines conditions et reconnaît déjà les directives anticipées, même si ces dernières restent méconnues – à peine 2,5 % de nos concitoyens y auraient recours. Dix ans après son adoption et à la lumière des débats que nous avons menés ici les 21 et 29 janvier, il ressort très nettement que tous les aspects de cette loi ne sont pas encore totalement assimilés et qu’il reste du chemin à faire pour qu’elle produise ses effets.
La priorité doit être d’aller vers les soins palliatifs. Nous avons noté ces dernières années certains progrès, le nombre d’unités par exemple est passé de 90 à 122, mais c’est encore largement insuffisant. Huit de nos concitoyens sur dix n’ont pas accès à ces soins palliatifs et la moitié seulement de ceux qui auraient besoin d’y recourir peuvent le faire effectivement.
Au-delà des unités fixes qui restent à développer et des milliers de lits nécessaires clairement identifiés, même si les chiffres des estimations varient, il faudrait parvenir au doublement des équipes mobiles, en lien notamment avec les équipes d’hospitalisation à domicile – HAD. Des infirmières de nuit doivent aussi être recrutées, car certains établissements, notamment de nombreux EHPAD, n’assurent toujours pas, la nuit, un service satisfaisant.
Il faut aussi des moyens supplémentaires en faveur de la formation, tant initiale que continue, afin que les professionnels de santé, et pas seulement les médecins, puissent s’approprier cette culture des soins palliatifs. Seules des mesures incitatives fortes, à la hauteur de nos attentes, pourraient permettre cette acculturation de l’ensemble du monde médical et médico-social aux pratiques palliatives, qui doit être impérativement renforcée. La Cour des comptes a du reste souligné, voilà encore quelques semaines, les disparités territoriales, qui demeurent très fortes, et le besoin d’un plan spécifique.
Je souhaitais développer tous ces aspects dans un certain nombre d’amendements mais cet après-midi, vers 16 heures 30, il m’a fallu me rendre à l’évidence : l’article 40 de la Constitution est passé par là et je ne pourrai pas les défendre. J’invite donc très humblement le Gouvernement à les reprendre, ce qui sera l’occasion de rappeler que notre société est solidaire jusqu’à la fin de la vie et n’abandonne pas celui ou celle qui souffre. Nous devons avoir, à l’instar du Plan cancer, qui est bien identifié et qui a traversé le mandat de plusieurs présidents et premiers ministres, un plan ambitieux pour les soins palliatifs.
Bien évidemment, tout en saluant le travail intense accompli par nos deux co-rapporteurs, j’ai conçu moi aussi, en abordant le texte plus en détail, des interrogations sur certains points, comme les directives anticipées. Celles-ci ne sont certes pas une nouveauté et il faut les promouvoir. Il faut parler de sa mort, car il importe que l’entourage sache ce qui devra être fait, même si Éros est plus sexy que Thanatos et que l’on évoque certains sujets plus volontiers que certains autres. Mais faut-il pour autant rendre ces directives opposables et écarter le médecin ? N’oublions pas l’ambivalence du malade et sa hiérarchie des priorités, qui évolue forcément avec le temps et qu’il faut prendre en compte.
Sur la sédation profonde, enfin, il faut continuer à nous interroger. J’espère que les débats permettront de lever un certain nombre d’interrogations pour éviter au texte de glisser vers une forme d’euthanasie déguisée. Prenons garde de ne pas glisser vers un droit général, qui pourrait assez rapidement être qualifié par la suite de droit fondamental. Nous n’en sommes pas là, mais il ne faut pas que nous franchissions cette ligne jaune.
Je m’inquiète en effet lorsque j’entends le Premier ministre, qui a été en son temps rapporteur d’un autre texte, nous dire qu’il ne s’agit ici que d’une première étape. J’espère que les étapes suivantes ne seront pas une euthanasie active et la reconnaissance du suicide assisté. Restons la main tremblante en la matière. Messieurs les rapporteurs, nous avons besoin d’explications, afin de pouvoir mieux nous y retrouver. Ce sera l’objet de l’examen des amendements.