Il est loin le temps où Stendhal écrivait « Puisque la mort est inévitable, oublions-la. » Depuis plus d’une décennie, le moment et la manière de mourir font débat dans nos sociétés occidentales. Récemment, le contrôle de sa propre mort a émergé comme une revendication, faisant dans le même mouvement appel à un droit à l’accompagnement au moment de la mort.
Stade ultime de la vie avant la mort, l’agonie elle-même, longtemps considérée comme une étape naturelle, a peu à peu été perçue comme une souffrance lorsqu’elle durait. Ainsi, la fin devenue inéluctable d’une vie, jusque dans ses derniers instants, peut-elle être associée désormais à une souffrance qu’il convient de soulager par tous les moyens. C’est l’objet du projet de loi : soulager les souffrances lorsqu’elles sont insupportables, lorsqu’elles sont incurables, avant qu’elles ne durent.
Certains se mobilisent pour un droit à faire cesser les souffrances avant même qu’elles ne s’installent. C’est un questionnement tout aussi légitime, mais différent de celui qui nous réunit. Les partisans nombreux du libre choix de sa mort ont-ils un temps d’avance sur le droit à venir, ou attendent-ils une réponse à leur propre interrogation que le droit ne saurait fournir, en tout cas aujourd’hui ?
Que répondre à cette dame âgée qui m’a interpellé dimanche sur le marché pour me dire son souhait de mourir chez elle, le jour où elle aurait décidé d’en terminer avec une vie devenue trop longue à ses yeux ? Et ce bien qu’elle n’ait, elle-même, aucun scénario précis la concernant : juste le souhait de pouvoir, si la situation se présentait, choisir sa mort.
« Choisir sa mort », c’est une expression assez étrange, tant il est difficile de concevoir qu’on puisse souhaiter ce qui relève de l’inconnu.
Il faut dire que de tels sujets ne sont pas simples, tant ils nous renvoient à nos peurs les plus profondes : notre propre fin et celle de ceux qui nous sont chers. Il est difficile dans ces conditions de faire oeuvre de raison, tant la mise à distance est malaisée. Ils nous renvoient aussi à notre philosophie de la vie.
Pour certains, toute discussion sur ce sujet se heurte au caractère inviolable de la vie humaine. Pour d’autres, c’est l’exercice éclairé de son libre arbitre qui fait de l’être humain une exception dans le règne du vivant et lui permet de choisir quand et comment il cesse d’être au monde.
À cet égard, la démarche initiée par le Président de la République et conclue par Alain Claeys et Jean Leonetti m’a semblé tout à fait adaptée à la situation et aux enjeux, la recherche d’un consensus me paraissant la meilleure des solutions possibles dès lors que l’apaisement est compatible avec le progrès.
Il serait d’ailleurs péremptoire ou naïf d’affirmer ici que ce débat sera clos par l’adoption d’un seul texte de loi. Les avis sont et resteront très partagés sur la question, ne nous y trompons pas.
Toutefois, l’exagération ne doit pas avoir sa place : l’objet du texte de loi Claeys-Leonetti n’est pas d’instaurer un « droit à tuer », contrairement à ce que disent certains, mais d’accompagner la fin de vie dans des conditions de grande humanité, et de créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie de manière à éviter ou à abréger des souffrances, physiques, psychiques, devenues insupportables et qu’on ne saurait soulager.
Étant médecin, je me sens finalement mal à l’aise au moment d’intervenir dans ce débat que doivent s’approprier, selon moi, non pas les experts ni les professionnels mais avant tout les citoyens, quoique les soignants, parce qu’exposés régulièrement à la souffrance, à la fin de vie, à la mort, y aient toute leur place.
J’ai interrogé ma propre pratique de soignant, moi qui suis neurologue et qui ai été confronté à des situations de fin de vie difficiles : survenue brutale d’un handicap suite à un accident vasculaire cérébral, survenue progressive d’un handicap cognitif dans le cadre de démences, annonce de diagnostics de maladie neurodégénérative au pronostic désastreux… En lisant la proposition de loi, ce sont à ces souvenirs que j’ai fait appel, ainsi qu’aux échanges fournis que j’ai eus avec nombre de médecins, d’infirmières, d’aides-soignantes.
Avec des directives anticipées, avec la possibilité nouvelle de proposer à un patient une sédation profonde, terminale, les choses auraient-elles été différentes ? Oui, sans conteste. Auraient-elles été plus faciles ? Au moment de choisir d’arrêter un traitement, de suspendre la vie, rien ne saurait relever de la facilité.
J’ai aussi entendu ceux qui rappellent que la pratique existe dans les hôpitaux et qu’il suffit de continuer à fermer les yeux : à quoi bon une nouvelle loi, nous disent-ils ? Je crois sincèrement que c’est faire fi de la violence que représente pour le professionnel comme pour le parent le fait de devoir assumer, en prenant le risque de la culpabilité et du refoulement, un geste qui coûte déjà tant et qui, même s’il repose sur l’amour et la compassion, demeure une transgression.
Les soignants et les familles pâtissent réellement du recours insuffisant aux directives anticipées, indispensables pour leur permettre d’entendre et de respecter en toute situation la volonté exprimée par les patients eux-mêmes. Il peut être si dur d’exiger des familles qu’elles se prononcent pour leur proche ! Songez au cas du prélèvement d’organes, en cas de mort cérébrale : alors que la quasi-totalité des Français se disent prêts à donner leurs organes si la situation l’indique, nombre de familles refusent de prendre la décision pour leurs proches le moment venu.
Enfin, le droit à des soins palliatifs en toutes circonstances ne doit pas rester un voeu pieu mais doit devenir opposable. Vous avez annoncé un grand plan pour l’accessibilité aux soins palliatifs, madame la ministre, et c’est une excellente nouvelle. Le développement des soins palliatifs dans les établissements de santé mais aussi en équipes mobiles est une priorité. C’est aussi la demande des soignants, dont le dévouement et l’engagement sont remarquables.
Parce que les directives anticipées constituent pour leurs signataires l’assurance qu’à aucun moment leur parole et leur capacité de choisir ne leur seront ôtées, parce que la sédation profonde, terminale, est une réponse aux situations de souffrance qui peuvent accompagner certaines maladies incurables, ce projet de loi constitue une avancée majeure qu’il nous faut saluer et que, pour ma part, je voterai.