J’appelle donc l’attention de chacun et je vous invite à approfondir le sens de chaque mot. Je suis d’ailleurs d’accord avec ceux qui ont estimé que, derrière chacun d’entre eux, il y a un acte, lequel doit être pesé et expliqué pendant le débat. Mais je rappelle, pardonnez-moi de le dire comme cela, que le dispositif prévu à l’article 3 relève des soins palliatifs. Je rappelle aussi que l’on ne peut à la fois se plaindre de l’inapplication des lois antérieures et les oublier.
Depuis 2002, et non 2005, les malades ont le droit d’arrêter des traitements même si cela met leur vie en danger. Chaque médecin, dans l’exercice de son métier, a dû gérer des moments aussi difficiles que, par exemple, la demande d’un patient d’arrêter un respirateur artificiel.
Nous savons fort bien que le dialogue singulier évoqué par Alain Claeys est indispensable. Et pourtant, ce patient a bien le droit de demander cet arrêt ! Et si c’est le cas, procéderons-nous comme dans la médecine archaïque, autoritaire, paternaliste d’il y a trente ans, en disant que oui, nous allons arrêter, mais qu’il va souffrir et étouffer ? Non ! Le devoir de solidarité, qui n’est pas un acte euthanasique, consiste à respecter la liberté et l’autonomie du patient tout en protégeant sa vulnérabilité. Cet acte, à mes yeux, n’est pas euthanasique mais fraternel à l’endroit de quelqu’un qui a décidé d’interrompre un traitement de survie ou qui a refusé son application.
Revenons aux textes antérieurs dont celui-ci constitue peut-être une synthèse – je songe au droit aux soins palliatifs pour tous, au droit à la sédation lorsque la douleur est insupportable, au droit d’arrêter les traitements même si cela met en jeu le pronostic vital.
Je reconnais l’intelligence malicieuse de M. Touraine lorsqu’il assure ne pas proposer l’autorisation de l’euthanasie et du suicide assisté mais simplement une « étape supplémentaire » qui « pourrait s’insérer » dans le texte « sous la forme d’un alinéa qui »… Mais nous sommes là pour nous dire les choses : si la lettre de mission du Premier ministre avait compris le recours à l’euthanasie ou au suicide assisté, nous ne serions pas deux sur ce banc, aujourd’hui, pour rapporter ce texte et celui-ci, probablement, serait donc différent.
Un choix a été fait, nous avons essayé et nous essaierons de l’assumer jusqu’au bout, conjointement, avec Alain Claeys.
J’ai bien vu, après chaque orateur, que lorsqu’une partie de l’hémicycle applaudissait, l’autre restait silencieuse. Je vois bien que nos points de vue, qui sont absolument légitimes, divergent encore beaucoup.
Je me souviens de nos discussions en 2005. Avec le temps, forcément, on a tendance à embellir l’histoire, on songe au beau consensus qui régnait au sein de l’hémicycle, à ces 577 députés qui votent… Mais certains disaient qu’il ne s’agissait que d’une étape, que l’on irait plus loin, alors que d’autres considéraient que l’on avait déjà été trop loin et qu’il fallait arrêter !
Je sais bien que ces divergences existent au sein de l’hémicycle, en particulier au moment crucial où chacun considère que franchir une étape législative ensemble revient à faire preuve d’efficacité pour nos concitoyens. Cela n’enlève rien à ce que nous croyons, cela ne nous fait pas renier nos espérances, dans un sens ou dans un autre.
C’est pourquoi nous commençons ce débat dans un esprit d’ouverture et avec une volonté d’explication. Mais je rappelle aussi que l’équilibre est fragile. Si l’on vidait ce texte de son sens, si l’on supprimait les droits des malades qui existent déjà, pourquoi légiférer ? Et si l’on devait basculer dans la promotion de l’euthanasie ou du suicide assisté, là encore l’équilibre serait rompu. Je le dis très sincèrement et sans vouloir influer sur qui que ce soit.
Si le texte basculait dans un sens ou dans un autre, ni M. Claeys, je pense, ni moi-même ne pourrions en être rapporteurs, car il serait dénaturé et n’aurait plus le sens que nous lui avions donné.
Je le dis très amicalement à M. Touraine, et il le sait : son amendement n’apporterait pas une modification superficielle au texte, mais le transformerait. Si tel devait être le cas, il n’aurait pas fallu que nous allions jusqu’au bout ensemble pour essayer de répondre très pragmatiquement à la souffrance que les personnes en fin de vie éprouvent encore dans notre pays.
Le débat est ouvert. J’ai entendu les engagements de la ministre et du Président de la République. Nous devons respecter cet équilibre, promouvoir la culture des soins palliatifs à travers la formation des médecins et franchir cette étape législative qui constitue aussi un signal et un symbole : dans notre pays, la souffrance est interdite en fin de vie et en phase terminale. Je vous remercie de votre attention.