Intervention de Gilda Hobert

Séance en hémicycle du 12 mars 2015 à 9h30
Garantir le droit d'accès à la restauration scolaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilda Hobert, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes ici rassemblés pour examiner une cause juste, celle de l’égalité de traitement – « égalité », ce mot de la devise de la République qui figure au fronton de nos écoles et dont nous devons nous rappeler sans cesse la valeur.

Au cours des récentes années, certaines communes n’ont pas hésité à arguer de leurs difficultés financières, souvent réelles il est vrai, pour restreindre l’accès des élèves au service de restauration scolaire. De manière parfaitement illégale et inacceptable, quelques-unes l’ont fait en discriminant délibérément les plus vulnérables, les enfants de chômeurs. Elles ont souvent invoqué à cet effet le motif fallacieux que les parents seraient prétendument « disponibles » pour fournir un déjeuner à la maison, en contradiction avec les démarches nombreuses et difficiles qu’implique la recherche d’emploi. Ces mesures stigmatisantes ne font qu’ajouter de l’exclusion à l’exclusion. La proposition de loi de M. Roger-Gérard Schwartzenberg vise donc à garantir une égalité par le droit d’accès de tous les élèves des écoles primaires à la restauration scolaire.

Rappelons que la mise en place de services de repas dans les écoles, bien qu’incombant aux communes, a un caractère facultatif sur lequel il n’y a pas lieu de revenir. D’ailleurs, 80 % des communes ont mis en place un système de restauration scolaire par école ou, dans certaines zones rurales, des cantines intercommunales.

Toutefois, selon l’auteur de cette proposition de loi, « la restauration scolaire n’est pas une compétence obligatoire des communes. Mais quand celles-ci en ont décidé la création, il s’agit alors d’un service public annexe au service public d’enseignement auquel s’applique le principe d’égalité. » Ainsi, cette proposition de loi vise à compléter le code de l’éducation par un nouvel article. Cet article fixerait, enfin par la loi, le droit d’accès à la cantine pour tous les enfants des écoles primaires, car il s’agit en effet d’un droit. Il fixerait d’autre part ce qui est déjà sanctionné par le tribunal administratif lorsque celui-ci est saisi pour des faits de discrimination à cet accès.

« Le mot "progrès" n’aura aucun sens tant qu’il y aura des enfants malheureux », écrivait Albert Einstein. Nous n’avons pas le droit, mes chers collègues, de laisser hors de nos cantines des enfants sous de sombres ou discutables prétextes – qui tous revêtent alors un caractère discriminant. Nous avons le devoir de les traiter sans discrimination de quelque ordre que ce soit. La liste de ces discriminations, fixée à l’article L. 225-1 du code pénal, est claire et permet au juge administratif d’y recourir pour tous les manquements à chacun des principes énoncés.

Cette préoccupation n’est pas nouvelle et je me réjouis qu’elle fasse consensus dans notre assemblée.

Ces phénomènes discriminatoires sont d’ailleurs dénoncés dans divers textes qui, tous, réaffirment notre attachement à l’intérêt des enfants : d’abord la proposition de loi déposée en février 2012 par le groupe socialiste lors de la précédente législature, mais aussi le rapport du défenseur des droits, Dominique Baudis, qui dresse un bilan criant et, enfin, les décisions du juge administratif.

En cas de constat de discrimination, les parents se retrouvent souvent démunis et renoncent à toute poursuite. Les associations de parents d’élèves sont alors, heureusement, un maillon essentiel du recours des familles. Leur travail de relais et de médiation est, dans tous les temps de l’école, l’exemple même des aspects positifs de la co-éducation. Ensemble – école, collectivité locale, parents, associations –, on avance mieux et on participe à une école inclusive. Cette proposition de loi contribuera donc aussi à protéger les familles en leur donnant la possibilité de se reposer sur un dispositif clairement établi dans la loi.

Mes chers collègues, lors de l’examen en commission de cette proposition de loi, vous n’avez pas manqué de vous insurger contre toutes les formes de discrimination. Un enfant de chômeur se voit refuser l’accès à la restauration scolaire dans son école, au prétexte que son parent inactif pourrait se charger de son repas ? Inacceptable ! Un élève est « délicatement » invité à manger hors du cadre scolaire parce qu’il est porteur d’un handicap et que l’attention particulière et les aménagements que requiert ce handicap sont difficiles à gérer ? Révoltant ! Et il y a tant d’autres stigmatisations ou discriminations qui affectent parfois de manière indélébile nos jeunes pousses et leurs familles !

J’ai entendu certaines de vos inquiétudes à propos du risque de remise en cause des aménagements d’ordre social engagés par les communes, en particulier pour les enfants de familles en situation de fragilité. L’objectif de cette proposition de loi n’est nullement de contrevenir à ces avancées, bien évidemment !

De même, je voudrais préciser que, comme c’est le cas dans certaines communes, des moyens divers peuvent être mis en oeuvre pour faciliter l’accès de tous les élèves à la restauration scolaire sans qu’il soit besoin de construire des espaces. Double, voire triple service, optimisation ou réaménagement de l’espace, mobilier plus adapté… je sais les équipes municipales et les maires très inventifs et je ne doute pas qu’ils puissent s’adapter à ce principe égalitaire de droit d’accès. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le voir en pratique quotidiennement dans des écoles de ma circonscription et je sais que nombre d’écoles et de maires de communes partout en France sont aussi attachés à le mettre en oeuvre.

Nous savons, et l’histoire nous l’a montré depuis la dernière partie du XIXe siècle, l’importance d’un repas pris à l’école. Les législateurs ont été amenés à se pencher sur la question. Les progrès qui ont suivi n’ont fait qu’étendre le champ des conditions d’accueil des élèves. En 2004, l’adoption du paquet « hygiène » par l’Union européenne a marqué une étape décisive dans la recherche de la qualité nutritionnelle. Les dispositifs ultérieurs n’ont fait que s’inscrire dans cette voie.

Comme il est important, pour un enfant, ce repas pris à la cantine, parfois son seul repas complet et équilibré ! Médecins, associations de parents d’élèves, de restauration scolaire, tous s’accordent à dire que l’attention d’un enfant qui a pris un repas équilibré, assis, tranquille, sera bien meilleure dans la suite de la journée. Ce repas a un impact sur la santé, mais aussi sur la scolarité de l’enfant.

Nous savons aussi l’importance de la pause méridienne en termes de socialisation, d’échange, de mixité sociale. Le continuum que représentent, dans une journée, les temps partagés de l’arrivée à l’école le matin jusqu’à la sortie, sans rupture, sont un gage d’harmonie et d’apprentissage du vivre-ensemble.

L’organisation des temps scolaires incombe aux communes. Un amendement adopté en commission a réaffirmé, en supprimant un alinéa, leur liberté d’organisation.

Madame la ministre, monsieur le président Schwartzenberg, monsieur le président de la commission des affaires culturelles qui n’a pu être parmi nous aujourd’hui mais que je tiens à saluer ici, mes chers collègues, je conclurai en invoquant la solidarité. À l’heure où près d’un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, à l’heure où la crise conduit de plus en plus de familles à connaître des périodes de chômage, ce mot doit prendre tout son sens. La solidarité n’est pas fractionnable, adaptable. Alors que les difficultés s’accroissent autour de nous, nous devons tout mettre en oeuvre pour la rendre effective, efficiente.

La solidarité n’est ni la pitié ni la charité. Elle se pratique, s’échange, se manifeste par sa tangibilité, sa réalité. Notre République doit entendre chacune et chacun, mais comment ignorer que certains ont davantage besoin d’attention que d’autres parce que la vie les a rendus plus vulnérables, parce qu’ils sont sans emploi, parce que ce sont des enfants, des jeunes qui, pour réussir leur scolarité, ont besoin que celle-ci se déroule dans des conditions correctes, voire optimales, et dans le respect de l’égalité de traitement ?

Dimanche dernier, à l’occasion de la réception à l’Élysée de « cent femmes qui font la France », le Président de la République a dit : « C’est l’égalité qui fait avancer notre société, qui donne des droits mais en même temps qui donne des chances. » Le Président de la République évoquait alors l’égalité entre les femmes et les hommes, mais la formule vaut évidemment pour les enfants, sans distinction sociale, sans discrimination aucune quant à la situation de leur famille.

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