Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président Schwarzenberg, la cantine occupe une place majeure dans la vie des enfants et dans leur quotidien à l’école. D’abord parce qu’elle assure une alimentation équilibrée ; alimentation qui, pour un enfant en âge scolaire, est essentielle à sa croissance, à son développement, à ses capacités d’apprentissage. Ensuite parce que c’est un lieu éducatif et de socialisation qui rythme de façon importante la vie collective au sein des établissements scolaires.
Pour les communes, le service de restauration scolaire est un service public facultatif, soumis au principe de libre administration des collectivités territoriales. Cela signifie que ce service public n’est pas obligatoire. On peut le déplorer, mais aujourd’hui, dans la contrainte que l’on connaît, généraliser l’accès à la cantine pour tous et le rendre obligatoire n’est sans doute ni souhaitable ni raisonnable. Il y va de la liberté des familles, il y va aussi de l’exercice décentralisé d’une compétence, donc d’une certaine conception des libertés locales selon laquelle les maires décident en responsabilité devant leurs administrés du niveau de service qu’ils offrent.
Un service de restauration scolaire n’est certes pas à la portée de toutes les communes qui comptent une petite école et souvent, des dispositions différentes ont été prises dans le consensus avec les familles. Il est vrai que je vante souvent l’intercommunalité – l’on peut me le reprocher – mais j’ai visité de ces petites cantines intercommunales, qui aujourd’hui, permettent à des enfants qui auparavant faisaient des kilomètres, de pouvoir manger sur place.
Nous ne voulons pas créer des problèmes là où il n’en existe pas. Il n’en demeure pas moins que le service de restauration scolaire répond à un besoin d’intérêt général et constitue une mission de service public. Si bien que lorsque le service de restauration existe au sein d’une école primaire, créé par une commune ou par une intercommunalité, les grands principes de notre modèle de service public que sont l’égalité d’accès, la neutralité, la laïcité et la continuité doivent être respectés et appliqués.
Oui, les communes disposent du droit de créer ou non ce service. Mais une fois le service créé, elles ne disposent pas d’un pouvoir souverain d’appréciation quant au droit d’y accéder. C’est ce qui est affirmé ce matin.
Le principe d’égalité interdit de traiter différemment des usagers placés dans une situation comparable. Aucune distinction ne peut être opérée entre eux, sur la base d’un critère prohibé – qu’il s’agisse de l’origine, de la situation de famille, de l’état de santé, de la situation de handicap ou encore de l’appartenance à une religion. Refuser l’accès à un service, en l’occurrence l’accès à la cantine, à un enfant, en vertu d’un de ces critères, constitue une discrimination régulièrement condamnée par les tribunaux administratifs de notre pays. Cette proposition de loi vise à mettre fin à ces dérives pour éviter les dérapages, épargner aux familles concernées les longues et fastidieuses démarches juridiques pour faire valoir leurs droits, éviter aussi d’impliquer les enfants qui, souvent, savent qu’il a fallu se déplacer, expliquer la situation et parfois, supplier.
Votre texte introduit expressément dans le code de l’éducation ce principe de non-discrimination pour l’accès à la cantine scolaire dans les écoles primaires, c’est-à-dire les écoles maternelles et élémentaires.
Aujourd’hui, de manière illégale et inacceptable, certaines communes n’hésitent pas à exclure de la restauration scolaire les élèves les plus vulnérables, au prétexte que l’un de leurs parents ne travaille pas. Ces enfants doivent pourtant être traités comme les autres, pour permettre à leurs parents d’effectuer des démarches, mais aussi pour être avec, et non à côté des autres.
Ces communes utilisent la tolérance introduite par le juge administratif, qui autorise les communes à limiter l’accès aux cantines lorsque leurs capacités d’accueil sont saturées. Mais dans ce cas, elles méprisent également les précisions très claires apportées par cette même jurisprudence sur la nécessité de conformité au principe fondamental d’égalité des usagers.
Cette pratique discriminatoire, indigne de notre République, ajoute de la précarité à la précarité, de l’exclusion à l’exclusion. Elle stigmatise les enfants de chômeurs et les prive d’un repas complet qui, parfois, est le seul de la journée. Elle met en difficulté ceux qui sont déjà dans des situations très délicates et pénalise les chômeurs dans leur recherche d’emploi, une recherche qui suppose d’accomplir de très nombreuses démarches et impose de se rendre mobile et disponible, parfois immédiatement.
Il est non seulement injuste d’exclure les enfants de chômeurs d’un service public mais aussi humiliant de considérer que le temps des chômeurs est moins précieux que celui des autres citoyens. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement partage l’objectif qui est celui du groupe radical, et qui fut, je tiens à le souligner, le mien, lorsque je signai une proposition de loi très proche au début de l’année 2012.
Avec cette proposition de loi, monsieur le président Schwartzenberg, vous souhaitez introduire dans le code de l’éducation un nouvel article, disposant que l’accès des élèves à la cantine est un droit, dès lors que le service est rendu. Vous précisez qu’il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de leur famille. Cette expression, qui recouvre la structure et la composition du foyer familial, la situation professionnelle des parents et la localisation de leur domicile, est à même de couvrir tous les cas déplorables que nous connaissons aujourd’hui. Elle permettra aussi, en consacrant les décisions du juge administratif, que les pratiques discriminatoires à l’égard des enfants soient plus efficacement sanctionnées, par le biais notamment du contrôle de légalité.
En précisant que ce droit est créé uniquement lorsque le service de restauration scolaire existe, votre proposition de loi garantit également que de nouvelles contraintes ne seront pas créées pour les communes. Le Gouvernement s’en félicite car, vous le savez, il s’efforce activement de réduire le poids des normes qui pèsent aujourd’hui sur les collectivités territoriales. Nous souhaitons que les communes, qui ont fait les efforts que l’on sait pour mettre en oeuvre la réforme des rythmes scolaires, ne soient pas à nouveau forcées de remettre l’ouvrage sur le métier. C’était le sens de l’un des amendements déposés par le Gouvernement en commission des lois. C’est avec satisfaction que nous avons constaté son adoption – enthousiaste ! (Sourires.) – par votre commission. L’adoption de cet amendement, ainsi que de celui précisant que les dispositions de votre texte ne s’appliquent qu’aux cantines des écoles primaires permet aujourd’hui au Gouvernement de se prononcer avec clémence à l’égard du texte.
Certes, comme pour toutes les propositions de loi, nous ne disposons pas de toutes les données permettant d’en évaluer les incidences, notamment en termes de coût. Mais nous pouvons nous engager à un travail entre les deux lectures, afin de prévoir des ajustements éventuels lors de l’examen du texte au Sénat.
Nous partageons votre ambition, celle de lutter plus efficacement contre les discriminations et de protéger les enfants des familles les plus précaires. Comme vous, nous ne pouvons plus accepter que des parents soient contraints de priver leurs enfants de cantine, alors qu’ils peinent déjà à boucler leurs fins de mois. Je sais que, comme moi, vous avez tous été confrontés à ces situations où nous nous sommes dit que la cantine était la garantie d’un repas chaud pour les enfants de ces familles en détresse.
Mesdames et messieurs les députés, avec cette proposition de loi, vous souhaitez réaffirmer avec force les grands principes de nos services publics. Il nous faut sans cesse les rappeler et mieux garantir leur effectivité. C’est pourquoi le Gouvernement soutient votre proposition de loi.
Il nous faut en permanence, chacun à notre niveau, redire la portée et le sens de ces grands principes. La continuité est la garantie que partout et sans interruption, l’intérêt général soit respecté. L’adaptation est l’assurance de répondre aux besoins évolutifs de nos concitoyens. L’égalité est la possibilité pour chacun, quelle que soit sa situation, d’accéder à l’ensemble des services publics. La neutralité est la garantie pour tous d’être traités de façon identique au sein de ces services publics. La laïcité est l’assurance de ne pas être discriminé, quelle que soit sa croyance ou sa non-croyance religieuse ; c’est un principe de concorde et d’inclusion, qui ne doit jamais être utilisé, ainsi que certains ont été tentés de le faire, comme un outil au service du rejet et du mépris de l’autre.