Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 12 mars 2015 à 9h30
Garantir le droit d'accès à la restauration scolaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues – que je remercie d’être là un jeudi matin –, notre groupe a déposé la proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire pour mettre fin à une injustice d’autant plus préoccupante qu’elle concerne des enfants, c’est-à-dire des êtres vulnérables qu’il faut, au contraire, protéger contre les difficultés de la vie.

Comme l’a rappelé la ministre, il arrive périodiquement que des communes n’admettent pas tous les élèves à la cantine scolaire, en se fondant sur des critères variables – âge, lieu de résidence, activité professionnelle des parents, etc. Souvent, cette non-admission concerne les élèves dont au moins l’un des parents n’exerce pas d’activité professionnelle, dont on estime alors qu’il peut faire déjeuner son enfant. Ce refus d’accès concerne donc souvent des élèves dont l’un des parents au moins est au chômage, ce qui aboutit à discriminer, voire à stigmatiser des familles déjà en difficulté. Ce problème revêt une importance accrue avec le niveau très élevé du chômage – en janvier, on comptait en métropole près de 3,5 millions demandeurs d’emploi de catégorie A, c’est-à-dire sans aucune activité.

Souvent, les municipalités qui n’accueillent pas les enfants de chômeurs invoquent une prétendue liberté d’action des personnes au chômage. Pourtant, la recherche d’un emploi nécessite un investissement de temps et les chômeurs ont une obligation de disponibilité dans la recherche d’un travail, qui conditionne leur inscription ou leur maintien sur les fichiers de Pôle emploi.

Ce problème de l’accès sélectif aux cantines avait déjà retenu sous la précédente législature l’attention du groupe socialiste, radical et citoyen, qui rassemblait alors nos deux formations si proches. Celui-ci avait déposé le 7 février 2012, à l’initiative de Michèle Delaunay, que je salue tout particulièrement, une proposition de loi instaurant le droit à la restauration scolaire. Ce texte avait été signé notamment par plusieurs ministres de l’actuel Gouvernement, dont vous-même, madame la ministre, qui n’avez pas changé de position, ce dont je vous remercie très vivement.

Certes, la restauration scolaire n’est pas une compétence obligatoire, mais facultative, des communes. Notre proposition de loi maintient cette règle, sans la modifier. Elle n’impose aucunement la création de cantines là où il n’en existe pas, compte tenu des difficultés de certaines petites communes, souvent rurales, sachant en outre qu’il existe des possibilités de mutualisation.

En revanche, quand une municipalité a décidé la création d’une cantine, il s’agit alors d’un service public annexe au service public d’enseignement. Dès lors, la restauration scolaire est soumise au principe d’égalité, auquel le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur constitutionnelle et qui implique notamment l’égalité des usagers devant le service public.

De même, Mme la rapporteure et Mme la ministre l’ont rappelé, la jurisprudence administrative est constante. Ainsi, le 16 novembre 1993, le tribunal administratif de Versailles a jugé que « l’accès des élèves à la cantine scolaire […] ne peut être subordonné à la production par les parents d’attestations de travail. L’exigence de tels documents instaure une discrimination entre les élèves suivant que leurs parents ont un emploi salarié ou non. […] Elle porte ainsi atteinte au principe d’égalité entre les usagers du service public ».

Le 23 octobre 2009, le Conseil d’État, saisi par la FCPE du Rhône, a censuré la délibération du conseil municipal d’Oullins, qui avait modifié le règlement de la restauration scolaire – seuls les enfants dont les deux parents travaillaient auraient pu déjeuner à la cantine tous les jours, les autres n’étant accueillis qu’une fois par semaine. Pour le Conseil d’État, « cette délibération interdit illégalement l’accès au service public de la restauration scolaire à une partie des enfants scolarisés, en retenant au surplus un critère de discrimination sans rapport avec l’objet du service public en cause ».

Face à cette jurisprudence constante, certaines municipalités invoquent la capacité d’accueil de leurs cantines, ce qui peut se comprendre. Cet argument est à examiner. Il serait concevable que l’État majore dans ce but précis la dotation des communes qui se trouvent dans cette situation. Mais il est possible d’accueillir un certain nombre d’élèves supplémentaires, sans avoir nécessairement à engager de dépenses significatives. Selon la FCPE et plusieurs cabinets de conseil en restauration scolaire, il n’y aurait guère de problème d’accueil qui n’ait une solution – le plus souvent des aménagements, et non des équipements nouveaux. Diverses solutions pratiques existent en effet, comme l’organisation de deux services au lieu d’un seul, la mise en place d’un self permettant une meilleure rotation des tables, ou l’adaptation du mobilier pour gagner de l’espace, sans oublier bien sûr les possibilités de mutualisation avec d’autres structures ou d’autres communes, qu’a rappelées Mme la ministre.

Malgré cela et en dépit d’une jurisprudence constante du juge administratif, des atteintes au principe d’égalité des usagers de la restauration scolaire sont périodiquement constatées dans plusieurs communes. Il importe donc que le législateur intervienne pour inscrire dans la loi les principes posés clairement par le juge, de façon à en assurer le caractère obligatoire. De la sorte, des familles, souvent démunies, n’auront plus à former de recours pour faire valoir leurs droits.

Dans son rapport de 2013, le défenseur des droits, Dominique Baudis écrivait : « Le défenseur des droits partage l’intention des propositions de loi déposées au Parlement en 2012 relatives à l’accès des enfants à la cantine [il s’agissait de la proposition de loi de Michèle Delaunay.] Et de poursuivre : « Il recommande que le service public de la restauration scolaire, dès lors qu’il a été mis en place, soit ouvert à tous les enfants dont les familles le souhaitent. »

Cette proposition de loi vise à compléter le code de l’éducation par un article établissant le principe d’un droit d’accès à la restauration scolaire afin que les élèves, sans distinction arbitraire, puissent bénéficier de ce service lorsqu’il existe.

Cet accès ne peut être conditionné par « la situation de leur famille », notion générique regroupant divers éléments, dont l’âge de l’enfant, l’exercice ou non d’une activité professionnelle par ses parents, leur disponibilité ou leur lieu de résidence.

En particulier, on ne peut admettre une distinction fondée sur la situation de demandeurs d’emploi des parents, qui séparerait les élèves les uns des autres au moment du déjeuner, mettant à l’écart les plus défavorisés. Il n’est pas possible de laisser des enfants de chômeurs à la porte des cantines scolaires et à l’écart de leurs camarades de classe. Le rôle de l’école n’est pas d’ajouter la difficulté à la difficulté mais d’accueillir chacun et de renforcer le lien social.

Par ailleurs, aux règles rappelées par le juge administratif s’ajoute naturellement l’article L. 225-1 du code pénal, relatif au délit de discrimination. Il sanctionne toute distinction opérée entre les personnes à raison de divers facteurs : origine, sexe, âge, état de santé, handicap, apparence physique, appartenance ou non-appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée.

Cette proposition de loi n’aborde pas la question de la tarification des cantines scolaires et n’établit donc pas de règle nouvelle à cet égard. Un grand nombre de communes appliquent déjà des tarifs dégressifs fondés sur le quotient familial.

Il serait souhaitable que davantage de municipalités encore décident d’appliquer ce système. Cette mesure de justice irait dans le sens de la loi d’orientation du 29 juillet 1998, relative à la lutte contre les exclusions, dont l’article 47 dispose que « les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif peuvent être fixés en fonction du niveau de revenu des usagers. »

Par ailleurs, il conviendrait d’envisager la gratuité de la cantine scolaire pour les enfants des familles très défavorisées, vivant sous le seuil de pauvreté.

Cette mesure serait cohérente avec notre histoire. En 1871, la Commune de Paris propose, parmi ses réformes, la gratuité de la cantine scolaire. En 1880, le Conseil municipal de Paris vote la création de cantines dans chaque arrondissement pour nourrir, aux frais de la Ville, les élèves des familles pauvres et en 1936, Cécile Brunschvicg s’attache à multiplier les cantines.

Aujourd’hui, notre pays compte 8 600 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté, dont 2 700 000 enfants, c’est-à-dire un enfant sur cinq. L’UNICEF constate que la France, comme d’autres pays d’ailleurs, du fait de la crise, a vu augmenter son nombre d’enfants pauvres – ils sont aujourd’hui 440 000 de plus qu’en 2012, c’est-à-dire il y a quatre ans seulement.

Pour ces enfants très démunis, le seul vrai repas de la journée est souvent celui pris à la cantine scolaire. Personne ne peut rester indifférent devant une telle injustice, qui atteint les plus fragiles et les plus faibles.

Agir pour l’enfance pauvre, venir en aide aux plus vulnérables est un impératif éthique pour notre société car la République, c’est d’abord la solidarité et la fraternité.

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