Intervention de Hervé Féron

Séance en hémicycle du 12 mars 2015 à 9h30
Garantir le droit d'accès à la restauration scolaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, je tiens avant toute chose à excuser M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui représente le président Bartolone à la mission de réflexion sur l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine.

La proposition de loi qui nous est présentée lève le voile sur les pratiques scandaleuses qui ont cours dans certaines communes françaises et propose, pour y mettre fin, d’inscrire dans la loi le principe du droit d’accès à la restauration scolaire dès lors que ce service public facultatif est mis en oeuvre dans la commune, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Elle répond en cela à la demande de certaines associations de parents d’élèves, lasses de constater l’attitude de municipalités qui établissent des critères discriminants pour procéder à des sélections illicites, à l’image de celles qui refusent l’accès à la restauration scolaire aux élèves dont au moins l’un des parents est au chômage. Elle fait également suite au rapport de Dominique Baudis qui, en 2013, alors qu’il était défenseur des droits, recommandait que le service public de la restauration scolaire « soit ouvert à tous les enfants dont les familles le souhaitent ».

La liste des textes nationaux et internationaux prohibant ce genre de discriminations étant longue, j’appellerai simplement votre attention sur un point qui me tient particulièrement à coeur et pour lequel j’avais, avec le Conseil français des associations pour les droits de l’enfant, le COFRADE, demandé la création d’une mission interministérielle : je veux parler de la situation misérable dans laquelle se trouve un nombre toujours plus important d’enfants en France.

Comme on peut le lire dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, un enfant sur cinq vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté dans notre pays. Cela représente 440 000 enfants de plus qu’en 2008, date à laquelle s’est déclenchée la crise économique dont les effets se font encore ressentir aujourd’hui.

Pour ces enfants, le repas servi à la cantine est souvent le seul repas équilibré de la journée. Dans ma circonscription, j’ai eu connaissance de plusieurs cas dramatiques de ce genre, qui nous rappellent à quel point notre pays va mal. Réaliser des économies sur le dos des plus précaires, comme le font certaines municipalités, n’est pas seulement illégal : c’est une double peine, et c’est ce qui a motivé la rédaction de cette proposition de loi.

À notre époque, il n’est pas rare que des familles dans nos quartiers, dans notre rue, à proximité de chez nous, fassent le choix de ne plus partager qu’un seul repas par jour, car elles n’ont plus les moyens de se nourrir correctement. C’est une réalité trop souvent ignorée des proches, des enseignants, des travailleurs sociaux, des élus, et terriblement banalisée dans la société d’aujourd’hui. Il nous appartient de la prendre en compte quand ce sont les enfants qui en sont les premières victimes.

Ainsi, lorsqu’une famille sollicite le centre communal d’action sociale, le CCAS, pour une aide alimentaire d’urgence, et que le maire, qui préside le CCAS, demande à ses services d’examiner le dossier de plus près, il n’est pas rare que la famille en question ait à la même époque désinscrit son ou ses enfants de la restauration scolaire, et ce discrètement, par honte de devoir interrompre la fréquentation de la cantine par ses enfants dans le seul but de faire des économies. Dès lors, il arrive que le président du CCAS débloque une aide alimentaire d’urgence, qu’il accompagne par ailleurs d’une prise en charge gratuite pendant un, deux ou trois mois de la restauration scolaire pour les enfants de cette famille, même si celle-ci n’en a pas fait la demande. Est-ce de la bienveillance ? Est-ce de la gestion de proximité ? C’est en tout état de cause une mesure de protection sociale, et l’on voit bien là que ce service public facultatif n’a pas pour seule mission de proposer des repas ; au-delà, il vise à fournir régulièrement des repas équilibrés. Le service de restauration scolaire a donc une véritable fonction sociale.

Très souvent, la participation demandée aux parents est nettement moins élevée que le coût réel de fabrication des repas. Là encore, il est manifeste qu’il y a dans l’action publique une volonté d’accompagnement social. Par conséquent, le fait même de refuser un service public destiné à des enfants sous prétexte que l’un des parents serait au chômage est une aberration.

Sur un tel sujet, les questions éthiques sont évidentes, mais elles ne sauraient occulter un autre aspect du débat, plus pragmatique et qui n’en reste pas moins primordial : les difficultés financières auxquelles font actuellement face un grand nombre de communes. En effet, les municipalités ayant fait le choix de la compétence de restauration scolaire doivent aujourd’hui déployer des moyens financiers importants pour faire face à la demande, qu’il s’agisse de mettre en place un double service ou d’agrandir et de rénover des locaux anciens. Il faut louer les efforts des communes qui choisissent de mettre en oeuvre ce service public facultatif, en trouvant parfois des solutions qui rivalisent d’ingéniosité : ainsi, dans le 12e arrondissement de Paris, on transforme les préaux et autres espaces vacants en cantines éphémères.

Cela m’amène à appeler votre attention, madame la ministre, sur la nécessité de conserver aux communes des moyens qu’elles peuvent consacrer à leurs actions de proximité. À l’heure où l’on parle de plus en plus d’une dotation globale de fonctionnement territorialisée, l’inquiétude est grande. Si les communes étaient privées de tout ou partie de ces moyens, comment feraient-elles pour faire vivre des politiques publiques adaptées aux difficultés locales, car c’est bien de cela dont il s’agit ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion