Intervention de Christian Mons

Réunion du 21 novembre 2012 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Christian Mons, PDG de Panhard, président du Groupement des industries françaises de défense terrestre, GICAT :

Le CIDEF est le Conseil des industries de défense françaises qui regroupe le Groupement des industries de constructions et activités navales (GICAN), le Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Cette superstructure a pour vocation de synthétiser les besoins de l'ensemble de la profession de l'industrie de défense et d'assurer ses intérêts.

L'industrie de défense est avant tout une industrie créatrice de valeur et d'emplois : elle représente 17,5 milliards d'euros de chiffre d'affaire, dont 35 % exportés, 165 000 emplois directs et indirects et quelque 50 000 emplois induits. Elle est implantée dans au moins six régions françaises majeures – Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bretagne, Centre, Aquitaine, Basse-Normandie –, où l'industrie de défense représente plus de 10 % des effectifs industriels. Du reste, mesdames et messieurs les députés, vous avez tous, dans vos circonscriptions, des entreprises relevant de la défense ou qui en sont les fournisseurs comme maîtres d'oeuvre ou comme sous-traitants. Elle est le principal employeur de nombreux bassins d'emplois : Bourges, Brest, Cherbourg, Cholet, Fougères, Lorient, Roanne, Vendôme... C'est également une filière intégrée, ce qui a un effet d'entraînement fort sur le tissu industriel national via la sous-traitance : 4 000 entreprises de taille intermédiaire et PME travaillent pour la défense. Cette industrie délocalise en effet très peu, voire pas du tout. C'est en France que le budget français de la défense et une partie des budgets de nos clients étrangers sont dépensés.

Cette organisation et les liens étroits qu'elle entretient avec la filière aéronautique civile font de cette industrie « défense et aéronautique » une des industries qui a le plus fort taux de création de valeur en France : une unité de valeur ajoutée créée dans la filière de la défense représente près de cinq unités de valeur ajoutée dans l'ensemble de l'économie. C'est pourquoi, toute réduction du budget dédié aux équipements de défense – recherche et développement (R & D), maintien en condition opérationnelle (MCO) et production – a des répercussions sévères sur l'industrie et l'économie françaises, tant au plan local qu'au plan national. En cas de réduction des budgets, ce ne sont pas seulement les maîtres d'oeuvre qui souffrent, ce sont bien davantage encore les PME, du fait de leur vulnérabilité : elles ont en effet un accès plus difficile au marché que les grands donneurs d'ordres. Or l'industrie de la défense est aujourd'hui en danger, notamment parce que les restrictions budgétaires pèsent sur les budgets de recherche amont, lesquels ont été considérablement réduits sur les quinze dernières années. Depuis 1990, le budget de la recherche a baissé de 60 % et le budget de développement de 70 %. Il convient de bien distinguer ces deux budgets. En effet, si les entreprises contribuent assez largement à la recherche et développement (R & D), dont le retour sur investissement se situe entre cinq et dix ans – le total budget et autofinancement représente entre 5 milliards et 6 milliards d'euros –, en revanche, elles rencontrent des difficultés à financer la recherche et technologie (R & T), parce que le retour sur investissement y est à très long terme – plus de vingt ans – : les études amont portent en effet sur les prochaines générations d'équipements. La R & T représente aujourd'hui 750 millions d'euros alors qu'elle s'élevait encore à 1,5 milliard il y a une quinzaine d'années. Un sursaut est donc nécessaire pour porter le budget de R & T à au moins 1 milliard d'euros, faute de quoi nous risquons le décrochage technologique, qui ne serait pas visible à court terme, mais dont les conséquences seraient dramatiques dans vingt ou trente ans, c'est-à-dire à l'échéance d'une génération d'équipements. Le décalage entre les investissements français et américains en recherche amont est à l'heure actuelle déjà considérable : or, si les États-Unis réduisent leur budget de la défense, ils augmentent en revanche leur budget de recherche amont. Les états-majors français risquent donc bientôt de devoir se doter de matériels étrangers, ce qui ne sera pas sans conséquence industrielle.

Il faut que les exportations de défense deviennent une priorité nationale. Elles sont en effet indispensables à la survie de nos entreprises : 35 % de leur production sont exportées, l'exportation pouvant représenter, pour certaines d'entre elles, plus de 50 % de leur chiffre d'affaire. Une exportation vigoureuse est d'autant plus nécessaire aux entreprises françaises que les commandes de l'État français ne sont pas suffisantes pour remplir leurs carnets. Les succès à l'exportation conditionnent la pérennité d'une industrie qui assure la souveraineté nationale. Sans une industrie de défense forte, nos armées n'auront plus les moyens de conduire leurs opérations, à moins de devenir dépendantes de l'étranger.

Il ne faut pas oublier non plus que notre industrie contribue à réduire le déficit de la balance commerciale. Or la concurrence se renforce : elle devient même virulente dans l'industrie d'armement terrestre, dont les barrières d'entrée sont plus faibles que celles de l'industrie aéronautique ou missilière. La Corée du Sud, la Turquie, l'Afrique du Sud, le Brésil ou Israël sont devenus des concurrents très agressifs : leurs produits, assez proches des nôtres – ils sont seulement un peu moins performants –, sont deux fois moins chers. C'est pourquoi le CIDEF demande que la réforme du contrôle des exportations soit poursuivie pour porter le dispositif français au même standard que celui de ses concurrents, notamment américains. Les autorités étatiques et politiques doivent se mobiliser pour permettre à la France de gagner des marchés à l'international dans les domaines terrestre, naval et aéronautique.

Le CIDEF souhaite également que l'Europe mène, en la matière, une politique pragmatique et décomplexée. Si la Commission européenne légifère, elle ne finance pas. C'est pourquoi elle doit faire le bilan des directives MPDS – marchés publics de défense et de sécurité – et TIC – transferts intracommunautaires de produits de défense – qu'elle a édictées, pour en corriger les défauts et les lacunes, avant de prendre de nouvelles initiatives. La représentation nationale peut l'y inciter.

S'agissant de la directive MPDS, il faut savoir que le marché français de défense et de sécurité est ouvert depuis le 16 septembre 2011, alors que la réciproque n'est pas vraie : certains États membres n'ont pas encore transposé et ont donc dépassé la date limite fixée par la Commission. De plus, alors que la directive bannit les demandes de compensations industrielles – ou offsets – entre États européens, ces dispositions subsistent dans certaines réglementations nationales même après la transposition de la directive. C'est ainsi que les Pays-Bas m'ont fait récemment parvenir une demande explicite de « contrepartie industrielle ». Ne jouons pas sur les mots : c'est une demande d'offset ! Les États membres de l'Union européenne doivent cesser ce petit jeu destructeur. L'industrie française s'étonne du reste de l'absence de réaction de la Commission européenne.

S'agissant de la directive TIC, l'absence d'harmonisation des licences générales de transfert, tant dans leur périmètre que dans leurs conditions d'application, constitue un frein sérieux à leur utilisation et donc à la fluidification des échanges intracommunautaires. Il s'agissait pourtant de l'un des objectifs fondateurs de la directive. Aujourd'hui, pour transférer un plan de France en Allemagne, ou réciproquement, il faut passer par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre - CIEEMG -, ce qui entraîne des délais bien trop longs, qui sont un frein considérable au développement des projets industriels. En outre, l'application différente, et différée, selon les États, de la directive conduit à restreindre de façon dramatique les effets d'harmonisation visés et à refermer des portes qu'on avait naïvement cru ouvertes par la directive. Si la DGA-DDI - direction du développement international – consent des efforts importants pour faire aboutir la directive, contrairement à un grand nombre de nos partenaires européens, seuls des progrès minimes ont été enregistrés à ce jour.

Nous demandons également que les programmes en coopération ne soient lancés qu'à la condition que des règles simples soient respectées, sans lesquelles les effets bénéfiques sur les coûts et les capacités industrielles de ces programmes disparaissent. Il faut éviter une accumulation de spécifications nationales qui génère des délais et des surcoûts ; exprimer des besoins communs précis et les traduire en spécifications techniques raisonnables et ajustées aux capacités budgétaires ; imposer aux participants qu'ils prévoient de commander un nombre d'exemplaires réaliste et qu'ils s'engagent fermement sur cette quantité – toute diminution a des effets ravageurs sur les entreprises, surtout lorsque des retours industriels sont calculés sur les prévisions initiales – ; mettre en place une organisation industrielle simple avec un maître d'ouvrage, un maître d'oeuvre et des partenaires compétents – on nous a déjà imposé, dans le cadre de programmes européens, des partenaires incompétents – ; abandonner, enfin, le principe du juste retour, car la coopération sur un programme doit fusionner les compétences existantes et non viser à en créer. Un pays ne doit pas profiter d'un programme pour se créer une industrie, car une telle pratique est destructrice à la fois des programmes et des budgets. Il faut exploiter les synergies et non les dupliquer.

Nous souhaitons par ailleurs que la France définisse exactement les principes au-delà desquels elle ne veut pas aller pour ne pas aliéner sa souveraineté, qu'il s'agisse tout d'abord du financement de la R & T, qui constitue le socle de la souveraineté nationale, ou de la capacité de la France à décider seule de l'acquisition de systèmes liés à la défense de ses intérêts stratégiques. Quant au contrôle des exportations, s'il ne peut être évidemment délégué, il doit être en revanche allégé, simplifié et rendu plus efficace. Le délai pour une licence d'exportation est en France de quarante-cinq jours contre la moitié aux États-Unis : c'est beaucoup trop long, notamment pour assurer l'envoi d'une simple pièce de rechange dans le cadre d'un dépannage. Nous souhaitons enfin la redéfinition d'une politique industrielle qui identifie les secteurs technologiques et militaires stratégiques sur lesquels il faudra focaliser les efforts et d'où découleront des politiques de R & T, d'investissement et de coopération cohérentes avec les besoins de la France et ses capacités budgétaires. Le pays doit éviter de s'engager dans des programmes que ses contraintes budgétaires lui interdiront, à terme, de réaliser.

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