La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mes chers collègues, je suis heureuse d'accueillir M. Christian Mons, PDG de Panhard, président du Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT), et M. Éric Trappier, directeur général international de Dassault Aviation.
Messieurs, vous représentez tous deux le Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), qui a récemment publié le Livre blanc de l'industrie française de défense.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse.
Sans plus attendre, je vous cède la parole.
Le CIDEF est le Conseil des industries de défense françaises qui regroupe le Groupement des industries de constructions et activités navales (GICAN), le Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Cette superstructure a pour vocation de synthétiser les besoins de l'ensemble de la profession de l'industrie de défense et d'assurer ses intérêts.
L'industrie de défense est avant tout une industrie créatrice de valeur et d'emplois : elle représente 17,5 milliards d'euros de chiffre d'affaire, dont 35 % exportés, 165 000 emplois directs et indirects et quelque 50 000 emplois induits. Elle est implantée dans au moins six régions françaises majeures – Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bretagne, Centre, Aquitaine, Basse-Normandie –, où l'industrie de défense représente plus de 10 % des effectifs industriels. Du reste, mesdames et messieurs les députés, vous avez tous, dans vos circonscriptions, des entreprises relevant de la défense ou qui en sont les fournisseurs comme maîtres d'oeuvre ou comme sous-traitants. Elle est le principal employeur de nombreux bassins d'emplois : Bourges, Brest, Cherbourg, Cholet, Fougères, Lorient, Roanne, Vendôme... C'est également une filière intégrée, ce qui a un effet d'entraînement fort sur le tissu industriel national via la sous-traitance : 4 000 entreprises de taille intermédiaire et PME travaillent pour la défense. Cette industrie délocalise en effet très peu, voire pas du tout. C'est en France que le budget français de la défense et une partie des budgets de nos clients étrangers sont dépensés.
Cette organisation et les liens étroits qu'elle entretient avec la filière aéronautique civile font de cette industrie « défense et aéronautique » une des industries qui a le plus fort taux de création de valeur en France : une unité de valeur ajoutée créée dans la filière de la défense représente près de cinq unités de valeur ajoutée dans l'ensemble de l'économie. C'est pourquoi, toute réduction du budget dédié aux équipements de défense – recherche et développement (R & D), maintien en condition opérationnelle (MCO) et production – a des répercussions sévères sur l'industrie et l'économie françaises, tant au plan local qu'au plan national. En cas de réduction des budgets, ce ne sont pas seulement les maîtres d'oeuvre qui souffrent, ce sont bien davantage encore les PME, du fait de leur vulnérabilité : elles ont en effet un accès plus difficile au marché que les grands donneurs d'ordres. Or l'industrie de la défense est aujourd'hui en danger, notamment parce que les restrictions budgétaires pèsent sur les budgets de recherche amont, lesquels ont été considérablement réduits sur les quinze dernières années. Depuis 1990, le budget de la recherche a baissé de 60 % et le budget de développement de 70 %. Il convient de bien distinguer ces deux budgets. En effet, si les entreprises contribuent assez largement à la recherche et développement (R & D), dont le retour sur investissement se situe entre cinq et dix ans – le total budget et autofinancement représente entre 5 milliards et 6 milliards d'euros –, en revanche, elles rencontrent des difficultés à financer la recherche et technologie (R & T), parce que le retour sur investissement y est à très long terme – plus de vingt ans – : les études amont portent en effet sur les prochaines générations d'équipements. La R & T représente aujourd'hui 750 millions d'euros alors qu'elle s'élevait encore à 1,5 milliard il y a une quinzaine d'années. Un sursaut est donc nécessaire pour porter le budget de R & T à au moins 1 milliard d'euros, faute de quoi nous risquons le décrochage technologique, qui ne serait pas visible à court terme, mais dont les conséquences seraient dramatiques dans vingt ou trente ans, c'est-à-dire à l'échéance d'une génération d'équipements. Le décalage entre les investissements français et américains en recherche amont est à l'heure actuelle déjà considérable : or, si les États-Unis réduisent leur budget de la défense, ils augmentent en revanche leur budget de recherche amont. Les états-majors français risquent donc bientôt de devoir se doter de matériels étrangers, ce qui ne sera pas sans conséquence industrielle.
Il faut que les exportations de défense deviennent une priorité nationale. Elles sont en effet indispensables à la survie de nos entreprises : 35 % de leur production sont exportées, l'exportation pouvant représenter, pour certaines d'entre elles, plus de 50 % de leur chiffre d'affaire. Une exportation vigoureuse est d'autant plus nécessaire aux entreprises françaises que les commandes de l'État français ne sont pas suffisantes pour remplir leurs carnets. Les succès à l'exportation conditionnent la pérennité d'une industrie qui assure la souveraineté nationale. Sans une industrie de défense forte, nos armées n'auront plus les moyens de conduire leurs opérations, à moins de devenir dépendantes de l'étranger.
Il ne faut pas oublier non plus que notre industrie contribue à réduire le déficit de la balance commerciale. Or la concurrence se renforce : elle devient même virulente dans l'industrie d'armement terrestre, dont les barrières d'entrée sont plus faibles que celles de l'industrie aéronautique ou missilière. La Corée du Sud, la Turquie, l'Afrique du Sud, le Brésil ou Israël sont devenus des concurrents très agressifs : leurs produits, assez proches des nôtres – ils sont seulement un peu moins performants –, sont deux fois moins chers. C'est pourquoi le CIDEF demande que la réforme du contrôle des exportations soit poursuivie pour porter le dispositif français au même standard que celui de ses concurrents, notamment américains. Les autorités étatiques et politiques doivent se mobiliser pour permettre à la France de gagner des marchés à l'international dans les domaines terrestre, naval et aéronautique.
Le CIDEF souhaite également que l'Europe mène, en la matière, une politique pragmatique et décomplexée. Si la Commission européenne légifère, elle ne finance pas. C'est pourquoi elle doit faire le bilan des directives MPDS – marchés publics de défense et de sécurité – et TIC – transferts intracommunautaires de produits de défense – qu'elle a édictées, pour en corriger les défauts et les lacunes, avant de prendre de nouvelles initiatives. La représentation nationale peut l'y inciter.
S'agissant de la directive MPDS, il faut savoir que le marché français de défense et de sécurité est ouvert depuis le 16 septembre 2011, alors que la réciproque n'est pas vraie : certains États membres n'ont pas encore transposé et ont donc dépassé la date limite fixée par la Commission. De plus, alors que la directive bannit les demandes de compensations industrielles – ou offsets – entre États européens, ces dispositions subsistent dans certaines réglementations nationales même après la transposition de la directive. C'est ainsi que les Pays-Bas m'ont fait récemment parvenir une demande explicite de « contrepartie industrielle ». Ne jouons pas sur les mots : c'est une demande d'offset ! Les États membres de l'Union européenne doivent cesser ce petit jeu destructeur. L'industrie française s'étonne du reste de l'absence de réaction de la Commission européenne.
S'agissant de la directive TIC, l'absence d'harmonisation des licences générales de transfert, tant dans leur périmètre que dans leurs conditions d'application, constitue un frein sérieux à leur utilisation et donc à la fluidification des échanges intracommunautaires. Il s'agissait pourtant de l'un des objectifs fondateurs de la directive. Aujourd'hui, pour transférer un plan de France en Allemagne, ou réciproquement, il faut passer par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre - CIEEMG -, ce qui entraîne des délais bien trop longs, qui sont un frein considérable au développement des projets industriels. En outre, l'application différente, et différée, selon les États, de la directive conduit à restreindre de façon dramatique les effets d'harmonisation visés et à refermer des portes qu'on avait naïvement cru ouvertes par la directive. Si la DGA-DDI - direction du développement international – consent des efforts importants pour faire aboutir la directive, contrairement à un grand nombre de nos partenaires européens, seuls des progrès minimes ont été enregistrés à ce jour.
Nous demandons également que les programmes en coopération ne soient lancés qu'à la condition que des règles simples soient respectées, sans lesquelles les effets bénéfiques sur les coûts et les capacités industrielles de ces programmes disparaissent. Il faut éviter une accumulation de spécifications nationales qui génère des délais et des surcoûts ; exprimer des besoins communs précis et les traduire en spécifications techniques raisonnables et ajustées aux capacités budgétaires ; imposer aux participants qu'ils prévoient de commander un nombre d'exemplaires réaliste et qu'ils s'engagent fermement sur cette quantité – toute diminution a des effets ravageurs sur les entreprises, surtout lorsque des retours industriels sont calculés sur les prévisions initiales – ; mettre en place une organisation industrielle simple avec un maître d'ouvrage, un maître d'oeuvre et des partenaires compétents – on nous a déjà imposé, dans le cadre de programmes européens, des partenaires incompétents – ; abandonner, enfin, le principe du juste retour, car la coopération sur un programme doit fusionner les compétences existantes et non viser à en créer. Un pays ne doit pas profiter d'un programme pour se créer une industrie, car une telle pratique est destructrice à la fois des programmes et des budgets. Il faut exploiter les synergies et non les dupliquer.
Nous souhaitons par ailleurs que la France définisse exactement les principes au-delà desquels elle ne veut pas aller pour ne pas aliéner sa souveraineté, qu'il s'agisse tout d'abord du financement de la R & T, qui constitue le socle de la souveraineté nationale, ou de la capacité de la France à décider seule de l'acquisition de systèmes liés à la défense de ses intérêts stratégiques. Quant au contrôle des exportations, s'il ne peut être évidemment délégué, il doit être en revanche allégé, simplifié et rendu plus efficace. Le délai pour une licence d'exportation est en France de quarante-cinq jours contre la moitié aux États-Unis : c'est beaucoup trop long, notamment pour assurer l'envoi d'une simple pièce de rechange dans le cadre d'un dépannage. Nous souhaitons enfin la redéfinition d'une politique industrielle qui identifie les secteurs technologiques et militaires stratégiques sur lesquels il faudra focaliser les efforts et d'où découleront des politiques de R & T, d'investissement et de coopération cohérentes avec les besoins de la France et ses capacités budgétaires. Le pays doit éviter de s'engager dans des programmes que ses contraintes budgétaires lui interdiront, à terme, de réaliser.
Je vous remercie des informations que vous nous avez transmises, notamment en ce qui concerne les directives européennes, qui ne laissent pas d'inquiéter les législateurs que nous sommes. Nous devons également nous pencher de nouveau sur le dossier de la recherche et technologie.
Sur ce dossier nous avons été entendus dans une certaine mesure puisque le projet de budget prévoit une augmentation de 50 millions d'euros des crédits accordés à la R & T. C'est un geste. Nous souhaiterions, je le répète, que son budget atteigne 1 milliard d'euros au minimum.
Qu'en est-il des relations dans le secteur de la défense, d'une part, entre l'État et l'industrie et, d'autre part, entre les grands donneurs d'ordre et les PME-PMI ?
Les grands donneurs d'ordre, comme Dassault ou Thales, agrègent autour d'eux un tissu de PME-PMI, qu'ils protègent et accompagnent souvent à l'exportation. Ce tissu est moins serré que les Konzerne en Allemagne mais efficace.
De plus, nos organisations professionnelles regroupent un grand nombre de PME. Le GICAT est constitué d'une dizaine de très grandes sociétés et de quelque 200 PME. Au total l'industrie de défense irrigue 4 000 PME françaises. Nous organisons régulièrement des rencontres ouvertes entre les grands donneurs d'ordres et les PME.
Les caractéristiques de l'industrie de la défense ne permettent guère aux PME d'avoir accès aux marchés principaux autrement que par l'intermédiaire des grands maîtres d'oeuvre industriels, auxquels s'adresse la Direction générale de l'armement (DGA) pour obtenir des produits complets. Ces grands donneurs d'ordres sont bien conscients de leurs responsabilités vis-à-vis du tissu industriel français. Toutefois, les PME sont les premières victimes des réductions budgétaires, du fait qu'elles ont moins de réserves et que les capacités industrielles sont très difficiles à ajuster en France, en raison notamment des contraintes de la législation sociale. La représentation nationale doit avoir conscience de la fragilité des PME.
Je rappelle que le ministre de la défense doit annoncer le mardi 27 novembre prochain des mesures en faveur des PME du secteur de la défense.
Vos propos sur la recherche et technologie confortent les inquiétudes générales de M. Louis Gallois sur les carnets de commande des bureaux d'études.
Comment sont répartis ces 750 millions d'euros entre les bureaux d'études publics et privés ?
Par ailleurs, envisagez-vous une éventuelle restructuration du marché de la défense terrestre ou celui-ci est-il destiné à demeurer atomisé et, de ce fait, moins concurrentiel que ses grands concurrents internationaux ?
Les 750 millions d'euros couvrent les budgets passés aux entreprises privées. Les organismes de recherche publique, tels que l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), le Centre national d'études spatiales (CNES) ou l'Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis ont un budget propre. Il faut savoir toutefois qu'une partie des études amont des centres de recherche privés est sous-traitée à des organismes publics, le plus souvent universitaires. Nous sommes très souvent associés.
Le budget de la recherche fondamentale est donc supérieur à 750 millions d'euros si on prend en compte le budget alloué aux organismes publics.
Le budget alloué aux organismes publics atteint entre 200 millions et 300 millions d'euros.
Ainsi le budget total, privé et public, de la recherche fondamentale atteint 1 milliard d'euros.
Toutefois, la question cruciale est celle de la gouvernance des crédits alloués à la recherche fondamentale et des objectifs qui lui sont assignés.
L'orientation stratégique actuelle est significative, puisque seulement 50 millions d'euros de R & T vont à l'armement terrestre, alors que l'armée de terre regroupe les effectifs militaires les plus nombreux et qu'elle est la plus engagée en OPEX. C'est donc très peu. Cette répartition conditionne fortement l'avenir à la fois des industries de défense et des armées.
J'appelle de mes voeux depuis de nombreuses années une restructuration de l'industrie d'armement terrestre. Aussi longtemps que Nexter restera une entreprise 100 % nationale, l'évolution sera lente, voire très lente. Le rapprochement de Renault Trucks Defense et de Panhard est assurément un pas dans la bonne direction mais, rapporté à l'ensemble, il est modeste. Il n'y a pas, à l'heure actuelle, de volonté politique de doter l'industrie de l'armement terrestre d'une taille critique suffisante pour lui permettre de résister à la concurrence internationale et de survivre dans les vingt à trente prochaines années. Le chiffre d'affaire de nos concurrents allemands atteint entre 2 milliards et 4 milliards d'euros, quand celui des entreprises françaises navigue entre 500 millions d'euros et 1 milliard. Quant à la taille critique des entreprises américano-britanniques d'armement terrestre, elle se situe aux alentours de 8 milliards d'euros – je pense notamment à BAE, Lockheed Martin ou General Dynamics.
Dans ces conditions, quel scénario de coopération envisagez-vous, que ce soit dans un cadre strictement français, franco-allemand ou encore européen, pour consolider l'industrie d'armement française et lui permettre de rivaliser avec la concurrence des États-Unis ou des pays asiatiques ?
En ce moment, il ne se passe rien au-delà des programmes en cours comme l'A400M ou le Tigre.
Savez-vous que sur les quarante programmes de l'accord de Lancaster House, un seul concerne l'armement terrestre – le canon 40 mm télescopé – ? Et encore, il était le fruit, déjà financé, d'une coopération entre BAE et Nexter antérieure à l'accord franco-britannique ! Lancaster House ne prévoit donc aucune coopération nouvelle en matière d'armement terrestre. Quant à la coopération avec les Allemands, elle est inexistante. La DGA a simplement commencé de parler avec Rheinmetall et avec Krauss-Maffei Wegmann. Il en est de même des industriels – je parle un peu avec Rheinmetall et très peu avec Krauss-Maffei Wegmann. Nexter a, semble-t-il, tenté d'entrer en contact avec les deux, mais les actionnaires des entreprises allemandes, qui sont entièrement privées, sont réticents à des partenariats avec une entreprise entièrement nationalisée, en raison du contrôle politique exercé sur son conseil d'administration.
Nous en avons très peu.
Nous attendons avec impatience le lancement du programme Scorpion, qui ouvrira la voie à la production du véhicule blindé multirôles (VBMR) et de l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC). Or, ce programme qui était annoncé pour le mois de juin, est différé sine die dans l'attente des décisions budgétaires, alors que la production de ses deux composantes garantira, dans vos régions, 10 000 emplois sur dix ans puisque ce seront 500 millions d'euros par an qui irrigueront l'industrie d'armement terrestre. Ce programme est donc fondamental pour assurer la survie de notre industrie d'armement, qu'il s'agisse des entreprises du secteur privé ou de Nexter.
L'État a d'autant plus à intérêt à soutenir la recherche que celle-ci permet de développer des technologies duales, civiles et militaires.
Le crédit impôt compétitivité, que met en place le Gouvernement, favorisera-t-il selon vous la compétitivité de l'industrie de la défense ?
S'agissant du programme Scorpion, il convient d'être serein puisque le ministre de la défense nous a indiqué qu'il allait débuter dans quelques mois.
Cela fait plusieurs années que les gouvernements successifs nous annoncent le lancement du programme Scorpion dans quelques mois !
Nos entreprises bénéficient aujourd'hui du crédit impôt recherche. En revanche, j'attends de connaître les modalités du crédit impôt compétitivité pour me prononcer sur lui. Il ne pourra qu'améliorer la compétitivité de l'industrie d'armement terrestre, qui est aujourd'hui plus menacée que celle de l'industrie aéronautique, dont les barrières d'entrée sont plus élevées. Le secteur naval, civil ou militaire, craint, lui aussi, la concurrence des pays émergents.
Il appartient au Gouvernement français et à l'Europe de faire les choix technologiques qui guideront les efforts des industriels. Le Livre blanc sur la défense y aidera.
Ces choix technologiques imposeront également des choix de restructuration. On peut regretter, à ce titre, l'échec du rapprochement entre BAE et EADS. Qu'en est-il des relations entre Dassault, Thales et Safran ? Toutefois, le gigantisme n'est pas toujours la meilleure solution pour permettre à la France de conserver des emplois industriels.
Le développement de l'industrie duale est d'autant plus intéressant qu'il entre dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) : l'aéronautique en a tiré un grand profit. Des projets de motorisation de plateformes automobiles duales pourraient-ils être réalisés avec l'aide du PIA ?
La motorisation militaire est aujourd'hui issue entièrement du secteur civil, alors que, dans le passé, des moteurs ont été spécifiquement produits pour une application militaire.
Le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) a financé un programme de démonstrateurs.
Pour accompagner les PME, les fonds Aerofund ont permis de conforter la filière aéronautique. Ne serait-il pas utile d'augmenter le nombre des entreprises couvrant ces fonds pour restructurer la sous-traitance, qui demeure trop émiettée ? Une organisation professionnelle telle que la vôtre réfléchit-elle à une véritable structuration des PME en ETI capables à leur tour de structurer la chaîne logistique ? Les régions sont prêtes à participer à une telle structuration, mais elles ne pourront le faire qu'à vos côtés et qu'avec l'aide des pouvoirs publics.
Le rôle des pouvoirs publics est primordial. Les organisations professionnelles s'interdisent en effet d'intervenir dans la vie des entreprises du fait qu'elles regroupent des entreprises concurrentes – les organisations professionnelles ne peuvent pas choisir entre elles.
Ce ne sont donc pas les organisations professionnelles.
Elles le font, mais il faut savoir qu'un service achats qui sélectionne une entreprise en condamne, par le fait même, une ou plusieurs autres.
Le GIFAS, qui est une organisation duale – civile et militaire – a, depuis quelques années, institutionnalisé une coordination entre, d'une part, les grands groupes et, d'autre part, les PME et les ETI qui existent en son sein, afin de promouvoir des conduites respectueuses des chartes signées par les différents acteurs et de s'assurer que les plans de charges entre les grands maîtres d'oeuvre et les sous-traitants sont suffisamment cohérents pour permettre une préparation commune de l'avenir. Les représentants des PME et des ETI sont satisfaits du travail effectué, qui sera encore amélioré. La chaîne logistique doit toutefois rester compétitive pour que les entreprises duales restent performantes sur le marché international.
La R & T doit déboucher sur des programmes. À cette fin, il faut que les partenaires européens s'organisent – leur nombre peut varier. La coopération des deux états-majors franco-britanniques dans le cadre de Lancaster House permettra, nous l'espérons, à l'industrie d'armement de développer de nouveaux programmes. Du reste, Dassault prépare l'avenir à l'horizon de trente ans en se rapprochant de BAE Systems, notamment en matière de drones et d'avions de combat. Encore faut-il que les pouvoirs publics lancent les programmes ad hoc. Nous n'ignorons pas que ceux-ci dépendent, dans un cadre budgétaire contraint, des choix que le Livre blanc opérera.
Que pèsera, dans le secteur de l'armement, le crédit impôt compétitivité, dont la création, à hauteur de 20 milliards d'euros, a été décidée par le Gouvernement dans le prolongement du rapport Gallois ? Ce crédit s'élèvera, je le rappelle, à quelque 6 % de la masse salariale, jusqu'à 2,5 Smic.
Le crédit d'impôt représentera, je suppose, pour le secteur de l'armement plusieurs dizaines de millions d'euros, mais je ne saurais l'évaluer avec précision car tout dépendra de ses modalités d'application, d'autant que notre industrie emploie, pour plus de 50 % de ses effectifs, des techniciens supérieurs et des ingénieurs, dont les niveaux de rémunération dépassent évidemment 2,5 Smic. Notre masse salariale ne sera donc pas concernée à hauteur de 6 %.
Savez-vous déjà si le secteur orientera ce crédit d'impôt vers la recherche, la trésorerie ou l'emploi ?
Les entreprises ayant toutes des problématiques différentes, je ne peux pas répondre à leur place. Certaines investiront, d'autres reconstitueront leurs marges en vue d'attirer les capitaux du marché financier, d'autres encore amélioreront leur compétitivité en baissant leurs prix, ce qui est primordial pour accroître les exportations de nos matériels.
Vous avez évoqué le rôle de l'État dans les exportations. Certains industriels que nous avons déjà auditionnés considèrent l'activisme de l'État comme contre-productif alors que d'autres souhaiteraient un soutien plus ferme de sa part. Certains nous ont également affirmé qu'ils ne vendaient qu'à des clients qui ne souhaitent pas acheter uniquement des produits américains.
En matière d'exportation, souhaitez-vous que l'État se cantonne à un rôle politique ou qu'il assure également un rôle commercial ?
L'export doit être une priorité nationale. Les euros investis au titre des programmes nationaux ou européens permettent d'allonger les séries, voire de compléter des développements, les clients à l'export ayant toujours des souhaits spécifiques en termes de besoin. La France continue de montrer sa volonté d'exporter, ce qui est essentiel. Il lui faut toutefois réduire les délais d'exportation et faciliter la gestion administrative, surtout des petites entreprises. Le travail engagé par M. Yves Fromion doit être poursuivi.
Le Gouvernement a un rôle politique à jouer, lequel relève du domaine régalien : inscrire une relation durable, un partenariat stratégique avec un pays donné, dans lequel nous essaierons ensuite d'exporter nos produits. S'agissant de l'aspect commercial, nous demandons aux forces armées, qui sont les meilleurs connaisseurs en tant qu'utilisateurs, de nous aider à faire la promotion de nos produits, ce qui implique une étroite coordination entre les militaires et les industriels, dans la préparation de ces démonstrations. Le dialogue entre l'État et l'industrie, qui concilie approche commerciale et utilisation des matériels, permet de mieux nous positionner au plan opérationnel.
Il serait souhaitable que l'état-major de l'armée de terre mette en place, comme les Britanniques, une brigade spécialisée dans les démonstrations, afin d'éviter la répétition d'expériences malheureuses de démonstrations effectuées récemment par des utilisateurs qui ne connaissaient pas suffisamment le matériel présenté.
Il appartient à l'entreprise de porter à la fois le dossier commercial – il n'existe pas en France de Foreign Military Sales – et le dossier industriel. L'industriel français doit en effet de plus en plus souvent s'associer à des industriels locaux pour bâtir des coopérations. Il lui faut, à cette fin, analyser le terrain pour connaître le paysage industriel local et être capable de nouer des relations, qui seront un facteur de promotion vis-à-vis des décideurs locaux.
Les contrats commerciaux sont négociés par l'industriel. L'État a son rôle à jouer pour accompagner les industriels sur les sujets comme les crédits cofacés ou le recours aux autres dispositifs que l'État a prévus pour favoriser les exportations.
À l'heure actuelle, l'État soutient l'exportation sur les plans politique et stratégique. Il serait très difficile de passer de gros contrats avec des États qui n'entretiennent aucune relation politique avec la France. La donne politique est donc nécessaire sans être suffisante.
Il ne faut pas oublier non plus l'impact à l'exportation du cours de l'euro par rapport au dollar, d'autant que le coût de la main-d'oeuvre dans certains pays de la zone dollar défie parfois toute concurrence. C'est la qualité des produits français qui fait alors toute la différence. En amont, un dialogue permanent entre l'État et les industriels, en instaurant une solidarité sans faille comme au sein de l'équipe de France de rugby, doit permettre de préciser les rôles de chacun à l'exportation.
Je tiens tout d'abord à rappeler que le crédit impôt compétitivité ne profitera aux entreprises qu'en 2014 : il leur faudra déjà passer le cap de l'année 2013.
Quel est, pour l'industrie de défense, le retour d'expérience du conflit afghan ? Je crois savoir que des matériels, comme les drones ou le canon Caesar, ont été améliorés.
Il faut éviter d'avoir une guerre de retard, c'est-à-dire de tirer, pour la guerre suivante, des conclusions de la guerre qui s'achève. C'est pourquoi il faut analyser avec circonspection le retour d'expérience du conflit afghan – il en était de même de la guerre d'Irak. Ne renouvelons pas l'erreur des MRAP, ces véhicules Mine-Resistant Ambush Protected que les Américains ont produites par milliers et dont plus personne ne veut car ces engins ne seront pas adaptés, de toute évidence, au prochain conflit.
Au contraire, les véhicules militaires utilisés par nos forces ont été conçus au moment de la guerre froide pour faire la guerre dans les plaines d'Ukraine : ils ont été engagés en Afrique, au Moyen-Orient, au Liban et dans l'ex-Yougoslavie avec succès grâce à leur adaptabilité. Un bon véhicule militaire est un bon compromis entre la protection, la mobilité, la rapidité et la discrétion.
Comme il est difficile de prévoir la guerre suivante, il faut être le plus flexible possible. Les matériels que nous produisons doivent être de plus en plus adaptables. Comme la création d'un nouveau matériel, du bureau d'études à la production, exige un cycle très long, des crédits doivent être dédiés à l'amélioration des matériels existants. Du reste, les retours d'expérience entraînent, le plus souvent, non pas de grosses modifications, mais des adaptations rapides, pour répondre à des besoins à court terme – un à deux ans.
Les concepteurs de matériels nouveaux doivent intégrer les notions de flexibilité et d'évolution.
Nous sommes toutefois restés dix ans en Afghanistan : les industriels ont-ils, durant cette période, opéré des modifications sur les matériels ?
Le déploiement opérationnel du Caesar a été accéléré à l'occasion du conflit afghan, qui a également donné lieu à plusieurs programmes sous l'enveloppe des crédits du Trésor urgents, dits programmes Urgent Operational Request, en matière notamment de surprotection des matériels, d'adaptation au terrain ou de développement complémentaire.
Dans le domaine aérien, le conflit afghan a fini de nous persuader de la nécessité d'améliorer constamment l'interopérabilité avec nos alliés. C'est un travail à la fois théorique et pratique. Nous avons dû également mettre rapidement en service des armements dont les capacités de frappe puissent évoluer à la demande.
S'agissant des drones, la décision appartient aux pouvoirs publics.
Les industriels évitent-ils la dispersion et la concurrence en matière de systèmes d'interopérabilité ?
L'interopérabilité repose sur des normes précises que chacun doit respecter. Elles répondent, pour ce qui concerne la France et ses alliés, au standard OTAN. Il appartient ensuite aux industriels, qui participent à la concertation organisée par l'OTAN, de développer les matériels ad hoc. Il existe donc une collaboration étroite en la matière à la fois entre les partenaires industriels et entre l'État et l'industrie. La concurrence ne porte donc pas sur les normes mais sur les matériels.
Qu'attendez-vous concrètement des annonces ministérielles du mardi 27 novembre, notamment en matière de parrainage des PME par les grands groupes, en vue de les aider à l'exportation ?
Le ministre a annoncé à l'Université d'été de la défense, au début du mois de septembre, qu'il avait abandonné l'idée d'instaurer un small enterprises act à la française. Je le regrette car la France en a besoin, même si ses partenaires européens n'y sont pas tous favorables. Tout dépend évidemment de son contenu. J'espère que le ministre annoncera des mesures en ce sens.
Sur quel domaine de l'armement terrestre porte, selon vous, le déficit en R & T ? Les efforts à consentir doivent-ils viser l'amélioration et l'adaptabilité des équipements existants ou l'innovation ?
Les exemples que vous citez concernent la R & D, à savoir le développement des produits, et non la R & T, la recherche fondamentale. Comme je l'ai déjà dit, les industriels financent, avec la participation de l'État, la R & D. La R & T, elle, qui peut porter aussi bien sur l'électronique, que sur l'optique, l'optronique ou les matériaux, n'est jamais certaine d'aboutir. Le taux d'échec des études amont étant important, les actionnaires se montrent frileux pour financer la recherche fondamentale. En R & D, il y a une obligation de résultats, en R & T, il y a une simple obligation de moyens.
Je vous remercie, monsieur le président-directeur général et monsieur le directeur général.
La séance est levée à onze heures.